DANS LA QUEUE DE LA COMETE

   La queue de la comète Trump n’a pas fini d’infecter ceux qui passent dans son sillage. Nous aussi, et pas seulement les Américains, risquons de subir pendant un moment encore les excès et les dérives de l’ex maître du monde, qui a libéré quelques virus mauvais contre lesquels on n’a pas encore trouvé de vaccin. 

  Prenez le patron de Belfius, Mr Raisière, une banque qui ne doit sa survie (et les plantureux salaires de ses dirigeants) qu’à l’argent du contribuable. Ce brave homme s’est ouvertement réjoui que la fin de la pandémie, plus exactement des aides publiques, allait nettoyer l’économie belge des restos et bistrots fragiles. Et de rêver que sur ces cimetières vont s’élever de nouveaux établissements, clinquants, plus sains, plus vigoureux. En voilà un qui n’a jamais traîné dans un stam café.

 L’élimination des plus faibles au profit des plus forts cela s’appelle l’eugénisme. Lors du renouvellement de son mandat, Mr Raisière avait tweeté qu’il plaçait « la culture d’entreprise et la satisfaction de ses clients au centre de toutes ses actions ». Faut-il comprendre que l’eugénisme fait partie de la culture Belfius ? Une méthode adoptée par le régime nazi mais aussi par la plupart des pays scandinaves qui l’ont longtemps pratiquée et qui est toujours recommandée par la Chine et Singapour. 

   On peut aussi craindre que le départ du virus redonne des ailes aux gilets jaunes ou à leurs émules, que certains ont comparés aux redoutables olibrius qui ont pris d’assaut le Capitole. Tous ces partisans d’une réalité alternative qui croient que leur candidat chéri a gagné les élections et qu’un dangereux communiste a mis la main sur la Maison blanche. Comme eux, ces « braves gens » se sont proclamés « le peuple », ce qui signifie que les autres n’appartiennent pas vraiment à la race humaine, en tout cas à leur race. Comme ceux qui font encore bêtement confiance à un gouvernement, un parlement, à ce système auquel ils ne croient plus, les élections. Un vieux bazar qui emmène au pouvoir des dirigeants qui ne leur ressemblent pas. Preuve que les urnes sont truquées et les journalistes vendus. 

   Il y a du travail pour rafistoler le lien social, la confiance, pour que nous formions « une équipe de 11 millions », qui ne seront pas obligés de porter le gilet jaune pour prouver qu’ils sont encore des êtres humains… Nos gouvernants ont intérêt à y prendre garde. Et les profs ont aussi un rôle essentiel à jouer pour redonner du bon jus aux futures générations et écarter d’eux le virus mauvais.  

  Ce qui rappelle ce que disait le philosophe américain John Dewey au début du vingtième siècle : « la démocratie doit naître de nouveau à chaque génération, et l’éducation est sa sage-femme »

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LES CONQUERANTS DU NOUVEAU MONDE

On nous répète sans cesse que nous sommes passés dans le « nouveau monde ». Adieu, l’ancien. Tout va changer. Cette semaine, un incident illustre la différence entre les deux mondes. Dans l’ancien monde, lorsque vous confiiez vos économies à une banque, elle vous payait des intérêts. Maintenant, c’est vous qui payez pour récupérer votre argent.
Dans l’ancien monde, votre femme préparait la viande de mammouth que vous aviez ramenée à la caverne. Dans le nouveau, vous partagez avec votre copine les graines que vous avez récoltées dans votre jardin.
Barack Obama, voilà, paraît-il, un personnage de l’ancien monde. Le nouveau, c’est Donald Trump. Vous saisissez comment le nouveau monde a permis à l’humanité de faire un grand pas vers la civilisation et de s’éloigner de la barbarie ?
Jadis, nos parents avaient aussi cherché à distinguer leur ancien monde du nouveau. L’ancien, c’était Fred Astaire, le nouveau, Gene Kelly. L’ancien, la première guerre mondiale. Le nouveau, la seconde. L’ancien, les camps de la mort; le nouveau, la bombe atomique…
Aujourd’hui, même les classiques sont classés de façon différente selon le monde auquel on appartient. La Bible, c’est l’ancien monde (même le Nouveau Testament). Le Coran, le nouveau. Oui, je sais, c’est compliqué.
Rocky, l’ancien monde. Transformers, le nouveau.
Kabila, l’ancien monde. Tshisekedi, le nouveau. Où est l’erreur ?
Autre exemple. Le Soir, c’est l’ancien monde. Les sites de fake news, le nouveau.
Charles Michel-Bart De Wever, l’ancien monde. Charles Michel-Ecolo/Groen, le nouveau.
Dans l’ancien monde, le peuple était souverain. Dans le nouveau, les citoyens ont le pouvoir. Je suppose que ça fait une différence. En tout cas, ça fait du bien de crier en rue quand il fait aussi froid.
A ce propos, les gilets jaunes, c’est le nouveau monde. Mais qu’il a l’air ancien !
Dans l’ancien monde, beaucoup de citoyens se sont battus contre le travail des enfants chez nous. Dans le nouveau, nous nous réjouissons que le prix des pulls et des smartphones venus d’extrême orient soit si bas…
Dans l’ancien monde, l’idée de l’Europe était symbolisée par des gens comme Stefan Zweig, Roger Martin du Gard, Einstein, Churchill, Schuman ou Angela Merkel. Les Européens du nouveau monde s’appellent Orban, Salvini, Houellebecq ou Juncker. Au secours !
Dans l’ancien monde, Tintin partait pour la Lune, accomplissant le rêve séculaire de l’homme. Dans le nouveau, la Belgique et le Luxembourg ont signé une convention pour l’exploitation des ressources minières de l’espace.
Dans l’ancien monde, on partait en pique-nique à la campagne, en essayant de protéger les sandwiches des insectes. Dans le nouveau, on expliquera à nos petits-enfants à quoi ressemblaient les abeilles, les oiseaux et les fleurs.

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NOUS NOUS SOMMES TANT AIMES

La comédie italienne a disparu dans l’incendie du Cinema Paradiso, le beau film de G. Tornatore. Mais le cinéma italien était déjà moribond depuis plusieurs années.

Depuis que Silvio Berlusconi était devenu le plus important producteur privé de cinéma, les principaux auteurs, Fellini, Visconti, étaient partis sur la pointe des pieds en même temps que les maîtres de la comédie italienne, entraînant avec eux leurs merveilleux comédiens, Gassman, Sordi, Mastroianni, Manfredi.

Seul ou presque, Nanni Moretti a encore réussi à lancer quelques dernières fusées de détresse. L’une des plus éblouissantes, « Le Caïman » étant justement un portrait sarcastique et désespéré du bonhomme Berlusconi.

L’Italie qui se présente aux élections ce dimanche est à l’image de la décadence de son septième art qui avait été si fécond et merveilleux depuis la fin de la guerre.

Ce sont quelques-unes des plus belles images du cinéma transalpin qui nous reviennent en contemplant l’état de l’Italie et la binette de ses politiciens comme si le mal dont souffre le pays était déjà en germe depuis le début de la république.

L’électeur qui ne sait plus à quel saint se vouer, ressemble aux personnages de « la Dolce Vita » de Fellini, errant sans but, avec la gueule de bois, prêts à se jeter dans la première Fontaine de Trevi pour y retrouver Anita Ekberg et ses paillettes mais irréelle et illusoire.

« Affreux, sales et méchants », la comédie grinçante d’Ettore Scola, semble parfaitement définir la politique italienne en 2018, un bidonville habité par des hâbleurs, type Vittorio Gassman et des vendeurs de vent et d’illusions à la Alberto Sordi. Tandis que dans l’ombre de Berlusconi et de ses inquiétants alliés de la Liga, se glissent les post-fascistes des Fratelli d’Italia.

Privés de leur meilleur cinéma, les Italiens ont oublié à quoi ressemblaient les grotesques mais sinistres marionnettes qui ont conduit Mussolini au pouvoir et maintenu le régime fasciste pendant plus de vingt ans. Que la Rai reprogramme vite « La Marche sur Rome » de Dino Risi, les fascistes version grotesque et « Le Conformiste » de B. Bertolucci version dramatique et glaçante.

Il est vrai que les Italiens ont l’idéologie à géométrie variable. Ils circulent de l’une à l’autre  avec la même facilité que le personnage incarné par Sordi dans « L’art de se débrouiller » de L. Zampa, tour à tour socialiste, fasciste, communiste puis démo-chrétien et parfois le tout en même temps.

Mais la plupart d’entre eux ne sont pas cyniques et ils gardent au fond d’eux le rêve d’une société meilleure et le goût de la civilisation comme le racontait avec tant de nostalgie « Nous nous sommes tant aimés », le chef d’œuvre d’E. Scola. A revoir toutes affaires cessantes avant de regarder les résultats sortis de l’urne.

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TENUE DE SOIREE

Depuis deux ans que je l’attendais. Enfin, le revoilà, ce grand moment d’émotion et de plaisir, d’intelligence et de civilisation : la soirée électorale.
De civilisation ? oui. Car, dans une soirée électorale, on ne s’insulte pas, on ne se dispute pas, on se respecte. Philippe Moureaux est prié de remballer ses démons s’il veut passer devant les caméras; il lui est même interdit d’insulter ses propres troupes. Didier Reynders fréquente soudain les infréquentables. Les ecolos la jouent pepsodent avec qui leur fait des mamours. Et Joëlle Milquet insiste qu’on la maquille avec le sourire du Joker pour éviter que la caméra ne saisisse à son insu le moment où elle lira les résultats.
Pour un soir, on est co-pains !
Tout le monde est heu-reux !
Ils ont tous gagné !
Celui qui n’est pas le premier parti de Wallonie est néanmoins le premier si l’on ajoute à ses résultats ceux qu’il aurait eus dans le cas où.. et si on avait comptabilisé…
Celui qui est premier est triomphant : ne lui avait-on pas promis l’apocalypse ? Bien sûr, ses résultats sont en chute libre par rapport aux précédentes élections régionales et européennes. Mais qui compte ainsi ? Pour une comparaison sérieuse, il faut faire la moyenne entre les dernières élections fédérales, les élections communales et l’âge moyen de la population. Ce qui permet de conclure que le parti a sérieusement augmenté son taux de pénétration.
Bien sûr, pour gâcher la fête de nos stars, la télé nous sort ses spécialistes, des coupeurs de cheveux en quatre, qui relèvent qu’à cause de la séparation de la commune de Jehay-Bodegnée en deux entités, rattachées respectivement à Amay et à Verlaine, arrondissement de Huy, province de Liège, dix bureaux dépouillés sur soixante, les sondages à la sortie des urnes indiquent l’effondrement de … Tout le monde s’en moque de vos analyses. Ce qu’on veut, c’est du sang ! Joëlle foudroyant Didjé qui vient d’assassiner Elio, sous le regard bon enfant de Jean-mi. Au lieu de quoi, que nous offrent les radios et les télés ? Leurs visages souriants, leurs remerciements à leurs cher-z électeurs qui nous ont apporté leurs…, leur triomphe modeste. Et leurs déclarations, prononcées d’une voix mécanique, comme si la machine déjà les lâchait.
« Alors, président, comme vous l’aviez promis, pas d’impôts ?
– Je ne parle pas avec des slogans. Moi, j’agis. Nous aurons un comportement responsable.
« Pendant la campagne, vous avez jeté des exclusives contre certains partis. Toujours d’actualité ce soir ?
– Nous devons rester humbles devant l’ampleur de la tâche qui nous attend. En période de crise, on sauve d’abord les meubles, pas les présidents de parti.
Vivement la suite, avec les fédérales. Je m’en lèche déjà les babines !

Alain Berenboom
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