BONS BAISERS DE RUSSIE

  La Russie vient de couper les ponts avec l’Otan. Un bête geste de dépit après le retrait par l’Alliance des accréditations de huit représentants russes. J’ai failli écrire soviétiques. Mais non, à l’époque de la guerre froide, jamais les Occidentaux n’auraient réussi à mettre la main d’un coup sur huit espions venus du froid. 

Que se passe-t-il à Moscou ? Leurs meilleurs artisans ont-ils perdu la main ? Ont-ils mis à la retraite tous les brillants instructeurs du KGB ou du GRU qui préparaient les coups tordus, qui imaginaient les intrigues sophistiquées et improbables, qui lançaient les plus perverses espionnes pour séduire les candides diplomates envoyés de l‘autre côté du rideau de fer ? Ou ce sont les candidats espions qui sont tous nuls ? On dirait que ce bon vieux James Bond ne fait plus rêver. Ils préfèrent aujourd’hui devenir agents de sécurité d’un oligarque avant de prendre sa place. John Le Carré est parti à temps. Il n’aurait pas supporté de voir une intrigue aussi pauvre alors qu’à l’époque la réalité dépassait toujours la fiction. Décidément, tout fout le camp !  

Petit rappel pour nos amis russes (ce sont nos amis maintenant, c’est peut-être là que le bât blesse et l’origine de la confusion.) Un espion, ça se forme lentement, pendant des années. Quand il était prêt, on l’envoyait ou plutôt il s’installait dans un pays occidental, par exemple en France. Là, il prenait l’apparence d’un Français moyen modèle rêvé par Eric Zemmour. Avec un prénom-bien-de-chez-nous, les photos de ses grands-parents devant la petite église du village de l’Yonne, dont ils n’ont jamais bougé, glissées dans son portefeuille et une carte de supporter de l’AJ Auxerre bien en évidence sur son pare-brise. A la fête des voisins, il tenait des discours sur les immigrés (en dénonçant ceux qui viennent manger le caviar des Français, oui, il y avait parfois un défaut dans la cuirasse). Il se mêlait aux gilets jaunes en les poussant à forcer la porte des bâtiments dans lesquels il voulait pénétrer pour percer leurs secrets. 

Fini tout ça ? Vraiment ? A moins que les Russes ne soient plus machiavéliques qu’on ne le croit, qu’ils laissent nos services de contre-espionnage triompher facilement en laissant expulser huit pauvres types qui ne sont que des leurres pendant que les vraies pros, continuent leur travail de taupe, déguisés en Franchouillards au front de plus en plus bas et de plus en plus national. Mais attention, si on se met à les arrêter, il ne restera plus grand-monde dans les meetings de Zemmour. Et notre faux Français de souche se prétendra victime des services de contre-espionnage de l’OTAN qui tenterait ainsi de casser son irrésistible ascension… 

Il est bien difficile d’être patriote de nos jours. 

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CHAPEAU !

En quelques jours le doux mot de panama, qui évoquait poésie, élégance et exotisme est devenu l’équivalent de maudit, trompeur, sournois. Rétablissons un peu de son honneur.

Le panama est d’abord le nom d’un magnifique chapeau de paille, un élégant galurin permettant de se protéger du soleil qui, dans la région, vous frappe plus durement que le fisc.

Selon les règles du savoir-vivre, un homme ôte son chapeau en entrant chez quelqu’un. Pas le propriétaire d’un panama, qui le garde, solidement vissé sur la tête, par exemple en poussant la porte d’une banque ou d’un bureau d’avocat. Avec son beau doulos, il en impose. Il est Redford dans « Great Gatsby », Paul Newman dans « The Long hot summer ». Un banquier ou un avocat ne chipote pas face à un panama. Il s’incline. Le panama est au-dessus de la loi.

Blaise Cendrars a reconnu dans un de ses plus beaux poèmes, « Le Panama ou les Aventures de mes sept Oncles » : « C’est le krach de Panama qui fit de moi un poète ! »  et encore :

« Je n’écoute pas les journaux financiers/ Quoique les bulletins de la Bourse soient notre pain quotidien »

Car la galette à Panama, ça va et ça vient et ça flambe. C’est la loterie, la roulette. Le krach de Panama reste l’un des plus douloureuses cicatrices du capitalisme français. Comme Cendras s’en fait l’écho une dizaine d’années plus tard dans son poème, beaucoup d’investisseurs ont perdu des fortunes dans l’effondrement de la société fondée par Ferdinand de Lesseps, la Compagnie universelle du canal interocéanique. Juste revanche de l’histoire, un certain nombre de leurs descendants ont refait leur bas de laine là où leurs aïeux s’étaient plantés. Et demain, ils la perdront à leur tour car au Panama, terre de redoutables tremblements de terre, tout se détruit régulièrement. Et, entre deux catastrophes naturelles, les brigands locaux se chargent de dépouiller les voyageurs qui ont été assez inconscients pour s’aventurer dans le coin. Sur le site des Affaires étrangères, il est conseillé à ceux qui séjournent au Panama :  « En cas d’attaque, n’opposez aucune résistance et donnez tout aux voleurs » (sic).

S’il écoutait plus souvent son collègue des affaires étrangères (ex-patron du fisc), le ministre des finances se ferait peut-être un peu moins d’illusion en rêvant de ramasser des brouettes de billets auprès de Belges revenus d’Amérique centrale…

La tromperie est l’art du Panama. John Le Carré l’illustre parfaitement dans un de ses plus beaux romans « Le Tailleur de Panama » où un agent secret improvisé vend au service secret ce que celui-ci veut entendre. A Panama, tailler un costard, c’est vendre du vent, la plus grande richesse du pays. Peut-être pourrait-on s’en inspirer nous qui n’avons plus grand-chose d’autre à exporter ?

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