DANS LE COCHON, TOUT EST BON !

On l’a appris cette semaine avec stupéfaction : l’excès de Jambon serait cancérogène. Peut-on néanmoins continuer à le consommer ? On peut s’interroger même si, d’après ses compétences, il est strictement réservé à l’Intérieur et garanti inexportable. Sérieux casse-tête pour le gouvernement Michel qui ne peut se payer le luxe d’une bagarre saignante avec la N-VA et n’a pas les moyens de jeter à la casserole les nationalistes flamands les plus carnivores.

Si Michel garde Jambon à sa table et qu’il veut continuer à tailler régulièrement une bavette avec lui, il devra lui imposer certaines précautions pour éviter de contaminer le reste de la population. Le ministre de l’intérieur en personne en a suggéré une récemment tout à fait intéressante qu’il pourrait s’appliquer à lui-même : le port (si j’ose dire) d’un badge.

Il rappellera ainsi un exemple célèbre. Lorsque les nazis avaient obligé les Juifs danois à porter l’étoile jaune, le roi, dit-on, s’était promené à cheval dans les rues de Copenhague en arborant le signe infamant épinglé à son veston. Même si cette histoire n’est qu’une légende, elle a connu à l’époque un tel retentissement médiatique qu’elle a beaucoup fait pour rétablir l’image du roi Christian X. Jambon aurait intérêt à s’en inspirer. Pour une fois, s’agissant de parler de la seconde guerre mondiale, il ne serait pas en trop mauvaise compagnie.

Le marquage des réfugiés, suggéré par le ministre, favorise, d’après lui, les contrôles policiers. Le marquage du ministre permettra de rassurer nos compatriotes sur l’état sanitaire du gouvernement et de comprendre à quelle sauce nous allons être mangés.

Car ils commencent à être nombreux à penser que la viande bleue, réchauffée à trop grande température, la rend jaune et noire, ce qui n’est pas très ragoûtant. Ajoutons que la viande rouge est loin aussi de faire l’unanimité. Et qu’une couche de vert n’apporterait à ce repas rien de très appétissant ; elle donnerait seulement l’impression que la date de péremption est dépassée.

Dans cette atmosphère, ne reste même pas l’alcool pour se consoler puisqu’il est aussi pointé du doigt par l’impitoyable OMS, qui n’épargne rien ou à peu près. Sauf la volaille. Depuis la disparition de Jean-Luc Dehaene, la dioxine a, semble-t-il, cessé de la rendre impropre à la consommation. Quand on sait que les oiseaux descendent des dinosaures, on comprend que nos ancêtres se fichaient des recommandations de l’OMS comme de leur premier tyrannosaure rex. A Jurassic Park, on meurt de tout sauf du cancer. Et encore, à condition de se méfier des anthropophages et des politiciens (ce qui est synonyme).

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CHANTAL

Je me souviens de Chantal Akerman. De notre première rencontre. Dans une brasserie du boulevard de Waterloo, face à un cinéma aujourd’hui disparu, l’Avenue.

Je me rappelle de ses yeux – impossible de ne pas s’en rappeler. De son regard de chatte, sauvage et séducteur, distant et affectueux, qui décidait en un clin d’œil si elle allait vous aimer ou non. Elle avait souvent (pas toujours) raison.

Elle se préparait à tourner « Jeanne Dieleman ». Dans un petit appartement pas loin de celui de ma maman. C’était aussi une histoire de maman, une femme au foyer qui fait de temps en temps une « passe » entre sa vie avec son fils et la préparation du repas (ah ! ses longs plans morbides pendant qu’elle pane ses escalopes, horribles pour moi qui adorais les escalopes panées de ma maman !) Un film long, scandaleusement long, sur la banalité, la vie quotidienne, la femme. Surtout la femme. Chantal avait une vision radicale de la femme. Tout en ayant une extraordinaire nostalgie du passé. Elle était obsédée par les camps (où sa mère avait réussi à survivre), l’histoire juive. Son œuvre est un cocktail mêlant modernité, avant-garde et nostalgie d’une époque révolue, avant la guerre, avant les nazis. Deux de ses plus beaux films l’expriment avec une infinie subtilité, « News from Home » qui mélange des vues cliniques de New York dans la brume ou la nuit, dans une lumière bleutée et froide, aux textes de lettres que lui envoie sa maman. Et « Histoires d’Amérique », où elle retrouve New York avec quelques vieux acteurs du théâtre yiddish, mêlant tragédie et humour (inspiré par I.B. Singer qu’elle avait rencontré et tenté d’adapter).

Ce mélange, on le trouve aussi dans « Toute une Nuit » tourné cette fois dans un Bruxelles nocturne, presqu’irréel, où elle capte fugitivement des hommes, des femmes, qui dansent, s’embrassent, une brève parenthèse de liberté et d’amour tant que le soleil n’est pas levé. L’un des plus beaux films sur la passion.

Chantal n’avait pas besoin d’inventer des histoires. D’ailleurs, la fiction l’encombrait. Elle racontait sa vision du monde avec des longs plans séquence avec une grâce et une poésie du cadrage sans égal. Il y avait du Vermeer chez Akerman.

Chantal, un œil et une plume. Il faut écouter la musique de ses textes. Et sa voix quand elle les récite. Grave, parfois rocailleuse, douce et décidée à la fois. C’est quand elle lit en contrepoint de ses images que son cinéma est le plus beau. La magie de sa voix, la poésie de ses textes, son regard scalpel sur la ville, peuplée d’êtres anonymes et pathétiques saisis par les néons. Les faces sombres de l’histoire ne sont pas loin. Mais il y a de temps en temps un sourire qui efface tout. Le sourire d’un enfant, qui était le sourire de Chantal.

 

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