CRIS ET CHUCHOTEMENTS

Après l’explosion, le pire est le silence. Le silence, c’est le néant. Il faut refuser le silence, ne pas le laisser s’installer de peur qu’il nous étouffe comme dans un linceul. Maintenant, nous avons besoin de bruit, de musique, de paroles. Du doux murmure des baisers, des mots d’amour, du froissement coquin des tissus. Pas d’invectiver, d’asséner, de sermonner. Non. Mettons-nous à chuchoter, susurrer, gazouiller, caresser, et rire. Surtout rire. Le rire est le propre de l’homme. De l’homme civilisé. L’antidote de la barbarie. Rester debout, droit, face au vandale et ne se plier que pour rire.

« Je jouissais de ce rire comme un chien à qui l’on a donné des coups mais qui reçoit maintenant des caresses » (Joyce Carol Oates), ce qui n’est pas sans rappeler « Je me hâte de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer » (Beaumarchais).

Du bruit comme s’il en pleuvait, s’il vous plaît ! Il faut chanter, se parler, dans toutes les langues de la terre, parler avec les mains et les yeux, se faire du pied (mais doucement, j’ai de nouvelles chaussures !) Mais il faut arrêter de parler de mort, de deuil. Le deuil sied à Electre, pas à Manneken Pis !

Vous allez voir de quoi on est capable, en Belgique, quand on nous bouscule. On va même cesser de se disputer – un court moment- et se parler entre nous, comme si on était enfin tous bilingues, multilingues et cosmopolites et qu’on avait des choses à se dire et surtout à accepter d’entendre. On va débattre ce qui signifie que, pour une fois, on va se mettre à écouter les autres. Bon, après, bien sûr, on reprendra nos habitudes comme un cheval finit toujours par retourner à son écurie même si son maître le maltraite. Mais, autant profiter de ce court moment sans obscénités, sans diktats, sans injures. Un entracte où on n’entendra plus des politiciens qui n’ont rien compris à la démocratie nous asséner leurs petites phrases mortifères genre « Mon cœur saigne » ou  « Je pense qu’il n’y a pas de minorité francophone en Flandre, il y a des immigrants qui doivent s’adapter. On demande cela à des Marocains, des Turcs. On ne leur dit pas: ‘Vous êtes nombreux, donc l’arabe va devenir une langue officielle. » On oubliera aussi « Quand les dégoûtés s’en vont, restent les dégoûtants ». Les auteurs de ces « bons mots » sont un Wallon, un Flamand, un Bruxellois.

Je vous parie qu’on va dialoguer, échanger des mots, des feintes, des vannes, réagir par des sourires. On va se sentir complices, se rendre compte que, on avait failli l’oublier, on est drôlement proches les uns des autres, on aime la même confiture, on partage la même mayonnaise sur les frites, on a la même opinion du Standard, les mêmes préjugés à l’égard du fisc, des flics et des fonctionnaires. La même ironie vis-à-vis des Français et des Hollandais. Et de nous-mêmes. La preuve que nous ne sommes pas seulement un pays; nous sommes aussi une nation. Pas seulement dans la dérision. Mais aussi dans le dérisoire.

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HARA-KIRI & CHARLIE VONT EN BATEAU

« Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes » écrivait Henri Calet. Voilà la phrase qui m’est revenue en apprenant l’attentat contre Charlie Hebdo. Et, en même temps, une autre, de Cabu celle-là : « C’est dur d’être aimé par des cons » (et, comme c’est le prophète qui le dit, ce doit être vrai).

Les grandes plumes de Charlie-Hebdo, c’était ça, un mélange de provoc et d’émotion, d’humour ravageur et d’amour des gens, de la vie, de ce qui est bien.

J’ai découvert leur humour bête et méchant dans les années soixante.

Une époque de rêve pour tous les nostalgiques – ah ! ces fameuses golden sixties ! -, oubliant sa face sombre. La France de ce temps-là s’était totalement momifiée. Elle étouffait sous un régime ronronnant et conservateur, dirigé par un vieil homme autoritaire. Une presse radio-télévisée muselée, une vie politique éteinte, comme une partie des créateurs, secs, sages, soporifiques. Le nouveau roman était une machine à remonter le vide et la nouvelle vague au cinéma avait oublié l’importance des scénaristes.

C’est alors que jaillit Hara-Kiri (suivi après son interdiction par Charlie-Hebdo).

J’ai le souvenir comme ado d’être passé directement de Spirou à Hara-Kiri. Et d’avoir ainsi découvert la force de l’impertinence, l’importance du pied de nez, le droit d’écrire pas très chic mais drôlement choc. Ce fut une gifle, une bouffée d’oxygène à doses massives, un renversement des idées sages que je croyais immuables et dont je ne percevais que confusément qu’il fallait les bousculer, les renverser par la satire et la dérision.

Le professeur Choron me donnait le droit de jeter au feu Butor et Robbe-Grillet. Ouf ! En quelques traits, Cabu rendait si conventionnelles les images de Chabrol et Godard si pompeux et si creux. La liberté, c’était Reiser, Wolinski, Cavanna. La poésie, Gébé ou Fred et tant d’autres. Leur art permettait de remettre à leur juste place Swift et Jarry, Allais et Daumier, leurs glorieux et provocants ancêtres. Quelques années plus tard, j’ai abandonné Charlie Hebdo qui avait perdu de son peps, à son tour momifié – mais pas la plupart des auteurs qui chacun de leur côté continuaient leurs œuvres de destruction massive.

Et puis Charlie est revenu. L’époque avait changé, elle avait à nouveau besoin et d’urgence de leur acide pour trouer les nouveaux conformismes, idées toutes faites, politiquement correctes et autres langues de bois. Philippe Val puis Charb avaient réussi à refaire de Charlie-Hebdo un remède contre les certitudes et misérables fatwa de tous bords. Fous d’Allah autant que fans de Zemmour et d’Houellebecq.

Il a fallu une bande d’abominables cons pour croire qu’ils pouvaient tuer ce remède contre la connerie…

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