EN MÊME TEMPS

Pendant la campagne présidentielle, on s’est beaucoup moqué du tic d’Emmanuel Macron, truffant ses discours de « en même temps ». Qui trop embrasse mal étreint, prédisait-on. Il dit tout et son contraire ! Or, l’expression de Macron était peut-être tout simplement la traduction française de la formule qu’on enseigne dans les écoles de commerce et de gestion : privilégiez le « win-win ».

Le win-win est devenu le remède à tous nos maux, plus seulement dans la vente d’aspirateurs. En politique, Churchill avait galvanisé la population britannique face aux nazis en promettant « du sang et des larmes ». Depuis, cette méthode est passée de mode et détruit qui ose l’employer. On a vu le sort des politiciens grecs quand ils ont tenté de convaincre leurs citoyens de se serrer la ceinture et le reste avec un revolver (euro-allemand) sur la tempe. Balayés. Comme Gorbatchev avec sa « glasnost » lorsqu’il a voulu rendre le régime communiste transparent. En voyant à quoi ressemblait vraiment leur société et leur économie, les Russes l’ont immédiatement éliminé, lui et son parti.

De nos jours, il faut que l’électeur se sente gagnant pour que l’homme ou la femme politique le soit aussi. C’est ça le truc magique de Macron. Les riches vont être plus riches et vous, les pauvres, vous le deviendrez aussi grâce au ruissellement d’or d’en haut vers en bas.

Cette même théorie qu’il tente de fourguer maintenant aux Allemands. Plus de pouvoir aux autorités européennes, c’est « en même temps » plus de prospérité pour tous les pays de l’Union. Ce qu’on traduit à Berlin par : plus de taxes en Allemagne, plus d’argent allemand se perd dans les poches trouées des états du sud et de l’est de l’Union.

La formule du « en même temps » gagnant s’est mondialisée. En Birmanie, les dictateurs militaires ont réussi « en même temps » à glisser Aung San Suu Kyi au gouvernement et à poursuivre la répression cruelle des Rohyngias.

En Arabie saoudite, les femmes ont désormais le droit de conduire leur bagnole mais, en même temps, l’obligation de porter le niqab – la preuve va être assez vite apportée que les femmes tuent plus que les hommes au volant.

Chez nous, aussi le « en même temps » a été adopté par le gouvernement Michel. « Nous menons une politique migratoire ferme mais humaine » a déclaré le premier ministre devant un portrait de Théo Francken, entouré de bougies. « Humaine » parce que nous ouvrons nos parcs aux réfugiés. Et ferme puisque, avec l’arrivée de l’automne, nous les renvoyons dans les prisons du Soudan chauffées aux fers rouges.

Pourquoi Charles Michel n’appliquerait pas aussi cette règle à son secrétaire d’état ? Humain : il ne renvoie pas Théo en Flandre. Ferme : il intervertit ses fonctions avec celles de Pieter De Crem. Pieter qui ?

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LA PETITE BÊTE IMMONDE,  IMMONDE

Connaissez-vous la romancière britannique (d’origine bangladeshi) Monica Ali ? Lisez donc « En cuisine » (Belfond). Vous me remercierez. Le roman dresse un portrait de l’Angleterre d’aujourd’hui, vue depuis la cuisine très cosmopolite d’un grand restaurant de Londres. Une Angleterre qui ressemble à un waterzooi indigeste mitonné par Margaret Thatcher, recuit par Tony Blair, qu’un David Cameron doit servir, les fesses serrées, à un représentant du guide Michelin.

C’est de ce roman que j’extrais ces répliques d’un personnage, parlementaire travailliste.

« Notre identité britannique est pareille à notre économie, déréglementée à l’extrême. C’est un vaste marché d’idées et de cultures, dont aucune ne l’emporte sur les autres. » Et encore : « Bien sûr, le sentiment d’appartenance à une nation se fonde en partie sur le constat : « Nous sommes  différents d’eux. » Mais, voyez-vous, ce qui est intéressant c’est la façon dont l’idée de citoyenneté britannique est devenue aujourd’hui synonyme d’identité neutre, dénuée de valeurs – une non-identité si vous voulez. Un vide. »

Coïncidence : je lisais le beau roman de M. Ali au moment où paraissait le dernier sondage de La Libre Belgique et de la RTBF sur les intentions de vote en Flandre. En me disant qu’une fois de plus, la réalité dépassait la fiction.

Plus de 50 % des voix se porteraient sur la N-VA et le Vlaams Blok, les deux partis qui militent pour enfermer la Flandre derrière de hautes murailles protectrices de leur soi-disant identité. Avec à la porte, une plaque : « entrée réservée aux vrais Flamands ». Pour séduire tous les petits oisillons de souche que la mondialisation et la crise ont plongés dans le désarroi.

La petite bête immonde, immonde s’est toujours nourrie du chaos. Les Grecs croient malins de se faire peur en élisant les descendants de ceux qui ont massacré leurs parents et ruiné leur pays. Après les Hollandais, Danois ou Autrichiens, sans parler de la récente vague bleu marine censée nettoyer la France de ses mauvais politiciens.

La citoyenneté « flamande » proposée par de Wever et Dewinter est aussi vide de sens, de projet et d’avenir que les tremolos bleu, blanc rouge de la famille Le Penn.

Cependant, ils sont les seuls à répondre à l’interrogation identitaire des électeurs mais par un modèle de pensée unique, caricatural (comme le montre le guide du Flamand idéal concocté par G. Bourgeois). Tout affairés à colmater les brèches creusées par la crise économique, les autres partis belges ont oublié que pour faire face à la mutation du monde, les citoyens n’ont pas seulement besoin d’une réponse économique et sociale. Ils rêvent aussi de modèles culturels et de clés pour déverrouiller l’opacité du nouveau monde.

 

 

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