LES BRUITS FROISSES DE L’AUTOMNE

  Et voilà l’automne ! Je vous entends grogner ça fait un an que c’est l’automne, le soleil c’est pour les autres et ce genre de fadaises. Cessez de vous plaindre. Voyez les gens du sud se réfugier chez nous vu que c’est notre pollution qui a transformé leur vie quotidienne en barbecue. Que d’eau ! Que d’eau ! s’écrient-ils ébahis en débarquant dans nos contrées, éblouis par le froid et le ciel gris, avant de se noyer dans les typhons, les tornades et les inondations de l’été.

  « Wir schaffen das ! » s’était écrié Angela Merkel en 2015, ouvrant les portes de l’Allemagne aux réfugiés syriens, irakiens, afghans qui voulaient échapper à la mort. Si les désordres climatiques s’accentuent, on espère que les dirigeants de ces pays voudront nous accueillir aussi généreusement… 

 Il est de bon ton de célébrer le printemps pour mieux enfoncer l’automne. Mais le printemps est-ce tellement mieux ? On exalte l’éveil du printemps en oubliant que la pièce de Wedekind qui porte ce titre (écrite en 1891) est d’une cruelle ironie. Elle dénonce l’étouffement de la jeunesse et de la sexualité dans l’Allemagne impériale. 

 Et le printemps arabe ? Autre cruelle ironie. Que reste-t-il du mouvement qui a soulevé les citoyens du monde arabe de l’Afrique du Nord au Proche Orient il y a une dizaine d’années ? Des aspirations à la démocratie, à la liberté des Tunisiens, Syriens, Yéménites, Algériens, Egyptiens ? Ce printemps a engendré ou renforcé des dictatures sanglantes qui n’ont rien à envier aux plus cruels régimes du vingtième siècle. Auxquels s’ajoutent le développement dans la région des pires mouvements terroristes qui écrasent d’abord les citoyens des pays dont ils se sont emparés et les mettent en pièces comme ce triste Liban dont il ne reste rien. 

 Ce bond en arrière de l’humanité a évidemment englouti les femmes. Le bâillonnement des femmes n’a jamais pesé depuis le début de l’époque moderne. Là-bas, la moitié de l’humanité est condamnée à rester enfermée sous cloche et sous voile, bouche cousue et volets clos. Est-ce le réchauffement climatique qui explique que, selon les dirigeants frappadingues de ces états, un mâle se jette immédiatement sur une femelle qui ose traverser la rue sans voile si elle n’est pas couverte jusqu’au bout des orteils ?  

# Me Too a bonne mine à Téhéran ou Kaboul. Où il est interdit aux mères de chanter une berceuse à leurs enfants. Et pas un seul de leurs fils ne crie pour qu’on libère sa maman de toutes ses chaînes ?  

 Oublions le printemps et célébrons plutôt l’automne. Avec Lichtenberg qui écrivait qu’à l’automne, l’homme raconte à la terre les feuilles qu’elle a  prêtées à l’été.

Et avec le délicieux poète Charles Cros : l’automne fait les bruits froissés de nos tumultueux baisers.

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IRAN LES ARMES

Tous les Iraniens ne sont pas raïssistes, loin de là. Les funérailles spectaculaires du président martyr Ebrahim Raïssi ne trompent personne même pas les pleureuses déployées le long du cortège qui auront trouvé là une occasion de se faire une petite dringuelle. 

Faute de sondage, on ne sait combien de partisans compte vraiment le régime, entre ceux qui en vivent, ceux qui en profitent ou simplement ceux qui ont peur. Mais on se dit que s’il y avait demain des élections libres (ah ! ah ! ah !) il ne resterait plus un seul membre de la nomenklatura qui dirige aujourd’hui l’empire perse. Députés, ministres, président, guide suprême de la révolution islamique, tous balayés.

Hélas, dans tout le Proche Orient, il n’y a qu’un seul état où se déroulent des élections vraiment libres, Israël, facile à sataniser. Il est vrai qu’on ne peut que se lamenter sur le choix de ses électeurs, mais ils vivent dans la peur de leurs voisins et d’au moins deux groupes terroristes effrayants. Avons-nous d’ailleurs des leçons politiques à leur donner alors que sous peu le premier parti de notre pays sera une formation d’extrême droite ?

   Nul doute que les cyniques qui dirigent l’Iran sont conscients de l’état de leur opinion publique. Et qu’ils doivent tenter cyniquement de l’aveugler par des mesures soi-disant d’apaisement, des emplâtres sur une jambe de bois susceptibles de calmer les braves gens pendant un moment, le temps de terminer la mise au point de la bombe atomique. C’est ce qu’ils ont tenté de faire en désignant à la présidence l’une ou l’autre figure étiquetée « modérée » pour l’occasion, comme Mohammad Khatami au tournant du siècle ou, plus récemment, Hassan Rohani, chantre de l’accord nucléaire avec les Occidentaux. 

Vu la manière dont le régime traite les femmes, allant jusqu’à les tuer si un cheveu dépasse du foulard, le coup le plus spectaculaire serait de nommer une femme. Ce qu’avait fait le président tunisien Saïed en bombardant une scientifique, Najla Bouden, première ministre en 2021. Un coup qui pourrait servir d’exemple et qui devrait rassurer les dirigeants iraniens, leur montrer qu’ils n’ont rien à craindre d’une représentante de l’autre sexe qu’il est d’ailleurs facile de renvoyer à son voile (Madame Bouden a été remerciée au bout d’un an et demi). De toute façon, le règne du président Raïssi l’a montré, comme avant ceux de Rohani ou de Khatami : le président n’a pas plus voix au chapitre dans ce régime qu’un roi en Europe. Raïssi avait beaucoup plus de pouvoirs quand il jouait au boucher de Téhéran. 

Comme le dit un proverbe iranien ancien : « Le mensonge qui fait du bien vaut mieux que la vérité qui fait du mal ». Un conseil qui n’est pas seulement appliqué par les dirigeants iraniens, comme on le verra en Europe au début du mois prochain…

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PLAIDOYER POUR UNE FEMME VOILEE

 Ce qu’on appelle l’affaire Kate Middleton a pris des proportions planétaires. Son absence à cause d’une opération chirurgicale puis la publication d’une photo retouchée où elle pose avec ses enfants à l’occasion de la fête des mères occupe dans les médias à peu près autant de place que la situation à Gaza – et beaucoup plus que le sort des otages du Hamas. Entraînant des réactions hystériques que même sa position dans le cirque royal britannique n’explique pas. 

  La voilà obligée à présent de révéler qu’elle subit un traitement contre le cancer et laisser reproduire des photos où elle apparaît marquée par la maladie. Comme une façon de s’excuser d’être apparue trop belle, maquillée et sereine sur un précédent cliché.  

 Faudra-t-il, pour contenir la curiosité malsaine des lecteurs et des abonnés convulsifs des réseaux sociaux, qu’elle s’offre chaque semaine en victime expiatoire des voyeurs de tous poils ? 

  On comprend que sa vie privée, comme celle de toutes les personnalités publiques, ne reste pas cachée derrière les hauts murs d’un manoir du Norfolk. Mais, on semble oublier que même un personnage public, un acteur du monde politique ou une star de l’écran, de la scène ou du sport ont le droit à un jardin secret. Un jardin moins épais que celui d’un quidam anonyme mais pas réduit à une peau de chagrin comme on les médias le réclament progressivement ces dernières années. 

   Kate Middleton a le droit de jeter un voile sur des événements aussi intimes que le traitement ou les soins qu’elle reçoit, l’évolution de sa santé, l’humeur plus ou moins joyeuse qu’elle affiche à ses enfants dans ces moments si pénibles mais si personnels. 

  On a l’impression que les pulsations de l’info permanente, le besoin d’une excitation fiévreuse en temps réel, la monstrueuse gloutonnerie des réseaux sociaux toujours incontrôlés effacent les aspects les plus secrets de la vie des citoyens et pas seulement celle des « gens connus ». 

Ce n’est pas cacher une info que de laisser dans l’ombre des éléments intimes de la vie privée des personnalités publiques mais rappeler qu’elles sont des êtres humains, de chair et de sang, de douleurs et de peines, et pas seulement des images d’êtres virtuels, de vagues clones à la disposition des internautes pour combler leur ennui. 

La liberté de la presse est un droit essentiel. Il faut sans cesse se battre pour le préserver dans cette époque où des officines russes ou chinoises la mettent à mal mais aussi dans nos démocraties des partisans de vérités « alternatives ». Mais elle sert à diffuser l’information, à alimenter les débats d’idées pas à balayer ce qu’il reste de la vie privée. Laissons tomber le voile sur la vie privée d’une jeune femme qui lutte en silence comme elle en a le droit pour sa santé et l’équilibre de ses enfants.   

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DU VENT DANS LES VOILES

   Dès que l’on parle du voile, on se prend le pied dedans et on s’étale. On l’a encore vu ces derniers jours à la suite d’une querelle hypocrite sur l’opportunité pour la STIB de faire appel d’une décision rendue par le tribunal du travail. Une femme voilée doit-elle conduire en cheveux comme disait Madame Chapeau ? Ou peut-elle rester couverte ? Jef, het voile is af ! Ding, ding !

Parmi les réactions absurdes, celle de la co-présidente d’Ecolo affirmant qu’il fallait s’incliner puisque la décision faisait jurisprudence. Oubliant qu’il existe une cour d’appel puis une cour de cassation… 

Mais est-ce vraiment au juge de prendre une décision de principe sur le port du voile dans les services publics ? Ou plutôt au Parlement ? Qui freine des quatre fers, sachant que dans cette affaire, on est assuré, quoi qu’on dise, de recevoir des baffes sur le coin de la fiole. 

Autre poussée écologique polémique : la nomination par la secrétaire d’état Groen, Sarah Schiltz, d’une commissaire voilée à l’égalité des chances hommes-femmes. Que va faire cette commissaire comme première mesure d’égalité, enlever son voile ou exiger que tous les hommes soient désormais voilés ?  

Tenez, le député Dallemagne, devenu en une interview l’équivalent de Marine Le Pen et de Tom Van Grieken réunis. Alors qu’il essayait d’expliquer qu’il y a une sacrée différence entre le signe religieux choisi librement par la femme et celui qui lui est imposé par sa famille, son entourage. Horreur ! Voilons-nous plutôt le visage que d’évoquer ce cas de figure ! Se poser pareille question serait de l’anti-islamisme primaire comme de se demander pourquoi la femme doit être voilée et pas l’homme ou pourquoi il faut se solidariser avec les femmes saoudiennes ou iraniennes qui tirent le voile (au péril de leur vie) et en même temps avec ceux qui veulent l’imposer aux femmes belges.  

Dans un essai écrit d’une plume aussi ironique et légère que ses romans, Fouad Laroui vient de publier un « Plaidoyer pour les Arabes » (éditions Mialet-Barreau), qui devrait éclairer les uns et les autres.

Laroui commence par souligner ce que le monde doit aux savants et poètes arabes du IXème au XII ème siècle, de Grenade à Bagdad. Qui ont posé les bases des mathématiques modernes, de la cosmogonie et même de la théorie des espèces (une sacrée claque pour certains imans d’aujourd’hui). Mais, constate-t-il, l’enseignement occidental a complètement occulté cet apport extraordinaire.  

Ensuite, Laroui se demande ce que sont devenus les descendants de ces esprits universels, pourquoi les Arabes ont raté le tournant de la modernité des XVIIème et XVIII ème siècle, fondements du monde contemporain. Un sacré retard dû notamment à une sclérose de la pensée, tournée vers des préceptes religieux pris au pied de la lettre et un étouffement de la pensée et de la science, du doute et du questionnement.  

Pourquoi certaines femmes veulent à tout prix porter le voile ? Elles vous répondront sans doute : par respect envers Dieu. Mais ce Dieu veut-il que les femmes travaillent ? Et spécialement à la STIB ? 

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CITES SANS VOILES

En France, ce sont les gilets jaunes qui se pavanent sur les ronds-points. Avant de passer le week-end dans la grande ville voisine ou dans la capitale pour casser quelques vitrines, histoire de se faire entendre des téléspectateurs distraits qui ont raté le récit de leurs passionnantes prestations sur une voirie provinciale.
En Iran, ce sont des femmes cheveux au vent qui osent s’afficher sur des ronds-points de Téhéran pour dénoncer l’obligation de porter le voile. Là, aucune télévision ne relaye leurs revendications. Et ces femmes ne mettent rien en danger ni personne, sinon leur propre vie. Pour sauver celles des autres. Et la civilisation iranienne.
Chez nous, certains luttent pour la « liberté » des femmes (jamais des hommes) de porter le voile. On aimerait les entendre de temps en temps dénoncer la situation faite aux femmes en Iran et soutenir leur droit de dire non. Tiens, pourquoi pas une grande protestation internationale pour saluer Me Nasrine Sotoudeh, l’avocate emblématique de plusieurs de ces femmes, qui vient d’être condamnée en audience secrète, où elle n’était pas présente et à une date inconnue à près de quarante ans de prison ainsi qu’à 148 coups de fouet ?
Rêvons un peu. Et si les femmes décidaient de se dévoiler pendant un mois et de défiler en agitant leur voile ôtée en solidarité avec N. Sotoudeh ?
Ca aurait une autre gueule que de voir les troupeaux de gilets jaune moutonner dans les rues le samedi. Et autrement plus de signification.
En Iran, avoir défendu ces femmes qui ont osé montrer leur chevelure a été considéré comme une « incitation à la débauche ». Protester comme elle l’a fait pour l’abolition de la peine de mort comme une « atteinte à l’ordre public ».
Le métier d’avocat y est drôlement plus périlleux qu’en Belgique où un avocat peut impunément menacer le jury d’assises chargé de juger un terroriste avant de passer tranquillement et impunément à l’affaire suivante. Il paraît qu’on appelle ça la liberté d’expression de l’avocat. Décidément, on ne peut s’empêcher de trouver cette notion parfois fourre-tout…
« Il y a en Iran des forces ouvertes vers le progrès et nous en tenons compte » disait sans rire notre premier ministre Charles Michel après un entretien avec le président iranien Rohani il y a quelques mois. On se frotte les yeux après avoir cherché où et qui sont ces mystérieuses « forces ouvertes vers le progrès » qui se promèneraient encore en liberté dans les rues de Téhéran. Peut-être notre premier ministre pourrait-il se rendre à la prison d’Evin pour recueillir le témoignage de Madame Sotoudeh ? Ce serait assurément un excellent prétexte pour un voyage à Téhéran.

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LA VIE EST UN ROMAN

Commençons par un jeu. Qui a dit : « Si c’était vrai, cela ne pourrait pas être faux. Et, en admettant que ce fût vrai, cela ne serait pas faux. Mais, comme ce n’est pas vrai, c’est faux » ?

Est-ce Paul Furlan devant sa collection de casseroles ? Stephane Moreau au sujet de ses juteuses rémunérations dans Publifin et officines annexes ? Ou Benoît Hamon à propos de ses contorsions sur l’égalité entre hommes et femmes ou le port du voile dans la région dont il est député ?

La réponse est : Lewis Carroll dans « Alice au Pays des Merveilles » (publié en 1865). Un livre si riche qu’il peut aussi se lire comme un pamphlet sur l’art de discourir de nos politiciens, leur soif du pouvoir, leur folie et leur arrogance. Quand la Reine s’écrie à tout bout de champ : « Qu’on lui coupe la tête ! » le lecteur d’aujourd’hui ne pensera-t-il aussitôt à Trump, Erdogan ou Poutine ?

Et lorsque la Duchesse dit avec un grognement rauque : « Si chacun s’occupait de ses affaires, le monde n’en irait que mieux », ne songe-t-on pas automatiquement une fois de plus à Donald Trump mais aussi à Marine Le Pen ou aux rodomontades de notre secrétaire d’état Théo Francken ?

Il ne faut pas croire que les artistes sont des devins, des émules de madame Soleil. Ils lisent  beaucoup mais rarement dans le marc de café. Ce sont les politiciens qui, à court d’idées cherchent désespérément dans les bouquins, les B.D. et les scénarios quoi dire de neuf à leurs pauvres électeurs. Et qui s’efforcent de ressembler de plus en plus à des personnages de roman ou de films.

Regardez Trump à nouveau. Dans son discours d’investiture, il n’a pas n’hésité à glisser des phrases directement puisées dans les dialogues du film « Batman » de Christopher Nolan.  C’est la harangue de Bane, le méchant du film, qu’il plagie, lorsqu’il s’engage à  transférer le pouvoir de Washington « pour le donner, à vous, le Peuple ! »
On comprend que les ventes de l’angoissant roman de George Orwell « 1984 », qui avaient déjà été boostées par les révélations de Snowden sur l’existence des systèmes mondiaux d’espionnage, aient explosé depuis l’élection du quarante-cinquième président. Il existe en effet une correspondance troublante entre les déclarations de sa conseillère, Kellyanne Conway qui défend l’idée qu’il existe des « faits alternatifs », une autre vérité que la vérité, et G. Orwell lorsqu’un de ses personnages s’écrie : « Le Parti vous dit de rejeter le témoignage de vos yeux et de vos oreilles. C’est son commandement ultime, et le plus essentiel.”

Peut-on suggérer que la légende sous les photos officielles du nouveau patron de la Maison Blanche soit « Ceci n’est pas un président » ? Ce serait un excellent apport de l’art belge à la nouvelle politique américaine.

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LETTRE A MON VOILE

Me seras-tu aussi fidèle pendant l’année nouvelle ? Chaque matin, depuis que mon père t’a donné en cadeau, tu attends mon réveil, nuage noir dans l’obscurité de ma chambre. Dès que je me lève, tu te glisses délicatement autour de mon visage, tu épouses les plis de ma chevelure, tu effaces la forme de mon front (« puissant » comme dit fièrement mon père pour me consoler) mais tu caches aussi la minceur de mon joli cou et ma peau d’ivoire. Tout le reste de la journée, tu me suis, plus attachée à moi que le chien de la voisine (qui préfère les dessous de mes jupes), où que j’aille, quoi que je fasse. Tu refuses même de me quitter quand je me glisse près de Kader – et là, malgré ta discrétion, tu sais que tu me pèses un peu ? Mais que dirait maman et papa si je m’asseyais à la table sans toi ? Et mes frères ? Et les voisins ? Je me suis attachée à toi. J’ai cru ma mère quand elle m’a expliqué que tu effaçais mes défauts. J’ai cru mon père quand il a raconté tu étais le lien avec nos ancêtres qui t’ont porté de génération en génération où que les aient menés leurs pas – ou plutôt où que leurs maris les ont menés. J’ai cru mes frères quand ils ont prétendu que tu étais la preuve de ma dignité, une espèce de médaille qui récompensait ma pudeur et garantissait ma virginité à tout le quartier – Kader, Kader, fais attention ! S’ils te découvraient…
Tu es rassurant et menaçant à la fois comme un garde du corps. Je devrais me sentir fière. Il n’y a que les stars qui se promènent avec un garde du corps. Mais, pourquoi faut-il garder mon corps ? Parfois, je me demande si tu conserves pour toi mes pensées, toi qui passes la journée, juché sur ma tête, à dissimuler ma peau et mes beaux cheveux. L’idée que tu sois capable de lire dans mon cerveau me fait rougir. Kader, si tu savais l’envie qui vient de m’effleurer…
Au fond, m’es-tu aussi fidèle qu’on le dit autour de moi ? Kader, Kader, comme j’aimerais te voir sans témoin, que tu me regardes telle que je suis et pas dans cet uniforme qui fait de moi le clone d’une femme soi-disant idéale. Je souhaiterais que tu aimes mes défauts –mon front- et pas l’image abstraite que je suis obligée de te laisser voir. Je suis différente, Kader. Comme chaque fille au monde est un monde est à elle seule. Tu le saurais sans mon masque…

Pour Leila,

Alain Berenboom