ZWANZE ? NON, PEUT-ÊTRE !

   La faillite et la disparition du Palais des Cotillons à Bruxelles mérite une oraison funèbre. Car elle s’inscrit dans le cours d’un inéluctable destin, celui de l’évaporation de l’humour bruxellois. La zwanze est morte, on doit fermer chez Eugène. 

   Une tradition autrefois drôlement vivante pas seulement dans les rues (dans la cour de récréation de mon école à Schaerbeek on nous criait dessus quand on s’invectivait en bruxellois, ce qui nous encourageait à persévérer) mais aussi présente dans des théâtres, des cabarets. Elle avait ses vedettes (dont Simone Max et Marcel Roels), sa littérature (notamment les fables de Pitje Schramouille signées Roger Kervyn de Marcke ten Driessche ou les dialogues et le théâtre de Virgile) et même son cinéma (Gaston Schoukens qui a notamment filmé l’inoubliable Bossemans et Coppenolle, la pièce de Paul Van Stalle et Joris d’Hanswyck, qui a assuré l’immortalité de Madame Chapeau mais aussi de l’Union Saint-Gilloise). 

Il ne reste guère que Toone pour garder vivante la tradition de ce délicieux sabir, véritable photographie du Bruxellois moyen, moqueur et grognon à la fois, un peu anar et méfiant envers le pouvoir et l’autorité. Dans une ville où coexistent plusieurs dizaines de langues, où un habitant sur quatre est de nationalité étrangère, la seule langue qu’on ne babele plus est le bruxellois. Och’erme ! C’est d’autant plus paradoxal que le bruxellois est justement une langue cosmopolite, un zinneke de jargons divers qui ont mieux arrosé Bruxelles que la Senne.  

   Les autorités régionales, c’est tout un symbole, avaient déjà chassé le Palais du Cotillon des locaux qu’il occupait au pied du Parlement bruxellois considérant que ça ne faisait pas assez sérieux d’afficher sous ses fenêtres des masques hilares, farces et attrapes, déguisements, fusées et autres pouêt-pouêt et même des squelettes (dont la maison garantissait pourtant que ce n’était pas ceux de députés régionaux oubliés dans les couloirs.) 

Vous avez vu ce qu’ils ont collé dans les vitrines ? Des dessins et des textes sur l’activité de cette assemblée, manifestement confiés à d’anciens graphistes soviétiques. Tellement tristes que même les ketjes de la strotje ne les ont pas tagués. 

Depuis quand n’a-t-on plus ri avec le discours d’un homme ou d’une femme politique à Bruxelles ? Voyez leurs bobines sur les premières affiches électorales. Un remède contre la zwanze. Ils ont l’air tellement plus tristes que la place Rogier qu’on sait déjà qu’ils vont nous vendre toutes les promesses possibles mais qu’ils ne nous offriront pas une seule kluuterâ. 

  Si le bruxellois s’en va, on se consolera peut-être en parlant désormais syldave, la langue la plus proche de l’original. Dont la devise est le meilleur programme pour l’avenir de la capitale : « Eih bennek, eih blavek ».

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COUVREZ CE VACCIN QUE JE SAURAIS AVOIR …

   Pour se faire vacciner, tapez 1, si vous préférez y’a qua Zeneca, tapez 2 bis ; pour spoutnik, tapez à la porte arrière ; pour un vaccin sans contestation, tapez aussi longtemps que vous voulez. Pour le vaccin Johnson & Johnson, faut un mot de passe (allez, je vous le donne : « Je dirais même plus »)…

   Certains ont des amis qui les appellent à la fin de la journée lorsqu’il reste des doses non injectées dans l’un ou l’autre centre de vaccination. Il y a aussi des gens qui se prétendent membres d’associations dont les représentants sont prioritaires. Une petite lettre de recommandation et le tour est joué. Ce qui permet à des gens de vingt ou trente ans de ne pas bêtement attendre leur tour comme les autres et de perdre quelques semaines. On comprend leur impatience. Ils sont pressés de s’envoler pour des vacances à l’étranger. Alors qu’un octogénaire, pourquoi le piquer par priorité? Il a le temps. Il n’attend pas d’aller bronzer sur une plage exotique, si ?  

  Il faut de l’astuce, d’après ce qu’on me dit, pour décrocher une invitation à la piquouze. Une idée, se déguiser en vieillard. Facile : les maquilleuses de talent ne manquent pas. Elles se réjouiront de transformer un jeune homme en vieux birbe plutôt que de se tourner les pouces en déprimant devant les portes fermées des théâtres. 

Mais l’apparence n’est que la première étape. Faut aussi modifier la date de naissance dans les bases de données. Une opération plus aventureuse. Mais, comme toujours en Belgique, avec un copain de copain, on doit y arriver. Une piste, un nom (ne le répétez pas) : Frank Robben, l’homme à tout faire (surtout le pire) dans la centralisation des données des habitants du royaume. Il vient de recevoir le prix du Big Brother de l’Année, décerné par Ministry of Privacy. Frank Robben est tout à la fois le concepteur des bases de données en matière de santé et de sécurité sociale, le patron de la gestion de tous ces fichiers, son propre contrôleur et son juge. Un petit mot (de préférence en néerlandais) et hop ! votre fiche se remodèle comme par magie. Et comme personne n’a le droit de regarder au-dessus de l’épaule de Big Brother Robben, s’il accepte de mélanger, de nettoyer et de vous sortir des données toutes propres, votre identité reflètera votre nouvelle apparence. Estampillé vieux. Et en route vers le centre de vaccination le plus proche. Reste encore le plus dur, vous inscrire par internet, tapez 1, puis 3, puis 17, puis 421, puis changez de langue après avoir changé d’apparence…

  Si vous êtes convoqué à 10 h 26, préparez-vous à deux heures de file surtout si vous ne tenez pas sur vos quilles…   

Et si vous n’avez pas d’ordinateur ? Vous n’existez pas. Dans ce cas, couvrez ce vaccin que vous ne saurez avoir…

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ONE FOR MY BABY

   Comment fêter la première Saint Valentin sous Covid ? 

    Au resto, au cinoche, au ski, sur les bords de la Méditerranée, en remontant le Nil, en descendant le Zambèze, en visitant le Louvre, en organisant un bal masqué où seule la bouche restera découverte, en invitant les potes à un apéro sur les échafaudages du Palais de Justice, en s’offrant une place au premier rang du prochain concert de Lous and The Yakuza ? Non, non et non. « Streng verboten » comme braillait l’officier allemand en énonçant une à une toutes les activités interdites dans le camp de prisonniers qui accueillait Jean Gabin, Carette et les autres dans « La grande Illusion ». 

Quoique… 

 Dans une belle lettre écrite à la plume sur du papier épais, pourquoi ne pas vous engager à offrir à votre amoureux-amoureuse tous ces plaisirs dès que vous aurez décroché tous les deux le précieux sésame qui ouvrira les portes du « monde d’après », le certificat de vaccination qui va désormais accompagner nos vies, aussi sûrement que votre tatouage intime ou la photo de votre maman qui ne quitte jamais votre portefeuille ? 

   Déjà les messages entre amoureux prennent un tour inhabituel : « chéri, je ne veux que toi dans ma bulle ! » 

   En attendant, quelques trucs pour faire la fiesta en toute légalité : passez la soirée à monter et à descendre serrés l’un contre l’autre dans un ascenseur (choisir de préférence un immeuble-tour), faire du kayak (l’amour méthode Sophie Wilmès), déboucher des bouteilles de champagne sur le balcon (attention, les policiers très énervés ces derniers temps risquent de répliquer à balles réelles), faire le tour de la terre dans une fusée d’Elon Musk, manger du homard au fond de la mer (la Covid déteste l’eau salée), vous lancer dans une « activité sportive outdoor, sans contact, dans des infrastructures extérieures dans une zone définie de minimum 10 m2 par participant, sans entraîneur actif » (Désolé, la traduction de cette faveur octroyée généreusement aux amoureux par la Ministre Glatigny n’est pas jointe.)   

    Vous pouvez aussi louer un théâtre et réciter sur scène pour, votre invitée du jour, seule dans la salle, « Les Méfaits du tabac » de Tchekhov ou « Le Journal d’un Fou » de Gogol (les monologues russes sont Dieu merci redevenus à la mode depuis le succès de Spoutnik V). «Les Monologues du Vagin » ? Vous pouvez tenter le coup mais c’est du poker… 

Mais le mieux pour séduire votre belle spectatrice est d’écrire vous-même votre monologue. Allez-y carrément, glissez-y tous les sous-entendus que vous rêvez de lui susurrer à l’oreille, aucun critique ne sera en coulisses pour démolir vos efforts ! 

   PS : One for my baby (and one more for the road) a été composée par H. Arlen et J. Mercer. Interprétée par Sinatra, c’est magnifique ; par Ella, c’est sublime!  

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DANS QUEL ETAT J’ERRE ?

   Qui d’autre que Woody Allen pouvait parler de la vie de Woody Allen sans enflammer les réseaux sociaux ? A l’heure où l’on ne peut plus écrire sur une minorité sans en faire partie, il aurait été très incorrect qu’un Noir musulman ou une Chinoise bouddhiste publie une bio du cinéaste new-yorkais.

  Après covid 19, le mot le plus à la mode en cette triste année 20 est « racisé ». Dans les deux cas, un vocabulaire qui désigne la peur de l’autre, le repli. 

 La présidente d’Ecolo, Rajae Maouane (dont il est affreusement incorrect de dire qu’elle a le plus beau sourire et les plus beaux yeux des six ou sept parlements de notre pays) a fièrement proclamé qu’elle était « féministe et racisée ». 

A peine nommée, la nouvelle directrice du Rideau de Bruxelles, Cathy Min Jung, s’est empressée de rassurer la troupe : « Je suis la première femme racisée à la tête d’un théâtre belge ». Ouf ! On est soulagé ! On craignait l’arrivée d’une cosmopolite qui se dirait citoyenne du monde. 

Notez que la fière affirmation de Ms est étrange : que sait-elle de l’origine des autres femmes qui ont dirigé un théâtre en Belgique ? Peut-être n’ont-elles pas pensé, comme elle, à faire étalage de leurs ancêtres, de leur appartenance à Dieu sait quelle race. 

Tout au long du vingtième siècle, les gens intelligents ont lutté contre le concept de race qui a pourri l’Europe, ravagé l’Afrique et l’Amérique, justifié les camps d’extermination. Ils se sont battus pour enseigner à leurs enfants que la race est un concept imaginaire, inventé par les racistes. Pour brimer et briser ceux qui sont différents d’eux. C’est ce combat qui a vaincu le colonialisme. Or, voilà que certains enfants des brimés d’hier prétendent ressusciter « leur race » pour se séparer du reste de la race humaine. 

  « Ma négritude n’est point sommeil de la race mais soleil de l’âme » écrivait Léopold Sédar Senghor. 

  Il est désormais mal venu d’écrire, de dessiner, de filmer si l’on ne fait pas partie du même ‘groupe ethnique’. Faudrait revisiter les peintures pariétales. Et effacer celles sur lesquelles un homo sapiens a eu la bête idée de dessiner son cousin de Neandertal. Mettre dans les réserves des musées les « têtes de nègres » de Rubens et de Rembrandt, ranger au placard ces magnifiques romans (que vous pourriez récupérer pour l’été) : « Les Confessions de Nat Turner » extraordinaire portrait écrit par le Blanc William Styron d’une révolte d’esclaves noirs aux Etats-Unis, « Le Comte de Monte-Cristo », extraordinaire portrait de la société française écrit par le Noir Alexandre Dumas ou « La Grande Forêt », passionnant roman sur la guerre de Sécession vue par un officier juif sous la plume de l’écrivain sudiste Robert Penn Warren.

   Voir sa négritude, sa judaïtude, son arabitude et toutes les autres turlutitudes sous le regard d’un autre, quel beau moment de civilisation…    

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REPRESENTATION EXCEPTIONNELLE

MONSIEUR OPTIMISTE

 

Le mercredi 22 février à 20h.

Au CCLJ

52, rue Hôtel des Monnaies

1060 Bruxelles

 

Dans la mise en scène de Christine Delmotte

 

Avec Daphné D’Heur et Fabrice Rodriguez

 

Dernière occasion de voir cette pièce unanimement saluée par la presse et le public cette saison à Bruxelles

AWELL, JOELLE, PROFECIAT’!

On croyait avoir connu le pire lorsque les deux tunnels royaux, le Léopold II et celui de sa fille Stéphanie, nous ont valsé sur le coin de la notje. Eh bien ! On n’avait rien vu. Voilà mett’nant que le ciel nous tombe sur la cafetière. D’un trait de sa plume nerveuse, son excellence madame la Milquet, elle a décidé comme ça que le théâtre de Toone, c’était pas de la culture. Fini ! Plus un balle de subvention pour ces schieve poechenellen qui savent même pas causer sur un français convenâb ! Les jeunes, déjà qui comprennent rien au Coran ou plutôt qu’il le comprennent tout de traviol, voilà mettnant qu’ils doivent se farcir le brussellois peut-être ? Non, fieu, ça une minist’, elle peut pas l’imposer aux pôv ket, sinon il y en a qui vont finir par l’attaquer, la minist’, pour crime contre l’humanité devant la cour pénale internationale de La Haye. Où la meï Milquet, elle devra se défendre en flamouche. Surtout pas ça ! C’est plus simple de supprimer Toone que de l’obliger à babeler dans la langue de Jambon !

Plusieurs signes ont montré ces derniers temps que Bruxelles était de moins en moins Bruxelles et qu’il serait temps de transporter ailleurs ce qu’il en reste avant que ça ne disparaisse, les pierres soigneusement numérotées, pour la reconstruire quelque part à la campagne, de préférence dans un coin où les politiciens qui veulent tant de bien aux Bruxellois ne prolifèrent pas. On y déménagera le cinéma Eldorado, le Vendôme (qui s’appelait le Roy), les musées, les bistrots, les théâtres chics, le National, le Parc, les Martyrs, et tutti quanti, et le Théâtre de Toone, dernier vestige de la culture locale et de la langue de la capitale.

Dire que la première poechenellekelder à Toone date de 1830 et qu’on veut la faire taire ? En 1830, on a déjà eu une muette à Bruxelles, celle de Portici. On a vu la suite…

Toone, pas de la culture ? Des auteurs ont écrit directement pour les poechenelles et pas des schieve lavabos, hein ! Jarry (Ubu), Claudel (oué ! le type avec sa slache de satin qui dure des heures), Lorca, Hélène Cixous, et même des Belches, tiens, Maeterlinck (notre seul prix Nobel de littérature, pas de la culture, ça madame la minis’ ?) ou Michel de Ghelderode, qui a justement écrit directement pour Toone. Et dont Cocteau a dit : « c’est le diamant qui ferme le collier que la Belgique porte autour du cou ». Diamant, collier, ah ! ça vous parle enfin, madame ?

Les marionnettes, c’est un art premier, comme le cinoche de Charlot et les aventures de Quick et Flupke, un langage qui jette des paillettes, qui fait que les enfants se serrent contre leurs parents, perce qu’ils partagent leurs émotions. Il n’y a pas beaucoup de spectacles qui réussissent cette magie.

Alors, siouplait, madame la minis’, tire un peu la ficelle pour rouvrir le rideau de ce théâtre des merveilles. Tu feras une oeuvre de salutation publique.

NIVEAU 4

Le haut niveau est un jeu, a dit un jour Jean-Claude Killy. Il ne pensait sans doute pas au niveau 4 car à cette hauteur, l’esprit ludique semble hélas s’évaporer. Quoique…

Samedi, mon fleuriste se demande ce qu’il doit faire voyant tous les commerces de la place, fermer les uns après les autres et des commandos en armes arpenter d’un air inquiet le petit centre commercial du quartier, où un mini-Carrefour paraît à leurs yeux une cible potentielle, choisie avec soin quelque part en Syrie. Il téléphone au numéro spécial ouvert pour l’occasion. Taper 1, taper 3, etc. Finalement, une aimable dame répond. Puis-je rester ouvert ? demande-t-il. Déconcertée, la téléphoniste le dirige vers le 112 où le pompier de service se demande pourquoi diable il appelle les urgences puis le transfère à son tour cette fois à la police communale. Après beaucoup d’hésitations, au bout du fil un agent lui répond qu’il ne sait pas. Avant de retéléphoner une dizaine de minutes plus tard pour préciser qu’aucune instruction particulière n’a été donnée à la police pour les fleuristes. Qu’il « prenne ses responsabilités ».  J’aime cette formule qui signifie dans le chef de celui qui la prononce que lui est incapable de les prendre.

Carrefour, Delhaize fermés, mais à géométrie variable également. La superette, fermée à la demande d’une patrouille en armes qui pointe son nez dans le magasin, bourgmestre en tête, rouvre une demi-heure plus tard quand les hommes sont partis ailleurs assurer la sécurité de la population et la paix des familles.

En revanche, la fermeture des cinémas, métros, musées, restaurants, bistrots et théâtres sonne comme un glas. Rideau ! Là, on ne rit plus. Yvan Mayeur a fait remarquer que les islamistes avaient atteint leur but. Bruxelles commençait à ressembler à une de leurs villes.

Même pendant la guerre, trams, théâtres, bistrots, cinémas sont restés ouverts. On ne les évacuait que lorsque commençaient les bombardements. A la sirène de fin d’alerte, tout ce petit monde sortait des abris et se remettait à manger, boire, circuler et se bousculer dans les salles obscures ou les cabarets. Le « principe de précaution » n’avait pas encore été inventé par les hommes politiques.

L’angoisse de mes parents dans ce Bruxelles occupé, je le raconte dans un livre « Mr Optimiste » que Christine Delmotte vient d’adapter au théâtre de la Place des Martyrs. La première, vendredi 13 novembre, a commencé comme une fête et s’est terminé, une fois sortis de la salle, en découvrant le cauchemar qui se déroulait en direct à Paris. Maudits smartphones ! Une semaine plus tard, les théâtres de Bruxelles étaient obligés de fermer. Faire taire un Mr Optimiste, quel inquiétant symbole. Pourtant, lorsque les représentations ont repris mercredi dernier, la salle était pleine. Pratiquement pas d’annulation. Même les élèves d’un lycée de la capitale sont venus. Un beau doigt d’honneur. L’honneur sauvé d’une ville qui retrouve son appétit de vivre et veut rester debout, civilisée et vivante.

Alain Berenboom

LA FOLIE DES GRANDEURS

Selon les experts, le nombre de fous qui se prennent pour Napoléon a beaucoup chuté ces dernières années. Deux raisons expliquent ce phénomène : soit, les experts ne lisent pas les journaux, particulièrement ceux de juin 2015, soit les statistiques ne traitent plus de fous ceux qui se prennent pour Napoléon. La recherche forcenée d’économies peut aussi expliquer cette évolution : si l’on devait enfermer tous ceux qui se prennent pour Napoléon, dix hôpitaux, cent, mille n’y suffiraient pas. Et la Sécurité sociale pourrait définitivement mettre la clé sous le paillasson.

En Belgique, on a pris l’habitude depuis des siècles de vivre au milieu des fous. Il suffit de regarder autour de vous. Vous croyez que c’est un hasard si nous comptons près de septante ministres dont aucun ne se prend que pour lui-même, des centaines de députés fédéraux, régionaux, membres des assemblées provinciales, communales, intercommunales, que des chefs, des éminences plus hautes que la Butte du Lion ?

Cette épidémie d’empereurs dans un seul royaume a des raisons historiques. A une époque où, dans la plupart des pays voisins, on enfermait les malades mentaux (sauf quand ils étaient au pouvoir), à Geel, depuis le moyen âge, la population accueille les fous de toute l’Europe – même sans papiers. Dans des centres fermés ? Pas du tout. Ils vivent au milieu des familles de la ville, en parfaite liberté, traités comme des citoyens ordinaires. Le Ministre Napoléon Francken ne s’en est heureusement pas encore rendu compte.

Fasciné par la vie à Geel, Maeterlinck y a consacré une de ses plus intéressantes pièces de théâtre, « La Princesse Isabelle », dont le personnage masculin, un journaliste du « Soir », est envoyé en reportage dans la petite ville campinoise. Il écrit à ce propos : «Tandis que je m’occupais de « La Princesse Isabelle », j’eus la chance d’y rencontrer un certain nombre de déséquilibrés qui ne purent trouver place dans la pièce que leurs frères et leurs sœurs qui « travaillaient » du chapeau, du béret, de la casquette, de la toque ou de la capeline, encombraient déjà. Je leur donne asile dans ces quelques pages, d’où ils s’évaderont quand ils seront guéris. »

Le système de Geel a fait l’admiration de beaucoup de spécialistes modernes des traitements psychiatriques. Il a aussi habitué les Belges à ne plus distinguer chez leurs voisins, leurs amis, dans leurs familles, qui est Napoléon de qui ne l’est pas. On sait aussi chez nous que porter le chapeau n’a qu’un temps et qu’il finit toujours couvert de poussières ou, plus souvent, dans la boue ou la poubelle.

Waterloo n’est pas très loin de Geel, ce n’est pas un hasard de la géographie ni de l’histoire.

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