GOOD NEWS

Vous n’osez plus ouvrir votre journal depuis quelques mois ? Le monde repeint en noir vous prend à la gorge ? Je partage votre sentiment. Et j’ai décidé de vous redonner le goût de l’actualité. Et quelques occasions de vous réjouir de ce début d’année 2015. En oubliant les attentats, les catastrophes, les meurtres et les guerres aux portes de l’Europe. Oui, il y a aussi de bonnes nouvelles.

Tenez. Les vacances de Bart De Wever. Parti aux sports d’hiver avec sa joyeuse famille, le président de la N-VA a réussi à n’agresser personne pendant toute une semaine. Entouré par un escadron entier de policiers, même s’il avait glissé sur la poudreuse, notre génie des Carpates et des Alpes réunies se serait heurté à un véritable mur humain. Tandis que quatre véhicules blindés, également envoyés de Bruxelles, l’empêchaient de se jeter sur d’autres skieurs. Le ministre de l’intérieur, décidément très prévoyant, avait même ordonné que l’escorte soit armée, ce qui aurait permis de l’abattre s’il n’y avait vraiment rien d’autre à faire pour maintenir intacte l’image de la Belgique.

Autre bonne nouvelle, l’indice électricité est au vert, comme le répète matin, midi et soir le bulletin météo.

Cet indice tout neuf, créé spécialement pour sortir les déprimés de leur torpeur, ne sert à rien. Il ne passera au rouge que si une succession d’attentats coordonnés faisaient sauter toutes les centrales en même temps une nuit de grand gel. Mais l’astuce est d’avoir compris combien il était rassurant pour l’auditeur d’entendre une non-information. Par les temps qui courent, le fait qu’il ne se soit rien passé est déjà une bonne nouvelle. Quel truc diabolique, ce fameux indice ! Les têtes pensantes d’Electrabel méritent l’oscar du meilleur scénario. Jamais plus, le gouvernement n’osera toucher à ses privilèges ou à une seule pièce d’or de son trésor de guerre. Sinon, gare ! L’indice passera à l’orange et, si votre sale main publique continue à fouiller ma poche, au rouge. Et là, panique garantie !

Mais que faire pour maintenir la bonne humeur lorsque l’hiver sera fini ? Avec l’arrivée du printemps, je suggère dans la même veine l’indice bourgeon vert. Là non plus, on ne court aucun risque. Dès la fin du mois, la météo annoncera l’arrivée de nouveaux bourgeons dans nos parcs et nos jardins. D’abord à la mer puis, peu à peu, le bonheur gagnera tout le pays. On peut faire illusion facilement pendant un mois. Après, faisons confiance à Electrabel. Elle trouvera autre chose pour faire peur. A moins que les banques ne sortent à leur tour de leur chapeau une idée lumineuse. Elles sont aussi imaginatives que notre électricien quand il s’agit de secouer les caisses de l’état.

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L’OR SE BARRE

Comme tout le reste, certains sports disparaissent en douce des tablettes olympiques. Pourquoi ? Mystère. A la trappe : le dressage des chevaux, le tir à la corde, le croquet, le criquet, la crosse, la pelote basque, le tir à aux pigeons ou le tandem à vélo.

A Rio en 2016, on annonce la disparition d’un des rares sports où la Belgique pouvait encore espérer décrocher l’or, la fraude fiscale.

Sauf à rêver que dans cinq ans, la Suisse, Monaco ou mieux le Liechtenstein soient désignés pour organiser les Jeux, on peut craindre que cette discipline va tomber à son tour aux oubliettes. Ou que, comme le tir aux pigeons, il ne s’exerce plus qu’en petit comité (non olympique), loin des foules, de la gloire et des récompenses. Si l’on ne peut plus toucher ni intérêts ni dividendes des investissements auxquels on a consenti pour être le meilleur au monde, à quoi bon encore concourir ?

Pendant des années pourtant, la fraude fiscale a été chez nous non seulement un sport reconnu mais surtout une activité largement populaire. Le train des petits porteurs partait plusieurs fois par jour de la gare du Luxembourg devant une foule ravie. Ne restent plus aujourd’hui que les restaurateurs pour tenter un dernier baroud d’honneur mais leurs lamentations ne remuent plus personne. Laissez-nous notre noir, crient-ils dans le désert. En vain.

Il est d’ailleurs assez piquant que l’administration fiscale ait baptisé de « boîte noire » la caisse « intelligente » qui enregistre leurs opérations alors que ce mot désignait jusqu’ici le tiroir dans lequel le taulier glissait les billets ni vus ni connus…

Votre journal favori a passé en revue cette semaine la liste de plusieurs de nos médaillés qui ont fait jadis la fierté de notre sport national. C’était peut-être une erreur de donner aux jeunes de si beaux exemples de réussite et de gloire d’artistes ou d’entrepreneurs partis de rien et devenus des vedettes dans leur domaine.

Heureusement, il nous reste quelques héros étrangers, venus notamment de France, attirés par l’expérience de nos coachs, la facilité de développer chez nous leur sport favori, sans compter, en cas de fatigue, la possibilité de trouver facilement quelques gouttes de pot belge.

Reste aussi un tas d’entreprises et de sociétés, surtout parmi les plus opulentes, qui poursuivent le plus légalement du monde cette grande tradition séculaire avec la bénédiction de nos autorités fiscales. On peut même parler d’un véritable sponsoring de leur part puisque certains bénéficiaires du « ruling » ont pu exonérer 90 % de leurs bénéfices en principe taxables.

Allez ! Les supporters ont encore de beaux jours devant eux. «  Waar is da feestje? Hier is da feestje.» «Tous ensemble tous ensemble hey hey hey !»

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LA LISTE DE MES ENVIES

En ces temps indécis, le réflexe naturel est de chercher au cinéma (comme dans les livres) l’explication de nos tourments, le mode d’emploi pour en sortir ou pour se sentir moins seuls. Mais, si le cinéma a souvent été le miroir du monde, il ne faut pas lui demander de réfléchir. Les films – ou livres – à messages sont généralement insupportables. Il est déconseillé de s’asseoir dans une salle de cinéma en agitant un écriteau. C’est inutile parce qu’il fait noir et puis ça gêne la vue des autres spectateurs.

Hitchcock disait qu’un film n’est réussi que si le méchant est réussi. C’est dire qu’il ne faut rien attendre d’un cinéma pavé de bonnes intentions…

Rien, vraiment ? Comme je suis aussi avocat, je m’empresse de soutenir à présent la thèse contraire !

Tenez, l’un des plus beaux films de 2014 (en lice pour l’Oscar du Meilleur film étranger) s’appelle « Ida » du Polonais Pawel Pawlikowski. Le film relate la recherche d’identité d’une jeune fille. Lorsqu’elle décide d’entrer dans les ordres, elle apprend soudain qu’elle est juive. Une mémoire effacée de force par sa propre famille. Comment doit-elle réagir ? Garder le couvercle fermé et oublier à son tour ce passé qui dérange l’ordre établi ou au contraire s’y plonger ? Y a-t-il sujet plus contemporain» ? Or, au lieu d’être un film à thèse, « Ida » est une œuvre magique pleine d’interrogations, de poésie et de tendresse malgré la noirceur du propos, une noirceur à faire grincer des dents.

Ce qu’on peut dire aussi de « Timbuktu » d’Abderrahmane Sissako (en course pour les Césars) ? Et ajouter que dans ce film-là, en plus, le méchant est réussi… Et que cette crapule-là, hélas, a encore de beaux jours devant lui pour animer des suites, remakes et autres retours…

La corruption, autre thème d’une terrible actualité (et pas seulement en Russie) est le sujet de « Leviathan » d’Andrey Zvyagintsev, nominé aux Oscars (mais pas diffusé dans son propre pays). Il concourt en lice avec l’incroyable « Relatos salvajes » de l’Argentin Damián Szifron (toujours sur nos écrans), une fable dangereusement hilarante et foutrement angoissante sur la violence dans nos relations quotidiennes.

Si le cinoche regarde notre monde tourmenté, que fait dans la sélection des Oscars (et c’est bien mérité !) le dernier film de Wes Anderson « The Grand Budapest Hôtel » ? Avec ce délicieux défilé d’images délirantes, fantaisistes et hors du temps, on semble cette fois loin du cinéma à thèse. Détrompez-vous ! L’univers de ce film faussement désuet et drôlement moderne rappelle singulièrement qu’on n’est jamais vraiment sorti de la terreur des années trente, celle qu’on lit dans les romans de Stefan Zweig, de Graham Greene ou d’Eric Ambler. Comme quoi, plus les choses sont graves, plus on rit…

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UNE HEROÏNE A DOUBLE NATIONALITE

Il est des moments où les hommes politiques ne brillent que s’ils ferment leur gueule. Mais, pour la plupart d’entre eux, c’est un effort insurmontable.

En comparant la déchéance de la nationalité belge de terroristes reconnus comme criminels à la déchéance de la nationalité française des Juifs par l’Allemagne nazie et le régime de Vichy pendant la seconde guerre mondiale, Rudi Vervoort n’a pas seulement fait preuve d’une stupide maladresse. Il est surtout tombé dans le panneau tendu par les Djihadistes : se faire passer pour des victimes.

C’est cette confusion qui est peut-être le plus insupportable dans les propos du président de Bruxelles : confondre le sort de vraies victimes de régimes fascistes avec celles de criminels condamnés par les tribunaux d’une démocratie.

Le bourreau repeint en victime, cette confusion hélas est à la mode. Le kamikaze qui se fait exploser au milieu de civils, dans un bus ou un marché, est célébré par certains comme un martyr, son nom honoré sur les réseaux sociaux, sa photo portée comme un trophée par des foules égarées. Tandis que ses victimes, surtout si elles sont nombreuses, forment une masse floue, indistincte, qu’on enterre discrètement comme si on devait être honteux de leur sort.

Dans la même veine, les assassins de Paris, de Toulouse ou de Bruxelles sont transformés en héros par quelques débiles qui se croient « radicaux » parce qu’ils affichent leurs effigies sur le T-shirt.

Jadis, les méchants assumaient leurs desseins diaboliques. On imagine mal Staline, Hitler ou Milosevic invoquer leur enfance difficile. Aujourd’hui, c’est la société elle-même qui paraît excuser les pires dérives. Comme si elle s’étouffait dans un sentiment de culpabilité. Le bourreau a par définition été élevé par une vilaine famille d’accueil, le coupeur de tête n’a pas vu son génie récompensé par son instituteur.

Si tous les laissés pour compte de la Terre devenaient assassins, il ne nous resterait plus qu’à filer dare-dare dans la fusée Rosetta pour finir des jours ensoleillés sur la comète 67P.

Autre solution, pour ceux qui ont le mal de l’air, lire toutes affaires cessantes, « Americanah », portrait d’une jeune femme qui explore ses deux nationalités avec gourmandise et dérision, malgré les énormes difficultés de naître noire et africaine sur une planète dominée par les Blancs. Son appétit de vivre, malgré sa situation précaire, sa personnalité de vraie combattante, quel remède de choc aux gémissements ambiants ! Passant du Nigeria à l’Amérique d’Obama avant de revenir dans sa terre natale, plus forte, plus drôle et plus incisive que jamais. Ce roman est signé Chimamanda Ngozi Adichie, un nom plus difficile à prononcer que celui de Rudi Vervoort mais que vous n’oublierez jamais.

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DANS LE COCHON, TOUT EST BON !

Nous sommes tous Charlie mais surtout, ne le dites pas trop fort.

Quand le bourgmestre de Welkenraedt crie : vive la liberté d’expression, il veut dire : à Paris. Dans sa bonne ville, c’est différent. L’expo consacrée à la censure a été fermée sur son ordre quelques heures après son ouverture. Sans la moindre menace ni l’ombre d’un djihadiste dans les rues. Cela s’appelle le principe de précaution. Et c’est contagieux. Une expo Charlie au Musée Hergé suspendue après la visite du maïeur d’Ottignies-LLN, accompagné du chef de la police, un festival de cinéma (où l’on projetait « Timbuktu » ou le nouveau film de Marjane Satrapie) interrompu à Tournai par la le maïeur et la police fédérale…

Si les autorités communales et policières font maintenant le boulot des fous de Dieu, les islamistes sont bons pour le chômage…

Reste à annuler les prochaines élections – pour éviter le désordre si la majorité n’est pas reconduite-, condamner les bibliothèques (tous les livres ne contiennent-ils pas des passages qui pourraient heurter la susceptibilité de l’une des millions de minorités de la planète ?) et supprimer l’enseignement obligatoire. Pour empêcher les terroristes en herbe de déchiffrer le mode d’emploi des armes vendues en toute légalité par la F.N.

On s’étonne d’ailleurs que la fermeture des écoles ne fasse pas partie de la panoplie des mesures prises par le gouvernement Michel alors que son impact soulagerait les budgets des communautés.

Hélas, le ver du terrorisme n’est-il pas déjà dans la pomme de Welkenraedt ?

 « De tout temps, les hommes se sont heurtés à un ennemi redoutable : la censure » déclare le site de la « bibliothèque insoumise » (sic) de Welkenraedt. Une vraie provocation…

Cela rappelle la décision prise il y a quelques années par le bourgmestre de Marche, qui avait interdit les représentations de « La Terre » … d’Emile Zola ! Trop osé pour ses administrés, trancha le maïeur – aussi ministre de la culture ! Et le brave homme de déclarer benoîtement au micro d’une journaliste, que lui irait voir la pièce, bien sûr. Mais à Bruxelles !

Jusqu’où s’applique le « principe de précaution » ? La prestigieuse maison d’édition britannique Oxford University Press vient de bannir cochons et saucisses de ses livres pour « ne pas froisser juifs et musulmans ». En revanche, les loups, l’ennemi juré des trois petits cochons, ne sont pas visés. Trop tard, il est vrai : les loups sont entrés dans Paris.

Dans la foulée, on devrait effacer tous les autres animaux pour ne pas heurter les bouddhistes et couper les dialogues au cinéma et au théâtre pour respecter ceux qui font vœu de silence.

Pourquoi ne pas supprimer la télévision, Internet et autres réseaux d’images, ce qui ne signerait pas nécessairement le recul de la civilisation ?

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PRO – FÊTES

A quoi ressemble cette fichue querelle autour du prophète, bon Dieu ? Les pour, les contre s’affrontent avec tant de rage et une telle mauvaise foi que je ne m’y retrouve pas. Pour être franc, ce sont surtout ceux qui sont contre que je ne comprends pas. Car moi, je serais plutôt pro-fête. Et je ne vois pas pourquoi ceux qui préfèrent méditer seuls se permettent d’empêcher les autres de faire la nouba.

Que des croyants énervés ne me jettent pas la première pierre – ni le reste du tas. Fête et prophète font parfaitement la paire. C’est ce que révèlent les textes sacrés si on prend la peine de les lire.

L’Islam, comme le judaïsme, célèbrent Aaron, le frère de Moïse et de Myriam. Or, qu’est-ce qui a rendu ce type célèbre ? D’avoir profité de l’absence de son frère, parti chercher les tables de la loi, pour organiser une gigantesque party au cours de laquelle, dit la Bible, « Le peuple s’assit pour manger et pour boire; puis ils se levèrent pour se divertir » et pour fabriquer un veau d’or en fondant tous les bijoux de l’assistance (Exode, 32).

Passons sur Moïse, nettement moins gai que son frère. Les dix plaies d’Egypte, l’exode dans le Sinaï, le massacre de différentes tribus. Pour en venir à Abraham, prophète-clé de toutes les religions monothéistes. Sa vie sexuelle est un exemple pour la jeunesse, surtout la jeunesse pieuse. Adepte du ménage à trois, Abraham vit avec sa femme, Sarah, et sa servante Agar, devenue sa maîtresse. Bon, c’est vrai. Entre les deux gamines, il y a parfois une sacrée électricité dans l’air. Mais pas au point d’empêcher notre Abraham de faire la fête et des enfants à l’une et à l’autre. Puis de faire passer Sara pour sa sœur auprès du roi, qui la prend aussitôt pour épouse. Joyeuse époque. Comme celle de David. Deuxième roi d’Israël et prophète de la religion musulmane, en voilà encore un qui n’a pas vraiment vécu comme un moine. Il chante, il danse, il boit. Il séduit les femmes. Toutes plus belles et plus attirantes, dont la célèbre Bethsabée, l’épouse d’un de ses officiers. Qu’il envoie en première ligne, en guise de remerciement, où il se fera abattre. Morale de l’histoire, Dieu n’est pas content du comportement de David, pas du tout. Mais il lui pardonne. Quelques-uns devraient en prendre de la graine, tiens.

Comme quoi, ceux qui affirment de manière péremptoire qu’ils représentent Dieu ou ses prophètes feraient bien, avant d’étudier le mode d’emploi du kalachnikov, d’abord d’apprendre à lire puis se pencher sur les textes sacrés de leur religion, dont manifestement ils n’ont pas appris le premier mot.

« Si Dieu le voulait, tous les hommes de la terre seraient croyants. Est-ce à toi de contraindre les hommes à devenir croyants ? » (Coran, X, 99).

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HARA-KIRI & CHARLIE VONT EN BATEAU

« Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes » écrivait Henri Calet. Voilà la phrase qui m’est revenue en apprenant l’attentat contre Charlie Hebdo. Et, en même temps, une autre, de Cabu celle-là : « C’est dur d’être aimé par des cons » (et, comme c’est le prophète qui le dit, ce doit être vrai).

Les grandes plumes de Charlie-Hebdo, c’était ça, un mélange de provoc et d’émotion, d’humour ravageur et d’amour des gens, de la vie, de ce qui est bien.

J’ai découvert leur humour bête et méchant dans les années soixante.

Une époque de rêve pour tous les nostalgiques – ah ! ces fameuses golden sixties ! -, oubliant sa face sombre. La France de ce temps-là s’était totalement momifiée. Elle étouffait sous un régime ronronnant et conservateur, dirigé par un vieil homme autoritaire. Une presse radio-télévisée muselée, une vie politique éteinte, comme une partie des créateurs, secs, sages, soporifiques. Le nouveau roman était une machine à remonter le vide et la nouvelle vague au cinéma avait oublié l’importance des scénaristes.

C’est alors que jaillit Hara-Kiri (suivi après son interdiction par Charlie-Hebdo).

J’ai le souvenir comme ado d’être passé directement de Spirou à Hara-Kiri. Et d’avoir ainsi découvert la force de l’impertinence, l’importance du pied de nez, le droit d’écrire pas très chic mais drôlement choc. Ce fut une gifle, une bouffée d’oxygène à doses massives, un renversement des idées sages que je croyais immuables et dont je ne percevais que confusément qu’il fallait les bousculer, les renverser par la satire et la dérision.

Le professeur Choron me donnait le droit de jeter au feu Butor et Robbe-Grillet. Ouf ! En quelques traits, Cabu rendait si conventionnelles les images de Chabrol et Godard si pompeux et si creux. La liberté, c’était Reiser, Wolinski, Cavanna. La poésie, Gébé ou Fred et tant d’autres. Leur art permettait de remettre à leur juste place Swift et Jarry, Allais et Daumier, leurs glorieux et provocants ancêtres. Quelques années plus tard, j’ai abandonné Charlie Hebdo qui avait perdu de son peps, à son tour momifié – mais pas la plupart des auteurs qui chacun de leur côté continuaient leurs œuvres de destruction massive.

Et puis Charlie est revenu. L’époque avait changé, elle avait à nouveau besoin et d’urgence de leur acide pour trouer les nouveaux conformismes, idées toutes faites, politiquement correctes et autres langues de bois. Philippe Val puis Charb avaient réussi à refaire de Charlie-Hebdo un remède contre les certitudes et misérables fatwa de tous bords. Fous d’Allah autant que fans de Zemmour et d’Houellebecq.

Il a fallu une bande d’abominables cons pour croire qu’ils pouvaient tuer ce remède contre la connerie…

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PAILLETTES

L’effondrement à Mons du château d’allumettes d’Arne Quinze –le bien nommé- est-il un signe prémonitoire de l’année nouvelle ?

Je refuse de le croire. J’ai toujours fait confiance à Madame Soleil plutôt qu’à Dame Lune.

Même si 1915 est l’année terrible du génocide arménien, qu’un siècle plus tard les autorités turques sont toujours incapables d’assumer.

Mais Quinze ne signifie pas toujours des catastrophes – même en art. Il a parfois été un excellent millésime. Tenez, 1515, la seule date que j’ai réussi à retenir de mes cours d’histoire, célèbre une belle victoire, Marignan. Bien sûr, s’il y a un vainqueur –François 1er– il y a un vaincu. Mais qui sait encore que ce sont les Suisses qui ont perdu ? Depuis, il se sont refaits une telle santé qu’on peut se réjouir sans arrière-pensée de la victoire française.

Autre date historique sympathique, 1815. Ah ! Cette fois, les Français se font massacrer à Waterloo – et à Braine l’Alleud, où on va fêter ça. On pourrait croire que nous sommes peu cohérents. Mais, des types comme Napoléon, on en a trop supporté au cours des siècles pour pleurer sur la perte de son chapeau. Et surtout imaginez la situation de notre beau pays si l’empereur avait gagné. Quelques départements, perdus quelque part au nord du Nord. Songez aux conséquences. Paris n’aurait jamais accepté un Atomium ni consacré de budget à développer de grands musées à Bruxelles. On parlerait la langue de Hollande à Anvers. Hugo Claus et Tom Lanoye seraient des écrivains français et Bart De Wever disputerait le leadership de l’UMP à Nicolas Sarkozy. Quant à Elio Di Rupo, après avoir réussi à savonner la planche de Martine Aubry et de François Hollande, il serait devenu le premier président socialiste français d’origine wallonne. Mons devenant la deuxième ville de France. Pour célébrer l’événement, le président socialiste français aurait demandé à Arne Quinze de construire une sculpture célébrant le centenaire de l’alliance définitive entre les départements belges et français. Hélas, le château d’allumettes se serait effondré à la suite d’un attentat des « confédéralistes belges anti-républicains» qui réclament la totale autonomie de la Belgique. Etrangement, les terroristes célèbreraient l’événement en chantant le grand air de la Muette de Portici, opéra pourtant bien oublié du XIX ème siècle, sur la suggestion de leurs alliés hollandais (je veux dire les partisans de François Hollande qui n’ont jamais pardonné à Elio ce qu’ils appellent sa « trahison »). Pour rétablir l’ordre et éviter la guerre civile, Bart De Wever prendrait le pouvoir à Paris – tout en se prenant pour Napoléon. Voilà comment l’unité de la république aurait été préservée…

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ADIOS SOCIAL CLUB !

Obama a-t-il rendu service aux Castro ? Pas sûr. Qu’est-ce qui rendait encore Cuba si attirant ? Les illusions de la révolution s’étaient dissipées depuis longtemps. Prisonniers politiques, économie en miette à cause de sa soviétisation (bien plus que par le blocus), corruption, émigration en masse, dictature hispanique de gauche qui n’avait rien à envier à celles de droite. Ce n’est pas ce régime pourri qui séduisait à Cuba mais le fait qu’il soit moisi. La chance de Cuba, c’était de s’être arrêtée dans le temps. Visiter Cuba, c’était un retour dans les Antilles années cinquante, avec ses bâtiments baroques en ruines, ses délirantes voitures à moitié déglinguées sorties tout droit de American Graffiti, ses musiques et ses rythmes d’autrefois, mambo, mambo. Ses chanteurs célèbres étaient des vieillards, ses dirigeants politiques aussi. Les uns avaient été contemporains de Xavier Cugat et les autres avaient dialogué avec le président Kennedy. Se promener dans La Havane, c’était comme un retour dans le forum à Rome, un saut dans Berlin-est époque Honecker, une plongée vintage et nostalgique dans une époque ailleurs disparue.

Si Cuba devient une île des Caraïbes aussi banale que les autres, pourquoi aller encore à Cuba ? A New York, ses cigares ne s’échangeront plus clandestinement au prix de la cocaïne et à La Havane, on roulera en Toyota et en Opel comme à Genk et à Maubeuge.

C’est sûr, le secteur du tourisme de Cuba aura bien du souci à se faire à cause de l’ambition d’Obama d’entrer à peu de frais dans l’Histoire. D’Obama mais surtout du pape François.

D’après ce qu’on lit, l’intervention du premier pape sud américain a été décisive dans la décision de remettre Cuba dans l’histoire moderne. A la mesure du rôle de Jean-Paul II dans l’effondrement du mur de Berlin et de l’ensemble du régime soviétique en Europe.

Petite suggestion : la prochaine fois, le conclave pourrait peut-être choisir un pape islamique, façon de balayer quelques autres régimes abominables qui ravagent la planète.

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PS : Magnifique coïncidence, la récente sortie du très beau film de Laurent Cantet sur un scénario de l’écrivain Leonardo Padura « Retour à Ithaque ». Portrait du désenchantement de la « génération perdue », ces jeunes Cubains des années 60, illusionnés par les slogans de Castro et Guevara, qui sont passés à côté de leur vie.

Et, à lire, Sanctuary V de Bud Schulberg, qui raconte les premiers mois du régime Castro, et déjà ses premières fissures qui entraîneront le peuple à se soumettre au gran Chingon, la raison du plus fort. Ce superbe roman, paru aux Etats-Unis en 1969, n’a été traduit en France qu’en 2005. Eternel aveuglement des intellectuels français.

MARCHE OU GREVE

Pourquoi seul le chroniqueur du « Soir » ne peut-il faire grève ? Les cheminots, les travailleurs de Delhaize, les profs, les dockers, les coiffeuses, même les sportifs, les juges et les avocats, et parfois même les chauffeurs des TEC, tout le monde a le droit de se croiser les bras une fois par semaine ou presque, et de transformer l’entrée des bureaux, des zonings et des magasins en BQ géants devant de joyeux braséros. Tout le monde sauf les chroniqueurs du « Soir » ? D’accord, je n’aime pas les BQ, les chipolatas carbonisées d’un côté et crues de l’autre mais je suis prêt à n’avaler que des pommes de terre en vidant une petite mousse – les grévistes savent pourquoi. Mais non, impossible. Faire la grève pour moi signifierait me mettre devant la porte de mon propre bureau avec un grand panneau « Bas la plume, chroniqueurs ! » pour m’empêcher moi-même d’entrer. La schizophrénie a ses limites.

Quelqu‘un me fait remarquer que je ne suis pas le seul à travailler les jours de farniente : les ministres non plus n’arrêtent jamais. Une grève des ministres ? Ce serait le chaos, disent-ils. Si Jambon faisait la grève de la faim chaque fois que tante Laurette lui rentre dans le lard, il ne lui resterait que la peau sur les os. Et Charles Michel ? Obligé de courir avec des seaux d’eau à chaque jet de flèche incendiaire, matin, midi et soir, sous peine de se retrouver avec quinze petits tas de cendres en guise de ministres.

Alors, ministre et chroniqueur, même combat ? Il y a des points communs, je le reconnais : mieux vaut être bilingue, prendre le public à témoin, avoir la dent dure mais éviter d’être blessants. Il y a tout de même quelques différences : à ma connaissance, aucun chroniqueur n’est payé par le contribuable, ni n’a droit à une voiture avec chauffeur. Aucun surtout n’a jamais vu sa chronique publiée dans Le Moniteur belge.

Mais, à bien y réfléchir, une grève des ministres, serait-ce vraiment un désastre ? Le monde politique n’a jamais été aussi populaire que pendant les 541 jours où il a laissé la Belgique tranquille, je veux dire sans gouvernement. Pas de guerre picrocholine entre gauche et droite, entre Flamands et francophones, entre Clochemerle et Merlecloche, même pas de guerre du tout. Bien sûr, sans exécutif, le pays n’aurait pas d’impôt sur le capital mais il n’y en a pas. Ni de musée d’art moderne. Mais est-ce plus malin  d’en avoir trois ? On éviterait le saut d’index mais, tenant compte du taux d’inflation et surtout de la manipulation du « panier de la ménagère » par le précédent gouvernement, qui s’en apercevrait ? Le principal avantage d’un arrêt de travail des ministres, c’est qu’ils seraient seuls en grève. Contre qui protester si les chefs restent dans les bras de Morphée ?

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