MR OPTIMISTE

OCTOBRE 2013: PARUTION DU NOUVEAU LIVRE d’Alain BERENBOOM

optimiste

À la mort de ses parents, le narrateur décide de ranger, non sans réticence, les archives familiales empilées depuis des lustres dans une armoire. Vieilles lettres de famille en plonais et en yiddish, formulaires divers, reçus d’administrations disparues. Il redoute ce travail fastidieux, persuadé que son père, un petit pharmacien de quartier, a eu une vie « sans histoires ». Or, au fil des découvertes, se dessine le portrait d’un Don Quichotte original et aventureux.

Parti de son shtetl de Pologne, il arrive à Liège, à la fin des années vingt, pour étudier la pharmacie. Comme il ne parle pas français, il trouve le job idéal auprès d’un prestidigitateur à la recherche d’un « étranger » prêt à monter sur scène à chaque représentation pour confirmer au public que la femme à couper en deux est bien dans son écrin. C’est ainsi que commence la vie en Belgique de Monsieur Optimiste.

Pendant ce temps, Rebecca, sa future femme arrive de Vilnius à la fin des années trente. Lorsqu’elle rencontre Mr Optimiste dans une pharmacie de Bruxelles, c’est le coup de foudre. Ils se marient et aussitôt, la guerre éclate…

Sous couvert de divers patronymes, Mr Optimiste va surmonter bien des épreuves, de son voyage de noces sous les bombardements à Boulogne-sur-Mer, à une amitié imprudente avec un Allemand qui se révèle espion du iiie Reich. De la perte de sa soeur cadette dans le ghetto de Varsovie à la clandestinité. Il lui faudra aussi déployer beaucoup d’imagination pour échapper aux nazis ou, ensuite, à la Sûreté de l’État, à l’affût de ses amitiés communistes.

Mauvais juif [mais lecteur assidu de la Bible], sollicité par sa mère de revenir en Pologne mais tenté de vivre  en Israël tout en se montrant défenseur inconditionnel de son pays d’accueil, concocteur de remèdes magiques pour  hommes, femmes et pigeons. Voilà quelques-unes des facettes contradictoires de cet indéfectible optimiste.

À travers ce récit, tantôt burlesque, tantôt poignant et nostalgique, inspiré de la vie du père de l’auteur, c’est bien sûr l’Histoire du xxe siècle qui se dessine en filigranes mais c’est surtout pour l’auteur, une façon de tendre la main à ses origines et de cerner sa propre identité.

 

SUJET D’ACTUALITE

   Ce jour-là, le roi redeviendra sujet. Sujet, enfin ! Après tant d’années où il a été objet. Objet de culte ou de médisances, de critiques ou d’admiration, de harcèlement ou de rassemblement. Objet entre les mains des politiques et des medias. Chez nous, le roi ne règne pas. On règne sur lui.

Certains s’étonneront pourtant : pourquoi se prive-t-il des « privilèges » de sa fonction ? Vous appelez ça un privilège d’être le seul citoyen condamné au silence dans un pays où le sport national, avant le vélo et le ballon, est de se plaindre, de critiquer ou de se moquer, en tout cas de parler, de jacasser, de jacter, de discutailler, de jargonner, bref de l’ouvrir tout simplement ? Se taire, un privilège ? Dans un peuple de bavards, c’est plus lourd qu’un discours d’inauguration, plus lourd même qu’une couronne !

Au point qu’une fois, tout de même, le roi a fini par donner de la voix quand les politiques avaient perdu la leur. Heureusement que, dans le silence assourdissant, il a alors osé sortir de son mutisme ! Mais, la crise réglée, il est rentré dans le rang avant qu’on lui dise : « On la ferme, sire ! »

Transformé en sujet, le roi sera enfin souverain. Car, beaucoup l’oublient, ce n’est pas le chef de l’état mais le peuple qui est souverain, pour reprendre la jolie formule de la constitution de 1793, comme l’a souligné le roi lui-même dans son allocution.

Objet, il était muet. Sujet, il a droit au verbe. Et aux adjectifs, en veux-tu en voilà ! Ainsi qu’aux compléments, des compliments qu’il mérite assurément pour la superbe mission qu’il a accomplie depuis vingt ans.

Désormais, ce n’est plus seulement sur son yacht qu’il sera seul maître à bord après Dieu: c’est le sujet qui commande la phrase, mille sabords ! Lui qui décide du singulier comme du pluriel, du masculin et du féminin, qui accepte ou non de s’adjoindre une ou plusieurs subordonnées. Il peut ouvrir des parenthèses (il est sain de faire entrer l’R quand les D risquent d’être pipés), glisser des sous-entendus, ajouter des tas de mots, même gros, et les faire suivre de points d’exclamation en forme de coups de poing s’il en a envie (Attention ! Sujet méchant ! Le verbe meurt mais ne se rend pas !)

Le sujet est libre de sa langue, avec ou sans sous-titres. Et, sans sa majesté, il peut se montrer, comme n’importe quel citoyen, bon ou mauvais sujet.

Il pourra défiler librement, s’il en a envie. Faire un petit voyage à Liège, pour crier avec les supporters, sous les fenêtres du Standard : « Président ! Casse-toi ! » Ou à Anvers, pour chanter devant l’hôtel de ville « Vive la Belgique ! L’union fait la force ! » Ou, à la hollandaise : « Je maintiendrai ! »

Qu’il doit être agréable, après avoir été roi des Belges, de reprendre enfin de l’empire sur sa vie…

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VACANCE(S)

Alors que les estivants se lancent sur les routes, beaucoup de citoyens ont du mal à partir en vacances. Il y a ceux qui n’en ont pas les moyens, ceux qui n’en ont pas envie et ceux qui en ont assez. Et qui préfèrent le crier chez eux que sur les plages dorées. Cette année, la mode n’est plus de construire des châteaux de sable mais de les abattre. D’Istanbul à Rio, les bords de mer sentent le gaz lacrymogène plutôt que la barbe à papa.

On a l’impression un peu partout que c’est le pouvoir qui est en vacance…

Les vrais héros s’en vont, laissant derrière eux le même vide mélancolique qu’une villégiature à la fin de l’été. Après Mandela, qui va nous remuer les méninges, bousculer les règles et nous faire rêver de changer la vie ? Barroso, Hollande, Cameron ? Merci ! Dans le rôle de G.O., même le club Med’ a une meilleure politique de recrutement.

Au lieu de boucler un budget de plus en plus désespéré, nos ministres ne profiteraient-ils pas de la trêve estivale pour tenter de retrouver des couleurs ?

Après avoir échoué à réglementer le commerce des armes et le n’importe quoi en matière climatique, Obama est parti se ressourcer en Afrique.

Où envoyer nos excellences ? Les détours de Didier Reynders par le Congo n’ayant pas laissé beaucoup de traces, mieux vaut pour lui (et les Congolais) qu’il change de destination. Un petit saut en Russie ? Il pourra demander à Poutine, qui a l’expérience de vider ses successeurs, le mode d’emploi pour se débarrasser gentiment du p’tit Michel pendant que celui-ci bronze ailleurs et reprendre la tête de son business sans faire de vagues.

Kris Peeters, qui a tout l’avenir de la Flandre et peut-être de la Belgique sur les épaules, aurait jadis eu intérêt à suivre le tour de France. Pour apprendre comment lancer une échappée, à quel moment lâcher ses poursuivants et écraser son plus féroce adversaire dans la dernière ligne droite. Hélas, depuis les progrès des contrôles anti-dopage, quel gâchis ! Il n’y a plus moyen de s’inspirer des rois de la petite reine sur la meilleure façon de l’emporter.

A Bart De Wever, on conseillera de faire pour une fois une infidélité aux Autrichiens et de se promener au Soudan. L’exemple le plus récent de séparation d’une nation en deux états. On ne doute pas qu’au retour de son voyage, il militera activement contre toute tentative de scission du royaume…

A Elio Di Rupo, enfin, on suggérera un détour par l’île de Pâques. Ce qui rend le site si fascinant, c’est moins le regard sombre des gigantesques statues (contemplaient-elles leur feuille d’impôt ?) que leur aspect inachevé. Transformer en attraction touristique merveilleuse un chantier perpétuel, ça c’est un beau projet d’avenir pour le pays…

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MARATHON DES MOTS DE TOULOUSE

Alain Berenboom au Marathon des Mots de Toulouse

Si vous êtes dans la région, retrouvez Alain Berenboom, invité les 29 et 30 juin prochain.

_ Samedi 29 juin à 14h30 – au Centre Culturel Bellegarde:
“Bruxelles, le roman d’une ville” / Rencontre avec  Alain  Berenboom, David Van Reybrouck et Jean-Luc Outers

_ Samedi 29 juin à 17h00 – La Cave Poésie
Alain  Berenboom lit « Le Messie malgré tout »

TILT !

   On n’est jamais déçu par la publication de notre feuilleton mensuel favori, le sondage des intentions de vote. Dans la nouvelle saison, on découvre que ceux dont le score avait grimpé lors de l’épisode précédent ont mystérieusement descendu ce mois-ci. Alors que ceux qui avaient perdu des plumes au début du printemps remontent à l’approche de l’été. Surprise ? Non, ce genre de passe-passe est le truc habituel des scénaristes en panne d’imagination.

En attendant la grrrrande finale, l’an prochain, où il faudra trouver un dénouement explosif pour ne pas décevoir les spectateurs.

Le succès de la série « Sondages » s’explique facilement. Pour le journal, c’est l’assurance de remplir trois pages de camemberts et de tableaux colorés. Et pour les journalistes de décortiquer la voix du peuple sans crainte de se tromper. Au fil des épisodes, les media peuvent s’amuser à défaire et refaire sans cesse l’intrigue en reconstituant la Chambre selon les majorités sans cesse changeantes, à fabriquer tous les mois un nouveau gouvernement et à orienter son programme et ses décisions comme dans un jeu video.

En Italie, Beppe Grillo et son mouvement des 5 Stelle ont poussé cette idée encore plus loin en faisant semblant de transformer la communication interactive sur Internet en un contrôle permanent du travail législatif avec la promesse que les citoyens décideront un jour heure par heure du sort du pays. Bientôt, on installera un écran géant dans les assemblées parlementaires sur lesquelles les internautes interviendront en direct avant de voter à la place des élus. Les bannières publicitaires assureront le financement de l’opération et peut-être le payement des députés.

Cette parodie de démocratie directe ressemble de plus en plus aux jeux du cirque qu’aimaient tant les ancêtres romains de Grillo, lorsque le sort des esclaves dans l’arène dépendait des spectateurs, selon qu’ils levaient ou abaissaient le pouce à l’issue de la bagarre contre les lions.

Aujourd’hui, à qui donne-t-on le droit de vie et de mort pour faire tourner les jeux de la démocratie ?

Moi, je n’ai jamais été sondé, ni mes voisins, ni mes amis. S’il faut un téléphone fixe, cela réduit singulièrement l’échantillon et l’âge des participants. Si l’on n’appelle que les mobiles, où trouver les numéros ? Mais peut-être n’appelle-t-on plus personne ? Et laisse-t-on les joueurs annoncer eux-mêmes leur participation ? En envoyant un SMS, au tarif surtaxé ?

Pourquoi ne pas en revenir alors au vote censitaire ? Quinze SMS facturés valent quinze voix pour votre parti ou votre politicien favori.

D’ailleurs, à quoi bon demander encore l’avis des citoyens ? L’opinion qu’ils expriment le matin change dès que tombe la nuit. Autant laisser les ordinateurs décider tout seuls du choix des élus. Tilt !

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RYANISATION

Les accros à l’actualité ont été servis ces derniers jours. Ils ont eu droit au show brutal du grand sultan d’Istanbul, aux nouvelles barbaries aveugles de l’ophtalmo sanguinaire de Damas et à la découverte du rôle des grandes oreilles d’Obama, le côté sombre de l’administration fédérale américaine. Tout cela aurait suffi à secouer les plus cyniques d’entre nous. Mais le plus terrible est venu de chez nous, du Brabant wallon. Où Walibi a instauré le ticket bling-bling. Payez plus pour entrez plus vite.

C’est ça, l’info dramatique de la semaine. Car, on le devine, Walibi n’en restera pas là. Inspiré par l’exemple de son voisin carolo, Ryan Air, le parc concocte déjà d’autres « nouveaux services », pour utiliser son vocabulaire délicat. Les enfants obèses ? Ticket à prix gonflé. Les handicapés ? Double tarif. Supplément si la maman ne porte pas un sac de dimension standard, s’il est trop lourd ou s’il contient de la bouffe et des boissons pour les petits. Tarif spécial pour l’utilisation des toilettes luxe, nettoyées après chaque passage. Photo de papa et des lardons devant le Tuf Tuf Club ou le Palais du Génie ? On passe à la caisse pour les droits d’auteur de Walibi. Sans compter des pénalités pour celles qui arpentent le beau macadam du parc en talon aiguille, pour les enfants qui jettent distraitement leur trognon de pomme dans l’herbe. Amendes encore pour les fumeurs, les enrhumés, les cracheurs et les blagueurs – car on ne rit pas à Walibi.

Coïncidence, on a appris cette semaine la privatisation des nouvelles prisons du royaume. On a oublié de le préciser mais les prisons de demain, ce n’est pas seulement un concept architectural inédit. C’est aussi un régime carcéral nouveau, sauce Ryan Air-Walibi.

La prison à plusieurs vitesses, c’est la meilleure façon de préparer les détenus à ce qui les attend une fois leur peine purgée. Avec l’idée très éducative qu’un prisonnier VIP sortant d’une prison quatre étoiles reviendra dans la société avec l’idée qu’une vie quatre étoiles nécessite des tickets « priorité ». Comme il l’aura appris sur le tas en prison.

Dans les nouvelles prisons, on pourra tout acheter. Double tarif pour éviter de faire la file à la douche ou au réfectoire. Tarif spécial pour dormir seul dans la cellule. Ticket super spécial pour dormir avec le gardien ou sa fille – pas de discrimination dans les prisons belges.

Et, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Ceux qui emmèneront leurs enfants serrer la pince de Saint Nicolas auront intérêt à être cousus d’or. Comme ceux qui attendent le bus ou le métro pour monter les premiers ou avoir droit à un siège réservé. Et, l’an prochain, on proposera des tickets pour voter N-VA avant les autres.

Voilà ce qu’on a trouvé de mieux-jusqu’ici- pour sortir de la crise.

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JOINDRE JUIN A L’AGREABLE

Ca aurait dû être le plus beau mois de l’année, celui des nuits chaudes et longues où l’on goûte à la vie, en se laissant enfin aller à la paresse et au farniente. Celui où l’on renvoie à plus tard, à l’hiver, les emmerdes et les emmerdeurs. Le mois du joint et des délices interdits. Le mois des femmes et de la célébration de la féminité, hommage à la déesse Junon, mère du mois de juin et de ses plaisirs.

Mais, chez nous, on ne sait pas profiter de la vie, on n’aime pas, on n’ose pas. N’est-ce pas de la provocation ? C’est dans le seul bon mois de l’année qu’on a choisi de nous fourrer à la fois la déclaration d’impôts et les examens des petits (c’est-à-dire du stress de leurs parents).

La déclaration d’impôt, c’est l’examen obligatoire annuel pendant toute notre vie d’une matière qu’on n’a jamais apprise. Sous peine d’amendes, vous voilà tenu de décoder des mentions plus hermétiques qu’un poème de Mallarmé, plus amphigourique qu’une directive européenne rédigée à la suite d’un compromis entre les experts des vingt-sept états de l’Union, travaillant en traduction simultanée sur base d’un texte de base finno-maltais.

Si vous avez un appartement, on vous demande de préciser dans la rubrique 1106-58 s’il est donné en location à des personnes morales autres que des sociétés en vue de les mettre à la disposition de personnes physiques qui ne les affectent pas à l’exercice de leur profession.

La description de votre situation personnelle n’est pas plus facile. « Connais-toi toi-même » (Gnôthi seauton), la plus célèbre référence des pages roses du petit Larousse, prend tout son sens. Je n’avais jamais saisi la pertinence de la devise de Socrate et la difficulté de s’y conformer jusqu’au jour où j’ai découvert le cadre II de la déclaration, celui où l’on est prié de donner au fisc les « renseignements d’ordre personnel ».

Êtes-vous marié, veuf, cohabitant légal, séparé de corps, etc ? Bon, ça ne regarde pas ma contrôleuse avec laquelle je n’ai jamais vécu même une nuit d’amour mais je ne vais pas discuter. En revanche, comment répondre à : « êtes-vous le cohabitant légal d’un fonctionnaire etc. (oui il est mis « etc ») d’une organisation internationale visé sous a, qui a recueilli en 2012 des revenus professionnels supérieurs à 9.810 € qui sont exonérés par convention et ne sont pas pris en considération pour le calcul de l’impôt afférent à ses autres revenus ? » (cadre 1062-05)

On comprend mieux qu’au moment où le gouvernement oblige le roi à remplir désormais une déclaration d’impôt comme tous ses sujets, certains considèrent qu’il faut absolument alléger sa charge et notamment le dispenser de ce travail de titan, désigner le premier ministre.

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INCIVILITES

Les opposants à la loi sur les sanctions administratives communales pour « incivilités » ont fait le forcing ces derniers jours afin d’empêcher que la loi soit étendue aux mineurs de quatorze ans. Ceux-ci pourront désormais être condamnés pour injure, destruction ou tapage.

Imaginez que la loi eût été d’application au moment où Bachar El Assad fêtait son quatorzième anniversaire. On n’en serait pas là en Syrie. D’abord les Russes n’auraient jamais mis entre les mains d’un petit garçon même ado les trésors les plus abominables de leurs réserves. Un revolver à plomb, une panoplie de cow-boy et basta ! A l’époque, ces jouets auraient suffi à lui faire plaisir. Devenu grand, triste et moustachu, Bachar a pris des goûts de luxe. Il exige maintenant de tonton Poutine des fusées sol-sol, des bombes chimiques et d’autres bazars abominables qu’il croit plus de son âge. Sinon, il casse tout !

Et ses opposants ? A quatorze ans, s’ils se comportaient déjà en gosses turbulents, ils auraient dit merci aux Européens de recevoir un petit colis cadeau contenant des catapultes et des fléchettes. A présent, il leur faut les mêmes joujoux qu’Assad et la présence à leur fiesta de leurs parrains turcs, wahhabites ou qataris pour leur tenir la main et la barbe. Et leur lire le mode d’emploi, chacun dans sa langue.

Dans une tribune parue dans « Libération », Walid Joumblatt, l’éternel chef de la communauté druze au Liban (et qui n’a pas toujours, lui non plus, fait dans la dentelle de Bruges avec ses opposants) dresse un portrait sombre de l’avenir du Moyen Orient : « les beaux jours de l’Andalousie sont révolus, écrit-il joliment, ces jours où juifs et musulmans partageaient une histoire de coexistence, offrant au monde un héritage incomparable ». Et d’avertir que l’on va vers une dislocation de la région où est née notre civilisation tandis qu’un « nouveau type d’inquisition se fait jour dans les pays arabes : celle de l’intolérance, de l’analphabétisme, du confessionnalisme et du tribalisme ».

Le Moyen Orient, principal terrain d’expérience des maîtres-du-monde-aux-petits-cerveaux, est devenu incompréhensible. Comment distinguer les « bons » des « méchants » ? Où trouver les magiciens capables de sauver ces millions de civils, otages dans toute la région, de régimes eux-mêmes manipulés ?

Américains, Européens, tout le monde laisse tomber les bras. Heureusement, de jeunes Belges « éclairés » viennent de trouver la clé. En exigeant le boycott des universités israéliennes, la Fédération des Etudiants francophones (la FEF) a identifié les vrais coupables de ce chaos: les professeurs et les étudiants israéliens. Ouf, on respire ! Grâce à eux, le Moyen Orient est sauvé !

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PARADIS POETIQUES

Ils ont tant fait rêver les poètes du début du siècle dernier lorsqu’ils chantaient les terres lointaines. Cendrars : « J’étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares », Marcel Thiry : « Toi qui pâlis au nom de Vancouver ».

Pourquoi ne s’est-il pas trouvé dans le train des épargnants Bruxelles-Luxembourg un seul génie pour vanter la sombre et mystérieuse beauté des paradis fiscaux ? Trois heures aller, trois heures retour, cela suffit pour trousser quelques vers, non ?

Hé bien, non ! Personne n’a jamais célébré ces destinations pourtant secrètes, donc poétiques.

« Toi qui pâlis au nom de Luxembourg » n’a fait frissonner que quelques dentistes belges, serrant leurs petites serviettes pleines de coupons, au passage des gabelous quelque part du côté d’Arlon, priant pour qu’ils contrôlent un autre compartiment.

Pas plus de succès avec : « J’étais à Luxembourg, dans la ville des mille et trois banques belges, françaises, allemandes et de sa gare toujours plus grande. »

Les paradis fiscaux n’ont plus la cote ? C’est qu’ils ont eu tort de ne pas investir à temps dans le financement des artistes, dans le sponsoring. Qui aurait osé s’attaquer à Vaduz, Nicosie, Andorre ou Diekirch si des plumes les avaient rendues immortelles, mythiques ? Monaco a voulu tenter le coup en invitant quelques sportifs, Justine Henin, Philippe Gilbert, Tom Boonen ou Axel Merckx, oubliant que la gloire des champions est éphémère. Depuis qu’ils sont rentrés au pays et beaucoup déjà oubliés, Monaco n’est plus qu’un bête rocher auquel les eurocrates peuvent s’attaquer sans que personne ne le défende.

Ils auraient dû se rappeler que Panama est pour toujours dans nos rêves grâce à Blaise Cendrars : « C’est le krach de Panama qui fit de moi un poète ! » (« Le Panama ou les Aventures de mes sept oncles »).

Ils auraient pu aussi se servir de Baudelaire (dont les droits sont dans le domaine public, excellent investissement !) pour transformer un banal aller-retour vers la banque en une aventure inouïe: « Qu’éprouve-t-on ? que voit-on ? des choses merveilleuses, n’est-ce pas ? des spectacles extraordinaires ? Est-ce bien beau ? et bien terrible ? et bien dangereux ? – Telles sont les questions ordinaires qu’adressent, avec une curiosité mêlée de crainte, les ignorants aux adeptes. On dirait une enfantine impatience de savoir, comme celles des gens qui n’ont jamais quitté le coin de leur feu, quand ils se trouvent en face d’un homme qui revient de pays lointains et inconnus » (« Les Paradis Artificiels »).

Ces gens d’argent n’ont rien compris. Personne ne défendra Luxembourg, La Valette ou Jersey mais que l’on ose s’attaquer à Hollywood, et la terre entière s’enflammera.

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CANNES-VAMPIRE

 Au Festival de Cannes, les paillettes étincellent comme si le temps s’était arrêté en 1963. Bardot-Di Caprio sur la même affiche ? Depuis que la sex-idole est devenue la madone des toutous et des fachos, l’industrie du cinéma a été drôlement chamboulée. Qui verra les films célébrés à Cannes ? Sur quel écran ? Et qui les conservera pour les proposer aux amateurs dans cinquante ans ?

Depuis son origine, le cinéma n’a cessé de tuer ses serviteurs. Comme un vampire ne peut s’empêcher de plonger ses canines dans le cou de celles qu’il aime.

Après avoir balayé les forains, le cinéma s’est enfermé dans de grands palais où il s’est transformé en art. Mais ces temples, que l’on avait crus aussi immortels que les musées, ont été découpés en petits appartements, qu’on appelle des complexes – un mot involontairement révélateur. Qui, à leur tour, sont menacés de disparition par l’internet.

Le téléchargement pirate, soi-disant gratuit, a déjà emporté nombre de salles. Beaucoup de nouveaux cinéphiles, indifférents à la piètre qualité de l’image et du son, illustrent la seule règle que j’ai retenue de mon cours d’économie : « le mauvais argent chasse le bon ».

Certes, on n’a jamais eu un tel choix de films. Mais lesquels ? Jusqu’ici, dans chaque pays, des distributeurs locaux achetaient les films en fonction de l’appétit et des particularités culturelles de leurs cinéphiles. Depuis la disparition de la pellicule, les écrans s’illuminent sur un signal envoyé par satellite de Los Angeles.

Fascinante technologie mais redoutable pour la liberté de sélection et la diversité culturelle. Sans parler de la liberté de la concurrence. C’est dans un bureau de Los Angeles qu’un programmateur, qui ignore l’existence de la Belgique, décide des images que l’on va projeter à Arlon ou à Termonde. « Tuesday ? It must be Belgium ! »

Cette nouvelle technologie contient une autre et redoutable bombe à retardement : la disparition de la mémoire du cinéma. Un livre, une peinture, une musique existeront toujours. Mais les films, comment les conserver s’ils n’existent plus que sous forme d’un signal virtuel, dont l’accès est codé par un producteur de l’autre côté de la planète ?

La majorité des films muets ont disparu. Grâce à la création des cinémathèques peu avant la guerre, le cinéma a acquis une mémoire. Les distributeurs, parfois les producteurs, remettaient aux cinémathèques les copies des films, désormais conservés et restaurés aussi pieusement que les livres dans les bibliothèques. Mais, depuis que le cinéma n’est plus qu’un signal codé, cet archivage va s’arrêter. Un outil d’éducation, une façon de regarder le monde, par l’histoire du cinéma, ne risque-t-elle pas de disparaître ? S’il reste un fan de ciné en 2063, comment pourra-t-il survivre s’il ne peut vibrer devant le sourire ravageur de Scarlett Johansson ?

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