SCHILD EN VRIEND

   A présent que la gauche et la droite ont disparu (même à la SNCF et dans le métro parisien où l’on est de gauche puisqu’on fait la grève et de droite car on défend des privilèges exorbitants), on a remplacé les bons vieux slogans militants (« bande de fascistes ») par les expressions politiquement correctes (« Les gilets jaunes avec nous ! »)

  On ne dit plus vacances de Noël mais d’hiver, droits de l’homme mais droits humains, Ramadan en péril mais jeûne en danger, bourgmestre socialiste compromis avec l’extrême droite turque mais homme politique bruxellois issu de la diversité.

  « Tintin au Congo » ne convient plus aux enfants, à réserver aux adultes avertis, doit être versé dans « l’enfer » des bibliothèques, avec quelques centaines d’autres classiques où l’on peut repérer des expressions racistes ou pires (au hasard, Dickens, Simenon, Agatha Christie, Wagner, Céline, Kipling, etc, sans compter évidemment la Bible et le Coran). 

 On doit pratiquer l’« écriture inclusive » car mieux vaut rendre un texte incompréhensible que laisser deviner qu’un mâle blanc tient la plume.  

L’usage du mot « Noir » est déconseillé. Mais, pourquoi l’expression « Black » est-elle branchée ?  

Etrangement, on n’a jamais repoussé Gabriel Matzneff dans l’enfer des bibliothèques ni le personnage dans une cellule. Peut-être parce qu’il ne faisait  pas vraiment de la littérature mais qu’il avait des amis respectables. Salut les copains ! 

Être pédophile n’était pas politiquement incorrect mais la censure, si. Reste que l’on peut s’étonner que personne n’ait pris la défense des enfants dont il a abusés publiquement, certainement pas la justice. Ni son éditeur qui, on le suppose, ne perdait pas son temps à lire son ennuyeux journal. 

 Le plus difficile ces temps-ci c’est le politiquement incorrect vert. Après les incendies en Australie et les prévisions apocalyptiques du GIEC, fini de rigoler avec le climat, l’écologie. Pas question de se moquer de mesures parfois mesquines ou ridicules si elles sont prises au nom du sauvetage de la planète.

 Peut-être qu’on ne sauvera pas les ours blancs ni les koalas, à cause des sceptiques et des cyniques, mais on défendra jusqu’au bout, même quand on aura les pieds dans l’eau et les vêtements en feu, l’obligation de dire « schild en vriend » avec le bon accent. Politiquement correct jusqu’à l’apocalypse…  

Mais il y a encore des bonnes nouvelles. Cette semaine un geste fort venu de Grande-Bretagne. La reine elle-même accepte de briser les chaînes qui l’unissent à son petit-fils favori, Harry, en l’autorisant à vivre ses rêves loin du royal cérémonial. 

Malgré les risques d’initiatives politiquement incorrects du gamin, qui n’en est pas à une incartade près. 

Sacrée Elizabeth II. Elle nous ravira toujours ! 

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MURMURES

Ce que l’on criait en 1989 est devenu murmure trente ans plus tard. Et ce que l’on crie aujourd’hui était à peine balbutiant à la fin des années quatre-vingts.  

 A l’époque, l’Europe aspirait plus que tout aux droits de l’homme. Plus qu’aux revendications sociales et économiques, plus qu’aux exigences éthiques. Liberté ! clamaient les manifestants de Berlin, Prague, Varsovie, Budapest, Bucarest, qui ont réussi l’impensable, la disparition du communisme en trois coups de cuiller à pot ! (Tandis que leurs camarades chinois se faisaient tailler menu sur la place Tienanmen.)  

 A présent, les droits de l’homme semblent passés de mode. Il est même de bon ton chez certains de faire la fine bouche devant ceux qu’ils qualifient de « droit-de-l’hommistes », expression dégueulasse qui justifie le cynisme au nom du soi-disant réalisme. Parmi ces beaux esprits, on trouve pêle-mêle des hommes de droite comme Zemmour ou Nicolas Sarkozy, autant que de gauche tels Badiou, Védrine ou Chevènement. 

   Même notre Ligue des Droits de l’Homme a choisi de masquer ce concept devenu honteux. Elle s’est transformée l’an dernier en Ligue des « Droits humains » (oubliant l’étymologie latine du mot homo, qui n’est pas le mâle, qu’on désignait par le mot vir ! O tempora ! O mores ! ) 

 Ah ! Le mur du politiquement correct, voilà la notion en vogue trente ans après la victoire de la liberté. On doit cacher « Tintin au Congo », effacer la cigarette du portait de Malraux sur les timbres français, fabriquer une orthographe masc.fém. grotesque, éviter toute référence aux vraies merveilles de la civilisation européenne sur les billets d’euros pour ne froisser personne et ne pas remuer l’histoire. 

La caricature est aussi passée au purgatoire. Elle doit éviter d’être « trop », sous peine de ne plus être publiée (le New York Times a supprimé le dessin politique) ou même sous peine de mort. « On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui » disait Pierre Desproges – juste avant la chute du mur, tiens. Trente ans plus tard, n’importe qui peut vous empêcher de rire tout simplement. 

  Le mur de Berlin est tombé, hourrah ! Mais, ne vous en êtes-vous pas aperçu, vous qui faites la fiesta ? il a été reconstruit un peu plus loin, aux frontières de l’Europe. Lorsque l’Union s’est ouverte à la plupart des pays libérés du joug soviétique, on a accueilli leurs citoyens à bras ouverts. Depuis, leurs dirigeants sont parmi les plus acharnés à repousser ceux d’ailleurs, chassés vers notre paradis par la guerre, la barbarie ou la misère. Voilà la seule politique pour laquelle les Européens sont unis : fermer nos frontières.

   L’argent qui servait à réunifier notre continent il y a trente ans sert maintenant à entretenir des prisons. 

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