BERENBOOM-BARONIAN

Interview d’Alain Berenboom par Jean-Baptiste Baronian, à propos de

Michel Van Loo disparaît

Bruxelles, Genèse Édition, 2021, 286 p.

Jean-Baptiste Baronian : Michel Van Loo disparaît est la sixième enquête de ce même Michel Van Loo, et c’est la première fois que son nom figure dans le titre des romans dont il est le héros récurrent. Lequel roman se déroule en 1951, après l’abdication du roi Léopold III, et dont un des principaux thèmes est la collaboration durant la Seconde Guerre mondiale et l’épuration en Belgique. Pour quelle raison as-tu abordé ce thème si délicat ?

Alain Berenboom :

Toute la série des enquêtes de Michel Van Loo se déroule dans un cadre géographique et historique précis : l’immédiate après-guerre en Belgique (même si cela a conduit mon cher détective à faire un détour par le Congo ou Israël). Le contexte politique a toujours une place importance dans chacun des romans. Et notamment l’écho des années de guerre et de leurs séquelles (à la seule exception du tome précédent, qui se déroule pendant l’Expo 58).

Ici, nous plongeons dans un coin du Hainaut près de la frontière française, dans un village apparemment paisible. Même là, on s’en aperçoit peu à peu que la guerre a bouleversé l’équilibre social. 

J.-B.B. : Le deuxième thème principal du livre est le monde des fantômes et des esprits. Une bonne partie de l’intrigue se déroule d’ailleurs dans un château du Hainaut, non loin de la Haine, un château qu’on dit hanté. Qu’est-ce qui t’a poussé à t’y intéresser ?

AB. : Puis-je avouer sans que tu te moques de ma fiole, cher Jean-Baptiste, que j’adore les histoires de fantômes ? Particulièrement « La Symphonie des Spectres » de John Gardner mais aussi « Le jeune homme, la mort et le temps », un très beau roman de Richard Matheson ou aussi « L’Homme vert » de Kingsley Amis. Ainsi que quelques merveilleuses nouvelles de I.B. Singer. Auxquels s’ajoute notre cher Jean Ray. Et la tradition du fantastique en Belgique. Cela m’amusait de mêler policier et fantastique et de jouer sur les deux tableaux. C’était aussi une intéressante exploration de mêler suspense, fantastique et humour.

J.-B.B. : Et toi, tu crois aux fantômes et aux « dibbouks », ces démons des vieilles légendes juives, qui se servent de l’âme de ceux dont ils se sont emparés pour en faire leur marionnette ?

A. B. :peut-être suis-je arrivé à un âge où on aime mêler les époques, retrouver en pensées (ou dans les romans) des amis et amies disparus. Je rêve souvent de gens que j’ai aimés. Des fantômes qui sont venus me dire bonjour pendant la nuit ? 

J.-B.B. : La dimension belge est très importante dans la série des enquêtes de Michel Van Loo. Peut-on dire qu’elle en constitue le véritable sujet ?

AB. : En effet, le projet Michel Van Loo est conçu comme une exploration des années cruciales qui ont suivi la Libération et dont je pense qu’elles ont formé les caractères de la Belgique d’aujourd’hui. La question royale, les tensions au sein de la gauche et les relations avec le communisme et la guerre froide, le Congo, l’Expo 58, l’immigration massive notamment des travailleurs italiens, les conséquences de la collaboration avec les occupants, tous ces thèmes sont développés dans les six enquêtes menées par Van Loo. 

 J’ajoute que la série a un côté autobiographique caché ! La première enquête de Michel Van Loo « Périls en ce Royaume » commence le 8 janvier 1947, ma date de naissance et que j’ai introduit dans chacun de ces romans des éléments personnels. Par exemple, le personnage d’Hubert le pharmacien est un portrait imaginaire de mon père (le « héros » de « Mr Optimiste »). Fils d’immigrés, je m’interroge en filigranes dans cette série sur ma propre belgitude.   

J.-B.B. : Ce qui est bien, c’est tu ne verses jamais dans la couleur locale de pacotille et que tu n’utilises guère dans tes livres des termes ou des expressions spécifiquement belges, sinon à de rares occasions. J’ai ainsi relevé « carabistouilles » ou encore « gebackte leber » (foie haché aux œufs et oignons). C’est ce qui distingue d’ailleurs tes romans policiers de ceux de Nadine Monfils pleins de belgicismes. Que peux-tu me dire à ce propos ?

AB. : Littérairement, on peut avoir la tentation quand on écrit un roman situé dans le passé d’utiliser le style de l’époque. Cette façon de faire me gêne. J’aime garder ma liberté, mon style, que j’écrive un roman contemporain ou que l’intrigue se déroule dans le passé (un de mes romans se passe pendant la première croisade, « La Jérusalem captive », je ne l’ai pas écrit en imitant le style du chroniqueur Raoul de Caen !) 

Certes, il m’arrive de placer quelques expressions bruxelloises, parce qu’elles me viennent tout naturellement ! Dans ma jeunesse, j’adorais « les dialogues de la semaine » de Virgile, j’ai dû en garder quelques traces !     

J.-B.B. : Michel Van Loo, Anne, sa compagne, et leur petite bande aiment boire et manger. Un leitmotiv dans la série, où les cafés et les bistrots sont omniprésents ?

A. B. : j’avoue un penchant pour les restaus, le plaisir de « faire bonne chère » ! Mais on sait que les bistrots font partie de l’univers bruxellois de l’époque. On dit qu’il y avait autant de bistrots que de poètes… (on exagère : il y avait beaucoup plus de poètes !) Cela donne aussi l’occasion de retrouver l’atmosphère non sans nostalgie de ces années-là.

J.-B.B. : Tu écris à un moment donné que Michel Van Loo et le « chevalier des âmes désespérées ». Qu’entends-tu par là ?

A. B. :  Van Loo n’est pas un héros, ni Superman, ni même Maigret, Burma ou Philip Marlowepour citer quelques-uns des ses brillants contemporains. C’est un détective empathique mais pas très doué… (c’est la raison pour laquelle il est entouré de plusieurs amis qui l’aident à résoudre ses enquêtes même si ce n’est pas leur job, sa fiancée Anne, qui est coiffeuse et son patron, le pharmacien Hubert, les syndicalistes Motta). Mais malgré ses limites ou à cause d’elles, Van Loo, adore s’attaquer à des causes et des ennemis qui paraissent trop grands pour lui ! Je crois que je tiens un peu ce défaut de lui ! 

J.-B.B. : Tu as adopté un rythme narratif assez lent dans Michel Van Loo disparaît, du moins par rapport aux cinq enquêtes précédentes. 

A. B. :   Chacun des romans de la série a une écriture qui correspond à son genre. Par exemple, « Le Roi du Congo » est autant un roman d’aventures qu’un policier, d’où son rythme. « L’Espion perd la boule » est un roman d’espionnage ce qui en fait un récit plus complexe et l’écriture de « La Recette du Pigeon » est influencée par le côté social du roman. 

Dans « Van Loo disparaît », j’ai voulu que le lecteur ait d’abord l’impression de flâner dans une nature idyllique, un paysage paisible plus fait pour la villégiature que pour le meurtre. C’est d’ailleurs ce que croit Van Loo quand le châtelain de Saint-Sorlain lui demande de venir passer quelques jours dans son manoir. Cette lenteur permet aussi d’introduire peu à peu l’interrogation du lecteur sur la présence de fantômes, que j’ai voulu insidieuse plutôt que spectaculaire (car cela deviendrait du Grand-Guignol). Ce ton permet au lecteur de participer aux interrogations des personnages, surtout d’Anne qui repend la plume quand Van Loo disparaît au milieu du roman !  

J.-B.B. : Où est Alain Berenboom dans ce roman ? À travers les références au cinéma ? Et notamment à Gene Tierney, que personne, cinéphile ou non, ne peut pas ne pas admirer ? Quand un des protagonistes du roman dit à Anne « Vous avez vu trop de films américains, Mademoiselle », je lis en transparence : « Vous avez vu trop de films américains, Alain Berenboom. » Est-ce que je me trompe ?

AB. : je l’avoue, monsieur le Juge. Même si j’ai quelques coups de cœur pour Ozu, Renoir, Duvivier ou Autant-Lara, et pour toutes les comédies italiennes des années cinquante et soixante, je suis un grand fan du cinéma américain, particulièrement du cinéma de genre, films noirs, westerns, burlesques, comédies musicales… Et de quelques-unes des plus tentantes actrices US ! 

J’ai plus appris à écrire en regardant des films qu’en lisant des livres.