L’AVANT-GARDE

   On s’est beaucoup moqué du côté ringard de la proposition de Paul Magnette d’interdire le commerce en ligne. Comment peut-il imaginer que les consommateurs vont renoncer à acheter des sous-vêtements, aspirateurs, matériel de bricolage et d’informatique ou sacs pour déjection canine sur Amazone ? 

   Les commentateurs ne l’ont pas épargné. D’autant que les 3 Suisses et La Redoute font ça depuis cent ans… Mais, comme on sait l’homme intelligent, on se dit que s’il a formulé une suggestion aussi grotesque, c’est qu’il avait une idée derrière la tête, qu’il dissimulait derrière cette soi-disant défense du petit commerce un coup politique beaucoup plus subtil.  

  Après plusieurs nuits de réflexion, j’ai enfin saisi ses intentions. Les sondages mettant le parti socialiste en mauvaise posture, Magnette a décidé de ramener de nouveaux électeurs en mobilisant la catégorie la plus nombreuse des Belges, les fraudeurs. Il a parié faire carton plein en jouant sur notre amour pour la contrebande. Sur cette vieille tradition qui fait chez nous du smokeleir un héros national. Si l’on est prêt à abattre les statues de Léopold II et de quelques généraux qui ont joué les matamores dans la colonie, jamais on ne cassera celle du roi des fraudeurs. 

 Avec la disparition des frontières en Europe et la fin des contrôles douaniers, on a perdu la meilleure raison de se rendre à la mer du nord : à l’époque, on y allait pour se glisser à Sluis et en ramener du beurre, de la viande et du Bols puis passer la marchandise, habilement dissimulée, sous le nez des gabelous. Une fois le commerce en ligne mis hors-la-loi, nous allons retrouver cette émotion disparue, ce plaisir de défier les interdits. Tous égaux dans la fraude, bourgeois et ouvriers, enfin un vrai projet socialiste, camarades ! 

Avec un peu d’imagination, on devrait arriver sans trop de mal à mettre sur pied des trucs qui vont permettre d’échapper à la police. Mr Magnette n’ayant pas prévu de liquider B-Post ou de lui interdire de livrer des colis (pourtant la seule façon d’appliquer sa fameuse loi), les vendeurs feront assaut d’imagination pour maquiller leurs paquets envoyés en Belgique. Les marques caractéristiques d’Amazone seront effacées et remplacées par une grande étiquette portant la sobre mention « Fragile. Bibles » ou « Don des Témoins de Jéhovah ».  

   On verra aussi des livreurs Uber se glisser la nuit jusqu’à Bray-Dunes puis repasser la frontière à Risquons-tout, avant d’emmener les colis dans l’ancien bowling abandonné de Mouscron, où sera installé un centre de distribution clandestin pour desservir les autres villes du pays.  

   Tout ceci annonce des jobs, un trafic intense et de joyeuses fiestas, qui nous manquent tant depuis l’effacement des carnavals. On dit merci qui ?   

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PERCE-NEIGE

   ‘On peut tout faire avec des baïonnettes sauf s’asseoir dessus’ écrivait Talleyrand. Ce qui prouve la supériorité des perce-neiges sur les armes de combat.

   Le gouvernement wallon a peut-être tort de poursuivre à tout prix les investissements et la défense du commerce de toutes ces machines de mort que nous vendons en fermant les yeux sur qui les utilisera, pourquoi et pour tuer qui, alors que l’extraordinaire richesse des Pays-Bas a longtemps été fondée sur l’exportation des tulipes. A une époque, le prix d’un bulbe était plus élevé que celui d’une maison sur un canal d’Amsterdam. On devrait y réfléchir à la F.N. – s’il existe là-bas des têtes pensantes. 

   Nous, nous avons le perce-neige, cette fleur magnifique, d’une finesse et d’une poésie sans égal, réapparait ces jours-ci, indifférente à la météo, à la pandémie, à la mélancolie ambiante, à la bouche en cul-de-poule des politiciens et même aux bruits de bottes venus de l’est. Si on reparle économie wallonne, j’ai lu que certains bulbes de perce-neige se vendent jusqu’à 1 000 €. 

  Essayez avec votre index de percer la terre glacée un petit matin de grand froid. Je vous défie d’y arriver. Alors que le perce-neige, d’apparence si fragile, jaillit en une nuit tel un oisillon qui émerge d’un œuf. Il a l’apparence fragile mais il ne faut pas être dupe. Il défie le promeneur, la nature encore en plein sommeil. Le signe émouvant que la vie reprend, que la sève circule à nouveau, quelles que soient les catastrophes qui ont endeuillé l’hiver.

   Songez aux perce-neiges qui ont salué le premier hiver de la Libération en 1945. Mais leurs grand-mères avaient fleuri avec la même indifférence au milieu du premier hiver d’occupation, quatre ans plus tôt…

   Celui qu’on appelle aussi la goutte de lait (la goutte de neige disent les Anglais) dégage une légère odeur de miel quand on le porte en bouquet à l’intérieur de la maison. Essayez. Vous serez pris de nostalgie, bercé par ce parfum d’antan, de l’enfance, effaçant soudain les tracas du jour – brièvement hélas. Mais ce moment, quel signe d’espoir…

  On comprend que Lino Ventura et son épouse ont choisi cette fleur pour baptiser leur association en faveur des enfants handicapés (ce qu’a fait aussi une ASBL namuroise).  

   Ce n’est pas de pitié dont ont besoin les enfants pas comme les autres, a déclaré Lino Ventura lorsqu’il a créé son association, mais de chaleur humaine.

   Perce-neige, fleur des temps glacés pour symboliser la chaleur humaine, magnifique paradoxe…

PS : Autre magnifique leçon de chaleur humaine, le sublime « Compartiment n°6 », film russe du finlandais Juho Kuosmanen qui réconcilie avec le voyage en train, l’hiver et les Russes ! 

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SOUPE AU CANARD A LA RUSSE

    Dans le face-à-face entre les 100.000 soldats russes (certains parlent de 175 000) qui jouent à envahir l’Ukraine et les troupes de Kiev, il y a un étrange air de « déjà vu » qui évoque « la drôle de guerre », une image qu’on croyait désuète mais terriblement inquiétante.

    En septembre 1939, quand les Allemands envahissent la Pologne, avec la complicité de la Russie, la France et la Grande-Bretagne déclarent la guerre à l’Allemagne mais elles ne volent pas au secours de la Pologne (malgré un traité d’assistance mutuelle) qui les supplie en vain. A part une escarmouche en Sarre, les troupes françaises se terrent, comme au bon temps des tranchées, derrière la Ligne Maginot en attendant l’ennemi. Pendant des mois, les soldats, au fond de leurs abris, s’alcoolisent joyeusement en écoutant la radio, Maurice Chevalier et Charles Trenet. 

   Huit mois plus tard, l’armée d’Hitler lance son offensive et balaye les pauvres troufions français et britanniques, après avoir contourné cette bête Ligne Maginot en passant par la Belgique, ébahie et neutre. 

   L’Histoire se répète souvent deux fois, disait Karl Marx, « la première fois comme une tragédie, la seconde comme une farce ». 

   Ce qui rappelle qu’à la même époque, sortait sur les écrans « Soupe aux Canards », le film des autres Marx, les frères. Un puissant état, la Sylvanie, tente d’envahir son voisin, la petite Freedonia, dirigée par Groucho Marx. « Vous réalisez que cela veut dire la guerre ! » répète-t-il tout au long du film, pendant que ministres et ambassadeurs font semblant de négocier.  

    On ne sait pas encore quel rôle veut interpréter Poutine. On le sait idéal comme méchant de service. On ignore aussi que font depuis des semaines les dizaines de milliers de pauvres troufions dans l’hiver russo-ukrainien à trembler de froid sous la tente. A part boire de la vodka. Jeux vidéo ? Netflix ? Coupe d’Afrique de football ? Projection du « Cuirassé Potemkine » pour blinder leur moral ? Peut-être de « Soupe au canard » ? 

   On n’ose imaginer la soldatesque déferler sur l’Ukraine, comme elle l’a fait sur la Tchétchénie (où règne depuis un régime affreux), les victimes innombrables, les réfugiés (on s’y prépare en Belgique ?) 

   Poutine peut-il espérer sortir indemne de ce Kriegsspiel si le matériel militaire envoyé en hâte par les Occidentaux en Ukraine commence à faire des morts russes ? Cela finira-t-il comme la débâcle d’Afghanistan ? Ou comme le découpage de la Géorgie, où deux régions se sont détachées pour déclarer leur indépendance, poussées en sous-main par les Russes ? 

   Après une pandémie qui ressemble étrangement à celle qui a suivi la première guerre mondiale, va-t-on assister à une guerre qui singulièrement aux débuts de la seconde ? 

   Au secours, Marx, reviens, ils sont devenus fous… 

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COMPRENDS PLUS…

  On a du mal à comprendre l’histoire et pourtant, elle est vraie. Un jeune Français qui vit à Bruxelles est accueilli par les chaleureux agents de l’Office des étrangers à son retour de vacances en compagnie de sa mère. Vont-ils leur souhaiter « bienvenue at home, sweet home ? » Non. La maman est envoyée en centre fermé. Et le jeune homme expédié en Turquie, terre inconnue pour lui (c’était le lieu de ses vacances). Son crime ? Ne pas avoir réussi à expliquer aux pandores pourquoi il est né français !  

   Son vrai crime, être handicapé. Raison de sa difficulté à s’expliquer. Quand un policier ne comprend pas ce que vous dites ou pourquoi vous n’avez pas l’air d’un quidam ordinaire, seul admis à fouler notre sol sacré, scrogneugneu, qu’est-ce qu’il fait ? Il tape (M. Chovanec, mort entre les bras des flics de l’aéroport de Charleroi), il étouffe sous un coussin (Semira Adamu qui protestait contre son rapatriement forcé). Là, il expédie un ado qui souffre d’un handicap dans un lieu inconnu, seul, sans ressources.

   Un handicapé, ça dérange, ça met mal à l’aise parfois. Il vous oblige à prendre le temps de le comprendre, de l’apprivoiser, d’établir simplement un contact. 

   Zemmour (hélas, il faut le citer) n’est sans doute pas le seul à montrer les enfants handicapés du doigt en proposant de les exclure du parcours scolaire, de les empêcher de se mêler aux enfants « normaux ». 

   Qui est normal ? Les êtres humains seraient-ils tous sortis du même moule ? Un être qui obéirait toute sa vie, à tout moment, quelles que soient les circonstances, aux normes me paraîtrait dangereusement anormal… 

Quel est le lien entre cette histoire et l’autre actualité de la semaine, la nomination de la nouvelle présidente du Parlement européen ? L’absence d’humanité, une vision abstraite de la vie en société. Et un insupportable cynisme. L’élection de Roberta Metsola a été approuvée par les principaux groupes du Parlement. Or, la députée maltaise n’a jamais fait mystère de son opposition à l’avortement (un crime dans son île). 

Comme une gifle à Simone Veil, première femme à accéder au perchoir. Et certains de célébrer l’élection de Madame Metsola comme une victoire du féminisme… En quarante ans, les institutions européennes ont-elles fait avancer ou reculer la cause des femmes ? Suffit-il qu’une femme accède à une fonction pour parler de victoire ? La preuve que les barrières entre les sexes seraient tombées ? N’importe qui pourvu qu’elle soit une femme ?  

Françoise Giroud disait, dans une interview au « Monde » en 1983 : « La femme sera vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente ».

   Son souhait est accompli mais ne comptez pas sur moi pour citer des noms ! J’aime trop mes petites camarades !      

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LIBERTE, JE CRIE TON NOM !

   Ode à la résistance écrit en 1942, « Liberté », ce beau poème de Paul Eluard continue de bercer l’actualité. Sur mes cahiers d’écolier/ Sur mon pupitre et les arbres/ Sur le sable sur la neige/ J’écris ton nom.

   Sauf qu’aujourd’hui, on ne pose plus le mot avec douceur sur le papier, on le crie. 

   Depuis la disparition des idéologies, chacun est devenu son propre héros. Et il entend le faire savoir. Avec l’arrivée des réseaux sociaux, le culte du moi permet d’être gravé dans le marbre virtuel d’internet. Et pas question de critiquer ou censurer les propos du héros. Ce serait déboulonner sa statue, nier sa stature. 

   Désapprouver les certitudes de tous ces quidams devenus héros, c’est porter atteinte à leur liberté. Critiquer les anti-vax, par exemple. Je refuse de me faire piquouiller, c’est ma façon d’affirmer ma liberté, déclarent les opposants au vaccin. Qui préfèrent mourir, à bout de souffle, au nom de leur soi-disant liberté dans un coin obscur d’une salle de réanimation que de vivre avec quelques gouttes de Pfeizer ou Moderna dans leur précieux corps immaculé. 

   Parmi ces joyeux drilles, il y a même quelques médecins égarés. Tenez, le docteur Hoeyberghs. Ce chirurgien a écrit au Conseil de l’Ordre des Médecins pour se plaindre de son collègue, le virologue Marc Van Ranst, « qui occupe un poste secondaire de propagateur de folie dans les médias” (sic). Il a aussi lancé, avec une centaine d’autres, une procédure en référé contre l’État afin de suspendre les mesures sanitaires prises pour lutter contre la pandémie de coronavirus. Des mesures qui, selon lui, constituent une violation de la Convention européenne des droits de l’homme. “La pauvreté intellectuelle de leur argumentation est stupéfiante”, a notamment répondu le juge.

  Toujours soucieux d’affirmer sa liberté d’opinion, même si elle se révèle complètement cinglée, le Dr Hoeyberghs a été invité à un séminaire d’un club d’étudiants à l’Université de Gand devant lesquels il a tenu des propos hallucinants sur les femmes. Son boulot de chirurgien plastique n’ayant démoli que quelques clientes, il s’en est pris cette fois à la gent féminine dans son ensemble avec une vulgarité et une violence inouïes. Ce qui lui vaut une condamnation prononcée il y a quelques jours par le tribunal correctionnel de Gand (Dr Zinzin va en appel). Une condamnation qui fait l’objet de discussions. Où s’arrête la liberté d’opinion ? demandent sans rire certains parlementaires notamment N-VA, qui proposent de revoir la loi contre le sexisme. 

  Dans bien des pays, on doit nous envier de pouvoir organiser pareils débats sur la liberté alors que là-bas, on n’a même pas le droit d’ouvrir la bouche. On les consolera en citant Henri Jeanson :  La liberté est une peau de chagrin qui rétrécit au lavage de cerveau.     

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ROIS-MAGES-2.0

  Je ne veux pas paraître réac’ type Zemmour, genre c’était tellement mieux avant quand les Français portaient tous un joli prénom chrétien, Melchior, Gaspard ou Balthazar, et qu’ils mangeaient du gâteau à la frangipane avec un morceau de plastique à l’intérieur acheté chez Delhaize plutôt que des savoureuses tajines à l’agneau, mais il faut reconnaître qu’il était drôlement plus facile de se rendre des bords de l’Euphrate jusqu’à Bethléem en l’an zéro de notre ère que 2022 ans plus tard.  

Partant de Bagdad, il suffisait de suivre l’étoile et, après quelques dizaines de jours de marche, et quelques auberges accueillantes, on se retrouvait à 900 km de là sans la moindre entrave dans les rues de Bethléem. 

Pardon, monsieur, pouvez-vous m’indiquer l’étable du charpentier Joseph ? Tournez à gauche puis allez au bout de la rue. Vous ne pouvez pas vous tromper, il y a déjà du monde.  

Aujourd’hui, vous vous heurterez aux policiers irakiens puis aux douaniers syriens, aux soldats russes et iraniens ainsi qu’aux miliciens du Hezbollah, puis aux soldats israéliens. Le temps pour chacun de vérifier vos papiers, votre passeport vaccinal, de vous obliger à vous soumettre à deux ou trois tests PCR dont vous attendrez le résultat dans la prison locale, le divin enfant sera déjà sur la croix le temps que vous arriviez à destination. Et le parfum de la myrrhe et de l’encens, il se sera évaporé depuis longtemps. Quant à l’or, il y a peu de chance qu’il vous en reste même de la poussière après la fouille de vos bagages par les uns et les autres. Si vous arrivez finalement chez Joseph, il faudra faire la file dehors, en respectant la distance de sécurité. Et n’oubliez pas le masque. 

Lors des contrôles, vous pourriez tenter de réclamer une priorité de passage en faisant valoir votre titre de rois. Mais, dans notre époque de scepticisme et de méfiance, peu de chance qu’on vous prenne au sérieux. Vous êtes rois ? Tous les trois ? Hé, les copains, venez voir, on a trois rois pour le prix d’un ! Et votre couronne, majesté, vous l’avez oubliée ? Soyons sérieux, quel est le but de votre voyage, les gars ? On va honorer le roi des Juifs qui vient de naître. Houla ! Ce n’est pas bon ça ! Evitez d’indiquer le vrai motif de votre déplacement à l’entrée en Syrie si vous ne voulez pas disparaître dans les geôles d’Assad. Mieux vaut aussi ne pas le raconter aux douaniers israéliens, vous risquez de finir vos jours dans un asile de fous quelque part en Galilée. 

Autant vous adapter à ce siècle, évitez de voyager, ce n’est pas le moment. Et servez-vous d’internet. Un mail de félicitations au papa putatif suffira, accompagné de quelques émojis célestes. Inutile de vous déranger. 

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FAUT-IL VACCINER LE DIVIN ENFANT ?

    Et qu’en pensent les rois mages ? A mon avis, évitez de leur poser la question autour de la table des réveillons. Pour zapper la conversation dès qu’un des convives sort de son chapeau le variant omicron, la vaccination des petiots, le pass ou la liberté de ne pas de faire piquer, voici quelques suggestions qui permettent de poursuivre le festin jusqu’au pousse-café sans déchirures ni hurlements. 

    Pendant qu’on sert les entrées, évoquez les élections chiliennes. C’est autant d’actualité que le variant omicron mais c’est loin, de l’autre côté du globe. Pour alimenter votre prestation, il suffit de savoir que le candidat de la gauche radicale, Gabriel Boric, a remporté la présidence contre un partisan de l’extrême droit musclée. Un peu comme si Raoul Hedebouw devenait ministre-président flamand en battant Tom Van Grieken. Ou si Jean-Luc Mélenchon battait sur le fil Eric Zemmour après avoir éliminé au premier tour Macron, Le Pen et Pécresse – ce qui n’est pas si absurde ; il y a parfois des surprises dans les cadeaux du Père Noël. Evidemment, si votre voisin étourdi embraye en déclarant qu’avec Mélenchon, la crise sanitaire a de beaux jours devant elle, passez vite à autre chose. 

   Lorsque l’oncle dépose la dinde farcie sur la table (qui ressemble étrangement à un poulet compote mais passons), en grognant qu’à la réflexion, tout n’était pas si mauvais sous le règne de Pinochet, il est temps de tourner la page. Vers le tourisme spatial par exemple. Un thème qui ne devrait pas créer polémique. Jeff Bezos dépensant un pognon de fou pour flotter quelques minutes à 107 km de la Terre. S’il voulait brûler ses billets, n’avait-il pas mieux à faire que des selfies devant un hublot ? Ajoutez que son entreprise, Amazon, dépense encore plus d’argent en réquisitionnant tous les cartons du monde, ce qui prive de papier les éditeurs de livres et de journaux. Et comment on aura encore des infos sur la pandémie ? s’écriera un convive. D’accord, changeons de sujet ! La Chine, pourquoi pas ? Mais évitez de citer le laboratoire de virologie Wuhan et le marché des animaux vivants non loin de là. Le sort des Ouïgours alors ? Prudence, tout de même. Connaissant l’oncle, il risque de faire remarquer que s’ils s’enfuient des camps de rééducation où ils sont parqués, ils pourraient bien débarquer chez nous. Avec Dieu sait quelle maladie. Le harcèlement sexuel ? La restitution des œuvres du Musée royal du Congo belge, comme dit l’oncle, qui rappelle qu’il est né à Léopoldville ? Les sujets ne manquent pas. Heureusement, voici venir la bûche. Pourvu qu’elle ne soit pas glacée, s’inquiète tante Louise. Si on se met à tousser et à schnouffer, imaginez sur quoi va se terminer la conversation…   

    Bonnes fêtes tout de même !    

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L’ENFER, C’EST LES AUTRES

    L’Office des étrangers n’aime pas les intellectuels. Dès que l’un d’eux pointe le nez, venu d’Afrique ou d’Asie, il est immédiatement enfermé. Emmener en Belgique du foie gras, du textile chinois ou de l’argent, ça va. Mais des idées, surtout pas. Les cerveaux doivent rester de l’autre côté de la frontière. En débarquant à Zaventem, venant de Kinshasa, un étudiant congolais s’attendait à rejoindre un kot à Louvain-la-Neuve, pas à passer ses nuits dans un centre fermé alors qu’il avait reçu de notre ambassadeur au Congo un visa en bonne et due forme et que l’UCL avait confirmé son inscription. Il a fallu une levée de boucliers de tous les recteurs et des associations étudiantes ainsi qu’une intervention du président congolais en personne pour que les fonctionnaires blindés de l’Office ne daignent lui accorder le séjour (provisoirement…) 

   Certains déplorent que des machines remplacent peu à peu les fonctionnaires. S’agissant de l’accueil des étrangers en Belgique, on se dit qu’un robot se montrerait plus humain. Et plus rationnel… 

   Une chercheuse thaïlandaise vient de connaître la même mésaventure. Dès sa descente d’avion, alors qu’elle était invitée pour une courte visite de travail, sous l’égide du responsable en spectroscopie atomique et nucléaire de l’Université de Liège, avec l’approbation de l’agence fédérale nucléaire belge, elle a été emmenée fissa dans une des charmantes chambres d’un centre fermé des environs. Le lendemain, elle a choisi de retourner à Bangkok, où le gouvernement militaire est drôlement plus accueillant avec les voyageurs belges, même les savants. En apprenant cette histoire, le professeur Tournesol en a avalé son pendule. 

   Quelle mouche a une nouvelle fois piqué l’Office ? Est-ce la fin prochaine du nucléaire qui a fait paraître suspect ce voyage ? 

   Ou faut-il y voir la main du secrétaire d’état à l’Asile et à la Migration, Sammy Mahdi, qui s’efforce mois après mois de faire regretter son prédécesseur, l’aimable Théo Francken ? On a surtout l’impression que M. Mahdi doit faire oublier à ses électeurs et ses amis politiques l’accueil dont a bénéficié son père, réfugié en Belgique où il s’est marié à une jolie Flamande. Ou est-ce sa façon d’encourager le mariage des nouveaux arrivants avec les indigènes ? 

   Mon père aussi a immigré en Belgique. A une époque révolue où l’on ne rejetait pas les réfugiés à l’amer, où on ne les laissait pas mourir de faim et de froid dans les rues, où les fonctionnaires ne les humiliaient pas, où on ne les piégeait pas par des mensonges quand ils faisaient la grève de la faim. Une époque où la Belgique n’était pas condamnée pour sa politique par les instances internationales. Mais où elle s’enrichissait de l’apport intellectuel, de la force de travail, de tous ces étrangers chassés de chez eux et reconnaissants envers leur terre d’asile.

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TÊTE DE TURC

   Une partie des personnels des hôpitaux (surtout francophones) ont manifesté mardi dernier contre l’obligation vaccinale. Soulagement ce jour-là pour les patients des établissements de soins : les soignants non vaccinés étaient dans la rue, pas à leur chevet. 

   Le gouvernement se demande comment éviter la disparition d’une partie des blouses blanches après le vote de la loi sur la vaccination obligatoire. C’est simple : il suffit de faire défiler les anti-vax tous les jours, ce qui évitera leur licenciement si décrié tout en préservant les malades de l’infection.  

    Peu auparavant, les syndicats défilaient pour le pouvoir d’achat et quelques jours plus tôt, c’était la maréchaussée qui battait le pavé. 

    Et demain ? Les fans frustrés par la fermeture des discothèques, les pompiers lassés d’arroser les manifestants, les taximen et uberistes à tour de rôle, les employés et fonctionnaires fatigués du télétravail, les profs dont les classes ferment un jour sur deux, les élèves qui étouffent sous le masque. Même l’association des St Nicolas proteste après l’annulation de la Party qui était prévue le week-end dernier au Sportpaleis d’Anvers et qui devait rassembler 100.000 personnes (ne vous frottez pas les yeux, il y en a autant qui se presse au marché de Noël dans le centre de Bruxelles sans que les autorités ne s’en inquiètent). 

   Les Grecs ne sont pas en reste : ils se proposent de saisir le parlement européen afin que l’on oblige tous ceux qui utilisent les lettres de leur alphabet pour désigner les nouveaux variants du Covid-19 de payer des royalties. Habile façon de renflouer le budget de leur pauvre pays. En échange, promettent-ils, ils accueilleront enfin décemment les réfugiés qui s’entassent dans des camps à côtés desquels les favelas apparaissent comme des quartiers chics. Mais, méfiance, rappelons-nous ce que faisait dire Virgile à un des personnages de l’Enéide : « Je me méfie des Grecs même lorsqu’ils promettent des cadeaux » …

   Drôle d’époque où tous les mécontents ont trouvé leur tête de Turc. Tout ce qui nous tombe dessus, c’est la faute du gouvernement ou du ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, pourquoi pas du ministre du Budget wallon, en tout cas des dirigeants politiques de notre abracadabrant pays. C’est vrai que manifester dans les rues de Bruxelles contre ce sacré virus (« Covid, bas les pattes ! Tu as eu notre peau, nous aurons la tienne ! ») risque de rester sans effet vu sa compréhension limitée du français et du néerlandais.  

   De Croo et son équipe paraissent donc avoir le profil idéal pour continuer à jouer les Guignols jusqu’à ce que ce brave coronavirus veuille bien aller se promener sur une autre planète…

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FAITES UN MUR, PAS LA GUERRE

   Un mur ? Voilà la bête solution proposée par la Pologne pour fermer sa frontière avec la Biélorussie et empêcher des immigrés fuyant l’Iraq et la Syrie de pénétrer sur son territoire sacré. « Faites un mur, pas la guerre », le slogan est vraiment simpliste mais il touche facilement les citoyens européens effrayés par cette « vague migratoire ». Protégé par ce rempart, on n’entendra plus parler de cette horde qu’on craint de voir déferler sur nous ! Beaucoup protestent en oubliant que les Polonais ne sont pas les premiers Européens à construire un bastion contre les étrangers. Il y a déjà une redoutable barrière à Ceuta, la ville espagnole située sur la côte africaine, pour empêcher de passer du Maroc en Espagne. Un ensemble de clôtures et de barbelés construits avec l’aide financière de l’Union européenne depuis 2001. Au pied de laquelle on compte plusieurs morts, abattus par les forces de sécurité. Les autres candidats à l’exil ? Eh bien, ils sont passés évidemment. Au-dessus, en-dessous, sur le côté…

  Si un mur avait séparé la France de l’Algérie, la famille de Zemmour aurait-elle traversé la Méditerranée ? S’il y en avait eu un entre l’Allemagne et l’Autriche en 1913, Hitler serait-il resté dans son pays pour finir comme un obscur barbouilleur ? 

   Savez-vous que la préfecture de Paris a construit il y a quelques semaines un mur entre Pantin et Paris ? Façon, prétend sans rire le préfet de Paris, d’éviter l’arrivée de vendeurs de drogues venus de Seine St Denis dans la capitale ! 

   Grâce au mur, rêvent ses constructeurs, on ne voit plus ce qui se passe de l’autre côté. On n’entend plus rien, sinon un vague murmure. Méfiez-vous des murmures. Dans un de ses « poèmes barbares » Leconte de Lisles écrivait : « J’entends un immense murmure/Pareil aux hurlements de la mer ou des loups ». 

   Si l’Europe n’est plus capable d’accueillir ceux qui sont chassés par la dictature, la répression, les malheurs, que reste-t-il des valeurs sur base desquelles elle prétend s’être bâtie ? On semble oublier combien d’immigrés ont fait la grandeur de notre civilisation, de nos pays, comme le rappelle cette semaine avec un clin d’œil Joséphine Baker, tellement plus française que bien de soi-disant Français « de souche ». Pendant que les Français la portent solennellement au Panthéon, ils laissent mourir en mer des candidats à l’exil partis vers la Grande-Bretagne, trop contents d’en être débarrassés. Avec l’approbation de notre ministre de l’Intérieur. 

Une idée pour redorer le blason de ce pauvre Rudi Vervoort. Ne pourrait-il charger les chauffeurs Uber, qui se tournent les pouces, de recueillir et de promener au chaud les malheureux étrangers qui errent sans logis dans les rues de Bruxelles ou crèvent de froid devant le Petit-Château ?  

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