RECOLLER LES MORCEAUX ?

N’y a-t-il donc que les hommes et femmes politiques pour ignorer que les objets ont une vie propre ? Vous et moi, nous le savons très bien. Quand nous empoignons une assiette et qu’elle ne nous aime pas, elle gigote comme un bébé dans les bras d’un vieil oncle qui sent le tabac et l’alcool, se tortille comme un ver pour se libérer. Et l’assiette finit sur le sol où elle éclate en mille morceaux.

Je ne peux croire qu’une aussi bonne ménagère que Jacqueline Galant, devenue ministre, ait oublié que sa vaisselle, certains jours, pouvait se révéler aussi remuante qu’une poignée de flamingants à la vue d’un bourgmestre francolâtre de la périphérie. Mais peut-être que si ? Sinon comment expliquer cette tragi-comédie où elle a laissé échapper un dossier qu’elle serrait pourtant très fort contre son torse martial, qui a glissé de ses doigts, est tombé sur le bureau du chef de son administration où il a glissé à nouveau comme s’il était couvert d’huile, atterri sur la table d’un journaliste avant de rebondir à nouveau pour s’écraser dans la figure de la pauvre Jacqueline, revenu tel un boomerang.

Les objets ont une âme. Il ne faut jamais essayer de contrarier leur destination. Si une tartine n’a pas envie d’être mangée, elle se dérobe et s’étale sur le tapis côté confiture. Le survol de Bruxelles, c’est la même chose. On n’y touche pas plus qu’à un morceau de matière fissile dans la centrale atomique de Doel. Sa collègue, madame Marghem, aurait dû la prévenir, elle qui en sort plus ou moins vivante mais sérieusement irradiée.

Et cette idée farfelue de demander à un avocat, un avocat anglais au surplus, de l’aider à faire voler sans bruit les avions au-dessus de la capitale ? Qu’est qu’un avocat connaît à la capacité de nuisance ? Pourquoi un Anglais s’intéresserait-il aux malheurs de la capitale de l’Europe ? Comment attendre d’un avocat anglais qu’il comprenne la souffrance d’un habitant de Bruxelles ? Madame Galant a peut-être été séduite par son nom, Chance. Mais elle a oublié que la chance peut tourner. Aussi rapidement qu’un time-sheet.

Comment redresser l’histoire ? Une assiette brisée, c’est facile. Dans une époque de la consommation reine, on ne répare plus. Même si on l’aimait bien, et qu’on la regrette, on la remplace. Parfois, on en trouve même en solde, aussi belle que l’originale. Mais une ministre ? Peut-on en recoller les morceaux ? La tentation est grande mais c’est dangereux. Surtout quand elle est chargée de la mobilité, ce qui augmente le risque qu’elle vous reste dans les mains dès la première réutilisation. D’un autre côté, on sent bien que madame Galant colle à Charles Michel comme celui-ci à la N-VA. Reste la boule de cristal, un autre objet plein de ressources.

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SUJET D’ACTUALITE

   Ce jour-là, le roi redeviendra sujet. Sujet, enfin ! Après tant d’années où il a été objet. Objet de culte ou de médisances, de critiques ou d’admiration, de harcèlement ou de rassemblement. Objet entre les mains des politiques et des medias. Chez nous, le roi ne règne pas. On règne sur lui.

Certains s’étonneront pourtant : pourquoi se prive-t-il des « privilèges » de sa fonction ? Vous appelez ça un privilège d’être le seul citoyen condamné au silence dans un pays où le sport national, avant le vélo et le ballon, est de se plaindre, de critiquer ou de se moquer, en tout cas de parler, de jacasser, de jacter, de discutailler, de jargonner, bref de l’ouvrir tout simplement ? Se taire, un privilège ? Dans un peuple de bavards, c’est plus lourd qu’un discours d’inauguration, plus lourd même qu’une couronne !

Au point qu’une fois, tout de même, le roi a fini par donner de la voix quand les politiques avaient perdu la leur. Heureusement que, dans le silence assourdissant, il a alors osé sortir de son mutisme ! Mais, la crise réglée, il est rentré dans le rang avant qu’on lui dise : « On la ferme, sire ! »

Transformé en sujet, le roi sera enfin souverain. Car, beaucoup l’oublient, ce n’est pas le chef de l’état mais le peuple qui est souverain, pour reprendre la jolie formule de la constitution de 1793, comme l’a souligné le roi lui-même dans son allocution.

Objet, il était muet. Sujet, il a droit au verbe. Et aux adjectifs, en veux-tu en voilà ! Ainsi qu’aux compléments, des compliments qu’il mérite assurément pour la superbe mission qu’il a accomplie depuis vingt ans.

Désormais, ce n’est plus seulement sur son yacht qu’il sera seul maître à bord après Dieu: c’est le sujet qui commande la phrase, mille sabords ! Lui qui décide du singulier comme du pluriel, du masculin et du féminin, qui accepte ou non de s’adjoindre une ou plusieurs subordonnées. Il peut ouvrir des parenthèses (il est sain de faire entrer l’R quand les D risquent d’être pipés), glisser des sous-entendus, ajouter des tas de mots, même gros, et les faire suivre de points d’exclamation en forme de coups de poing s’il en a envie (Attention ! Sujet méchant ! Le verbe meurt mais ne se rend pas !)

Le sujet est libre de sa langue, avec ou sans sous-titres. Et, sans sa majesté, il peut se montrer, comme n’importe quel citoyen, bon ou mauvais sujet.

Il pourra défiler librement, s’il en a envie. Faire un petit voyage à Liège, pour crier avec les supporters, sous les fenêtres du Standard : « Président ! Casse-toi ! » Ou à Anvers, pour chanter devant l’hôtel de ville « Vive la Belgique ! L’union fait la force ! » Ou, à la hollandaise : « Je maintiendrai ! »

Qu’il doit être agréable, après avoir été roi des Belges, de reprendre enfin de l’empire sur sa vie…

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