CHAPEAU !

En quelques jours le doux mot de panama, qui évoquait poésie, élégance et exotisme est devenu l’équivalent de maudit, trompeur, sournois. Rétablissons un peu de son honneur.

Le panama est d’abord le nom d’un magnifique chapeau de paille, un élégant galurin permettant de se protéger du soleil qui, dans la région, vous frappe plus durement que le fisc.

Selon les règles du savoir-vivre, un homme ôte son chapeau en entrant chez quelqu’un. Pas le propriétaire d’un panama, qui le garde, solidement vissé sur la tête, par exemple en poussant la porte d’une banque ou d’un bureau d’avocat. Avec son beau doulos, il en impose. Il est Redford dans « Great Gatsby », Paul Newman dans « The Long hot summer ». Un banquier ou un avocat ne chipote pas face à un panama. Il s’incline. Le panama est au-dessus de la loi.

Blaise Cendrars a reconnu dans un de ses plus beaux poèmes, « Le Panama ou les Aventures de mes sept Oncles » : « C’est le krach de Panama qui fit de moi un poète ! »  et encore :

« Je n’écoute pas les journaux financiers/ Quoique les bulletins de la Bourse soient notre pain quotidien »

Car la galette à Panama, ça va et ça vient et ça flambe. C’est la loterie, la roulette. Le krach de Panama reste l’un des plus douloureuses cicatrices du capitalisme français. Comme Cendras s’en fait l’écho une dizaine d’années plus tard dans son poème, beaucoup d’investisseurs ont perdu des fortunes dans l’effondrement de la société fondée par Ferdinand de Lesseps, la Compagnie universelle du canal interocéanique. Juste revanche de l’histoire, un certain nombre de leurs descendants ont refait leur bas de laine là où leurs aïeux s’étaient plantés. Et demain, ils la perdront à leur tour car au Panama, terre de redoutables tremblements de terre, tout se détruit régulièrement. Et, entre deux catastrophes naturelles, les brigands locaux se chargent de dépouiller les voyageurs qui ont été assez inconscients pour s’aventurer dans le coin. Sur le site des Affaires étrangères, il est conseillé à ceux qui séjournent au Panama :  « En cas d’attaque, n’opposez aucune résistance et donnez tout aux voleurs » (sic).

S’il écoutait plus souvent son collègue des affaires étrangères (ex-patron du fisc), le ministre des finances se ferait peut-être un peu moins d’illusion en rêvant de ramasser des brouettes de billets auprès de Belges revenus d’Amérique centrale…

La tromperie est l’art du Panama. John Le Carré l’illustre parfaitement dans un de ses plus beaux romans « Le Tailleur de Panama » où un agent secret improvisé vend au service secret ce que celui-ci veut entendre. A Panama, tailler un costard, c’est vendre du vent, la plus grande richesse du pays. Peut-être pourrait-on s’en inspirer nous qui n’avons plus grand-chose d’autre à exporter ?

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LA FOLIE DES GRANDEURS

Selon les experts, le nombre de fous qui se prennent pour Napoléon a beaucoup chuté ces dernières années. Deux raisons expliquent ce phénomène : soit, les experts ne lisent pas les journaux, particulièrement ceux de juin 2015, soit les statistiques ne traitent plus de fous ceux qui se prennent pour Napoléon. La recherche forcenée d’économies peut aussi expliquer cette évolution : si l’on devait enfermer tous ceux qui se prennent pour Napoléon, dix hôpitaux, cent, mille n’y suffiraient pas. Et la Sécurité sociale pourrait définitivement mettre la clé sous le paillasson.

En Belgique, on a pris l’habitude depuis des siècles de vivre au milieu des fous. Il suffit de regarder autour de vous. Vous croyez que c’est un hasard si nous comptons près de septante ministres dont aucun ne se prend que pour lui-même, des centaines de députés fédéraux, régionaux, membres des assemblées provinciales, communales, intercommunales, que des chefs, des éminences plus hautes que la Butte du Lion ?

Cette épidémie d’empereurs dans un seul royaume a des raisons historiques. A une époque où, dans la plupart des pays voisins, on enfermait les malades mentaux (sauf quand ils étaient au pouvoir), à Geel, depuis le moyen âge, la population accueille les fous de toute l’Europe – même sans papiers. Dans des centres fermés ? Pas du tout. Ils vivent au milieu des familles de la ville, en parfaite liberté, traités comme des citoyens ordinaires. Le Ministre Napoléon Francken ne s’en est heureusement pas encore rendu compte.

Fasciné par la vie à Geel, Maeterlinck y a consacré une de ses plus intéressantes pièces de théâtre, « La Princesse Isabelle », dont le personnage masculin, un journaliste du « Soir », est envoyé en reportage dans la petite ville campinoise. Il écrit à ce propos : «Tandis que je m’occupais de « La Princesse Isabelle », j’eus la chance d’y rencontrer un certain nombre de déséquilibrés qui ne purent trouver place dans la pièce que leurs frères et leurs sœurs qui « travaillaient » du chapeau, du béret, de la casquette, de la toque ou de la capeline, encombraient déjà. Je leur donne asile dans ces quelques pages, d’où ils s’évaderont quand ils seront guéris. »

Le système de Geel a fait l’admiration de beaucoup de spécialistes modernes des traitements psychiatriques. Il a aussi habitué les Belges à ne plus distinguer chez leurs voisins, leurs amis, dans leurs familles, qui est Napoléon de qui ne l’est pas. On sait aussi chez nous que porter le chapeau n’a qu’un temps et qu’il finit toujours couvert de poussières ou, plus souvent, dans la boue ou la poubelle.

Waterloo n’est pas très loin de Geel, ce n’est pas un hasard de la géographie ni de l’histoire.

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