LES VOIX DU PEUPLE SONT IMPENETRABLES

Devant la carence et le désarroi des dirigeants politique de notre charmante mais bien compliquée petite patrie, certains beaux esprits ont trouvé le truc pour désembourber enfin l’attelage fédéral, bon sang mais c’est bien sûr, l’appel au peuple ! Ce peuple qui a toujours raison, suffit de voir comment il s’est exprimé en mai dernier. 

 Va donc pour le référendum ! Puisque plusieurs précédents montrent combien il est utile pour dénouer des situations politiques difficiles : le Brexit en Grande-Bretagne, l’indépendance de la Catalogne, l’adhésion au traité de Maastricht au Danemark (où il fallut voter deux fois pour forcer les citoyens à changer d’avis !) Ah oui, voilà autant de consultations où le peuple a montré aux politiques le chemin à suivre : droit dans le gouffre ! 

 Le truc de faire parler le peuple est ancien. Sans remonter au déluge, Napoléon III déjà a fait appel au plébiscite permettant aux Français de renoncer à la démocratie parlementaire et de confier les pleins pouvoirs sans contrôle au ci-devant. Hitler a fait de même en 1934, adoubé führer par le peuple à une majorité enviée même par Staline…

Alors, la sagesse populaire pour sortir de l’impasse, pardon, les amis ! 

Un de ces jours, Trump va aussi sortir un referendum de sa manche : le mur avec le Mexique, l’arrêt de l’immigration, la paix avec la Corée du Nord ou l’affrontement avec la Chine, n’importe quoi pour se remettre en selle. 

Les partisans d’un referendum en Belgique connaissent d’avance le résultat, nous assurent-ils. Les Belges – on veut dire les Flamands – partisans de la séparation sont très minoritaires. Alors, pourquoi les consulter ?

Le vrai problème, oublient-ils d’ajouter, c’est que souvent le peuple souverain répond à une autre question que celle qui lui a été posée. Il dit juste non à celui qui l’a interrogé. Comme lors du referendum français de 1969 sur la régionalisation qui a entraîné la démission du président de Gaulle. Ou celui sur la constitution européenne de 2005 rejeté tant par les Français que par les Hollandais, tous réfractaires à leurs dirigeants plus qu’à l’Europe. 

Croit-on qu’on va résoudre l’énigme Belgique par oui ou par non ? 

Et si on pose une autre question, on risque d’être surpris. Voulez-vous un gouvernement fédéral ? Non évidemment à une écrasante majorité dans les trois régions du pays. 

Souhaitez-vous le confédéralisme ? Faudrait une bibliothèque entière pour expliquer la signification de cette notion introuvable. 

Seule une question mérite d’être posée aux Belges : souhaitez-vous que vos enfants soient bilingues ? Qu’ils parlent aussi parfaitement français que néerlandais ? 

Voilà l’avenir de la Belgique, du moins si l’enseignement reçoit les moyens nécessaires pour fabriquer de vrais citoyens et un peuple civilisé. 

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DEFÊTE L’ EUROPE, DIT-IL

2017 se voulait une grande année européenne avec paillettes, petits fours et tout le tralala : en avant-goût de la fête des soixante ans des traités de Rome (septembre 1957), dès cette semaine, on devait célébrer les vingt-cinq ans du traité de Maastricht (février 1992).

Mais, avant même que ne saute le premier bouchon, c’est déjà la gueule de bois.

Dans une interview à « l’Echo », type cocktail Molotov, Paul « Che » Magnette, qui n’avait peut-être pas reçu de carton d’invitation, s’est chargé de balancer la vaisselle par la fenêtre. La Grande-Bretagne est dehors. Tant mieux ! Dans la foulée, continuons le nettoyage en mettant à la porte plombiers polonais, taximen bulgares et autres mendiants roumains, et dans la même charrette, ces sinistres Scandinaves, suédois et danois, qui ont la boisson trop triste, pas comme nous fiers Wallons. Et l’euro aussi, tant qu’à faire, s’il reste de la place. Bref, le traité de Maastricht, à la poubelle !

Démolir l’Europe, un vrai combat de gauche ? A voir. Mais qui diable a suggéré cette nouvelle poussée d’europhobie au camarade-ministre-président ???

Pas moi ! clame Stephane Moreau depuis son bunker. La preuve : mon groupe n’a jamais respecté la règle des 3 %, ni aucune règle d’ailleurs. Sauf une : chez nous, 100 % des hommes politiques étaient payés.

Ni moi, murmure la toute petite voix de Pénélope Fillon depuis la cave de son château où elle recherche les fiches qu’elle a écrites en 1992, elle en est certaine mais sa mémoire n’est plus ce qu’elle était. Ah ! Voilà déjà les affiches que François m’a fait coller à l’époque: Votez Non au référendum sur le traité de Maastricht. Tiens ? Magnette-Fillon, même combat ?

Le vrai souci de Magnette c’est qu’en quelques semaines, il est passé du statut de héros révolutionnaire ferraillant contre le traité CETA à l’image d’un pâle dirigeant socialiste wallon empêtré dans le scandale Publifin.

Tous ceux qui avaient acheté un T-shirt à son effigie réclamaient à leur Robin des Bois le remboursement ou une nouvelle aventure et vite. De préférence internationale – c’est plus prudent de lever le poing là où les socialistes wallons ne risquent pas de lui avoir savonné la planche.

Taper sur l’Europe, c’est comme taper sur les étrangers, ça marche toujours quand on compte sur l’intelligence des foules…

En France, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon font pareil. Et Fillon ne manque pas de rappeler son opposition aux traités, jadis, aux côtés de Philippe Séguin et Charles Pasqua. Même en Hollande, lancée aussi dans les législatives, il n’y pas que Geert Wilders pour flinguer l’Europe.

En lutte avec pareils compétiteurs, « Che » Magnette aurait peut-être intérêt à choisir d’autres cibles. Rêvons qu’elle concerne enfin le bonheur de sa propre région…

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CRIMEE CHÂTIMENT

Qui n’a remarqué que le front anti-russe commençait à se fissurer ? La tentative de paix en Syrie (oubliant les désastres « collatéraux »), les gémissements de nos industriels et agriculteurs touchés par l’embargo poussent quelques hommes d’état occidentaux (ou futurs dirigeants) à nuancer leurs critiques contre Vladimir le Brutal. Et même à comprendre sinon à justifier l’annexion vite fait, bien fait, de la Crimée. Après tout, Vlad a été élu démocratiquement, soulignent-ils, il est soutenu par son peuple (d’après les excellents instituts de sondage russes) et un référendum a approuvé l’annexion de la Crimée (comme vient de le souligner Marine Le Pen).

Crimée Châtiment, disaient déjà les kremlinologues Pierre Dac et Francis Blanche. De là, à revoir l’image de l’Ukraine, jusqu’ici, pauvre oiseau pour le chat, il n’y a qu’un pas.

Pourtant, s’il y a bien une nation martyre en Europe, c’est l’Ukraine. Une pauvre république, tout juste sortie de siècles de domination russe puis soviétique, dont Staline a massacré la population : des millions de morts dans les années trente (auxquels s’ajoutent les millions de victimes des nazis).

Depuis son indépendance en 1991, cette nation s’efforce de répondre aux critères de la démocratie en chassant à plusieurs reprises ses dirigeants corrompus (et soumis sinon vendus à leur puissant voisin), sans parvenir à établir il est vrai un régime et des institutions stables et en s’accommodant de mouvements fascistes qui rendent jaloux les nervis du FN.

La dernière initiative du parlement de Kiev devrait faire taire les critiques. Depuis une loi du 30 décembre, sont interdits les livres donnant une image positive de la Russie.

Au lieu de crier à la censure, il faut se réjouir de voir enfin un gouvernement qui se veut européen accorder une telle importance à la culture. Y a-t-il chez nous un seul politicien qui pense qu’un livre peut influencer les citoyens, leur ouvrir l’esprit et peser sur l’opinion publique ? A Kiev au contraire (comme à Téhéran et dans quelques autres capitales éclairées), on craint le pouvoir du livre, la force du talent et l’insidieux pouvoir de la culture. Les dirigeants occidentaux et les technocrates européens devraient en prendre de la graine, eux qui n’ont que mépris pour la culture et le livre. Bravo !

Hélas, l’effet de cette mesure sera mince : en effet, personne n’a jugé plus sévèrement la Russie que les auteurs russes eux-mêmes, de Dostoïevski à Soljenitsyne en passant par Grossman et Pasternak. L’image de l’Ukraine n’est pas plus « positive » sous la plume des auteurs ukrainiens ! Lisez ce chef d’œuvre, « Compagnons de route » de Friedrich Gorenstein avant de vous promener dans les rues d’Odessa.

Bonnes lectures !

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VOUS AVEZ DIT : MODERE ?

En 2003, la plupart des observateurs ont célébré l’arrivée au pouvoir de M. Erdogan à la tête de la Turquie. Enfin, un islamiste modéré, sorti des urnes, un exemple pour les autres pays musulmans, à peu près tous empêtrés dans des dictatures plus ou moins cruelles. Un modèle conciliant une foi tolérante, démocratie et modernisme. Treize ans plus tard, qu’est devenu le vizir modéré ? Il bafoue les droits fondamentaux, son armée continue à occuper un état souverain, Chypre. Il tient des discours choquants sur le rôle et la place des femmes dans la société, discrimine et massacre allègrement sa population kurde et il vend aux Européens les réfugiés syriens coincés sur son sol comme des marchandises proches de la date de péremption.

A l’époque, M. Erdogan appelait son voisin syrien, M. Assad, «  mon petit frère ». C’aurait dû nous donner la puce à l’oreille. Il est vrai que le fils cadet de Hafez el Assad venait d’être consacré président, après la mort de son père, par un référendum qui se voulait démocratique.

Encore un modéré au Moyen Orient ! s’écriaient joyeusement les observateurs juste parce que Bachar avait fréquenté les écoles laïques de Damas et une université à Londres où il avait rencontré sa future épouse, qui travaillait à la City.

Dans l’un de ses romans, Nelson De Mille fait dire à son héros qu’un islamiste modéré est un islamiste qui s’aperçoit que son arme est vide et qu’il n’a plus de munitions. Cette réplique est peut-être moins provocante qu’il ne paraissait…

Depuis ces pauvres « printemps arabes », où sont passés ces fameux dirigeants modérés ? Ces hommes et femmes prêts à ce « nouveau départ » annoncé dans son discours du Caire en 2009 par le président Obama et célébré deux ans plus tard par les manifestants de la place Tahir. Après, il y a eu l’arrivée au pouvoir après des élections libres des Frères musulmans, puis la reprise en mains de l’empire des pharaons par le général Sissi. Tous des modérés…

Les élections libres ne suffisent pas à fabriquer des dirigeants modérés. Encore faut-il s’entendre sur le sens du mot. Certains disent du premier ministre israélien, M. Netanyahou, que, comparé à plusieurs de ses ministres, il est un modéré. Même dans cette démocratie, où les partis au pouvoir se succèdent à la suite de véritables élections libres, le « modéré » est aussi à géométrie variable.

Y aurait-il une espèce de malédiction régionale qui donne à cet adjectif un sens aussi relatif – et aussi ironique ? L’influence d’un soleil trop brûlant ? Des terres trop abreuvées de dieux, de croyances, d’imprécations ?

Quelques signes inquiétants montrent qu’avec le réchauffement climatique, l’Europe est gagné par cette malédiction. La réaction de beaucoup de nos politiciens face à l’accueil des réfugiés syriens, blessés, dépouillés, permet de se demander où sont nos modérés ?

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