HISTOIRES TRISTES ET BELLES A LA FOIS

C’est une expérience étrange, une plongée dans le temps. J’étais le 8 mai dernier dans une petite pièce du Fort de Breendonk, un réduit sinistre de béton épais, bouffé par l’humidité et le temps, sans lumière naturelle, devant un micro et une caméra à lire une liste de noms inconnus, leur date de naissance et la date à laquelle ils ont été mis à mort. Car ces inconnus sont des héros, dont on a oublié le nom, les exploits, les personnalités. Et qu’une association de jeunes Flamands a décidé de ressusciter. 

Pendant trois jours, plusieurs dizaines de personnes se sont succédé comme moi, jour et nuit pour rappeler le nom de 8.500 héros (15.000 résistants belges ont été assassinés), un marathon de lecture (intitulé « Dit zijn de Namen ») de ces victimes des nazis, membres des différents mouvements de résistance (services de renseignement, front de l’indépendance, etc). Des hommes et quelques femmes, venant de toutes les régions du pays, parfois des jeunes de 17 ou 18 ans, parfois des sexagénaires. 

Ce marathon a été relayé et complété par des soirées autour de la résistance aux nazis dans les principales villes de Flandre ainsi qu’au KVS à Bruxelles. Ce sont des jeunes Flamands qui ont décidé ainsi de prendre le souvenir du 8 mai en mains alors que le gouvernement fédéral a abandonné la célébration de la reddition allemande. Façon pour eux de protester contre l’oubli, l’effacement des mémoires. De réveiller le souvenir des ravages provoqués par les nazis et leurs collaborateurs flamands et wallons. Façon au passage de casser l’image caricaturale d’une Belgique coupée en deux pendant la guerre entre braves Wallons résistants et vilains Flamands au service de l’occupant. 

Il y avait des collabos dans tout le pays. Mais aussi des résistants partout. Des gens ordinaires, anonymes qui le seraient restés dans une vie normale et qui sont devenus des héros, sans le vouloir, sans s’en rendre compte, face à la violence, l’injustice, l’horreur de l’occupant allemand. Des quidams pris dans une histoire qui les dépassait et dont ils ont pourtant renversé le cours. 

Cet électro-choc, depuis le Fort de Breendonk, nous rappelle que les élections sont dans un an et que le Vlaams Belang risque d’émerger comme le premier parti de la région sinon du pays. 

« Au secours, la mémoire revient ! » devraient se dire ses cyniques dirigeants devant pareille initiative ! Car tel est aussi le résultat de l’effacement. « Il est si facile de perdre la mémoire de soi-même » écrivait Ibsen. 

Rappeler le 8 mai ne suffira pas à avoir la peau des fachos qui peu à peu tissent leur toile autour de nous ici et chez nos plus proches voisins. Mais une piqure de rappel est souvent utile pour combattre les épidémies…  

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FINI DE RÊVER !

Un musicien est en train de jouer devant le public pendant qu’un autre artiste montre ses œuvres lorsqu’une horde de policiers débarque dans la salle, interrompt la séance, fait sortir les spectateurs, les mains sur la tête, et embarque quelques participants.

La scène se passe à Bruxelles. Pas à Téhéran. Ni à Kinshasa. Même pas à Damas.

Ce sont de vrais policiers, pas des provocateurs déguisés. Des « Feds » avec les braves pandores du bourgmestre de Bruxelles.

On nous a dit qu’il y avait des étrangers dans la salle, explique notre populaire ministre de l’intérieur. Certains d’entre eux pire que des étrangers : des réfugiés. Un statut intermédiaire entre l’homme de Neandertal et l’animal de (mauvaise) compagnie.

Mr Jambon qui connaît le pouvoir des mots a compris que sa fonction est de garder l’Intérieur à l’abri de toute influence extérieure. Oubliant que si l’on ferme les portes et les fenêtres, on meurt étouffé.

Les artistes ne sont pas au-dessus des lois. Mais quand ils sont en représentation, ils ne sont plus de simples individus, des quidams anonymes, ils nous apportent aux spectateurs qui se sont rassemblés une part d’âme. Ils ne sont ni Belges ni étrangers. Mais des passeurs de rêve, ce qui, autant que le pain, est indispensable à la survie de notre société.

La violence provoquée par le vice-premier ministre rappelle cette phrase redoutable lancée par le tsar aux Polonais après l’annexion du royaume par la Russie : « Fini de rêver ! »

Dans son superbe roman « Station Eleven » (édit. Rivages), Emily St John Mandel raconte l’histoire d’une troupe de théâtre ambulant circulant sur les routes américaines après une apocalypse et qui joue Shakespeare devant les survivants. « Survivre ne suffit pas », telle est leur devise.

On ne comprend pas pourquoi Jan Jambon s’en prend soudain aux immigrés, lui qui avait, dès sa prise de fonction, déclaré que « Les gens qui ont collaboré avec les Allemands avaient leurs raisons. » Une telle compréhension pour ceux qui avaient flirté avec les envahisseurs aurait dû rassurer tous ceux qui aujourd’hui accueillent des étrangers.

Mais, faisant preuve d’une irrationalité dont on accuse généralement les artistes, lui qui se montrait si humain avec les Allemands perd toute bienveillance lorsque nos visiteurs débarquent d’un autre coin de la planète.

Quelle mouche l’a piqué ? A-t-il agi sur conseil de son collègue Francken, qui a toujours raison depuis qu’il caracole dans les sondages ? Qu’il se rappelle de cette réplique de Molière : « Hélas, qu’avec facilité, on se laisse persuader par les personnes que l’on aime ! »

Charles Michel devrait en prendre de la graine la prochaine fois qu’il sortira de son silence embarrassé pour venir au secours des deux poids lourds de son gouvernement.

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EN MÊME TEMPS

Pendant la campagne présidentielle, on s’est beaucoup moqué du tic d’Emmanuel Macron, truffant ses discours de « en même temps ». Qui trop embrasse mal étreint, prédisait-on. Il dit tout et son contraire ! Or, l’expression de Macron était peut-être tout simplement la traduction française de la formule qu’on enseigne dans les écoles de commerce et de gestion : privilégiez le « win-win ».

Le win-win est devenu le remède à tous nos maux, plus seulement dans la vente d’aspirateurs. En politique, Churchill avait galvanisé la population britannique face aux nazis en promettant « du sang et des larmes ». Depuis, cette méthode est passée de mode et détruit qui ose l’employer. On a vu le sort des politiciens grecs quand ils ont tenté de convaincre leurs citoyens de se serrer la ceinture et le reste avec un revolver (euro-allemand) sur la tempe. Balayés. Comme Gorbatchev avec sa « glasnost » lorsqu’il a voulu rendre le régime communiste transparent. En voyant à quoi ressemblait vraiment leur société et leur économie, les Russes l’ont immédiatement éliminé, lui et son parti.

De nos jours, il faut que l’électeur se sente gagnant pour que l’homme ou la femme politique le soit aussi. C’est ça le truc magique de Macron. Les riches vont être plus riches et vous, les pauvres, vous le deviendrez aussi grâce au ruissellement d’or d’en haut vers en bas.

Cette même théorie qu’il tente de fourguer maintenant aux Allemands. Plus de pouvoir aux autorités européennes, c’est « en même temps » plus de prospérité pour tous les pays de l’Union. Ce qu’on traduit à Berlin par : plus de taxes en Allemagne, plus d’argent allemand se perd dans les poches trouées des états du sud et de l’est de l’Union.

La formule du « en même temps » gagnant s’est mondialisée. En Birmanie, les dictateurs militaires ont réussi « en même temps » à glisser Aung San Suu Kyi au gouvernement et à poursuivre la répression cruelle des Rohyngias.

En Arabie saoudite, les femmes ont désormais le droit de conduire leur bagnole mais, en même temps, l’obligation de porter le niqab – la preuve va être assez vite apportée que les femmes tuent plus que les hommes au volant.

Chez nous, aussi le « en même temps » a été adopté par le gouvernement Michel. « Nous menons une politique migratoire ferme mais humaine » a déclaré le premier ministre devant un portrait de Théo Francken, entouré de bougies. « Humaine » parce que nous ouvrons nos parcs aux réfugiés. Et ferme puisque, avec l’arrivée de l’automne, nous les renvoyons dans les prisons du Soudan chauffées aux fers rouges.

Pourquoi Charles Michel n’appliquerait pas aussi cette règle à son secrétaire d’état ? Humain : il ne renvoie pas Théo en Flandre. Ferme : il intervertit ses fonctions avec celles de Pieter De Crem. Pieter qui ?

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GAZ A TOUS LES ETAGES

Bachar Al-Assad vient opportunément de nous rappeler qu’on avait enterré trop tôt les célébrations de la Grande Guerre. Merci à lui ! Dès 1914, les Français d’abord puis les Allemands – plus tard les Américains – se lancèrent joyeusement dans des attaques au gaz, devenues massives à partir de 1915. Et, en 1917 (bon anniversaire !), apparut le gaz moutarde (l’ypérite), produit à grande échelle par les Allemands. Un petit pas pour l’homme; un grand pas pour l’humanité.

« Moi, mon colon, cell’ que j’préfère, c’est la guerre de quatorz’-dix-huit ! » chantait Brassens. Prudent, il ajoutait : « Du fond de son sac à malices, Mars va sans doute, à l’occasion, en sortir une – un vrai délice ! – qui me fera grosse impression. »

T’es plus là, tonton Georges mais celle de Syrie t’en aurait bouché un coin !

Dire que le tyran avait refusé, il y huit ans que le projet de gazoduc entre le Qatar et la Turquie traverse son pays. Il doit s’en mordre les doigts. Au lieu de devoir fabriquer lui-même son poison, le docteur Assad n’aurait eu qu’à se servir au passage. On peut être ophtalmologue et ne pas avoir le don de double vue…

On dit d’Assad qu’il est un mélange de culture arabe et occidentale (formé dans des écoles françaises de Damas puis par l’université de Londres). De son voisin irakien, Saddam Hussein, issu comme lui du parti Baas, il a retenu la violence, le cynisme et l’absence de tout scrupule à gazer sa propre population. Et des Occidentaux, qu’a-t-il appris à part le goût des costumes de bonne coupe, des cravates élégantes et des propos lénifiants devant des journalistes complaisants ? L’impunité pour ceux qui gazent leurs ennemis ? Il n’y a pas eu de tribunal pour crimes contre l’humanité après la première guerre mondiale. Tous les belligérants risquaient d’y être condamnés. A l’école des Frères de Damas, on a enseigné à Assad que le vainqueur a toujours raison, même s’il a commis quelques entourloupes qu’on a tôt fait d’oublier. Vae victis !

On ne voit pas vraiment qui punira Assad et ses affreux acolytes. L’indignation morale et la fureur verbale n’ont jamais eu beaucoup d’effet pour arrêter une armée. Même pas une bande de tueurs. Quant à l’utilité des condamnations votées par l’ONU, demandez donc aux survivants du génocide rwandais, du massacre de Srebrenica ou des habitants de l’est du Congo, ce qu’ils en pensent. Et quelle a été l’efficacité des casques bleus envoyés pour les protéger.

D’ici à ce que le dictateur syrien se retrouve à manger du pindakaas dans les prisons de La Haye, il faudra qu’aient disparu Poutine, le régime iranien, le Hezbollah, les braves dirigeants européens et les méchants. Poison d’avril…

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ps : on n’a rien écrit de plus poignant sur les effets du gaz sarin que « Underground » de Haruki Murakami (Belfond) recueil d’entretiens après l’attentat dans le métro de Tokyo.