ROIS-MAGES-2.0

  Je ne veux pas paraître réac’ type Zemmour, genre c’était tellement mieux avant quand les Français portaient tous un joli prénom chrétien, Melchior, Gaspard ou Balthazar, et qu’ils mangeaient du gâteau à la frangipane avec un morceau de plastique à l’intérieur acheté chez Delhaize plutôt que des savoureuses tajines à l’agneau, mais il faut reconnaître qu’il était drôlement plus facile de se rendre des bords de l’Euphrate jusqu’à Bethléem en l’an zéro de notre ère que 2022 ans plus tard.  

Partant de Bagdad, il suffisait de suivre l’étoile et, après quelques dizaines de jours de marche, et quelques auberges accueillantes, on se retrouvait à 900 km de là sans la moindre entrave dans les rues de Bethléem. 

Pardon, monsieur, pouvez-vous m’indiquer l’étable du charpentier Joseph ? Tournez à gauche puis allez au bout de la rue. Vous ne pouvez pas vous tromper, il y a déjà du monde.  

Aujourd’hui, vous vous heurterez aux policiers irakiens puis aux douaniers syriens, aux soldats russes et iraniens ainsi qu’aux miliciens du Hezbollah, puis aux soldats israéliens. Le temps pour chacun de vérifier vos papiers, votre passeport vaccinal, de vous obliger à vous soumettre à deux ou trois tests PCR dont vous attendrez le résultat dans la prison locale, le divin enfant sera déjà sur la croix le temps que vous arriviez à destination. Et le parfum de la myrrhe et de l’encens, il se sera évaporé depuis longtemps. Quant à l’or, il y a peu de chance qu’il vous en reste même de la poussière après la fouille de vos bagages par les uns et les autres. Si vous arrivez finalement chez Joseph, il faudra faire la file dehors, en respectant la distance de sécurité. Et n’oubliez pas le masque. 

Lors des contrôles, vous pourriez tenter de réclamer une priorité de passage en faisant valoir votre titre de rois. Mais, dans notre époque de scepticisme et de méfiance, peu de chance qu’on vous prenne au sérieux. Vous êtes rois ? Tous les trois ? Hé, les copains, venez voir, on a trois rois pour le prix d’un ! Et votre couronne, majesté, vous l’avez oubliée ? Soyons sérieux, quel est le but de votre voyage, les gars ? On va honorer le roi des Juifs qui vient de naître. Houla ! Ce n’est pas bon ça ! Evitez d’indiquer le vrai motif de votre déplacement à l’entrée en Syrie si vous ne voulez pas disparaître dans les geôles d’Assad. Mieux vaut aussi ne pas le raconter aux douaniers israéliens, vous risquez de finir vos jours dans un asile de fous quelque part en Galilée. 

Autant vous adapter à ce siècle, évitez de voyager, ce n’est pas le moment. Et servez-vous d’internet. Un mail de félicitations au papa putatif suffira, accompagné de quelques émojis célestes. Inutile de vous déranger. 

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FÊTE DES ROIS

Dimanche, c’est la fête des rois ! Si, si. Cette année, c’est en octobre, pas en janvier. Prévenez votre pâtissier de ne pas oublier de fourrer ce weekend end la fève au fond de la galette. Le jour des élections, c’est le seul jour de l’année où c’est vous qui décrochez la couronne. Les autres jours, c’est ceinture !

Encore vous faut-il pécher la fève, la bonne. Car dans le tas, il y en a un certain nombre qui sont pourries, creuses, contrefaites ou vraiment immangeables.

Vous me direz : les élections, c’est un moyen plus sûr de désigner le roi. On le choisit au lieu de laisser le hasard en décider. En êtes-vous si certain ? Vous votez Schmurz comme beaucoup d’autres électeurs et, surprise, son adversaire, qui a recueilli moins de voix que lui, s’est arrangé avec son petit voisin pour se partager le gâteau. Il ne vous reste plus qu’à subir son règne pendant six ans et à consoler Schmurz avec de la mousse au chocolat.

Ce qui explique la tentation de certains de remplacer les élections par le tirage au sort. Que le pouvoir soit confié à celui qui a trouvé la fève ou à celui qui l’a fourrée dans la part de gâteau de son voisin, quelle est la différence ? C’est toujours le vainqueur qui bouffe le gâteau. Et qui vous laisse l’addition et l’indigestion.

Profitez de votre dimanche. Avant que la galette ne soit découpée et partagée, on ressent un grand moment de bonne humeur et de liberté, la même excitation qu’à l’instant où l’on achète un billet de loterie et qu’on ne l’a pas encore gratté. Tout est possible. Il suffit d’un coup de pouce pour sortir de l’anonymat et décrocher la timbale. Un bref moment, on est exceptionnellement tous pareils, on a une chance égale, simples citoyens ou anciens notables, rois, reines ou valets, le même droit d’hériter de la couronne. Pendant ces quelques heures entre l’ouverture et la fermeture des bureaux de vote, les anciens rois, les chefs sortants, tellement désireux de prolonger leur règne, ont si peur de vous, un telle frousse de perdre leur sceptre et leur p’tit bout de pouvoir, qu’ils sont prêts à vous offrir toute la pâtisserie. En tout cas à vous le promettre.

Mangez tout ce que vous pouvez, car, dès le lendemain de la fête des rois, ce sera carême…

Mais vous n’aurez pas tout perdu car le monde imaginaire que vous n’avez pas décroché, vous pourrez continuer à en rêver grâce aux livres. Par une jolie coïncidence, dimanche vous serez à la fois lecteur et électeur ! C’est la « fureur de lire ». Un prétexte pour rappeler que « L’Homme qui voulut être roi » n’est pas seulement une ambition politique mais aussi une très belle nouvelle de Kipling (et un magnifique film de John Huston).

Dans les livres que vous lisez, vous êtes tous les jours le roi de la fête !

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