FAITES CONFIANCE A PHILEAS FOGG

Je vous fiche mon billet que Georges Louis Bouchez ne renoncera jamais aux jeux de hasard tant qu’il n’aura pas gagné son pari : devenir premier ministre d’une Belgique réunifiée, président de l’Europe, secrétaire général de l’ONU ou, à défaut, à tout le moins que son équipe de foot, les Francs Borains, aient battu l’Union St Gilloise une fois dans sa carrière. 

   Donc dans longtemps… Quelle mouche a piqué un autre libéral, Vincent Van Quickenborne, de décider un matin qu’il allait supprimer la publicité pour les jeux de hasard d’un trait de plume ? Et dans la foulée, que les sites étrangers de jeux en ligne sur internet auraient l’obligeance de ne pas franchir la frontière belge. Croyait-il ainsi décourager Poutine ? Ou les électeurs flamands d’extrême droite de voter pour le Vlaams Belang ? Non ? Alors, on se perd en conjecture sur ses motivations. 

  En tout cas, l’idée est ridicule. Arrêtons de voter des lois qui empêchent les gens de jeter leur argent par la fenêtre s’ils en ont envie en échange d’un bref moment de rêve. Le rêve de devenir scandaleusement riche ou roi de l’Ukraine ou premier ministre français à la tête d’une coalition de bric et de broc ou président du CD&V. Vous préférez, monsieur le Ministre, laisser les Belges sombrer dans la mélancolie parce que rien ne les fera plus vibrer. Car ce n’est pas la perspective d’une poussée libérale, démocrate-chrétienne ou socialiste qui va les enthousiasmer. Même pas celle de voir les communistes obligés de diriger le prochain gouvernement après une inattendue victoire électorale. Quick n’a donc pas saisi qu’il est interdit d’interdire aux gens de rêver ?  

   Certains prétendent que le pari n’est qu’un jeu. Grave erreur. C’est un art de vivre, l’expression de la foi dans l’avenir, d’un lendemain qui chante. En ces temps où l’on broie du noir et où on tremble devant la panoplie d’apocalypses qu’on nous annonce, autoriser, que dis-je, encourager les jeux et paris est une nécessité sociale et politique, un traitement psycho-thérapeutique, seul à même de sauver notre société malade et traumatisé. 

Miser sur un cheval, acheter un billet de loterie, deviner le chiffre absurde qui sortira de la machine ou l’alignement d’une série de jetons qui feront de vous un héros, c’est aussi romantique qu’être persuadé que demain, en traversant la rue, on tombera enfin sur l’homme ou la femme de sa vie. 

   Autrement dit, c’est drôlement sérieux un pari. Jules Verne l’a parfaitement noté dans « Le Tour du Monde en quatre-vingts jours » : « Un Anglais ne plaisante jamais quand il s’agit d’une chose aussi importante qu’un pari » fait remarquer Phileas Fogg. Qu’il a gagné, remarquez-le au passage, de quelques secondes. 

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SOS BONHEUR

 Après la carte d’identité, le permis de conduire, les cartes de banque et de crédit, la carte SIS, les pass d’accès au bureau, au métro, la carte de réduction de Nopri et celles de boutiques dont j’ai même oublié l’existence, voici une carte de plus à glisser dans le portefeuille, le pass-covid ! Chouette ! Déjà que son nom donne tout de suite envie de l’emballer sous vide et de le manier avec des gants et un équipement de cosmonaute sur le modèle élégant de celui des laborantins de l’Institut de virologie de Wuhan. 

La première chose à faire pour rendre plus acceptable l’usage de ce pass serait de le baptiser d’une dénomination un peu plus appétissante. Pourquoi pas le Passe-Partout ? Clin d’œil à l’astucieux valet de Phileas Fogg, engagé au moment où Jules Verne lance le gentleman britannique dans Le Tour du monde en Quatre-vingts jours. 

D’autant que c’est justement à quoi va servir ce nouveau pass (lui-même divisés en deux, selon les usages, certificat et ticket, allez vos y retrouver !). Il faudra le Passe-Partout pour se jeter sur les routes, dans les airs, sur les mers. Tourner autour de la planète, ivres de bonheur d’arpenter les terres exotiques, le corps débordant d’antigènes étalé au soleil sur des plages de sable fin. Là où il y a de l’antigène, il y a du plaisir ! 

Le double pass va aussi être exigé au cinéma, au restaurant, à la piscine, au stade, pour suivre le Tour de France, se faire soigner, participer à une réunion, se promener en rue, même pour répondre à une annonce de rencontre ! Pas question de flirter sans avoir vérifié d’abord la puce de votre partenaire. Une piqure, un baiser, deux piqures, deux baisers et ainsi de suite…

Mais, attention aux contrefaçons ! Car, pour survivre dans le monde d’après, les rétifs au vaccin, les adeptes du non à tout et les complotistes de tout poil, devront trouver le moyen de se glisser au milieu des heureux vaccinés libres de voyager, de se cultiver et de s’aimer. Sous peine d’être condamnés au confinement le reste de leur vie. Un prix plutôt élevé pour avoir le plaisir de proclamer leur liberté d’avoir dit non aux antigènes. 

Engendrant un nouveau et juteux business. Car il se trouvera aussitôt quelques faussaires et représentants des mafias pour fournir à ces récalcitrants des faux Passe-Partout comme ils vendent déjà à qui en a les moyens des passeports trafiqués. 

Jean Van Hamme avait déjà imaginé il y a plus de trente ans dans cette remarquable bande dessinée « S.O.S. Bonheur » (éditions Dupuis) le sort de quelques malheureux citoyens devenus des parias de la société après avoir été déconnectés de leurs liens informatiques.

La fiction, cette mystérieuse belle dame, démontre une fois de plus qu’elle possède la meilleure des boules de cristal ! 

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