HEURES PERDUES

  Depuis le mystérieux reflux de la pandémie (nous assure-t-on), les bagnoles sont redevenues avec plus d’enthousiasme que jamais les reines du macadam. Ca SUV et ça souffle sur toutes les routes du pays et surtout ça avance à l’allure d’escargots sous le regard sarcastique des cyclistes et des piétons. De Sterpenich aux tunnels de Bruxelles, et l’E 25, l’E 40, l’A 8 et ce frigo abandonné sur l’autoroute et ce chien perdu sans collier qui trotte joyeusement sur la chaussée et ce conducteur fantôme qui oblige à fermer brutalement les accès de la chaussée. 

  Pendant que des milliers de conducteurs belges font interminablement du surplace en appuyant inutilement sur la pédale de l’accélérateur – le bruit du moteur qui gronde, vroum vroum, ça les rassure – des milliers d’Ukrainiens tournent en rond dans les abris attendant que les bombes russes arrêtent de tomber ou que ceux qui les envoient cessent enfin de se comporter comme des robots en obéissant aveuglément à un dirigeant paranoïaque devenu fou. 

   Que fait-on pendant toutes ces heures perdues ? Dans la vie soi-disant normale, on est toujours pressé, désolé je suis occupé, et là, on perd des heures et des jours et des semaines de notre vie juste à attendre, à piétiner, à fixer le pare-chocs du tacot qui nous précède et nous envoie ses gaz d’échappement pour parfumer le début puis la fin de notre journée de navetteur ou on attend en tremblant face aux murs suintants de l’abri dans la ville d’Ukraine où l’on est coincé. 

   Faites le compte de toutes ces heures perdues, retranchez-les de la durée de votre vie, ça donne le vertige. 

  Pendant que vous contemplez le vide ou plutôt le trop-plein des routes, ceux qui nous dirigent accumulent eux aussi les heures perdues. Tournant en rond. Mais avec l’apparence de faire quelque chose. Ils colloquent, travaillent à des projets irréalisables, fignolent des promesses paillettes qui brillent quelques instants avant de retomber en poussières comme les fusées des feux d’artifice. Les plans qui mettent la tête de la Wallonie hors de l’eau se succèdent depuis cinquante ans, coulant les uns après les autres. Mais ça cause avec la régularité d’un moteur vroum vroum à l’arrêt. Parfois, pour pimenter le jeu, ils tentent de faire peur (attention, je débranche la prise !) avant de se remettre à la danse du ventre, preuve qu’ils bougent. Ils parlent avec des mines de conspirateurs, attirent nos suffrages avec des mines d’aspirateurs. Mais en fait, ils font du surplace exactement comme nous. Au programme de mesures qu’on n’exécute pas, succèdent des promesses de nouvelles mesures qu’on ne mettra pas en œuvre. Et on oublie de se battre pour une paix sur laquelle on n’a manifestement aucune prise. Les aquabonistes ont le vent en poupe, comme le rappelait récemment mon voisin de chronique, Michel Francart.

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FAITES CONFIANCE A PHILEAS FOGG

Je vous fiche mon billet que Georges Louis Bouchez ne renoncera jamais aux jeux de hasard tant qu’il n’aura pas gagné son pari : devenir premier ministre d’une Belgique réunifiée, président de l’Europe, secrétaire général de l’ONU ou, à défaut, à tout le moins que son équipe de foot, les Francs Borains, aient battu l’Union St Gilloise une fois dans sa carrière. 

   Donc dans longtemps… Quelle mouche a piqué un autre libéral, Vincent Van Quickenborne, de décider un matin qu’il allait supprimer la publicité pour les jeux de hasard d’un trait de plume ? Et dans la foulée, que les sites étrangers de jeux en ligne sur internet auraient l’obligeance de ne pas franchir la frontière belge. Croyait-il ainsi décourager Poutine ? Ou les électeurs flamands d’extrême droite de voter pour le Vlaams Belang ? Non ? Alors, on se perd en conjecture sur ses motivations. 

  En tout cas, l’idée est ridicule. Arrêtons de voter des lois qui empêchent les gens de jeter leur argent par la fenêtre s’ils en ont envie en échange d’un bref moment de rêve. Le rêve de devenir scandaleusement riche ou roi de l’Ukraine ou premier ministre français à la tête d’une coalition de bric et de broc ou président du CD&V. Vous préférez, monsieur le Ministre, laisser les Belges sombrer dans la mélancolie parce que rien ne les fera plus vibrer. Car ce n’est pas la perspective d’une poussée libérale, démocrate-chrétienne ou socialiste qui va les enthousiasmer. Même pas celle de voir les communistes obligés de diriger le prochain gouvernement après une inattendue victoire électorale. Quick n’a donc pas saisi qu’il est interdit d’interdire aux gens de rêver ?  

   Certains prétendent que le pari n’est qu’un jeu. Grave erreur. C’est un art de vivre, l’expression de la foi dans l’avenir, d’un lendemain qui chante. En ces temps où l’on broie du noir et où on tremble devant la panoplie d’apocalypses qu’on nous annonce, autoriser, que dis-je, encourager les jeux et paris est une nécessité sociale et politique, un traitement psycho-thérapeutique, seul à même de sauver notre société malade et traumatisé. 

Miser sur un cheval, acheter un billet de loterie, deviner le chiffre absurde qui sortira de la machine ou l’alignement d’une série de jetons qui feront de vous un héros, c’est aussi romantique qu’être persuadé que demain, en traversant la rue, on tombera enfin sur l’homme ou la femme de sa vie. 

   Autrement dit, c’est drôlement sérieux un pari. Jules Verne l’a parfaitement noté dans « Le Tour du Monde en quatre-vingts jours » : « Un Anglais ne plaisante jamais quand il s’agit d’une chose aussi importante qu’un pari » fait remarquer Phileas Fogg. Qu’il a gagné, remarquez-le au passage, de quelques secondes. 

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UN PEU PEUR

   De quoi a peur Sergueï Lavrov, l’indéboulonnable ministre des Affaires étrangères de Poutine ? Pour que ce vieux diplomate, habitué à pratiquer une langue de bois châtié, se sente acculé à débiter des discours délirants sur la présence de nazis au sommet de l’état ukrainien. Puis obligé de justifier l’absurdité de ses accusations quand on lui fait remarquer que le président Zelensky est juif en balbutiant que les pires antisémites sont précisément juifs. Cela indique que le trouillomètre de ce pauvre Lavrov est sur le point d’exploser. 

 A-t-il à ce point peur de Poutine ? D’une piqure par un parapluie bulgare dans un couloir du Kremlin ? D’une pincée de poison dans le samovar du thé que lui sert sa maman tous les dimanches après le poulet-compote ? 

  Et Poutine ? La frousse doit lui avoir brûlé une partie du cerveau pour déployer une telle sauvagerie auto-destructrice – que restera-t-il de son armée après la guerre d’Ukraine ? 

Etrangement, lui aussi se réfère aux juifs. En dénonçant les sanctions infligées à son pays comme un véritable pogrom. On sait que les juifs ont souffert des Russes (et des Ukrainiens) pendant des siècles. Mais que Vladimir Vladimirovitch présente aujourd’hui son peuple comme des victimes juives, on se frotte les yeux.

   Tout le monde a peur en Russie, sauf un homme, Vladimir Ovtchinnikov, ce vieux peintre qui dessine des colombes sur tous les murs de sa ville, Borovsk. (Rassurez-vous, il a été condamné).   

  Mais il n’y a pas qu’en Russie et en Ukraine que règne la peur. Cet horrible sentiment se généralise sur toute la planète. En Chine, avec ce confinement brutal et inhumain face au covid. Chez nous où l’apocalypse climatique ne terrifie plus seulement les petites filles suédoises. Les deux années d’épidémie et ses mesures exceptionnelles, l’incompréhension devant ce mystérieux virus, sont-elles en partie la cause de cette angoisse ? 

   Regardez aussi la France. Les uns craignent Macron, les autres Le Pen ou Mélenchon. C’est la peur de disparaître qui pousse les uns à s’unir aux Marcheurs, les autres aux Insoumis, pas l’enthousiasme ni les convictions. 

En Flandre, les écolos cherchent un président désespérément. Peur encore d’assumer des responsabilités politiques.      

Une peur au moins est justifiée, la décision probable de la Cour suprême des Etats-Unis de revenir sur la légalisation de l’avortement. Qui ouvre la boîte de Pandore à l’effacement de tous les droits démocratiques si difficilement acquis. 

Si l’on doit craindre non seulement le futur mais aussi le retour vers le passé, où va-t-on ? 

Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi…

Le titre de cette chronique est de Félix F. (5 ans), excellent observateur de l’air du temps. 

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LAISSEZ-LES VIVRE !

 On déplore souvent la condition des vieux en Belgique, oubliés, abandonnés s’ils ne sont pas pris en charge par leur famille. Faut-il rappeler la manière dont ils sont traités même dans des séniories aussi « chics » et coûteuses qu’Orpea (présente dans notre pays) ? Ce qu’a révélé récemment le livre de Victor Castanet « Les Fossoyeurs ». 

  Il faut donc se réjouir que le gouvernement a enfin réussi à arrêter une saine décision au moins pour une catégorie de vieillards à problèmes (ce qui lui donnera l’élan pour s’occuper enfin du sort de l’ensemble du troisième et du quatrième âge). Cette catégorie choyée est celle des vieilles centrales nucléaires. Réanimées, soignées, remises sur pied. 

   Jusqu’ici la majorité de la Vivaldi penchait plutôt pour l’application de la législation sur l’euthanasie (dont la Belgique est une des pionnières). Grâce à Vladimir Poutine (tout n’est pas mauvais chez cet homme), leur position a changé. Laissez-les vivre ! Tel est désormais le crédo de nos dirigeants. Toutes tendances confondues. Même les Ecolos ont accepté de manger leur chapeau. Et renoncé à enterrer le nucléaire sous des tonnes de béton ou d’envoyer leurs restes dans l’espace. 

 Pourtant, quand on voit la manière désinvolte avec laquelle les Russes traitent les vieilles centrales nucléaires ukrainiennes, comme ils les bousculent, on a des frissons dans le dos. On se dit qu’il vaudrait peut-être mieux aider les nôtres à mourir de leur belle mort dans la dignité que d’attendre les Russes nous en débarrasser lorsqu’ils débarqueront près de chez nous.  

  Chouchouter nos vieilles centrales (on ne pourra jamais les guérir, juste limiter la casse), panser quelques plaies, augmenter le nombre de garde-malades, d’accord, ce sera très cher mais apparemment pas trop difficile. Mais on semble oublier que les nourrir et veiller sur leur sommeil ne suffit pas. Ne nous voilons pas la face. Il arrive souvent aux vieux de se laisser aller. Et, à cet âge-là, on en sème beaucoup. Or, qu’a-t-on prévu pour éliminer leurs sacrés déchets ? Il vaut mieux ne pas les utiliser dans l’agriculture. Ne pas les laisser traîner du tout sinon c’est tout le pays, toute la planète qui risque l’intoxication. Et cela, pendant des milliers sinon des millions d’années. Nous aurons disparu depuis longtemps, nous, nos vieux, la Vivaldi et nos centrales que ces foutus déchets continueront à nous empoisonner. Et comment avertir du danger nos très, très lointains héritiers (s’ils n’ont pas été rayés de la planète entre temps par d’autres crasses) ? Un panneau suffira ? En quelle langue ?

   Si l’énergie nucléaire nous permet de nous passer de cirer les pompes des dictatures de l’est et du Moyen Orient, devrions-nous laisser survivre le reste des vieux réacteurs ? 

   Comme le disait Gabriel Garcia Màrquez « Entre vieux, les vieux sont moins vieux » !     

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T’AS PAS VU SUPERMAN ?

  Dans son seul roman, étrange et passionnant, « Un Héros de notre temps » (publié en 1840), le romancier russe Lermontov fait dire par son personnage : « J’ai la passion innée de contredire les gens, toute mon existence ne fut en somme qu’une suite de contradictions malheureuses entre mon cœur et mon cerveau. La présence d’un homme enthousiaste me glace… »

  Ne dirait-on pas les premières lignes des futures mémoires de Poutine ? L’aveu de son étrange personnalité, héritée peut-être de son enfance très bousculée ou de sa double identité quand il vivait comment agent du KGB sous un nom d’emprunt à Dresde ? 

  Face à lui, se découvrent les vrais héros de notre temps. Rien à voir avec les super-héros qu’on applaudit quand ils sautent de façade en façade ou qu’ils emballent la ville dans une toile d’araignée, mettant les méchants hors d’état de nuire. Leur secret ? Ils ont des super-pouvoirs, tous les enfants d’Ukraine le savent. Mais ils ne sont qu’en deux dimensions, hélas. 

 Les vrais héros de notre temps, ce sont d’abord ces Russes, jeunes et vieux, qui défient Poutine, qui osent descendre dans la rue, défiler pacifiquement, criant leur opposition à la guerre menée en leur nom contre leurs cousins ukrainiens. Et qui se retrouvent en prison, emmenés par les Robocop du pouvoir, visages aussi masqués que Batman. 

Et ces écrivains, journalistes, artistes, profs, simples quidams qui osent signer des pétitions, s’exprimer sur ce qui reste des réseaux sociaux. Des graffitis sur la porte même de la Douma, cette assemblée ce couards. Ils savent pourtant qu’ils risquent de connaître le sort du plus célèbre opposant politique, Alexeï Navalny, empoissonné puis embastillé. Que Poutine se rappelle la phrase lancée par Unanumo, en 1936 à un parterre de franquistes : « Vous vaincrez, mais vous ne convaincrez pas ! » A quoi la salle répondit en lançant « Mort à l’intelligence ! » « Vive la mort ! »

   Autres super-héros de notre temps, tous ces résistants ukrainiens du président au simple plouc qui savent eux aussi ce qui les attend et s’en vont défier la mort. Qui sont écrasés par le feu aveugle qui rase leurs villes, détruit leurs pays, ravage le grenier à blé de l’Europe (et de la Russie), dévaste les ports, puis se relèvent et font face malgré leur impuissance, leurs moyens dérisoires.

   On cherche vainement un héros dans le paquet de dirigeants occidentaux. Ils diront qu’ils font ce qu’ils peuvent, qu’ils doivent nous protéger de la furie, ne pas provoquer l’ours russe pour éviter la tentation de l’anéantissement. Mais ils ne se dépassent pas. Ils n’affrontent pas. Ils laissent l’ouragan ravager l’Ukraine. Ils gèrent autant qu’ils peuvent. Merci, les gars. Mais on n’appelle pas ça du courage… 

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LA DIALECTIQUE NE CASSE PLUS DES BRIQUES

    La guerre d’Ukraine est aussi un miroir tourné vers nous-mêmes. 

  Ainsi de l’aide militaire de la Belgique : d’abord mise à l’étude par la ministre de la défense et le gouvernement quand l’Ukraine réclamait désespérément du matériel pressentant un assaut imminent de la Russie. Une fois, les tanks fonçant sur Kiev, on songe enfin à envoyer à nos « amis ukrainiens » des casques et surtout des jumelles. Des jumelles ? Pour observer quoi ? A Kiev, il suffit d’ouvrir la fenêtre pour voir les chars défiler sur les boulevards. Peut-être pour dialoguer avec Poutine. Il s’est placé au bout d’une si longue table, que la seule façon de le regarder les yeux dans les yeux, c’est avec des jumelles belges…

    Tout aussi pathétiques, les contorsions du PTB et d’un certain nombre d’ « intellectuels de gauche » nostalgiques qui, dans un vieux réflexe pavlovien, s’empressent de souligner qu’il ne faut pas se montrer « simplistes » à propos de la Russie. Echo de ce qu’eux ou leurs parents avaient déjà dit lors de l’invasion armée soviétique de la Hongrie en 1956 et de Prague en 1968. Ils ont oublié que le communisme est enterré en Russie, camarades ! Poutine fait ami-ami avec l’extrême droite de chez nous, Assad, les mollahs de Téhéran. Vous êtes libres de critiquer la Russie désormais ! Vous ne devez plus craindre de procès populaire. Ni d’être traités de fascistes par vos amis parce que vous critiquez la ligne du parti. Hélas, il n’y a de pire sourd que le vieux militant qui ne veut pas entendre. Son cerveau est habitué il est vrai à se mettre à genoux dès qu’apparaît l’ombre de Staline ou de ses émules. 

   La culture de Poutine, ce n’est pas la littérature bolchévique. Ce sont les westerns. Hollywood ! Nul n’est plus proche des Américains que lui. Il a été fasciné par cette réplique culte de John Wayne à un jeune gradé : « Si tu sors ton revolver, tu dois être décidé à tirer. » 

  Le président Zelensky, devenu héros malgré lui, avec une dignité que doivent lui envier la plupart des dirigeants du monde, a réhabilité un genre longtemps oublié, celui du comique troupier. Rendez-vous compte que son arrivée au pouvoir à Kiev, c’est comme si Fernandel était devenu président en battant de Gaulle (ou Coluche à la place de Mitterrand). 

Jadis, Guy Debord et ses amis soutenaient que la dialectique peut casser des briques. On sait maintenant que c’est l’humour qui peut démolir les dictateurs. 

PS : Dans « Retour à Lemberg », Philippe Sands retrace avec brio le passé chaotique de cette ville, aujourd’hui Lviv, tout près de la frontière polonaise. En retraçant le destin de quatre personnes qui y ont vécu avant et pendant la seconde guerre. Deux d’entre elles y ont inventé le concept de génocide. Coïncidence ?     

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SPAZIBO, VLADIMIR !

  Avis de tempête sur la campagne de Marine Le Pen. Elle rame pour engranger les parrainages nécessaires à la présentation de sa candidature, des proches la quittent pour se coller avec Eric Zemmour, qui la dépasse dans certains sondages et la disqualifie pour le second tour de la présidentielle. Même sa nièce prend ses distances avec elle après avoir abandonné son lien avec papy pour porter fièrement le seul nom de Maréchal. De là à rejoindre elle aussi Zemmour, il n’y a qu’un pas. Ne lui restera plus qu’à se laisser pousser la moustache et à sauver les Juifs français. 

   Tourne dans la tête de Marine la formule célèbre de Jacques Chirac, « Les merdes, ça vole toujours en escadrille ». Vers où se tourner à présent ? se demandait Marine Le Pen quand elle se souvint de son ami Vladimir Poutine. Le président russe l’a reçue spectaculairement en pleine campagne présidentielle de 2017 et plusieurs banques russes avaient octroyé des prêts à son parti alors que les banques françaises rechignaient à le financer. Poutine ne vient-il pas une fois de plus de montrer qu’il ne recule devant rien pour soutenir ses amis en reconnaissant d’absurdes mini-républiques de péquenots juste pour faire la nique aux autorités élues d’Ukraine ? Et d’envoyer des troupes russes pour assurer leur indépendance et accessoirement mitrailler les voisins de l’autre côté de la frontière dont le tracé n’est peut-être que provisoire.   

   Comment le camarade Vladimir peut-il aider son amie Marine ? 

   Il lui a proposé de combiner deux réussites historiques, la France libre du maréchal Pétain et les deux républiques populaires du Donbass. En cas d’échec à la présidentielle, Marine va déclarer l’indépendance de la Côte d’Azur – où son parti recueille quelques-uns de ses meilleurs scores. La suite du scénario est simple : dans un grand discours, Poutine qualifie le nouveau président français de fasciste, reconnaît la république du PACA (mieux vaut ne pas la qualifier de populaire », c’est mal vu dans le coin) et soutient sa demande d’adhésion à l’ONU, au Comité Olympique international et à la Fédération internationale de Pétanque. 

   Quelques troupes envoyées de Crimée par la mer Noire viendront renforcer le dispositif, officiellement pour protéger les nombreux oligarques qui vivent dans le coin. Et assurer la paix en France. Quelques milliers d’autres soldats viendront déguisés en membres des chœurs de l’armée rouge. Quand ils sortiront leurs kalachnikovs de leur costume de scène, il sera trop tard.  

PS : en attendant, c’est un vrai hommage en filigranes à la Belgique unie que rend Jan Bucquoy dans son nouveau film, « La Dernière Tentation des Belges » mêlant Wallonie et Flamands (avec un éblouissant Wim Willaert), où sa fantaisie iconoclaste se mêle de tragique, émotion et humour.       

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LA SEMAINE DES QUATRE JEUDIS

   Pendant que la Vivaldi nous joue la semaine des quatre jours, Poutine, beaucoup plus ambitieux, offre à ses soldats la semaine des quatre jeudis. 

   Allez, les gars ! On rentre à la caserne ! C’est la quille ! On s’est assez amusé à emmerder le reste de la planète ! 

   Seules les troupes venues d’autres régions de l’empire et emmenées en Crimée rechignent depuis qu’elles ont découvert les bords enchantés de la mer Noire. La Riviera rien que pour elles à perte de vue sans oligarques russes bling-bling sur la plage, qui se sont bêtement réfugiés sur la Côte d’Azur. Bien sûr, la météo à Yalta est à peu près la même qu’à Knokke, 8° et averses intermittentes. Mais c’est tout de même préférable que de passer la nuit sous la tente en face de Donetsk, dans le Donbass, à quelques mètres de la frontière de l’Ukraine. Ou sur cette humide et peu hospitalière île de Touzla dans la mer d’Azov, disputée par les deux pays. 

   Quel objectif poursuit le président Poutine ? Montrer que s’il fronce les sourcils, le président Biden restera les bras ballants ? On a compris que Poor Joe ne peut que faire la grosse voix, pas le coup de force. 

   A-t-il aussi voulu souligner que le président Macron et dans la foulée l’Union européenne n’ont guère de poids pour peser dans le cours des événements qui se déroulent sur notre continent ? On s’en était déjà rendu compte lors de la sanglante, affreuse guerre de Bosnie. 

   Que l’OTAN est un pachyderme asthmatique et fatigué ? Emmanuel Macron l’a déjà diagnostiquée en « état de mort cérébrale » il y a un an. 

   A-t-il lancé un avertissement aux ex-colonies soviétiques, états baltes, Pologne, Roumanie, et consorts que leur arrimage à l’Europe occidentale ne tenait qu’à un fil de fer ? Et que leur Histoire les a longuement et durablement associés (souvent pour le pire) à la Russie. Il en est de même pour l’Ukraine, une région aux frontières éternellement mouvantes, ballotée entre ses voisins depuis toujours et que la Russie regarde de haut. Selon un proverbe ukrainien : « Qui est assis au-dessus peut facilement cracher sur qui est assis en-dessous ». 

Toute cette agitation guerrière ressemble singulièrement à une plongée dans le passé séculaire de la Russie et de ses voisins. Comme le rappelle un autre proverbe ukrainien « qui remue le passé perd un œil, qui l’oublie perd les deux ». 

   Pourquoi le président russe, qui a beaucoup aboyé et agité les crocs, semble retourner vers la niche ? Et si c’était à cause d’une considération très terre-à-terre, la covid ? Les stratèges russes avaient tout prévu dans leur expédition sauf une chose, mettre une centaine de milliers d’hommes (et de femmes) ensemble sans les obliger à garder entre eux une distance sociale de 1,5 m. est un mauvais pari. Vaut mieux ne pas se battre à la fois contre le virus et l’Ukraine…

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SOUPE AU CANARD A LA RUSSE

    Dans le face-à-face entre les 100.000 soldats russes (certains parlent de 175 000) qui jouent à envahir l’Ukraine et les troupes de Kiev, il y a un étrange air de « déjà vu » qui évoque « la drôle de guerre », une image qu’on croyait désuète mais terriblement inquiétante.

    En septembre 1939, quand les Allemands envahissent la Pologne, avec la complicité de la Russie, la France et la Grande-Bretagne déclarent la guerre à l’Allemagne mais elles ne volent pas au secours de la Pologne (malgré un traité d’assistance mutuelle) qui les supplie en vain. A part une escarmouche en Sarre, les troupes françaises se terrent, comme au bon temps des tranchées, derrière la Ligne Maginot en attendant l’ennemi. Pendant des mois, les soldats, au fond de leurs abris, s’alcoolisent joyeusement en écoutant la radio, Maurice Chevalier et Charles Trenet. 

   Huit mois plus tard, l’armée d’Hitler lance son offensive et balaye les pauvres troufions français et britanniques, après avoir contourné cette bête Ligne Maginot en passant par la Belgique, ébahie et neutre. 

   L’Histoire se répète souvent deux fois, disait Karl Marx, « la première fois comme une tragédie, la seconde comme une farce ». 

   Ce qui rappelle qu’à la même époque, sortait sur les écrans « Soupe aux Canards », le film des autres Marx, les frères. Un puissant état, la Sylvanie, tente d’envahir son voisin, la petite Freedonia, dirigée par Groucho Marx. « Vous réalisez que cela veut dire la guerre ! » répète-t-il tout au long du film, pendant que ministres et ambassadeurs font semblant de négocier.  

    On ne sait pas encore quel rôle veut interpréter Poutine. On le sait idéal comme méchant de service. On ignore aussi que font depuis des semaines les dizaines de milliers de pauvres troufions dans l’hiver russo-ukrainien à trembler de froid sous la tente. A part boire de la vodka. Jeux vidéo ? Netflix ? Coupe d’Afrique de football ? Projection du « Cuirassé Potemkine » pour blinder leur moral ? Peut-être de « Soupe au canard » ? 

   On n’ose imaginer la soldatesque déferler sur l’Ukraine, comme elle l’a fait sur la Tchétchénie (où règne depuis un régime affreux), les victimes innombrables, les réfugiés (on s’y prépare en Belgique ?) 

   Poutine peut-il espérer sortir indemne de ce Kriegsspiel si le matériel militaire envoyé en hâte par les Occidentaux en Ukraine commence à faire des morts russes ? Cela finira-t-il comme la débâcle d’Afghanistan ? Ou comme le découpage de la Géorgie, où deux régions se sont détachées pour déclarer leur indépendance, poussées en sous-main par les Russes ? 

   Après une pandémie qui ressemble étrangement à celle qui a suivi la première guerre mondiale, va-t-on assister à une guerre qui singulièrement aux débuts de la seconde ? 

   Au secours, Marx, reviens, ils sont devenus fous… 

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CRIMEE CHÂTIMENT

Qui n’a remarqué que le front anti-russe commençait à se fissurer ? La tentative de paix en Syrie (oubliant les désastres « collatéraux »), les gémissements de nos industriels et agriculteurs touchés par l’embargo poussent quelques hommes d’état occidentaux (ou futurs dirigeants) à nuancer leurs critiques contre Vladimir le Brutal. Et même à comprendre sinon à justifier l’annexion vite fait, bien fait, de la Crimée. Après tout, Vlad a été élu démocratiquement, soulignent-ils, il est soutenu par son peuple (d’après les excellents instituts de sondage russes) et un référendum a approuvé l’annexion de la Crimée (comme vient de le souligner Marine Le Pen).

Crimée Châtiment, disaient déjà les kremlinologues Pierre Dac et Francis Blanche. De là, à revoir l’image de l’Ukraine, jusqu’ici, pauvre oiseau pour le chat, il n’y a qu’un pas.

Pourtant, s’il y a bien une nation martyre en Europe, c’est l’Ukraine. Une pauvre république, tout juste sortie de siècles de domination russe puis soviétique, dont Staline a massacré la population : des millions de morts dans les années trente (auxquels s’ajoutent les millions de victimes des nazis).

Depuis son indépendance en 1991, cette nation s’efforce de répondre aux critères de la démocratie en chassant à plusieurs reprises ses dirigeants corrompus (et soumis sinon vendus à leur puissant voisin), sans parvenir à établir il est vrai un régime et des institutions stables et en s’accommodant de mouvements fascistes qui rendent jaloux les nervis du FN.

La dernière initiative du parlement de Kiev devrait faire taire les critiques. Depuis une loi du 30 décembre, sont interdits les livres donnant une image positive de la Russie.

Au lieu de crier à la censure, il faut se réjouir de voir enfin un gouvernement qui se veut européen accorder une telle importance à la culture. Y a-t-il chez nous un seul politicien qui pense qu’un livre peut influencer les citoyens, leur ouvrir l’esprit et peser sur l’opinion publique ? A Kiev au contraire (comme à Téhéran et dans quelques autres capitales éclairées), on craint le pouvoir du livre, la force du talent et l’insidieux pouvoir de la culture. Les dirigeants occidentaux et les technocrates européens devraient en prendre de la graine, eux qui n’ont que mépris pour la culture et le livre. Bravo !

Hélas, l’effet de cette mesure sera mince : en effet, personne n’a jugé plus sévèrement la Russie que les auteurs russes eux-mêmes, de Dostoïevski à Soljenitsyne en passant par Grossman et Pasternak. L’image de l’Ukraine n’est pas plus « positive » sous la plume des auteurs ukrainiens ! Lisez ce chef d’œuvre, « Compagnons de route » de Friedrich Gorenstein avant de vous promener dans les rues d’Odessa.

Bonnes lectures !

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