HOU !

Si vous aimez la musique de l’Amérique triomphante des années cinquante, ne manquez pas la réédition en un coffret de plusieurs albums de Rosemarie Clooney – oui, la tante de George-who else ? Elle fut une grande star à l’époque, qui enregistra du jazz (un magnifique album avec Duke Ellington) mais surtout de la variété avec grand orchestre et plein de cuivres. La voix grave et fraîche, entraînante et pétillante, elle se mit aussi aux rythmes à la mode, mambo et cha-cha-cha, qui la firent grimper en tête des hit-parades.

Avec les années soixante, les musiciens ont dû abandonner la musique sud-américaine. La « nouvelle vague » ne jurait plus que par le twist, le jerk et autres rythmes yéyé. Les goûts changent. Hier, dans le vent et si vite ringard. Bon gré, mal gré, tous les musiciens de l’époque ont changé de partitions sauf un, celui qui était chargé dans les orchestres de crier « hou ! » entre deux mesures pour relancer le rythme du mambo ou du cha-cha-cha. Un homme impossible à recaser. En réécoutant ce coffret, je songe avec nostalgie à ce musicien oublié, ce figurant essentiel laissé sur le carreau, sa seule spécialité ayant été balayée par la loi cruelle de la mode.

A-t-il trouvé un autre job ou a-t-il connu le destin de Johnny Weissmuller, abandonné par ses producteurs comme un jouet cassé lorsqu’il était devenu trop vieux pour jouer Tarzan et qui passait ses nuits à lancer son fameux cri dans les clubs de L.A. puis dans l’asile de fous où il avait été enfermé ?

A chaque génération, dans chaque métier, il y a un type qui fait « hou ! », un homme ou une femme qui connaît un bref moment de gloire avant de sombrer dans l’oubli, inutile et obsolète.

En politique, ce destin guette tous ceux qui ont semblé un moment porté par le courant vers les étoiles et qui sont retombés tout aussi sec dans la poussière. Leur discours enflamme les foules et, soudain, on ne sait trop pourquoi, il sonne creux. Jean-Marie Dedecker, par exemple, ceinture noire du populisme en Flandre, a fait « hou » (et même « hou ! hou ! fais-moi peur ! ») deux ou trois saisons avant de quitter le tatami, remplacé dans le rôle par Bart De Wever, qui chante la même chanson mais qui a délaissé le « hou ! » d’un autre temps pour un branding up to date. Ou Steve Stevaert, papillon éphémère et tragique du néo-socialisme flamand, qui s’est étalé quand il a tenté le grand écart entre la gauche de jadis et une espèce de libéral-modernisme aux contours flous.

On croise les doigts pour qu’Hillary Clinton ne connaisse pas un tel destin. Elle qui clame haut et fort : Allez, les filles ! On arrive, on se retrousse les manches et on dit aux mecs, bougez-vous de là ! Vous avez crié Hou ! trop longtemps !

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Obama a-t-il rendu service aux Castro ? Pas sûr. Qu’est-ce qui rendait encore Cuba si attirant ? Les illusions de la révolution s’étaient dissipées depuis longtemps. Prisonniers politiques, économie en miette à cause de sa soviétisation (bien plus que par le blocus), corruption, émigration en masse, dictature hispanique de gauche qui n’avait rien à envier à celles de droite. Ce n’est pas ce régime pourri qui séduisait à Cuba mais le fait qu’il soit moisi. La chance de Cuba, c’était de s’être arrêtée dans le temps. Visiter Cuba, c’était un retour dans les Antilles années cinquante, avec ses bâtiments baroques en ruines, ses délirantes voitures à moitié déglinguées sorties tout droit de American Graffiti, ses musiques et ses rythmes d’autrefois, mambo, mambo. Ses chanteurs célèbres étaient des vieillards, ses dirigeants politiques aussi. Les uns avaient été contemporains de Xavier Cugat et les autres avaient dialogué avec le président Kennedy. Se promener dans La Havane, c’était comme un retour dans le forum à Rome, un saut dans Berlin-est époque Honecker, une plongée vintage et nostalgique dans une époque ailleurs disparue.

Si Cuba devient une île des Caraïbes aussi banale que les autres, pourquoi aller encore à Cuba ? A New York, ses cigares ne s’échangeront plus clandestinement au prix de la cocaïne et à La Havane, on roulera en Toyota et en Opel comme à Genk et à Maubeuge.

C’est sûr, le secteur du tourisme de Cuba aura bien du souci à se faire à cause de l’ambition d’Obama d’entrer à peu de frais dans l’Histoire. D’Obama mais surtout du pape François.

D’après ce qu’on lit, l’intervention du premier pape sud américain a été décisive dans la décision de remettre Cuba dans l’histoire moderne. A la mesure du rôle de Jean-Paul II dans l’effondrement du mur de Berlin et de l’ensemble du régime soviétique en Europe.

Petite suggestion : la prochaine fois, le conclave pourrait peut-être choisir un pape islamique, façon de balayer quelques autres régimes abominables qui ravagent la planète.

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PS : Magnifique coïncidence, la récente sortie du très beau film de Laurent Cantet sur un scénario de l’écrivain Leonardo Padura « Retour à Ithaque ». Portrait du désenchantement de la « génération perdue », ces jeunes Cubains des années 60, illusionnés par les slogans de Castro et Guevara, qui sont passés à côté de leur vie.

Et, à lire, Sanctuary V de Bud Schulberg, qui raconte les premiers mois du régime Castro, et déjà ses premières fissures qui entraîneront le peuple à se soumettre au gran Chingon, la raison du plus fort. Ce superbe roman, paru aux Etats-Unis en 1969, n’a été traduit en France qu’en 2005. Eternel aveuglement des intellectuels français.