AU VILLAGE SANS PRETENTION, J’AI MAUVAISE REPUTATION…

  Le « village-prison » de Haren, quelle trouvaille ! On croyait que la communication n’était pas vraiment la tasse de thé de la Justice – encore moins de l’Intérieur. Erreur. Ils ont trouvé un petit professionnel malin (ou une ingénieuse diplômée en comm’) qui va enfin changer l’image de l’enfermement en Belgique. Et transformer la geôle en club vacances. 

S’est-il inspiré des Chinois, maîtres en matière de mots pour habiller les châtiments les plus terribles sous les mots les plus sournois? La cruelle répression de la fin des années soixante avait été baptisée « révolution culturelle », faisant glousser d’envie quelques naïfs intellectuels germano-pratins qui croyait que Mao allait vraiment éclairer la politique par la culture. Même refrain avec la « rééducation » en cours des Ouïgours qui cache l’éradication systématique d’un peuple.  

Bien sûr, nous sommes en démocratie. Et les prisons belges accueillent de vrais délinquants, du moins en majorité. Un certain nombre sont condamnés (même si on peut se scandaliser de tant de détentions préventives). Mais qu’on n’essaye pas de voiler la réalité avec ce concept bidon de « village-prison ». 

Façon de faire oublier cette masse de béton de plus de quinze hectares dans lequel vont être entassés 1 200 détenus (et plus si affinités). Devenant des ombres au milieu de milliers d’ombres, chacun un numéro anonyme sous des caméras de surveillance et non plus un individu qui va reprendre sa place dans la société.  

On peut craindre que seul le bâtiment sera flambant neuf et non la politique de détention. D’autant que l’entretien et le service seront assurés par une société privée dont le bien-être des détenus ne devrait pas être la principale préoccupation. 

En Belgique, l’argent de la Justice est investi dans la brique (ou les échafaudages) et pas dans le travail des magistrats, la formation des gardiens et des autres intervenants pénitentiaires, et surtout pas dans une véritable politique de réinsertion. 

A moins que Haren devienne vraiment un village ? Allez, chiche ! Marché bio le samedi, kayak, basket et foot le dimanche, animation tous les soirs avec DJ en vedette, et bistrot entre potes pour l’apéro ? Et surtout école, cours de formation. Et des psychologues qui oeuvrent pour la santé des détenus et non pour les disséquer.

On peut hélas craindre qu’on va juste synthétiser dans ce coin perdu de Haren, à l’ombre des regards, tous les défauts de Saint-Gilles, de Berkendael et de Forest réunis – sauf les poux, les puces et les rats. Une prison, il n’y a pas de quoi s’en vanter. C’est l’échec de la politique de prévention, de l’éducation, d’une vraie politique de sanction utile à l’individu et à la société.   

Il est toujours bon de se rappeler cette phrase de Victor Hugo : « celui qui ouvre une école ferme une prison ».    

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DANS LA QUEUE DE LA COMETE

   La queue de la comète Trump n’a pas fini d’infecter ceux qui passent dans son sillage. Nous aussi, et pas seulement les Américains, risquons de subir pendant un moment encore les excès et les dérives de l’ex maître du monde, qui a libéré quelques virus mauvais contre lesquels on n’a pas encore trouvé de vaccin. 

  Prenez le patron de Belfius, Mr Raisière, une banque qui ne doit sa survie (et les plantureux salaires de ses dirigeants) qu’à l’argent du contribuable. Ce brave homme s’est ouvertement réjoui que la fin de la pandémie, plus exactement des aides publiques, allait nettoyer l’économie belge des restos et bistrots fragiles. Et de rêver que sur ces cimetières vont s’élever de nouveaux établissements, clinquants, plus sains, plus vigoureux. En voilà un qui n’a jamais traîné dans un stam café.

 L’élimination des plus faibles au profit des plus forts cela s’appelle l’eugénisme. Lors du renouvellement de son mandat, Mr Raisière avait tweeté qu’il plaçait « la culture d’entreprise et la satisfaction de ses clients au centre de toutes ses actions ». Faut-il comprendre que l’eugénisme fait partie de la culture Belfius ? Une méthode adoptée par le régime nazi mais aussi par la plupart des pays scandinaves qui l’ont longtemps pratiquée et qui est toujours recommandée par la Chine et Singapour. 

   On peut aussi craindre que le départ du virus redonne des ailes aux gilets jaunes ou à leurs émules, que certains ont comparés aux redoutables olibrius qui ont pris d’assaut le Capitole. Tous ces partisans d’une réalité alternative qui croient que leur candidat chéri a gagné les élections et qu’un dangereux communiste a mis la main sur la Maison blanche. Comme eux, ces « braves gens » se sont proclamés « le peuple », ce qui signifie que les autres n’appartiennent pas vraiment à la race humaine, en tout cas à leur race. Comme ceux qui font encore bêtement confiance à un gouvernement, un parlement, à ce système auquel ils ne croient plus, les élections. Un vieux bazar qui emmène au pouvoir des dirigeants qui ne leur ressemblent pas. Preuve que les urnes sont truquées et les journalistes vendus. 

   Il y a du travail pour rafistoler le lien social, la confiance, pour que nous formions « une équipe de 11 millions », qui ne seront pas obligés de porter le gilet jaune pour prouver qu’ils sont encore des êtres humains… Nos gouvernants ont intérêt à y prendre garde. Et les profs ont aussi un rôle essentiel à jouer pour redonner du bon jus aux futures générations et écarter d’eux le virus mauvais.  

  Ce qui rappelle ce que disait le philosophe américain John Dewey au début du vingtième siècle : « la démocratie doit naître de nouveau à chaque génération, et l’éducation est sa sage-femme »

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L’AN VAIN … QUOIQUE

   Que va-t-on retenir de l’an vingt ? D’accord, il y a…

Mais aussi bien d’autres choses. Tenez, puisque nous en parlons, la Chine. 

Cette année, ce sera le pays où la croissance sera la plus forte dans le monde. Celle aussi où le nombre de journalistes emprisonnés est le plus important. Doit-on conclure que moins il y a d’esprits libres, plus le commerce explose ? Donald Trump serait d’accord. 

   Tenez, puisque nous en parlons, Trump. Plus fort que le virus, Joe Biden aura réussi à avoir sa peau. Joe, présenté comme un pâle challenger, pourrait nous étonner. Faut parfois se méfier des vieux endormis.

Tenez, puisque nous en parlons, trois petits vieux nous ont emballés cette année. Les trois héros du dernier roman de Richard Russo « Retour à Martha’s Vineyard » (éditions Quai Voltaire). De retour dans la propriété de l’un d’eux où, le temps d’un week-end de la fin de saison 1969, ils sont tombés amoureux de la même fille qui a mystérieusement disparu…

Tenez, puisque nous en parlons, la machine à remonter le temps a  beaucoup fonctionné cette année pour notre plus grand plaisir de lecteur – peut-être pour échapper à ce dont nous ne parlons pas. Elle est remontée en 1938 avec cette magnifique BD de Verron et Yves Sente « Mademoiselle J » (chez Dupuis) qui retourne dans le monde de Spirou des débuts (avec un graphisme superbe) mais en se frottant aux périls politiques qui commencent à dévorer l’Europe (un scénario d’une redoutable intelligence). 

La machine est ensuite repartie en 1980 avec le troisième roman de notre romancière anglaise préférée, Jessie Burton. Dans « Les Secrets de ma mère » (Gallimard), elle se promène dans deux époques (elle excelle à ce jeu). Une fille recherche sa mère mystérieusement disparue (encore une disparition, décidément) de Hollywood où l’avait emmenée son amie écrivain. Comme Russo, Burton a cet art de créer une tension digne d’un thriller pour dessiner des personnages complexes, bizarres mais terriblement attachants. Voilà des écrivains n’ont pas peur d’utiliser les principes du roman policier pour bâtir leurs romans. 

Tenez, puisque nous en parlons, les policiers ont été en première ligne, hélas. Malgré eux. Ou à cause d’eux. Pas seulement ceux qui ont assassiné George Floyd à Minneapolis. Mais aussi ce policier, jugé en cette fin d’année, pour n’avoir pas hésité à tirer sur une camionnette parce qu’elle transportait des migrants. Il a abattu une petite fille sur une autoroute wallonne. Le Parquet demande le sursis. Et personne n’a songé à le chasser de la police. Pas plus que ceux qui ont participé à la mort d’un passager slovaque à l’aéroport de Charleroi, pendant qu’une policière faisait le salut nazi sous les rires de ses collègues. Et on s’étonne de la violence impunie de la police de Waterloo ? Comme disent les urgentistes, la fièvre monte… 

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ELOGE DU RIEN

A quoi ressemble la planète Terre en ce début 2020 ? 

Le Moyen Orient ? A feu et à sang. En Iran, au Yemen, en Syrie, on se bousille à tour de bras, on se kalachnikove joyeusement comme si on distribuait en cadeaux à la sortie des supermarchés de la région des armes et des munitions au lieu de caramels mous. Avec la bénédiction divine.  

De l’autre côté de la planète, en Australie, pas besoin de pétards pour ravager la plus grande île du cinquième continent. Devenue la vitrine du réchauffement climatique grandeur nature. Un avant-goût de ce qui nous attend à Coxyde ou à Bastogne lorsque l’été reviendra chez nous ? 

C’est le feu de l’enfer ! prophétisent quelques gourous illuminés, toujours prêts à placer Dieu au milieu des catastrophes. Remarquez qu’on a beau invoquer le Seigneur, soit il est sourd (vu son âge, on peut lui pardonner), soit il s’en fout (il y a tant d’autres planètes où on l’appelle à l’aide). En tout cas, face aux incendies, vaut mieux utiliser les pompiers que les crucifix. L’’eau bénite n’a jamais réussi à apaiser les flammes.  

En Amérique latine ? Le continent craque de partout alors que l’on pensait la démocratie remise en selle après tant d’années de souffrances sous d’épouvantables dictatures militaires. Mais non, les régimes, la société, se disloquent au Brésil, en Bolivie, au Venezuela, en Argentine, au Nicaragua, Guatemala. Arrêtons là le triste bilan de l’Amérique hispanique et fuyons vers le Nord. Si on nous laisse entrer, nous y trouverons le plus absurde, le plus arrogant et le plus dangereux président des Etats-Unis. 

Face à lui, Poutine a l’allure d’un dirigeant rationnel, intelligent et diplomate…

La répression en Chine, le triste état des révolutions arabes en Egypte, en Algérie. La Lybie en pleine guerre civile. 

Et on se plaint ? On déplore de ne pas avoir de gouvernement ? De regarder le carrousel politique tourner sans fin telle la grande roue devant le Palais de Justice en ruine ? 

Cessons de nous lamenter ! D’agiter ce cliché « la nature a horreur du vide ». Au contraire, sortons les drapeaux et félicitons nos hommes et femmes politiques qui ont la délicatesse de ne pas nous imposer leur présence et leur pouvoir. Pas de chef, pas de manifs, la paix. Le 16 rue de la loi transformé en palais des courants d’air. Bravo ! Ne pleurez pas avec ceux qui gémissent de ne pas être gouvernés. Regardez le reste de la planète et poussez un grand soupir de soulagement. Un gouvernement qui n’est que du vide, c’est une autre façon de gérer la chose publique. 

Les enseignants avaient montré l’exemple. Quel cours est plus passionnant, plus suivi par les enfants, moins terrorisant à l’heure des examens que le fameux cours de rien ?  

Du cours de rien au gouvernement des fantômes, célébrons la Belgique, une fois de plus été à l’avant-garde.  

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CE N’EST PAS EN 20 QU’ON CRIE DANS LES RUES !

  Que sait-on déjà de 2020, sinon que l’année a commencé dans le brouillard ?

   Seule certitude à l’agenda, le cocktail organisé à Washington au soir du 3 novembre pour fêter le nouveau président des Etats-Unis. Mais bien malin qui pourra deviner le nom de l’heureux invitant et des invités. Sauf un, Kim Jong-un. Il a déjà promis d’être présent auprès de son ami Donald dont il est certain de la victoire (car il n’a jamais entendu parler d’une élection dont on ne connait pas le résultat à l’avance). Il viendra avec un cadeau explosif et une nouvelle coupe de cheveux. Comme Kim a peur de l’avion et qu’il ne se déplace qu’en train blindé, il compte se mettre en route dans les prochains jours. Rien d’imprévu à attendre donc de sa part. Surtout rien d’imprévu.  

 C’est ça le problème des tyrans, ils sont incapables d’offrir de temps en temps une surprise à leurs peuples. On sait déjà qu’il n’y aura pas de chinoiseries électorales en Chine, que les lendemains seront byzantins en Turquie et les résultats électoraux déjà imprimés en Russie comme en Iran. Mauvais calcul, messieurs. Les gens ont besoin d’air frais depuis qu’ils ont pris conscience que la planète a commencé dangereusement à se réchauffer.

   Vous ne vous êtes pas aperçus que ça bouge drôlement depuis quelque temps ?  Pas vu tous ces hommes, ces femmes, ces enfants qui se sont mis à descendre dans les rues ? Du Chili au Soudan, de Hong Kong à Bruxelles, d’Alger à Paris, les causes semblent différentes, climat, misère, liberté et démocratie ou bêtement prix du diesel. Mais elles ont confusément le même point commun : une méfiance grandissante dans le fonctionnement des institutions de leur pays, dans leurs dirigeants, et leur capacité à désembourber la société. 

   Lorsque Carlos Ghosn s’enfuit de Tokyo parce qu’il se méfie – non sans raison- de l’indépendance de la justice japonaise, il est dans l’air du temps. Mais il a peut-être choisi une dangereuse destination parce qu’à Beyrouth aussi, ça tangue, ça tangue, ça tangue énormément ! 

   A sa place, j’embarquerais au plus vite, toutes voiles dehors, avec Greta Thunberg. Pour sillonner les océans avant que leurs flots ne recouvrent à nouveau les continents. Vous imaginez cette belle image, l’ancien patron tout puissant de Renault-Nissan-Mitsubishi errant sur l’Atlantique sans une goutte de pétrole – sauf une petite bouteille nécessaire pour se lisser les cheveux- en compagnie de la petite sirène de Stockholm! 

   Pendant la longue traversée, Greta aura le temps de rattraper son année sabbatique. Carlos  lui refilera ses cours de l’Ecole Polytechnique. En échange, elle lui apprendra le ba-ba des règles de protection de la planète. Ainsi que l’art de maîtriser les medias. 

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HONG KONG BLUES

  « J’ai besoin que quelqu’un me prête cinquante dollars et je pourrai quitter Hong Kong avec plaisir » chantait déjà Hoagy Carmichaël dans « Le Port de l’Angoisse » devant Humphrey Bogart et Lauren Bacall. 

  Pendant « l’âge d’or » de la colonie britannique puis depuis la restitution à la Chine du territoire, les habitants sont protégés par un système de libertés légales, politiques et financières (garanti jusqu’en 2047). Façon de conserver précieusement l’image d’indépendance de cette île-éponge qui, pendant près de quatre-vingts ans, a attiré les investisseurs du monde entier en faisant semblant de ne pas voir que leur argent était aussitôt investi pour développer la Chine rouge. 

  Mais le masque est sur le point de tomber. Peu à peu, l’étau se resserre sur le territoire supposé autonome. Le gouvernement chinois ayant créé d’autres centres financiers pour attirer les capitaux étrangers (à Shenzhen par exemple), l’ancienne colonie ne sera bientôt plus aussi utile. Les citoyens de l’île le sentent bien, leurs jours de liberté sont comptés. Lorsque le colonisateur britannique a renoncé à sa souveraineté sur le territoire, il ne l’a pas rendu libre mais l’a précipité aux mains d’un nouveau colonisateur. 

   Dans un roman publié il y a deux ans, « Hong Kong Blues » (éd. Genèse), j’évoquais la grande mélancolie des habitants du « Port aux Parfums » pendant que la violence commençait à couver dans le territoire. « No future », telle est la seule perspective de ses habitants. Qui vivent la fin de leur monde entre fièvre technologique et immobilière et nostalgie de l’esprit suranné et de la culture vintage british.

 La révolution des parapluies en 2014 avait déjà mis en cause le système hypocrite de désignation des dirigeants de l’île, manipulée directement par Pékin. Mais surtout, les jeunes Chinois de Hong Kong (qui rejettent la Chine continentale surtout depuis la main mise de Xi Jinping) n’avaient pour seule perspective que de quitter l’île pour rejoindre l’Australie, le Canada, la France ou les Etats-Unis. Les jeunes filles en mettant le grappin sur des expatriés occidentaux dont elles espèrent qu’ils les ramèneront dans leurs valises. Et les jeunes gens en proposant leurs services (notamment de traders) dans les places financières de l’ouest.

  Après les manifestations d’il y a cinq ans qui dénonçaient l’effritement de la démocratie politique, les nouvelles démonstrations où les habitants sont venus en masse (plus de deux millions de personnes dans les rues) montrent la fragilité des institutions judiciaires de Hong Kong soi-disant indépendantes. 

   Aujourd’hui, ce n’est plus du cinéma. Le Port aux Parfums est devenu le Port de l’Angoisse mais les fantômes de Bogey et de Lauren Bacall se sont évanouis. 

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LA TERRE EST PLATE

   Un groupe d’internautes a lancé il y a quelque temps sur les réseaux sociaux une plateforme pour soutenir le projet d’un scientifique qui prétend prouver que la terre est plate. 

  Avant de lui jeter la pierre, rappelons-nous que c’est la grandeur de la science de remettre sans cesse en question les soi-disant vérités établies.  

  Que ce « scientifique » soit peut-être gentiment fêlé suffit-il pour qu’il ait tort ? Je note qu’il est déjà suivi par des milliers d’internautes. Or, les citoyens ont de nos jours toujours raison.  

D’ailleurs, ce savant est déjà l’auteur d’autres découvertes révolutionnaires. Ainsi, c’est lui qui a établi que la Lune n’existe pas. Qu’elle n’est qu’un phénomène d’hypnotisme collectif de nature sexuelle, qui s’apparente à l’hystérie. La preuve est que seuls les amoureux sont persuadés de la présence de notre satellite dans le ciel. Alors qu’en science, il faut toujours privilégier la raison sur l’émotion. 

  Le retour à une conception plane de notre planète peut avoir des conséquences importantes sur l’avenir géopolitique. Imaginez la terre comme une table. Sur le dessus du plateau, l’Occident. Sur le dessous, la Chine et l’Iran. Il sera beaucoup plus facile d’éliminer toute source de conflit entre Occident et Orient si le recto et le verso se tournent le dos. 

Même considération à propos de l’environnement. 

Si l’un des côtés de la Terre est prêt à faire d’importants efforts pour préserver le climat et les espèces, et l’autre pas, tant pis pour ce qui se passe du côté obscur. On peut parfaitement envisager que le recto de la planète soit sauvegardé et son verso envahi par les mers et brûlé par le soleil. Sur une terre ronde, tout se tient. Les saletés des uns polluent les fleuves, les mers et le ciel des autres. Alors que sur une terre plate, c’est chacun chez soi.  

   Une terre plate présente aussi de grands avantages dans la lutte contre l’immigration. Ce qui explique le Tweet récent de Théo Francken qui soutient la théorie de la terre plate en rappelant qu’elle était la règle au Moyen âge, à l’époque bénie des cathédrales, comme il l’appelle. 

En effet, les candidats à l’exil qui vivent en dessous de la plaque planétaire ne pourront plus arriver chez nous par mer. Ils devront creuser des tunnels pour essayer de débouler de ce côté du monde. Outre la difficulté technique pour eux, il sera évidemment beaucoup plus facile pour nous de guetter leur arrivée et de les repousser.

On a tort de ricaner devant les théories nouvelles qu’on croit d’abord utopiques. Personne n’avait imaginé qu’un gouvernement présidé par un socialiste allait chambouler le régime du chômage. Ou qu’un premier ministre libéral allait fermer les yeux sur le renvoi de réfugiés soudanais avec l’aide des services secrets de cet odieux pays. Alors, pourquoi la terre serait-elle toujours ronde ? 

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COUP DE POINTS

Ils étaient des milliers à manifester dans les rues de Bruxelles, le poing levé, contre la pension à points. Tous et toutes, ou à peu près, avaient dans leur poche une carte à points de leur supermarché et les cartes de fidélité de leur libraire, de leur magasin de vêtements. Dix pensionnés et le onzième gratuit ?

On n’en est pas encore là mais dans une époque d’individualisme et de compétition permanente, la carte à points est devenue le pacemaker de notre civilisation.

Au point que les Chinois, toujours en avance quand il s’agit de mettre leur pays en coupe réglée grâce aux nouvelles technologies, ont commencé à expérimenter la carte à points du citoyen. Un système de notation qui sera généralisé dans moins de deux ans.

Le système tient à la fois du permis de conduire à points et du jeu vidéo. A sa naissance, chaque nourrisson reçoit vingt Pampers, un sac de dragées et un actif de cent points. Ce capital, il va le faire fructifier ou le brûler tout au long de sa vie selon qu’il accomplit des bonnes ou des mauvaises actions.

Le ou la camarade devient membre du parti communiste, bravo, vingt points de plus. Il brûle un feu rouge, un point de moins ; il publie sur les réseaux sociaux un poème à la gloire de Xi Jinping, trois points de plus. Il fait quatre enfants, aïe ! Il manifeste pour la liberté d’opinion, Game over !

Le mauvais citoyen va perdre peu à peu ses droits et ses avantages, cartes de crédit, droit de voyager, accès à internet. Jusqu’à être complètement débranché.

Régler les problèmes de la société grâce aux technologies, voilà l’avenir. Dans cette magnifique perspective qui va faire de chaque citoyen une simple donnée numérique, le ministre Bacquelaine fait un peu figure de petit bras avec sa misérable pension à points. Faut voir plus grand, mon Daniel ! Ne pas seulement lier la pension aux nombres de jours de travail, avec prime pour les jobs pénibles et retenue pour les paresseux. Non, il faut aller beaucoup plus loin. Le droit à la pension mais aussi à ouvrir un compte en banque, à acheter une place au stade Roi Baudouin ou à faire ses courses à Delhaize ou à Lidl seront liés au comportement de chaque travailleur, noté jour après jour.

Celui qui manifeste contre les projets du gouvernement, crac, dix points en moins. S’il ne vote pas libéral ou nationaliste flamand, exclu des bureaux de vote. Ceux qui accueillent des réfugiés, interdits de voyager.

Suffit d’enregistrer leurs noms sur une liste noire pour que Ryanair, Neckermann, Bozar, Forest national ou la SNCB ne vous délivrent plus de tickets.

Et, si trop de citoyens passent la ligne rouge, il suffit de les éliminer et de les remplacer par des robots. A quoi servent des êtes humains qui ne savent pas lever les points ?

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HONG KONG STORIES

A Hong-Kong, d’où je vous écris, à quoi s’intéresse la presse ? Les pages internationales ne parlent ni de l’Europe, ni des Etats-Unis, et si peu de la Belgique ! La seule préoccupation ici, et elle est obsédante, est ce qui se passera demain dans la région.

Cela ressemble étrangement à la querelle de la semaine au sein du Front National en France entre anciens et (pseudo-)modernes, ou si l’on préfère au grand écart entre le monde d’hier et celui d’aujourd’hui.

Le grand titre : la rencontre entre Eric Chu, le président du Kuomintang, le parti au pouvoir à Taïwan et le secrétaire général du parti communiste chinois, le redoutable Xi Jinping. Le face-à-face entre ce qui reste de la Chine ancienne et celle d’aujourd’hui, prête à avaler la seule partie d’Empire du Milieu resté indépendante après la récupération de Hong-Kong à la fin du siècle dernier.

La « révolution des parapluies » qui se poursuit sur le mode drache occasionnelle sonne comme une piqûre de rappel pour les Taïwanais sur le sort qui les attend lorsque l’empire les aura avalés. Bien-être essentiellement économique (pour les riches), régime spécial sur le plan des libertés et des droits démocratiques mais sous contrôle étroit du grand Frère, qui n’a plus le titre de grand Timonier mais qui a gardé toutes ses attributions et son bâton…

L’autre titre louche sur l’empire voisin, la Russie. La presse de Hong-Kong se préoccupe avec inquiétude sur le sort qui attend le Kazakhstan après la disparition de son vénérable président à vie, Nursultan Nazarbaiev (seul dirigeant survivant des anciennes républiques soviétiques). Cette république nouvelle, a déclaré insidieusement Poutine, n’a jamais été un pays… Ce qui fit dire aux observateurs d’ici que le sort de la Crimée peut servir d’exemple pour récupérer l’éponge à pétrole et à gaz lorsque son actuel boss aura fait la malle. Figée entre la Chine, l’Ukraine et la Russie, elle est hélas bien ou mal placée selon les points de vue.

Tandis que je vous résume la presse de ce matin à Hong-Kong, trois nouveaux immeubles tours sont sortis de terre. Il y en aura trois autres demain et ainsi de suite. Composant un paysage apparemment moderne, une réplique de « Blade Runner » tel qu’en rêvaient ou cauchemardaient les écrivains et les cinéastes de science-fiction il y a une quarantaine d’années mais qui parait à présent prêt à disparaître car comment nourrir dans l’avenir ces insatiables monstres énergivores ?

Comment un confetti créatif, riche mais incroyablement bling-bling et terriblement peuplé, aux marches des Empires, peut-il se réinventer alors que la concurrence des nouvelles pétro-villes s’annonce redoutable ? C’est à ça qu’on pense en contemplant la nuit la skyline de Hong-Kong qui brille de mille feux…

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