LOIN DE LA FOULE DECHAÎNEE

Au fin fond de la Roumanie, à Iaçi, la capitale de la Moldavie roumaine, non loin de la frontière de la république de Moldavie, de quoi parle-t-on ? De Molenbeek. Que tout le monde connaît, même les serveurs dans les restaurants. Trois syllabes que l’on prononce comme Hiroshima ou Nagasaki au lendemain de la bombe.

Pourquoi accueillez-vous tant de musulmans chez vous ? demande un professeur d’université, qui enseigne la sémiologie. Va-t-il disséquer avec ses étudiants les mots Molenbeek et musulmans ?

De la Russie, dont on parlait il y a quelques mois encore d’une voix tremblante, lorsqu’elle avait envahi la Crimée sans coup férir puis mis une autre partie de l’Ukraine à feu et à sang, sans que les Européens ne réagissent autrement que par quelques mesures de blocus économique, on ne parle plus. Poutine continue à faire peur bien sûr et la frontière russe est plus près de Iaçi que le cœur de Molenbeek mais c’est notre pauvre commune bruxelloise qui concentre désormais toutes les angoisses. Il est vrai que si l’on peut comprendre, expliquer pourquoi la Russie s’est jetée à l’assaut de l’Ukraine, qui peut expliquer ou comprendre la folie meurtrière de Bruxelles et auparavant, de Paris, Madrid, Londres ou Tunis ?

De quoi les Belges sont-ils le nom ? semblent se demander les habitants de Iaçi.

Une ville dont la moitié de la population a disparu pendant la guerre, pogroms et épuration ethnique, et qui se refait une beauté monumentale aux marches de l’Europe, dont elle lève bien haut le drapeau. Ici, on croise des intellectuels avides de culture européenne et les dîners se transforment en cafés littéraires de haut niveau.

Dans le magnifique piétonnier, bordé de monastères orthodoxes, des prêtres se promènent en dévorant leurs sandwiches. Les popes croquent leur casse-croûte cru. Des enfants roms vendent à la sauvette des bouquets d’hyacinthes avant de se faire chasser par un commerçant au sang chaud. De vieux trams brinquebalant parcourent les rues en grinçant comme un écho d’une vieille Europe disparue. Est-ce une autre Europe qui va disparaître à son tour après les attentats déments de Bruxelles ?

Bruxelles, un nom qui n’a pas de chance, décidément. On le prononçait jusqu’il y a peu pour dénoncer les institutions européennes, tout ce qui bloque et qui coince dans l’Union. Bruxelles a décidé, Bruxelles a interdit, vitupéraient les hommes politiques qui n’avaient pas le courage d’assumer leurs responsabilités. Et maintenant, il symbolise un lieu de terreur incompréhensible. Nous ne connaîtrons pas le sort de Bruxelles promettent-ils à leurs électeurs.

Du vent tout ça ! Il serait temps que Bruxelles réapparaisse comme elle est vraiment, le doux nom d’une ville cosmopolite, accueillante, cultivée, ouverte.

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CRIS ET CHUCHOTEMENTS

Après l’explosion, le pire est le silence. Le silence, c’est le néant. Il faut refuser le silence, ne pas le laisser s’installer de peur qu’il nous étouffe comme dans un linceul. Maintenant, nous avons besoin de bruit, de musique, de paroles. Du doux murmure des baisers, des mots d’amour, du froissement coquin des tissus. Pas d’invectiver, d’asséner, de sermonner. Non. Mettons-nous à chuchoter, susurrer, gazouiller, caresser, et rire. Surtout rire. Le rire est le propre de l’homme. De l’homme civilisé. L’antidote de la barbarie. Rester debout, droit, face au vandale et ne se plier que pour rire.

« Je jouissais de ce rire comme un chien à qui l’on a donné des coups mais qui reçoit maintenant des caresses » (Joyce Carol Oates), ce qui n’est pas sans rappeler « Je me hâte de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer » (Beaumarchais).

Du bruit comme s’il en pleuvait, s’il vous plaît ! Il faut chanter, se parler, dans toutes les langues de la terre, parler avec les mains et les yeux, se faire du pied (mais doucement, j’ai de nouvelles chaussures !) Mais il faut arrêter de parler de mort, de deuil. Le deuil sied à Electre, pas à Manneken Pis !

Vous allez voir de quoi on est capable, en Belgique, quand on nous bouscule. On va même cesser de se disputer – un court moment- et se parler entre nous, comme si on était enfin tous bilingues, multilingues et cosmopolites et qu’on avait des choses à se dire et surtout à accepter d’entendre. On va débattre ce qui signifie que, pour une fois, on va se mettre à écouter les autres. Bon, après, bien sûr, on reprendra nos habitudes comme un cheval finit toujours par retourner à son écurie même si son maître le maltraite. Mais, autant profiter de ce court moment sans obscénités, sans diktats, sans injures. Un entracte où on n’entendra plus des politiciens qui n’ont rien compris à la démocratie nous asséner leurs petites phrases mortifères genre « Mon cœur saigne » ou  « Je pense qu’il n’y a pas de minorité francophone en Flandre, il y a des immigrants qui doivent s’adapter. On demande cela à des Marocains, des Turcs. On ne leur dit pas: ‘Vous êtes nombreux, donc l’arabe va devenir une langue officielle. » On oubliera aussi « Quand les dégoûtés s’en vont, restent les dégoûtants ». Les auteurs de ces « bons mots » sont un Wallon, un Flamand, un Bruxellois.

Je vous parie qu’on va dialoguer, échanger des mots, des feintes, des vannes, réagir par des sourires. On va se sentir complices, se rendre compte que, on avait failli l’oublier, on est drôlement proches les uns des autres, on aime la même confiture, on partage la même mayonnaise sur les frites, on a la même opinion du Standard, les mêmes préjugés à l’égard du fisc, des flics et des fonctionnaires. La même ironie vis-à-vis des Français et des Hollandais. Et de nous-mêmes. La preuve que nous ne sommes pas seulement un pays; nous sommes aussi une nation. Pas seulement dans la dérision. Mais aussi dans le dérisoire.

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VOUS AVEZ DIT : MODERE ?

En 2003, la plupart des observateurs ont célébré l’arrivée au pouvoir de M. Erdogan à la tête de la Turquie. Enfin, un islamiste modéré, sorti des urnes, un exemple pour les autres pays musulmans, à peu près tous empêtrés dans des dictatures plus ou moins cruelles. Un modèle conciliant une foi tolérante, démocratie et modernisme. Treize ans plus tard, qu’est devenu le vizir modéré ? Il bafoue les droits fondamentaux, son armée continue à occuper un état souverain, Chypre. Il tient des discours choquants sur le rôle et la place des femmes dans la société, discrimine et massacre allègrement sa population kurde et il vend aux Européens les réfugiés syriens coincés sur son sol comme des marchandises proches de la date de péremption.

A l’époque, M. Erdogan appelait son voisin syrien, M. Assad, «  mon petit frère ». C’aurait dû nous donner la puce à l’oreille. Il est vrai que le fils cadet de Hafez el Assad venait d’être consacré président, après la mort de son père, par un référendum qui se voulait démocratique.

Encore un modéré au Moyen Orient ! s’écriaient joyeusement les observateurs juste parce que Bachar avait fréquenté les écoles laïques de Damas et une université à Londres où il avait rencontré sa future épouse, qui travaillait à la City.

Dans l’un de ses romans, Nelson De Mille fait dire à son héros qu’un islamiste modéré est un islamiste qui s’aperçoit que son arme est vide et qu’il n’a plus de munitions. Cette réplique est peut-être moins provocante qu’il ne paraissait…

Depuis ces pauvres « printemps arabes », où sont passés ces fameux dirigeants modérés ? Ces hommes et femmes prêts à ce « nouveau départ » annoncé dans son discours du Caire en 2009 par le président Obama et célébré deux ans plus tard par les manifestants de la place Tahir. Après, il y a eu l’arrivée au pouvoir après des élections libres des Frères musulmans, puis la reprise en mains de l’empire des pharaons par le général Sissi. Tous des modérés…

Les élections libres ne suffisent pas à fabriquer des dirigeants modérés. Encore faut-il s’entendre sur le sens du mot. Certains disent du premier ministre israélien, M. Netanyahou, que, comparé à plusieurs de ses ministres, il est un modéré. Même dans cette démocratie, où les partis au pouvoir se succèdent à la suite de véritables élections libres, le « modéré » est aussi à géométrie variable.

Y aurait-il une espèce de malédiction régionale qui donne à cet adjectif un sens aussi relatif – et aussi ironique ? L’influence d’un soleil trop brûlant ? Des terres trop abreuvées de dieux, de croyances, d’imprécations ?

Quelques signes inquiétants montrent qu’avec le réchauffement climatique, l’Europe est gagné par cette malédiction. La réaction de beaucoup de nos politiciens face à l’accueil des réfugiés syriens, blessés, dépouillés, permet de se demander où sont nos modérés ?

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CROISE

Les Français ont inventé le chassé-croisé des vacances. Pendant que les juilletistes bronzés remontent du sud, pare-chocs contre pare-chocs, les aoûtiens couleur cachet d’aspirine descendent du nord, pare-chocs contre pare-chocs.

Ce système a inspiré les Turcs qui viennent de proposer à l’Union européenne de l’adapter aux réfugiés syriens et irakiens. Un million d’hommes, de femmes et d’enfants seront ramenés de Grèce ou des Balkans vers l’accueillante terre des pachas, croisant au passage un million d’hommes, de femmes et d’enfants en route vers la Grèce, qui à leur tour, quelques semaines plus tard, seront renvoyés vers les plages ottomanes et ainsi de suite. Dans un carrousel perpétuel jusqu’à la fin de la guerre de Syrie, la destruction de Daesh ou la mort des réfugiés. Je vous laisse choisir laquelle de ces échéances sera atteinte la première…

On évitera d’ironiser sur le terme « croisés » appliqué ici aux habitants d’une région qui fut le cœur de l’empire musulman à l’époque des conquêtes chrétiennes. On saluera plutôt le remarquable sens des affaires du grand vizir Erdogan qui a fait fort question prix du transport et du séjour des occupants du carrousel.

Comme il est en position de monopole, personne ne lui opposera les prix de la concurrence, surtout pas les Européens qui ont pourtant fait de cette règle la pierre angulaire de la construction de l’Union. Six milliards d’euros, annoncent les Turcs, qui se gardent bien d’ajouter qu’une fois ce chèque encaissé, la note va encore s’alourdir avec les suppléments (et le pourboire).

Pour faire circuler tous ces passagers, il faut des autobus. Varan, Kamilkoc, toutes les compagnies turques  sont à votre disposition. Des avions aussi grâce à Turkish airlines. Et des bateaux. Seul point positif de l’opération : c’est le contribuable européen qui payera les passeurs et plus les pauvres réfugiés, ce qui est moralement beaucoup plus sain.

Les Turcs exigeront qu’on leur construise des routes pour faire passer l’énorme convoi d’autobus chargé d’assurer cette noria. Des ponts sur le Bosphore (évitons les tunnels). On y ajoutera un peu d’argent pour le développement d’aéroports et l’élargissement de tous les ports turcs de la Méditerranée.

Sans oublier l’érection de milliers de salles d’attente où les réfugiés fraîchement arrivés de Grèce attendront le bus, le bateau ou l’avion qui devra les ramener d’où ils sont partis.

Tout ça a un prix, que les Européens, si prompts à dénoncer les dérapages budgétaires des états membres, sont prêts à payer les yeux fermés aux Turcs.

Qu’ils se rappellent pourtant de ce vieux proverbe ottoman : « Ne croyez pas qu’en laissant vos cheveux chez le coiffeur, vous l’avez payé. »

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ANGELA SUPER NANA

Trump-pettes de la renommée, vous êtes bien mal embouchées… chantait Brassens.

Au train où ça va, les Etats-Unis auront pour 45 ème président un dirigeant du troisième type, quelque part entre l’ancien président iranien Ahmadinejad pour les discours et Kim-Yong-un pour l’originalité de la coiffure. A ce propos, plusieurs observateurs ont comparé la bizarre implantation des cheveux de Donald Trump à la queue d’une loutre. Ce n’est pas mal vu et moins médisant qu’on ne pourrait le croire. En effet, les loutres, qui ont largement disparu du continent, ne survivent en masse qu’en Hongrie. Dont le président, Viktor Orban semble inspirer l’idéologie du candidat républicain. De là, à faire un lien entre les deux hommes, par loutre interposée, il n’y a qu’un pas de polka.

La période décidément est aux grandes gueules. Ce qui laisse plus de chances qu’on ne croit au retour de Nicolas Sarkozy. Du moins s’il revient à sa vraie nature, mélange explosif de kärcher et de « casse-toi, pauv’ con ! » Et qu’il laisse tomber sa bête tentative de contrition esquissée dans son dernier livre. Le modèle repentance était à la mode il y a quelques années. C’est fini, vieillot, obsolète. Un homme politique qui annonce que son cœur saigne est mort.

Aujourd’hui, il faut rester de marbre, ne rien regretter, afficher un cœur sec.

La charge horrible des policiers contre les migrants à Calais, voilà une belle façon de faire remonter la cote de Hollande. Surtout qu’il a pris la précaution de ne pas venir sur place. Dès qu’il apparaît, l’orage éclate. Or, la pluie aurait immédiatement éteint les incendies des cabanons, ce qui aurait donné l’exécrable image d’un président sentimental.

L’homme politique moderne, c’est aussi Poutine. Un exemple pour les politiciens en mal de modèle. Une petite faim ? Il avale la Crimée. Pour montrer ses biscottos, il envoie ses troupes en Géorgie et en Ukraine. Et l’artillerie lourde à Damas pour s’assurer que le chaos continue au Moyen Orient.

Copiant son grand voisin du Nord, le président turc Erdogan s’est lancé à l’assaut des Kurdes, les plus farouches opposants du bourreau syrien et des monstres de Daesh, tout en étouffant les libertés dans son pays. Depuis, il est devenu le plus courtisé des copains de l’Union européenne. Allez comprendre pourquoi l’Europe a mal à ses articulations…

Mais, tout n’est pas perdu, puisque les femmes existent. Même en politique, il ne reste qu’elles pour sauver l’honneur et nous protéger de la barbarie. En ce bientôt 8 mars, journée internationale de la femme, tressons donc une couronne de lauriers à Dame Angela, une improbable physicienne est-allemande, qui a rappelé à l’Europe occidentale qu’il existe d’autres valeurs que la testostérone…

Comment dit-on en allemand : Allez les filles ?

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VLAAMSE KUS

Sur la photo officielle, Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’Onu affiche un rictus crispé et Pierre Nkurunziza, le président burundais, réélu pour un troisième mandat contesté, une belle montre en or avec un bracelet du même métal.

A voir la grosse pogne qu’il a posée sur le bras du chétif Coréen, celui-ci n’est pas près de piquer la montre du président.

Pas non plus en état de s’occuper de l’état des tunnels bruxellois, qui ressemblent de plus en plus à ceux de Oms et d’Alep en Syrie. Est-ce de la part des patrons de la capitale de l’Europe un signe de sympathie envers les braves Syriens qui ont eu la bonne idée de rester dans leurs villes en ruines au lieu de venir en mini-trip comme tant de leurs compatriotes à Knokke-le Zoute-Guantanamo ? Peut-être n’ont-ils tout simplement pas décodé le message d’accueil que leur ont lancé les édiles de la vlaamse kust (à ne pas confondre avec le vlaamse kus, pas op !), les maïeurs de Coxyde et de Knokke ou le gouverneur de la province, des hommes qui, à coup sûr, portent eux aussi à leur poignet une belle montre en or qu’ils ont peur de se faire voler.

A force de les entendre se répandre dans les medias à propos de l’arrivée des réfugiés en Flandre, qu’il ne s’étonne pas que ceux-ci aient fini par regarder sur internet à quoi ressemble cette région si accueillante et qu’ils aient été tentés de quitter leurs gourbis pourris pour pointer le nez du côté du Zwin. Comparez le charme respectif de Calais et du Zoute. Il n’y a pas photo. La jungle face à la place m’as-tu-vu, qui hésiterait ?

En matière d’habitat, le Pas-de-Calais leur propose quelques mètres carrés dans des containers, genre flats dans les stations de ski françaises, alors que la Compagnie du Zoute, propriété du bourgmestre et de sa famille, offre des milliers d’appartements dans les innombrables  buildings, qui ont poussé comme des champignons à la place des bêtes villas qui décoraient le front de mer ou des espaces verts qui rendaient le paysage si monotone. Notons au passage que, face au comte Lippens, qui doit en être à son vingtième mandat, le président Nkurunziza n’est qu’un naïf débutant.

Dans le cerveau dudit Lippens a donc germé une idée lumineuse, qui lui a peut-être été soufflée par son ami Donald Trump, un autre champion mêlant politique, déclarations à l’emporte-pièce et immobilier : pourquoi ne pas transporter le camp de Guantanamo dans sa commune ? D’une pierre deux coups. Les Etats-Unis se débarrassent des encombrants terroristes qui y survivent encore et la Belgique y fourre les immigrés qui ont voulu visiter la St Trop’ du Nord, la ville la moins taxée du pays. Une attraction de plus pour les touristes, qui compensera l’absence de jardin zoologique.

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CRIME ET BONIMENTS

Depuis longtemps, le hors-la-loi est une vedette littéraire qui fait saliver le lecteur. Du formidable Comte de Monte-Cristo de Dumas au désespéré Raskolnikov, l’assassin absurde de « Crime et Châtiment » de Dostoïevski, jusqu’au pathétique Joseph K, accusé et victime du « Procès » de Kafka pour citer trois icônes.

La vogue actuelle (plutôt glauque, mais chacun son goût) des serial killers montre que le genre est loin d’avoir épuisé les fans, au contraire.

Mais, mieux encore que l’assassin sorti de l’imagination d’un romancier, le succès et la fortune récompensent aussi la véritable fripouille lorsqu’elle prend la plume, en sortant de prison. Au dix-neuvième siècle déjà, Vidocq (condamné au bagne avant de devenir le patron de la Sûreté française) s’est rempli les poches en publiant ses mémoires (que plusieurs romanciers ont pillées sans vergogne : Balzac pour son personnage de Vautrin, Hugo pour tracer les traits de Javert, Gaston Leroux pour créer Chéri-Bibi).

Plus près de nous, Albertine Sarazin ou Henri Charrière, dit Papillon, ont fait fortune avec leurs souvenirs de taulard. Sans oublier Caryl Chessman, dont la publication triomphale de trois (beaux) livres écrits dans le couloir de la mort a retardé, mais de quelques années seulement, l’exécution de la peine de mort à laquelle il a été condamné dans un procès contesté.

Beaucoup d’autres bagnards avant eux avaient fait recette : Marco Polo, Casanova, Cervantès. Auxquels on peut ajouter ceux qui ont raconté leur monstrueuse captivité, survivants miraculeux de la machine destructrice de Staline (comme Soljenitsyne ou Evguénia Guinzbourg), des nazis (comme Primo Levi ou Jorge Semprun) ou échappés de la relégation par d’autres dictateurs (comme Carlo Levi, auteur de ce merveilleux « Le Christ s’est arrêté à Eboli »).

Une nouvelle victime de la répression policière vient rejoindre cette cohorte prestigieuse, Nicolas Sarkozy, dont « l’œuvre » a grimpé en-tête du hit-parade en France dès sa sortie de presse. Grâce à une nouvelle mise en examen, la justice française lui a donné un sérieux coup de main juste au moment où il risquait de connaître un certain essoufflement, comme beaucoup de livres dont on connaît l’intrigue, où on n’explique pas qui a tué qui et dont l’épilogue est un bête un happy end.

L’écrivain le plus lu de la semaine ne participera pas à la Foire du Livre de Bruxelles. Ouf ! Il laissera toute la place à une kyrielle d’autres auteurs, bien plus intéressants, y compris des écrivains de polars, des vrais. On y rencontrera aussi le magnifique Richard Ford, l’un des plus merveilleux auteurs américains actuels, dont l’œuvre est à la fois profonde et poignante.

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IKEA MODE D’EMPLOI

Qu’est-ce qui a poussé des milliers de Montois à se précipiter à l’ouverture d’un nouveau magasin Ikea ? Plusieurs hypothèses circulent. Selon certains, ils se sont laissés prendre par un bête canular. Un plaisantin avait prétendu que la firme suédoise avait promis une récompense d’un million d’euros au premier visiteur qui achèterait l’armoire contenant Salah Abdeslam.

Impossible, évidemment puisque l’homme le plus recherché du pays passe ses journées dans les trains de la SNCB, engagé par la ministre Galant, pour tester la rapidité du réseau à deux voies. Jusqu’ici, il a en tout cas prouvé que même un homme peut prendre les voiles en Belgique sans se faire remarquer.

Autre hypothèse : la ville de Mons a annoncé qu’Arne Quint avait accepté de couvrir tout le centre ville d’une sculpture qui symboliserait les tunnels bruxellois. Le nouvel Ikea, tout de béton frais, a paru à une population affolée le meilleur abri contre cette prolongation intempestive des élucubrations de l’artiste vedette de la « capitale culturelle de l’Europe. »

D’autres encore ont voulu démontrer par cette manifestation leur attachement à la suédoise, une vraie provocation dans la ville du président du parti socialiste où personne ne s’attendait à un tel le cri du cœur pour le MR, à la veille de la Saint Valentin. Même pas Charles Michel qui n’a pas songé à faire le déplacement. Aïe ! Une occasion ratée de se faire applaudir par une foule en délire pour un premier ministre dont l’unique boulot semble être de multiplier les communications pour s’autocélébrer le meilleur chef de gouvernement depuis la Libération.

En visitant le nouveau supermarché du meuble, il aurait au passage pu glaner quelques idées pour rafistoler son équipe, redresser Théo Francken dont les joints lâchent de plus en plus souvent, remettre sa Galant sur ses voies, expliquer à son ministre des finances les bienfaits de l’esprit de l’escalier, acheter un peu d’éclairage à quelques obscurs membres de son équipe, apprendre à sa ministre de l’énergie, Marie-Christine Marghem, l’art de bricoler une centrale nucléaire en ruines en lui redonnant un peu de couleur avec de la peinture fraîche et en éliminant les fissures avec de l’enduit et du mastic. Certes, sa durée de vie ne sera pas plus longue que celle d’une étagère Ikea mais ça donnera un moment l’illusion. Le ministre De Croo, chargé de la coopération au développement mais aussi grand prêtre du libéralisme à tous crins pourrait se réjouir qu’une entreprise qui a utilisé pendant des années, avant la chute du Mur, des travailleurs forcés dans les pays de l’est, se soient tournées vers de petites mains asiatiques pour fabriquer des produits étiquetés « made in Sweden ». Un label porteur pour un gouvernement de bric et de broc qui cherche toujours le mode d’emploi.

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AWELL, JOELLE, PROFECIAT’!

On croyait avoir connu le pire lorsque les deux tunnels royaux, le Léopold II et celui de sa fille Stéphanie, nous ont valsé sur le coin de la notje. Eh bien ! On n’avait rien vu. Voilà mett’nant que le ciel nous tombe sur la cafetière. D’un trait de sa plume nerveuse, son excellence madame la Milquet, elle a décidé comme ça que le théâtre de Toone, c’était pas de la culture. Fini ! Plus un balle de subvention pour ces schieve poechenellen qui savent même pas causer sur un français convenâb ! Les jeunes, déjà qui comprennent rien au Coran ou plutôt qu’il le comprennent tout de traviol, voilà mettnant qu’ils doivent se farcir le brussellois peut-être ? Non, fieu, ça une minist’, elle peut pas l’imposer aux pôv ket, sinon il y en a qui vont finir par l’attaquer, la minist’, pour crime contre l’humanité devant la cour pénale internationale de La Haye. Où la meï Milquet, elle devra se défendre en flamouche. Surtout pas ça ! C’est plus simple de supprimer Toone que de l’obliger à babeler dans la langue de Jambon !

Plusieurs signes ont montré ces derniers temps que Bruxelles était de moins en moins Bruxelles et qu’il serait temps de transporter ailleurs ce qu’il en reste avant que ça ne disparaisse, les pierres soigneusement numérotées, pour la reconstruire quelque part à la campagne, de préférence dans un coin où les politiciens qui veulent tant de bien aux Bruxellois ne prolifèrent pas. On y déménagera le cinéma Eldorado, le Vendôme (qui s’appelait le Roy), les musées, les bistrots, les théâtres chics, le National, le Parc, les Martyrs, et tutti quanti, et le Théâtre de Toone, dernier vestige de la culture locale et de la langue de la capitale.

Dire que la première poechenellekelder à Toone date de 1830 et qu’on veut la faire taire ? En 1830, on a déjà eu une muette à Bruxelles, celle de Portici. On a vu la suite…

Toone, pas de la culture ? Des auteurs ont écrit directement pour les poechenelles et pas des schieve lavabos, hein ! Jarry (Ubu), Claudel (oué ! le type avec sa slache de satin qui dure des heures), Lorca, Hélène Cixous, et même des Belches, tiens, Maeterlinck (notre seul prix Nobel de littérature, pas de la culture, ça madame la minis’ ?) ou Michel de Ghelderode, qui a justement écrit directement pour Toone. Et dont Cocteau a dit : « c’est le diamant qui ferme le collier que la Belgique porte autour du cou ». Diamant, collier, ah ! ça vous parle enfin, madame ?

Les marionnettes, c’est un art premier, comme le cinoche de Charlot et les aventures de Quick et Flupke, un langage qui jette des paillettes, qui fait que les enfants se serrent contre leurs parents, perce qu’ils partagent leurs émotions. Il n’y a pas beaucoup de spectacles qui réussissent cette magie.

Alors, siouplait, madame la minis’, tire un peu la ficelle pour rouvrir le rideau de ce théâtre des merveilles. Tu feras une oeuvre de salutation publique.

TUNNELS MAL EMBOUCHES

A la sortie d’un tunnel, la circulation est totalement à l’arrêt, paralysée par un gigantesque embouteillage. À l’intérieur d’une des voitures immobilisées, un homme suffoque. Son habitacle est envahi de fumée. Malgré ses efforts, il ne parvient pas à ouvrir sa porte ni ses fenêtres. Les passagers des autres véhicules l’observent, indifférents. Enfin, l’homme parvient à grimper sur le toit et, miracle, il s’élève dans les airs.

Cette scène vous rappelle quelque chose ? Vous avez gagné ! C’est Rome en 1962. La première séquence de « Huit et demi » de Fellini. Et non pas Bruxelles 2016. Dans la capitale belge, la scène est impossible : il n’y a plus de tunnels. Ni de viaduc, ni de rues qui ne soient  envahies de chantiers qui ne se terminent jamais.

Au début des sixties, Rome étouffait sous les embouteillages alors que Bruxelles affichait fièrement les beaux tunnels qu’elle venait de bâtir pour l’expo 58 et qui assurait à la circulation automobile une fluidité que les autres capitales nous enviaient. Promenez-vous aujourd’hui à Rome. Le centre ville est un magnifique piétonnier où l’on déambule avec le sourire. Tandis que nos somptueux ouvrages d’art commencent à ressembler aux ruines du forum romain.

Nos ministres n’ont rien vu venir. Charles Picqué, qui a dirigé Bruxelles de 1989 à 2011 (avec quelques interruptions) souffre depuis l’enfance de myopie. Or, les fissures dans le béton des plafonds ne se remarquent pas d’en bas surtout quand on roule vite pour éviter la chute des pierres. La myopie, un mal répandu parmi les hommes politiques belges.

Pascal Smet (déjà ministre de la mobilité en 2003) ne circule qu’à vélo et donc jamais, il ne traverse un tunnel. Un ministre, ça respecte le code. Le dérapage est mal vu chez les hommes politiques belges.

Que faire maintenant ? Il n’y a plus de sous pour la mobilité. On a vidé la caisse pour dessiner des petits vélos sur les chaussées de la capitale, façon de donner l’illusion aux cyclistes qu’ils sont protégés, faute d’avoir l’audace de construire des sites propres. L’audace est mal vue chez les hommes politiques belges.

Il paraît qu’avec Rudi Vervoort, ça va changer. Les grands travaux, il connaît. N’a-t-il pas lancé le chantier d’un gigantesque nouveau stade de football dès son intronisation ?

Mais, question argent, foot ou tunnels, il faut choisir.

Le gouvernement régional pourrait s’inspirer d’Yvan Mayeur. En supprimant les voitures dans le centre ville, il a réglé le problème : plus de voitures, donc plus besoin d’entretenir la voirie.

Faire de la petite ceinture un piétonnier, doublé d’une piste cyclable ? C’est une option. Il y en a une autre : transférer le nouveau stade du Heysel à Louise. D’une pierre, deux coups, et qui ne tomberont pas sur le capot…

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