MARCHE OU GREVE

Pourquoi seul le chroniqueur du « Soir » ne peut-il faire grève ? Les cheminots, les travailleurs de Delhaize, les profs, les dockers, les coiffeuses, même les sportifs, les juges et les avocats, et parfois même les chauffeurs des TEC, tout le monde a le droit de se croiser les bras une fois par semaine ou presque, et de transformer l’entrée des bureaux, des zonings et des magasins en BQ géants devant de joyeux braséros. Tout le monde sauf les chroniqueurs du « Soir » ? D’accord, je n’aime pas les BQ, les chipolatas carbonisées d’un côté et crues de l’autre mais je suis prêt à n’avaler que des pommes de terre en vidant une petite mousse – les grévistes savent pourquoi. Mais non, impossible. Faire la grève pour moi signifierait me mettre devant la porte de mon propre bureau avec un grand panneau « Bas la plume, chroniqueurs ! » pour m’empêcher moi-même d’entrer. La schizophrénie a ses limites.

Quelqu‘un me fait remarquer que je ne suis pas le seul à travailler les jours de farniente : les ministres non plus n’arrêtent jamais. Une grève des ministres ? Ce serait le chaos, disent-ils. Si Jambon faisait la grève de la faim chaque fois que tante Laurette lui rentre dans le lard, il ne lui resterait que la peau sur les os. Et Charles Michel ? Obligé de courir avec des seaux d’eau à chaque jet de flèche incendiaire, matin, midi et soir, sous peine de se retrouver avec quinze petits tas de cendres en guise de ministres.

Alors, ministre et chroniqueur, même combat ? Il y a des points communs, je le reconnais : mieux vaut être bilingue, prendre le public à témoin, avoir la dent dure mais éviter d’être blessants. Il y a tout de même quelques différences : à ma connaissance, aucun chroniqueur n’est payé par le contribuable, ni n’a droit à une voiture avec chauffeur. Aucun surtout n’a jamais vu sa chronique publiée dans Le Moniteur belge.

Mais, à bien y réfléchir, une grève des ministres, serait-ce vraiment un désastre ? Le monde politique n’a jamais été aussi populaire que pendant les 541 jours où il a laissé la Belgique tranquille, je veux dire sans gouvernement. Pas de guerre picrocholine entre gauche et droite, entre Flamands et francophones, entre Clochemerle et Merlecloche, même pas de guerre du tout. Bien sûr, sans exécutif, le pays n’aurait pas d’impôt sur le capital mais il n’y en a pas. Ni de musée d’art moderne. Mais est-ce plus malin  d’en avoir trois ? On éviterait le saut d’index mais, tenant compte du taux d’inflation et surtout de la manipulation du « panier de la ménagère » par le précédent gouvernement, qui s’en apercevrait ? Le principal avantage d’un arrêt de travail des ministres, c’est qu’ils seraient seuls en grève. Contre qui protester si les chefs restent dans les bras de Morphée ?

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BART AU BOIS DORMANT

 

Quand ma maman me lisait « La Belle au Bois dormant », je restais toujours sur ma faim. L’histoire se terminait au moment où le prince donnait un baiser à la Belle. Elle se réveillait, ils tombaient dans les bras l’un de l’autre. Et, hop ! Rideau ! Or, je le sentais bien, après la fin, l’histoire ne faisait que commencer. Voilà comment, docteur Freud, on fabrique des générations d’enfants frustrés.

Je ne sais pas si madame De Wever racontait aussi ce beau conte à son fils, Bartje, – et quelles séquelles il en a gardé – mais, consciemment ou non, devenu grand, le voilà en train de rejouer la belle aventure de Belle au Bois dormant. Et surtout de la compléter. Sacré Bart ! Il va décomplexer les petits flamands !

Dans sa version, revue et corrigée, l’intrigue a un peu évolué. Changement d’époque oblige. La révolution sexuelle est passée par là, au lieu de se taper une princesse, prince Bart doit s’en farcir six. On espère que l’homme a du tempérament. Comme dans la version originale, elles dorment depuis que la mauvaise fée leur a lancé un sort mais certaines ont le sommeil plus agité que d’autres. Charles Michel est hyperkinétique même quand il rêve (ce qui oblige le prince à bien des contorsions avant de déposer ses lèvres sur les siennes) alors que Benoît Lutgen, lui, écrase tranquillement, offrant un corps parfaitement immobile aux baisers princiers. Pour compliquer le scénario, l’auteur a introduit des princesses jumelles que le prince doit embrasser ensemble s’il veut les glisser dans son lit. Ainsi, la jolie Wouter et son clone Kris, deux beautés pour le prix d’une. Mais qu’il faut prendre ensemble ou pas du tout. Ou Elio et Paul, aussi soudées que des sœurs siamoises.

Seigneur ! Où est l’innocence des temps anciens ? Maintenant, c’est tournante et trio d’enfer…

Jadis, un baiser et c’était dans la poche. La princesse se donnait au beau prince. Après, c’était bonheur, enfants mignons et musique sirupeuse made by Disney. Ca, c’est la légende. Dans la réalité, avec six fiancées sur les bras, c’est une autre paire de manches ! De loin, vous enviez prince Bart, vous croyez que six femmes dans un harem, c’est stupre, plaisir et fornication. Pas du tout ! C’est jalousie, violence et crêpage de chignons. Et, le pire, c’est la répartition des tâches ménagères. Un vrai sac de nœuds ! Laurette refuse de faire la vaisselle, Wouter de torcher les lardons. En comparaison, la réforme de l’état est aussi facile à mettre en place que pour un premier ministre chanter l’hymne national. Avec toutes ses princesses sur le dos, je ne vous dis pas dans quel état sera prince Bart dans quelques mois. Je vous parie qu’il n’aura qu’une seule envie, supplier la méchante fée de faire retomber ses belles dans un sommeil éternel et lui, jeter sa couronne aux orties !

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MOUVEMENT PERPETUEL

  Après madame Laurette O., voilà que monsieur Benoît Lutgen descend à son tour dans la rue aux côtés des chômeurs et du syndicat socialiste pour protester contre la loi inique qui va envoyer à la misère plusieurs dizaines de milliers de travailleurs en fin de droits. Laurette ! Benoit ! Avec nous ! Contre le traître Di Rupo !

Inutile de préciser que les deux personnalités en question ne sont que les malheureux homonymes l’une de la vice-premier ministre du gouvernement dirigé par le président du parti socialiste (en congé) et l’autre du président du parti des humanistes. C’est vraiment pas de chance de porter le même nom que ceux que l’on conspue…

L’usage convenu des campagnes électorales est d’annoncer des tas de réformes, de faire de jolies promesses pour que demain, la vie soit plus belle. Cette année, les trois partis francophones de la majorité ont tous dérogé à la règle. C’est toujours rafraichissant de faire du neuf. Sauf que cette fois, ils le font avec du vieux.

Au lieu de proposer des idées originales, de meilleures législations, l’amélioration des institutions, les candidats socialistes, libéraux et humanistes nous annoncent qu’une fois élus, ils vont supprimer les réformes qu’ils viennent de voter alors qu’ils étaient au gouvernement. A une élection, ils promettent une nouvelle loi ; l’élection suivante, ils s’engagent à l’effacer et ainsi de suite. On voit que c’est un scientifique qui est aux commandes du pays : il vient d’inventer le mouvement perpétuel.

Certes, faire et défaire, c’est toujours travailler, selon une vieille rengaine. Vu le nombre de chômeurs, l’idée ne manquera pas de séduire. Et tant qu’à défaire, pourquoi se contenter des erreurs et horreurs commises par la majorité sortante en matière sociale ? Il faut aller plus loin. Si l’on se met à supprimer les lois votées les yeux fermés, pourquoi ne pas se lancer dans un grand nettoyage de printemps ?

Tenez, à propos des réformes de l’état par exemple. Chaque fois qu’une majorité a eu la mauvaise idée d’en voter une, aux élections suivantes, celle qui lui succède (souvent la même) s’empresse d’en concocter une nouvelle. La sixième n’est pas encore déballée que certains de ceux qui l’ont adoptée songent déjà à une septième. En prétextant que cela fera tellement plaisir au nouveau partenaire qu’il faudra coltiner dans quelques semaines. En appliquant la règle du mouvement perpétuel, plutôt que de réformer la nouvelle réforme de l’état, on supprimera les six précédentes qui n’ont créé que le désordre.

Tant qu’à faire, on effacera aussi les autres législations qu’on a été si bête de voter au cours des années, le code des impôts, la TVA, le code de la route. Et on finira enfin par supprimer la plus bizarre de toutes, les élections.

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BIJOUX DE FAMILLE

Cette fois, annonce le gouvernement d’une voix spectrale, on n’a vraiment plus de sous. On doit vendre les « bijoux de famille ».

Bon sang ! Les bijoux de famille ! On en a encore ? Mais, à quoi ressemblent-ils ? Et qui en voudra ?

Dans un de ses romans, Diderot désignait ainsi des anneaux magiques possédant le pouvoir de faire parler la partie la plus intime des femmes (« Les Bijoux indiscrets »).

La proposition de les vendre laisse donc un peu perplexe même si on ne doute pas de la bonne volonté des dames de notre gouvernement de se sacrifier corps et biens pour sauver le pays. Laurette, Joëlle et Maggie ne le répètent-elles pas à l’envi ? Mais, si notre nouveau ministre des finances n’a rien trouvé de mieux pour boucler le budget, on comprend mieux la lenteur et la difficulté du dernier conclave gouvernemental.

L’égalité entre hommes et femmes voudrait que, dans ce cas, les mâles du gouvernement fassent à leur tour un effort. Et abandonnent eux aussi aux caisses de l’état leurs précieux bijoux de famille. Sans entrer dans le détail, est-ce que ça rapporte gros ? On en doute.

Sacrifice pour sacrifice, vaudrait mieux qu’ils prennent exemple sur leurs collègues français. Ne viennent-ils pas de demander à leur ministre du budget, M. Cahuzac, de renflouer le déficit en transférant le montant de ses comptes exotiques vers ceux du ministère des finances ? Voilà une bonne idée ! Ne pourrait-on s’en inspirer en décidant de ne nommer ministres que ceux qui acceptent d’abandonner un montant substantiel de leur capital pour le bien commun ?

Bien sûr, cela obligera à créer des ministères nombreux et variés. Mais notre pays a toujours fait preuve d’une grande imagination. Rien qu’en fabriquant des ministres fédéraux chargés des relations avec les ministres régionaux et communautaires pour chacune de leurs compétences (le ministre des affaires étrangères n’a-t-il pas ouvert la voie en nommant des représentants fédéraux économiques chargés de dédoubler leurs collègues régionaux ?), on pourra facilement fabriquer une vingtaine de portefeuilles. Des ministères des réformes, on peut aussi en créer autant qu’on en a besoin : chargé des réformes structurelles, des questions endémiques, de la réforme des réformes, de la révision des réformes précédentes. En échange de ces fonctions de haut niveau, ces nouvelles excellences offriront au pays des dons généreux qui permettront de préserver les bijoux de famille de leurs collègues.

De plus, cette rentrée d’argent est « structurelle » comme dit M. Di Rupo, tout fier d’avoir appris un nouveau mot et qui le répète sans cesse de peur de l’oublier. Un bâtiment, des participations dans une banque ou une entreprise, une fois que l’état les a vendus, c’est fini. En revanche, des postes, on peut en créer jusqu’à la fin de la crise – ou de la Belgique.

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