ZERO EST ARRIVE

  « Le Soir » du 2 octobre 1998 annonçait en bandeau « Deux Belges sur trois veulent régulariser les sans-papiers ». Que sont devenus tous ces Belges qui voulaient que la Belgique revoie complètement sa politique d’asile ? 

  Désormais, les politiques se battent partout en Europe comme aux Etats-Unis pour diaboliser les étrangers, les expulser, fermer les yeux sur les camps atroces où nous chargeons Libyens, Tunisiens, Turcs de nous en débarrasser. 

  Il y a quelques jours, le président Macron faisait entrer au Panthéon les époux Manouchian, héros étrangers qui se sont battus jusqu’à la mort avec la résistance française et contre ces « bons Français » qui pactisaient avec les nazis. 

  Salutaire mise en garde alors que tous ceux qui bavent pour monter au pouvoir ont fait de l’immigration l’explication de tous nos maux. 

Avec pour image choc, le fantasme du grand remplacement. Le Vlaams Belang en a fait son cheval de bataille lors de ses congrès où la haine de l’étranger sert à galvaniser les militants (« une vermine importée qui verse dans la délinquance » évolue dans « des ghettos où règne la charia » pour citer quelques propos qui ont servi de zakouskis aux débats). 

Peu à peu, les partis démocratiques se laissent gangrener par ce type de discours. On l’a vu lors du vote de la loi immigration en France il y a quelques semaines. Ou en entendant les déclarations de la N-VA qui s’essouffle à courir derrière l’extrême droite flamande en refusant désormais d’accepter tout nouveau demandeur d‘asile. « Notre objectif, c’est zéro » a clamé Théo Francken. Zéro est arrivé ? C’est ainsi que le parti conservateur veut rattraper ses électeurs tentés vers encore plus à droite que lui. Pauvre Bart De Wever obligé de faire le grand écart, en tentant de tenir un discours de chef d’état pour ne pas se couper de ses futurs partenaires d’un gouvernement qu’il veut diriger tout en laissant les grandes gueules de son parti plagier les slogans de son redoutable concurrent. 

Béni soient les immigrés, se disent en secret tous ces grands tacticiens. C’est grâce à eux qu’ils espèrent décrocher la timbale. Pourvu qu’ils continuent d’affluer d’ici le dimanche des élections !

Il faudrait parfois rappeler à Théo Francken, Tom Van Grieken ou Filip Dewinter que leurs ancêtres sont venus eux aussi d’Afrique chasser les populations locales qui vivaient à l’époque en Flandre. Et à Trump que, sans les dizaines de millions d’immigrés qui ont envahi l’Amérique et massacré ceux qui y habitaient, il ne serait pas aujourd’hui à vitupérer contre ses voisins pour revenir hanter la Maison Blanche. 

On est toujours l’immigré de quelqu’un. Mais les homo sapiens plus que les autres animaux de la planète…

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J’IRAI CRACHER SUR VOS HECATOMBES

« Papa, je suis condamné à mort. Mais ne le dis pas à maman ». 

Ce sont les derniers mots écrits par un jeune Iranien, Mehdi Karami, avant d’être pendu le 7 janvier 2023. Karami fait partie de cette charrette de manifestants qui, ayant survécu aux tirs de la police après la mort de Mahsa Amini dans les geôles de la police des mœurs, ont été exécutés. Quelques autres attendent encore dans le couloir de la mort. On ne sait s’il faut d’abord saluer le courage de ces hommes et femmes qui remettent en cause l’étranglement de la liberté au risque de leur vie ou constater que les autorités iraniennes sont en train de perdre la tête. En décimant leur propre jeunesse. Mais la république islamique a le triste privilège depuis qu’elle a mis le voile sur le pays d’être devenue championne de la peine de mort dans le monde après la Chine.  

Tout occupés à négocier un nouvel accord sur le nucléaire, les Occidentaux assistent gênés et sans grande réaction à cette barbarie. J’irai cracher sur vos hécatombes ! Les Iraniens sont-ils d’ailleurs encore demandeurs de pareil traité alors qu’ils se sont empressés de mettre au point l’arme atomique à marches forcées depuis que le président Trump a déchiré le précédent traité, à la grande satisfaction d’une partie des dirigeants iraniens ? Pourquoi les Occidentaux sont-ils si mous ? Il faut reconnaître qu’il y a beaucoup d’intérêts économiques pour nos entreprises côté mollahs ce qui nous fait un peu baisser le ton. D’autant que nous avons déjà fort à faire avec tous les autres états qui violent allégrement les règles les plus élémentaires de la civilisation, y compris sur notre propre continent. S’il fallait remonter les bretelles de tous les régimes scandaleux, on n’aurait plus ni pétrole, ni gaz, ni métaux précieux et rares ! Rien que des mines de charbon abandonnées…

Pendant ce temps, un de nos compatriotes, travailleur humanitaire, Olivier Vandecasteele, a été condamné à 28 ans de prison et à 74 coups de fouet. 

Une fois de plus, on doit saluer le travail unanime des juges iraniens tous aux ordres du pouvoir qui font semblant d’avoir étudié le droit alors qu’ils n’ont suivi que des cours de boucherie.

La condamnation d’Olivier Vandecasteele est purement cynique puisqu’elle a pour objet de récupérer Assadollah Assadi, un agent soi-disant diplomatique iranien, condamné pour terrorisme (un projet d’attentat contre des opposants iraniens à Paris). Cet échange, qui sauvera une vie mais donnera raison aux preneurs d’otages, est pour l’instant bloqué par un recours contre le traité de transfèrement devant la cour constitutionnelle.     

Omar Khayyan a écrit : « Avant notre venue, rien ne manquait au monde. Après notre départ, rien ne lui manquera ». Le grand écrivain perse du 11ème siècle avait-il eu la prémonition de l’arrivée (et du départ) de la dictature des mollahs ? 

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VOEUX DE LA VEILLE

   On ne peut prévoir les choses qu’après qu’elles sont arrivées, disait Ionesco. Ce qui facilite la tâche des chroniqueurs. Personne ne leur reprochera dans quelques mois d’avoir raté les événements de 2023 pas plus qu’aucun sage n’avait annoncé le cyclone de la pandémie ni les dévastations d’Ukraine au début des trois dernières années ni, plus grave encore et plus inattendu, le passage d’Alexia Bertrand du MR à l’Open-VLD. Donc, ne comptez pas sur moi pour vous dévoiler les grands titres de votre quotidien favori des prochaines semaines. Les événements semblent toujours relever des délires de romanciers de science-fiction avant qu’ils ne se produisent. Parfois même après. 

Tenez, dans dès le début de cette ère, Le Soir annonçait que « La Belgique va tester les eaux usées des avions chinois » autrement dit, le ministère de la santé va envoyer des équipes à Zaventem gratter les toilettes des longs courriers venant de Chine. Plutôt que d’organiser un bête test covid de tous ceux qui débarquent. Ce spectacle semble à première vue aussi bouffon et déconcertant que la fouille humiliante des prévenus du procès des attentats de Bruxelles. Dans les deux cas, on ne vole pas très haut. Avec la conséquence prévisible que, comme nous l’a appris Buck Danny, quand on prend le risque de descendre à cette hauteur, on a toutes les chances de se planter…  

Peut-être l’erreur est de s’obstiner à répéter aveuglement ce rituel qui veut que le 31 décembre, on tourne la page et on recommence à zéro. Ce serait si bien d’effacer ce qu’on a mal fait en 22 et de le refaire dans le bon sens. Poutine signerait des deux mains à l’idée de reprendre l’invasion de l’Ukraine à zéro. Et Trump l’invasion du Capitole. Et Will Smith la cérémonie des Oscars. Et les Diables rouges… Non, eux referaient les mêmes bêtises. 

On aimerait bien aussi revenir en arrière pour empêcher Sempé, Sidney Poitier ou Arno et quelques autres de prendre la poudre d’escampette. 

Pour casser la routine, on peut choisir de démarrer l’agenda à une autre date, par exemple le jour de l’équinoxe d’automne comme dans le calendrier républicain soit le 1er vendémiaire (septembre) ou le mettre au 1 er jour de l’année du calendrier perse, chinois, zoroastrien, juif, égyptien ancien ou de s’aligner sur celui des habitants de Mars qui changent tous les jours, ce qui leur permet de faire bombance et célébrer le réveillon chaque soir, dès que les astronomes terriens sont endormis. 

Façon de revoir ce protocole figé qui oblige de souhaiter chaque réveillon ses bons vœux à minuit quand tout le monde est bourré. Ou de prendre de soi-disant nouvelles résolutions qu’aucun homme politique ne tiendra jamais même s’il est une femme. 

Mais, attention, je suis sincère quand je vous souhaite ici une belle année et vous fixe rendez-vous au 31 décembre 2023 ! 

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21 COMME SI ON Y ETAIT

  21 a commencé dans une joyeuse effervescence avec l’installation du président Biden (et de la vice-présidente Kamala Harris) et la mise à feu de la campagne de vaccination.

Deux fléaux allaient disparaître en même temps, la covid 19 et le président Trump.

Las ! Six mois plus tard, l’avenir reste plus flou qu’on ne l’espérait. Malgré une organisation remarquable, en tout cas en Belgique, la vaccination n’a pas réussi à éliminer l’angoisse du virusissime et de ses vilains variants (sales gosses, va !) Pendant ce temps, voilà que Trump pointe à nouveau le bout du nez. Façon de lancer un nouvel épisode de Retour vers le futur. 

On espérait pourtant beaucoup de 21, un chiffre magique aux Etats-Unis, l’âge où l’on peut acheter une arme à feu, des munitions et consommer de l’alcool. C’est aussi le vingt et unième amendement de la Constitution qui a aboli la prohibition de l’alcool. Santé à tous et toutes !

Mais aucun savant, même pas le professeur Raoult, n’a réussi jusqu’ici à établir un lien entre la consommation de boissons alcoolisées et la disparition du virus. Désolé pour les supporters de football… 

Autre bégaiement. On s’attendait à célébrer à l’occasion de Pâques puis des grandes vacances la fin de la pandémie. Mais la fiesta reste en pointillé. On remettra une fois de plus la libération à plus tard. Comment faire alors si on veut à tout prix éviter Blankenberge et Durbuy et passer les frontières ? On improvisera jour après jour et on zigzaguera entre zones oranges devenant brusquement rouges pour se diriger vers une zone blanche en évitant un cluster intermédiaire. Un jeu de pistes qui constituera une excellente animation pour les enfants, chargés de garder en permanence l’œil sur la carte d’Europe du site des Affaires étrangères (dès qu’on leur donne un écran, ils sont contents). « A gauche, papa, à gauche. Faut éviter Metz, en train de basculer en zone interdite, et faire le détour par Vichy ! » Puis prendre le maquis pour ne pas foncer droit dans une zone contaminée… Qu’est-ce qu’on va s’amuser cet été sur les routes ! 

PS : n’oubliez pas les livres dans votre trousse de secours. Deux excellents romans policiers à dévorer dans votre refuge : « Terra Alta » de Javier Cercas. Une enquête dans les terres arides de Catalogne par un des meilleurs écrivains espagnols, qui a rendu la mémoire de la guerre civile. Dans un autre genre, la délicieuse série de Nadine Monfils (deux titres parus) qui envoie surréalistiquement René et Georgette Magritte enquêter d’abord à Bruxelles puis à Knokke dans une Belgique ancienne imaginaire mais poétique et drôle. Et un faux polar, « Au soleil, la nuit ». L’histoire d’une jeune prof à la fin des sixties qui part en rando dans le grand Nord, où elle disparaît… Très beau récit de Rose-Marie François. 

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DANS LA QUEUE DE LA COMETE

   La queue de la comète Trump n’a pas fini d’infecter ceux qui passent dans son sillage. Nous aussi, et pas seulement les Américains, risquons de subir pendant un moment encore les excès et les dérives de l’ex maître du monde, qui a libéré quelques virus mauvais contre lesquels on n’a pas encore trouvé de vaccin. 

  Prenez le patron de Belfius, Mr Raisière, une banque qui ne doit sa survie (et les plantureux salaires de ses dirigeants) qu’à l’argent du contribuable. Ce brave homme s’est ouvertement réjoui que la fin de la pandémie, plus exactement des aides publiques, allait nettoyer l’économie belge des restos et bistrots fragiles. Et de rêver que sur ces cimetières vont s’élever de nouveaux établissements, clinquants, plus sains, plus vigoureux. En voilà un qui n’a jamais traîné dans un stam café.

 L’élimination des plus faibles au profit des plus forts cela s’appelle l’eugénisme. Lors du renouvellement de son mandat, Mr Raisière avait tweeté qu’il plaçait « la culture d’entreprise et la satisfaction de ses clients au centre de toutes ses actions ». Faut-il comprendre que l’eugénisme fait partie de la culture Belfius ? Une méthode adoptée par le régime nazi mais aussi par la plupart des pays scandinaves qui l’ont longtemps pratiquée et qui est toujours recommandée par la Chine et Singapour. 

   On peut aussi craindre que le départ du virus redonne des ailes aux gilets jaunes ou à leurs émules, que certains ont comparés aux redoutables olibrius qui ont pris d’assaut le Capitole. Tous ces partisans d’une réalité alternative qui croient que leur candidat chéri a gagné les élections et qu’un dangereux communiste a mis la main sur la Maison blanche. Comme eux, ces « braves gens » se sont proclamés « le peuple », ce qui signifie que les autres n’appartiennent pas vraiment à la race humaine, en tout cas à leur race. Comme ceux qui font encore bêtement confiance à un gouvernement, un parlement, à ce système auquel ils ne croient plus, les élections. Un vieux bazar qui emmène au pouvoir des dirigeants qui ne leur ressemblent pas. Preuve que les urnes sont truquées et les journalistes vendus. 

   Il y a du travail pour rafistoler le lien social, la confiance, pour que nous formions « une équipe de 11 millions », qui ne seront pas obligés de porter le gilet jaune pour prouver qu’ils sont encore des êtres humains… Nos gouvernants ont intérêt à y prendre garde. Et les profs ont aussi un rôle essentiel à jouer pour redonner du bon jus aux futures générations et écarter d’eux le virus mauvais.  

  Ce qui rappelle ce que disait le philosophe américain John Dewey au début du vingtième siècle : « la démocratie doit naître de nouveau à chaque génération, et l’éducation est sa sage-femme »

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SI PAR UNE NUIT D’HIVER UN VOYAGEUR…

 La Belgique vient de se doter d’un satellite espion qui porte le poétique nom de CSO-2. Vous vous demandez à quoi bon dépenser cent millions d’euros pour ce gadget ? Les autorités s’en tiennent obstinément au secret défense. Mais pas moi. La vérité, la voilà, CSO-2 a pour mission de suivre l’itinérance de Donald Trump, une fois qu’il aura quitté la Maison blanche. 

Le gouvernement tient en effet à éviter à tout prix que l’ex atterrisse en Belgique et demande l’asile politique.  

Dans le cas où notre satellitje repère son avion se diriger vers Zaventem, alerte générale. Il sera prié d’aller ailleurs. Riche ou pauvre, peu importe, pas question d’accueillir un immigré sans emploi. 

  D’autres lieux sur la planète se montreront sans doute moins regardants. Corée du Nord, Syrie, Russie. Mais, à quoi bon ? Dans ces lieux de rêve, une nouvelle carrière politique est impossible pour lui. La popularité des dirigeants locaux y est trop grande pour qu’il puisse les remplacer.  

Israël alors ? A l’idée de voir Trump débarquer chez lui, Netanyahou a fait la fine bouche. Connaissant son grand ami, il sait qu’il n’hésitera pas à se présenter comme premier ministre aux prochaines élections. Et qu’il a des grandes chances d’être élu. 

  A la vérité, Trump a du mal à se voir obligé de s’installer hors des Etats-Unis. Son gendre a tenté de lui remonter le moral en lui offrant une pile de livres racontant l’exil de quelques-uns des plus grandes figures de l’Histoire : Adam et Eve n’ont-ils pas été heureux d’être obligés de quitter le Tigre et l’Euphrate, papounet ? 

– Et alors ? Nous aussi, on a été content de foutre le camp d’Iraq…

– Pense aussi à Moïse qui s’est exilé d’Egypte pour s’installer en Israël. 

– Tu oublies qu’il est mort avant d’y mettre le pied.  

– Et que dis-tu de Constanza ? Un lieu de rêve sur la mer Noire, où avait été relégué le plus grand poète latin, Ovide. Aujourd’hui un port roumain. Mais qui a été âprement disputé par tous ses voisins, Russes, Turcs, Bulgares. 

   Trump lève un sourcil. Un vrai baril de dynamite, ce Constanza ? Je pourrais prendre la direction de la ville ? Justement, la place est vacante. Le maire sortant, Razu Madare a été condamné pour corruption et association de malfaiteurs. 

Et puis rependre la région en mains ? Ca m’amuserait de provoquer quelques courts-circuits entre Russes et Turcs. Le lieu me paraît parfait pour ce petit jeu. 

Et, ajoute son gendre, depuis la malheureuse disparition du dernier dirigeant communiste,  Ceausescu, ses titres sont vacants : Génie des Carpates, Danube de la Pensée, Conducator. 

   Ah ! s’écrie Trump, alors je prends ! 

PS : le titre est emprunté à un des plus fantaisistes écrivains italiens, Italo Calvino. 

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L’AN VAIN … QUOIQUE

   Que va-t-on retenir de l’an vingt ? D’accord, il y a…

Mais aussi bien d’autres choses. Tenez, puisque nous en parlons, la Chine. 

Cette année, ce sera le pays où la croissance sera la plus forte dans le monde. Celle aussi où le nombre de journalistes emprisonnés est le plus important. Doit-on conclure que moins il y a d’esprits libres, plus le commerce explose ? Donald Trump serait d’accord. 

   Tenez, puisque nous en parlons, Trump. Plus fort que le virus, Joe Biden aura réussi à avoir sa peau. Joe, présenté comme un pâle challenger, pourrait nous étonner. Faut parfois se méfier des vieux endormis.

Tenez, puisque nous en parlons, trois petits vieux nous ont emballés cette année. Les trois héros du dernier roman de Richard Russo « Retour à Martha’s Vineyard » (éditions Quai Voltaire). De retour dans la propriété de l’un d’eux où, le temps d’un week-end de la fin de saison 1969, ils sont tombés amoureux de la même fille qui a mystérieusement disparu…

Tenez, puisque nous en parlons, la machine à remonter le temps a  beaucoup fonctionné cette année pour notre plus grand plaisir de lecteur – peut-être pour échapper à ce dont nous ne parlons pas. Elle est remontée en 1938 avec cette magnifique BD de Verron et Yves Sente « Mademoiselle J » (chez Dupuis) qui retourne dans le monde de Spirou des débuts (avec un graphisme superbe) mais en se frottant aux périls politiques qui commencent à dévorer l’Europe (un scénario d’une redoutable intelligence). 

La machine est ensuite repartie en 1980 avec le troisième roman de notre romancière anglaise préférée, Jessie Burton. Dans « Les Secrets de ma mère » (Gallimard), elle se promène dans deux époques (elle excelle à ce jeu). Une fille recherche sa mère mystérieusement disparue (encore une disparition, décidément) de Hollywood où l’avait emmenée son amie écrivain. Comme Russo, Burton a cet art de créer une tension digne d’un thriller pour dessiner des personnages complexes, bizarres mais terriblement attachants. Voilà des écrivains n’ont pas peur d’utiliser les principes du roman policier pour bâtir leurs romans. 

Tenez, puisque nous en parlons, les policiers ont été en première ligne, hélas. Malgré eux. Ou à cause d’eux. Pas seulement ceux qui ont assassiné George Floyd à Minneapolis. Mais aussi ce policier, jugé en cette fin d’année, pour n’avoir pas hésité à tirer sur une camionnette parce qu’elle transportait des migrants. Il a abattu une petite fille sur une autoroute wallonne. Le Parquet demande le sursis. Et personne n’a songé à le chasser de la police. Pas plus que ceux qui ont participé à la mort d’un passager slovaque à l’aéroport de Charleroi, pendant qu’une policière faisait le salut nazi sous les rires de ses collègues. Et on s’étonne de la violence impunie de la police de Waterloo ? Comme disent les urgentistes, la fièvre monte… 

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DANS LES BAGAGES DE KAMALA

     Elles sont enfin là, les femmes noires américaines, sous les spots et au premier rang. L’arrivée de Kamala Harris à la Maison Blanche met en lumière toutes ces femmes qui ont, parfois de façon souterraine, façonné la culture des Etats-Unis. Fabriqué l’âme de ce pays énervant et fascinant, excitant et décourageant, parfois raciste et toujours cosmopolite. Une culture qui a imprégné le reste de la planète. Nous d’abord. Car notre imaginaire serait complètement différent sans la littérature, le cinéma, la musique américaines. 

   La musique, c’est-à-dire le jazz, évidemment. Une musique créée et développée par les minorités, pas seulement les Noirs. Mais ce sont eux qui ont régné, développé, magnifié le genre. Eux ? Et elles ! C’est la musique qui a fait sortir de l’ombre les femmes noires. Car femme et noire, c’était (cela reste) la double peine –aux Etats-Unis autant que chez nous.

Le jazz a permis à quelques étoiles brillantes de sortir de leurs quartiers, d’arpenter les plus grandes scènes, même si en coulisses, elles ont dû batailler toute leur vie, alors qu’elles étaient au sommet de la gloire, avec les discriminations, hôtels, restaus, quartier, bus, interdits d’entrée aux Noirs (si bien racontées dans le film Green Book de Peter Farrely).

Pianistes de génie (Marie Lou Williams), trompettistes à vous secouer l’âme (Valaida Snow), elles sont aussi les plus grandes chanteuses du vingtième siècle (Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, Billie Holiday, Nina Simone, Aretha Franklin et celles qui ont suivi, stars de la soul, de la pop).

   Être femme noire et s’imposer aussi en littérature, il fallait être une solide battante, une vraie championne de catch. Toni Morrison, prix Pulitzer puis Nobel de Littérature au nez et à la barbe de quelques vieux Blancs. Fille d’une femme de ménage et d’un soudeur, petite-fille de métayers, qui avaient fui l’Alabama (un état qui a voté Trump à 62 %) pour se réfugier en Ohio (qui a voté Trump à 53 %). 

Symbole de la mondialisation, Chimamanda Ngozi Adichie partage sa vie et sa carrière entre Lagos et Washington. Son roman « Americanah » est un portrait ravageur, caustique et enlevé, de la condition noire actuelle aux Etats-Unis. « En débarquant de l’avion à Lagos », écrit son héroïne de retour d’Amérique, « j’avais l’impression d’avoir cessé d’être noire ». 

   Vous voulez encore des citations ? De Toni Morrison : « C’est ça, l’esclavage. Quelque part au fond de toi, il y a cette personne libre dont je te parle. Trouve-la et laisse-la faire du bien dans le monde. »

Et de Kamala Harris : «  Je pense juste qu’il est important de ne pas se prendre trop au sérieux. »

   Une vraie profession de foi pour une femme de couleur qui accède au sommet de la première puissance du monde. Quelques mecs devraient en prendre de la graine…

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REMEDE A L’INCERTITUDE

 Regardez les exploits de l’industrie spatiale. Des sondes vers Jupiter qui tournent autour de ses satellites pour chercher des traces de vie, une autre jusqu’à Pluton, aux confins du système solaire. Des robots posés en douceur sur des astéroïdes. Les scientifiques ont aussi découvert que la matière noire et l’énergie sombre occupent 95 % de l’univers. Ce qui me fait penser à profiter du soleil avant qu’une nuit définitive ne nous tombe dessus…

En quelques années, la technologie a donné accès à plus de connaissances que pendant les deux cent mille premières années de l’homo sapiens. 

Mais, paradoxalement, plus les appareils sont sophistiqués et les découvertes scientifiques bouleversantes, plus l’homme se trouve plongé en plein désarroi. C’était si simple de comprendre les lois de la physique à l’époque de Newton : il suffisait de s’asseoir sous un arbre en attendant de recevoir une pomme sur la tête. De lire la Bible ou le Coran pour avoir une explication rassurante de notre présence dans l’univers. 

Maintenant, plus on accède à des découvertes, moins on les comprend. Et on a peur. La multiplication des ouragans et des inondations est-elle une conséquence du dérèglement climatique ? La pandémie du coronavirus le résultat d’une manipulation malheureuse de virus en laboratoire ? Et comment reste-t-on aussi désarmé face à un bête virus alors qu’on peut envoyer des engins au fond de l’univers, qu’on est capable de décoder les premières minutes qui ont suivi le Big Bang ?  

Dans ce monde de plus en plus instable et incompréhensible, beaucoup ont besoin désespérément d’entendre des raisonnements élémentaires. Des fake news tellement plus crédibles que les vraies. Des théories complotistes qui rendent les événements troublants si faciles à analyser. L’homme n’a jamais réussi à débarquer sur la lune, c’est Hollywood qui a fabriqué les images. Le World Trade Center ne s’est pas effondré. L’événement a eu lieu dans une autre dimension. Les terroristes n’existent pas. C’est une invention des communistes. Hitler est toujours vivant. Il attend son heure. 

  La ferveur de tant d’électeurs pour garder Trump à la Maison Blanche s’explique aussi par l’angoisse devant l’incertitude. 

  Bien sûr, sa gestion de la pandémie est à l’image de ses discours, grotesques, brouillons, mensongers. C’est justement là d’où il tire sa force. Quel avenir avec Biden ? Des années de grisaille, de crise et une gestion ennuyeuse des affaires. 

Les électeurs de Trump savent que le virus ne sera pas vaincu. Mais ils s’en fichent. Avec sa baguette magique, Mister America First offre l’illusion, pas la réalité. Et c’est ce que veulent ses partisans, des lendemains aussi brillants qu’un cabriolet Mustang 1968 tout neuf aux jantes chromées fonçant sur la US Route 66 en direction de Santa Monica. 

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FRANKENSTEIN, LE RETOUR.

  On ne retient généralement que la première partie de « Frankenstein », l’adaptation cinématographique du roman de Mary Shelley (sublimée par Boris Karloff) qui raconte comment un savant audacieux mais maladroit réinsuffle la vie à un cadavre mais se révèle incapable d’empêcher sa créature de s’échapper de son labo et de semer la pagaille dans les environs. 

  Or la fin de l’histoire est tout aussi passionnante. La chute du monstre sonne aussi celle de son géniteur. Furieuse des ravages causés par l’expérience du Dr Frankenstein, la population prend d’assaut sa maison et y met le feu. 

  Pourquoi cette rage ? Pour se venger des dégâts causés par la créature ? Les voyous du coin en font autant sinon pire le samedi soir. Alors, n’est-ce pas plutôt par haine de la science qu’ils s’en prennent au savant ? Un peu comme si des gilets jaunes allaient brûler l’IHU de Marseille où trône le Professeur Raoult après avoir découvert que la chloroquine n’a aucun effet ni sur le rhume ni sur les délires de Donald Trump. 

  Cette espèce de « rage citoyenne » revient à la mode depuis quelque temps, servie par les réseaux sociaux, sur lesquels la surenchère est triste hélas. Encouragée par certains beaux esprits qui voient dans le mouvement des gilets jaunes un écho aux rêves de révolution de leur jeunesse, en oubliant l’origine du mouvement : ces braves gens n’ont pas occupé les ronds-points pour refaire mai 68, lutter pour une autre démocratie ou une planète plus verte mais pour protester contre la hausse du carburant que dévorent leurs SUV. 

   La levée de boucliers contre le masque et les mesures sanitaires est aussi une excellente cause pour ceux qui cherchent à tout prix le baston. Au début de la pandémie, on a tous plus ou moins suivi les consignes des experts, avalé leurs explications, suivi leurs débats, incapables de trancher entre leurs opinions mais respectueux de leurs arguments scientifiques. Puis, les choses ont commencé à s’effilocher, on a commencé à se fatiguer des restrictions, des servitudes, de ce bout de tissu qui étouffe notre vie quotidienne. Et qui provoque à présent des réactions de plus en plus violentes. 

Il y a dans ces manifestations un mélange d’opportunistes (des populistes qui en profitent pour dénoncer le pouvoir politique en place), de crétins mais aussi de ces éternels méfiants qui, depuis la nuit des temps, s’en prennent à la science – les mêmes qui jadis brûlaient les sorcières, dénonçaient Galilée, ou affirmaient que l’homme n’a jamais mis les pieds sur la lune.

 Comme on aimerait qu’un savant fabrique enfin une machine à remonter le temps pour nous envoyer disons dans deux ans, pas plus, contempler la fin de l’histoire de la petite Covidtje…

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