MURMURES

Ce que l’on criait en 1989 est devenu murmure trente ans plus tard. Et ce que l’on crie aujourd’hui était à peine balbutiant à la fin des années quatre-vingts.  

 A l’époque, l’Europe aspirait plus que tout aux droits de l’homme. Plus qu’aux revendications sociales et économiques, plus qu’aux exigences éthiques. Liberté ! clamaient les manifestants de Berlin, Prague, Varsovie, Budapest, Bucarest, qui ont réussi l’impensable, la disparition du communisme en trois coups de cuiller à pot ! (Tandis que leurs camarades chinois se faisaient tailler menu sur la place Tienanmen.)  

 A présent, les droits de l’homme semblent passés de mode. Il est même de bon ton chez certains de faire la fine bouche devant ceux qu’ils qualifient de « droit-de-l’hommistes », expression dégueulasse qui justifie le cynisme au nom du soi-disant réalisme. Parmi ces beaux esprits, on trouve pêle-mêle des hommes de droite comme Zemmour ou Nicolas Sarkozy, autant que de gauche tels Badiou, Védrine ou Chevènement. 

   Même notre Ligue des Droits de l’Homme a choisi de masquer ce concept devenu honteux. Elle s’est transformée l’an dernier en Ligue des « Droits humains » (oubliant l’étymologie latine du mot homo, qui n’est pas le mâle, qu’on désignait par le mot vir ! O tempora ! O mores ! ) 

 Ah ! Le mur du politiquement correct, voilà la notion en vogue trente ans après la victoire de la liberté. On doit cacher « Tintin au Congo », effacer la cigarette du portait de Malraux sur les timbres français, fabriquer une orthographe masc.fém. grotesque, éviter toute référence aux vraies merveilles de la civilisation européenne sur les billets d’euros pour ne froisser personne et ne pas remuer l’histoire. 

La caricature est aussi passée au purgatoire. Elle doit éviter d’être « trop », sous peine de ne plus être publiée (le New York Times a supprimé le dessin politique) ou même sous peine de mort. « On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui » disait Pierre Desproges – juste avant la chute du mur, tiens. Trente ans plus tard, n’importe qui peut vous empêcher de rire tout simplement. 

  Le mur de Berlin est tombé, hourrah ! Mais, ne vous en êtes-vous pas aperçu, vous qui faites la fiesta ? il a été reconstruit un peu plus loin, aux frontières de l’Europe. Lorsque l’Union s’est ouverte à la plupart des pays libérés du joug soviétique, on a accueilli leurs citoyens à bras ouverts. Depuis, leurs dirigeants sont parmi les plus acharnés à repousser ceux d’ailleurs, chassés vers notre paradis par la guerre, la barbarie ou la misère. Voilà la seule politique pour laquelle les Européens sont unis : fermer nos frontières.

   L’argent qui servait à réunifier notre continent il y a trente ans sert maintenant à entretenir des prisons. 

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CRIS ET CHUCHOTEMENTS

Après l’explosion, le pire est le silence. Le silence, c’est le néant. Il faut refuser le silence, ne pas le laisser s’installer de peur qu’il nous étouffe comme dans un linceul. Maintenant, nous avons besoin de bruit, de musique, de paroles. Du doux murmure des baisers, des mots d’amour, du froissement coquin des tissus. Pas d’invectiver, d’asséner, de sermonner. Non. Mettons-nous à chuchoter, susurrer, gazouiller, caresser, et rire. Surtout rire. Le rire est le propre de l’homme. De l’homme civilisé. L’antidote de la barbarie. Rester debout, droit, face au vandale et ne se plier que pour rire.

« Je jouissais de ce rire comme un chien à qui l’on a donné des coups mais qui reçoit maintenant des caresses » (Joyce Carol Oates), ce qui n’est pas sans rappeler « Je me hâte de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer » (Beaumarchais).

Du bruit comme s’il en pleuvait, s’il vous plaît ! Il faut chanter, se parler, dans toutes les langues de la terre, parler avec les mains et les yeux, se faire du pied (mais doucement, j’ai de nouvelles chaussures !) Mais il faut arrêter de parler de mort, de deuil. Le deuil sied à Electre, pas à Manneken Pis !

Vous allez voir de quoi on est capable, en Belgique, quand on nous bouscule. On va même cesser de se disputer – un court moment- et se parler entre nous, comme si on était enfin tous bilingues, multilingues et cosmopolites et qu’on avait des choses à se dire et surtout à accepter d’entendre. On va débattre ce qui signifie que, pour une fois, on va se mettre à écouter les autres. Bon, après, bien sûr, on reprendra nos habitudes comme un cheval finit toujours par retourner à son écurie même si son maître le maltraite. Mais, autant profiter de ce court moment sans obscénités, sans diktats, sans injures. Un entracte où on n’entendra plus des politiciens qui n’ont rien compris à la démocratie nous asséner leurs petites phrases mortifères genre « Mon cœur saigne » ou  « Je pense qu’il n’y a pas de minorité francophone en Flandre, il y a des immigrants qui doivent s’adapter. On demande cela à des Marocains, des Turcs. On ne leur dit pas: ‘Vous êtes nombreux, donc l’arabe va devenir une langue officielle. » On oubliera aussi « Quand les dégoûtés s’en vont, restent les dégoûtants ». Les auteurs de ces « bons mots » sont un Wallon, un Flamand, un Bruxellois.

Je vous parie qu’on va dialoguer, échanger des mots, des feintes, des vannes, réagir par des sourires. On va se sentir complices, se rendre compte que, on avait failli l’oublier, on est drôlement proches les uns des autres, on aime la même confiture, on partage la même mayonnaise sur les frites, on a la même opinion du Standard, les mêmes préjugés à l’égard du fisc, des flics et des fonctionnaires. La même ironie vis-à-vis des Français et des Hollandais. Et de nous-mêmes. La preuve que nous ne sommes pas seulement un pays; nous sommes aussi une nation. Pas seulement dans la dérision. Mais aussi dans le dérisoire.

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ZWANZE.COM

 

On ne va pas beaucoup rire ces jours-ci. On va trembler, hurler, parfois pleurer. Applaudir et siffler. Mais rire, non. Le foot, c’est comme la formation du gouvernement belge. Du sérieux, du crispé, comme la tronche de l’informateur devant un journaliste du « Soir ». Les Diables et De Wever ont d’ailleurs beaucoup d’autres points communs. Ils rêvent de d’écraser l’adversaire, de lui péter la gueule. Jamais de le faire rire. Et, quand ils font des passes, cela ressemble plus au billard à trois bandes qu’à la glorieuse finale de jadis, Union contre Daring. La seule différence entre les deux nobles sports, c’est la place de l’arbitre. Au foot, il a le droit de se servir de son petit sifflet et de sa collection de cartes rouges et jaunes. En politique, en revanche, l’arbitre doit être gentil avec tout le monde. Même avec les tricheurs. Sans pouvoir jamais arrêter le match.

Pour sourire, oublions donc la Copa et Bartje. Et tournons-nous comme d’habitude vers la NSA. L’agence américaine du renseignement nous avait déjà donné un hilarant numéro sur les écoutes téléphoniques d’Angela Merckel évoquant le bon temps de la RDA avec Vladimir Poutine ou de la reine d’Angleterre commandant des croquettes pour son chien.

Voilà qu’elle remet ça. On vient d’apprendre que nos super espions (inspirés davantage par les exploits de Johnny English que par ceux de James Bond) mettent au point un logiciel capable de détecter les messages ironiques. La NSA ayant compris qu’un certain nombre de mails inquiétants n’étaient que des blagues a entrepris de charger ses robots de faire le tri. Quand c’est amusant, c’est inoffensif. C’est vrai que les videos d’Al Qaida n’ont pas brillé jusqu’ici d’un humour ravageur. En revanche, la Belgique risque de faire les frais de cette application. Chez nous, tout ou à peu près se termine en zwanze. Notre pays est célèbre pour ses humoristes. Pas seulement nos excellents artistes que les Français nous pillent régulièrement. Ni nos désopilants politiciens. Mais aussi beaucoup pour le nombre de ses comiques qui s’ignorent. Tel Luc Coene, le patron de la Banque nationale. Il est vrai que depuis l’euro, son institution ne sert à rien d’autre qu’à divertir ses fonctionnaires. Jusqu’ici, ils ne plaisantaient qu’entre eux. Mais voilà qu’ils ont décidé de nous faire partager leurs meilleures farces. Et la dernière est vraiment drôle. Au lieu de faire payer les riches, faisons payer les pauvres ! Baissons les allocations de chômage et rabotons les pensions ! Ah ! Ah ! Ah !

A l’heure actuelle, on ignore si les robots de la NSA ont réussi à comprendre que ce message devait être glissé dans le panier inoffensif des histoires belges. C’est un test redoutable pour vérifier leur fiabilité.

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RIRE

L’événement de la semaine, c’était la manifestation contre l’austérité organisée par les syndicats européens. Des dizaines de milliers de travailleurs venus de toute l’Europe, colorés et joyeux, manifestement heureux de manifester. Pour une journée de détente en attendant l’augmentation des impôts, la diminution des pensions et des salaires. Seuls ne riaient pas ceux qui bêtement tentaient de gagner leurs bureaux ou leurs entreprises. Ainsi que des opposants qualifiés d’ « anarchistes » à qui les forces de l’ordre ont refusé le droit de crier. Ils ne connaissaient pas le mot de passe, le code d’accès, apparemment réservé aux seuls manifestants officiels. Mieux vaut en rire mais il est difficile de se moquer d’une manifestation syndicale. Et de la politique d’austérité qui, comme le mot l’indique est interdite aux humoristes. Nietzche pourtant disait « le rire nous rend libre des malheurs du monde ». Il est vrai qu’il est devenu fou peu après.
A propos d’humoristes, un débat à propos de Dieudonné à l’ULB a donné lieu à une belle foire d’empoigne. « L’humoriste » Dieudonné. Ceux qui le défendent se croient toujours obligés d’ajouter cet adjectif comme si ça faisait plus sérieux !
Mais n’essayez pas de vous moquer de ce type. Ses fans, tous aussi austères que des moines tibétains en lévitation, ont la même réaction face aux critiques que les islamistes devant les caricatures de Mahomet. Peu leur importe que les « sketches » de Dieudonné ont fait l’objet de condamnations pour antisémitisme et diffamation. Et qu’il ne fasse plus rire personne, même pas son copain Jean-Marie Le Pen. Le problème, c’est que ses adversaires non plus n’ont pas l’air très drôle. Pourquoi diable prennent-ils ce triste sire tellement au sérieux ? Bref, quel spectacle : de part et d’autre des gens qui se tapent sur la gueule à propos de l’humour. Les batailles de tartes à la crème de Laurel et Hardy avaient une autre allure.
On ne peut plus rire de rien. Le dernier qui a essayé de se moquer du prophète (enfin de ce prophète-là) n’a eu la vie sauve que grâce à la salle de bains blindée qu’il avait fait installer dans son appartement. Où on va, là ?
C’est peut-être l’automne. Les sanglots longs des violons de l’automne bercent mon cœur d’une langueur monotone. C’est Verlaine, hélas. Pas Alphonse Allais…
Restent heureusement nos hommes et nos femmes politiques, jamais en panne d’une plaisanterie. Quand Bart De Wever fatigue et que Karel De Gucht ne se laisse plus aller à une bonne blague congolaise, c’est Rachida Dati qui a l’amabilité de prendre le relais. Confondre inflation et fellation, même le président de la NVA n’aurait pas osé. Faut dire qu’il est prêt à rire de tout sauf de la langue.

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