LIRE OU ELIRE ROUSSEAU ?

« Il est inutile de rappeler le passé quand les souvenirs ne peuvent rien pour le présent ». 

Cette réflexion de Charles Dickens (dans « David Copperfield ») sert manifestement de mantra au parcours spectaculaire, parfois barnumesque, du leader des socialistes flamands Conner Rousseau. Qui annonce son retour en politique après une démission dans la honte il y a à peine cinq mois. 

Le passé s’efface en effet. Et de plus en plus vite. Pourquoi Rousseau se rappellerait-il que le plus grand guitariste de jazz était un gitan (né en Belgique de surcroît), Django Reinhardt ? Pour contrer les racistes du Vlaams Belang et tenter d’attirer leurs électeurs, il est plus fructueux (pense-t-il) de cracher son mépris sur le peuple tzigane que de commencer ses meetings en interprétant « Nuages » ou le « Requiem à mes frères tsiganes » que Django a composé pendant la guerre pour rendre hommage à son peuple décimé par les Allemands. 

Conner Rousseau a aussi raison d’oublier les faits d’arme du parti socialiste, ô il y a si longtemps, et particulièrement de son plus illustre représentant, Emile Vandervelde. Non seulement parce qu’il a écrit les bases du parti (dans la charte de Quaregnon) mais surtout parce qu’il est l’auteur de la loi dite anti-alcoolique du 29 août 1919 (qui n’a été abolie que le 1er janvier 1984 grâce aux pressions insistantes du capitaine Haddock, président d’honneur de la Ligue antialcoolique des marins).

 Vandervelde a voulu combattre les ravages de l’alcool dans la classe ouvrière. Il n’a pas imaginé qu’elle ravagerait plus encore le président de son propre parti. Propre ? Lui qui déclarait qu’en roulant dans Molenbeek, il ne se sent pas en Belgique. Peut-être pensait-il, bloqué dans les embouteillages de la rue du cinéma ou de la rue Mahatma Gandhi, à cette phrase de cet autre Rousseau (Jean-Jacques) « Qui croit devoir fermer les yeux sur quelque chose se voit bientôt forcé de les fermer sur tout. » 

Mais il vaut mieux se battre pour améliorer le sort d’une population ou les services publics d’une commune, ses écoles, la formation des immigrés, que de cracher sur leur sort. Dans son dernier roman « On m’appelle Demon Copperhead » (chez Albin Michel, prix Pulitzer), Barbara Kingsolver, inspiré par Dickens, raconte dans une fresque magnifique le sort d’un garçon, un péquenot, un quart monde comme disaient jadis les socialistes, méprisé par la société, parce qu’il fait partie des plus démunis.  

Une lecture salutaire pour Rousseau (Conner). Mais ne rêvons pas. Le bad boy va revenir à ce qu’il adore, jouer avec les réseaux sociaux, prouver qu’il est le plus hype des politiciens, faire le clown dans des émissions de variétés, inspiré ici encore par Rousseau (Jean-Jacques) qui écrivait : « Chacun met son être dans le paraître ».       

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VOTER UTILE

    Pourquoi pas voter N-VA en Wallonie lors des prochaines élections législatives comme vient de le proposer Bart De Wever ? Certains s’en sont étonné et même moqué. Or, on peut relever plusieurs bonnes raisons pour voter N-VA lorsqu’on est électeur wallon.

   Pour un Flamand qui vit en Wallonie, c’est une façon de faire sauter le corset qui limite la Flandre au petit territoire que lui attribue la Constitution. La Flandre indépendante pourra ainsi s’étendre sur tout le territoire du royaume. Bien sûr, la nouvelle Flandre n’ira pas de l’Atlantique à l’Oural mais de Knokke jusqu’à Arlon, c’est un bon début. Qui lui permettra d’être (un peu) plus grande sur la carte du monde et surtout d’être identifiée par les voyageurs de l’espace – ce qui était devenu impossible depuis la décision d’éteindre l’éclairage des autoroutes. Une décision suicidaire pour tous ceux qui voulaient que l’univers entier puisse contempler la partie la plus noble de la planète Terre. 

   L’extension de la Flandre entraînera aussi des facilités administratives et de nombreuses économies. Ainsi, on pourra supprimer les gouvernements et parlements wallons et bruxellois, le gouvernement flamand gérant désormais tout le territoire. Rendant aussi inutiles les institutions fédérales. Fini les gabegies, huit ministres de la santé, trois de l’enseignement, trois de la culture, quatre de l’environnement et leurs administrations. 

Bien sûr, avoir un Jambon à la tête de l’état fera quelques mécontents mais au moins voilà un Flamand qui a fait l’effort de porter un nom français, symbolisant la volonté de son parti d’unifier le pays.    

   Cette initiative obligera enfin Wallons et Bruxellois à parler néerlandais, alors qu’ils s’en montrent incapables malgré de longues années de cours.  

  Il y aura sans doute quelques casse-têtes, comme le choix d’une seule fête nationale. La Flandre imposera certainement la sienne, la célébration de la Bataille des Eperons d’Or. Ce qui permettra au passage de rétablir la vérité historique. Si la Bataille de Courtrai a vu la victoire du comte de Flandre sur les troupes du roi de France, on cessera d’occulter le fait qu’il y avait autant de troupes wallonnes à son côté qu’il y avait de Flamands combattant avec les Français…  

  Bien sûr, il y a aussi des ombres au tableau. Si l’initiative de Bart De Wever suscite l’enthousiasme des Wallons, on peut craindre que le Vlaams Belang prenne le train en marche. Et qu’un certain nombre de Wallons, en manque cruel de partis d’extrême droite, adopte ces chenapans propres sur eux mais pas dans leurs têtes. 

  Restera alors aux Wallons à créer un parti facho en Flandre pour siphonner dans le dos du Vlaams belang ses électeurs flamands…      

  Voilà comment voter utile en Absurdie…

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LE JEU DES 7 ERREURS

Lors de sa réapparition, qui marque l’arrivée de l’automne et des feuilles mortes, Bart De Wever s’est adressé aux francophones, entendez aux Wallons, porteur d’une grande annonce. Pour la résumer simplement, sa proposition est de séparer le pays en deux à l’occasion de la prochaine législature. Vous avez intérêt, nous dit-il, à accepter ma main tendue. Sinon, malheur à nous, nous devrons affronter le grand méchant Vlaams Belang. Cette séparation du pays, il l’appelle le confédéralisme (tout son programme est dans la première syllabe, on l’aura compris). 

Or que veut le Vlaams Belang ? Séparer le pays en deux…  

Attendez, attendez, où est alors la différence entre la N-VA et le Vlaams Belang ? C’est comme dans le jeu des sept erreurs où on vous montre deux images semblables au premier coup d’œil mais qui contiennent de légères discordances après un examen attentif. 

Première différence, le Belang est une bande de fachos alors que la N-VA c’est un club de démocrates – très à droite. Ce qui rappelle le contraste entre Marine Le Pen et son Rassemblement National et le parti Reconquête d’Éric Zemmour et de sa nièce Marion Maréchal-Le Pen. Marine expulse les étrangers avec le sourire et un petit cadeau, Marion avec colère et sans boîte de chocolats. 

Autre différence, le Vlaams Belang danse le tango avec le répugnant leader de Schild en Vrienden, Dries Van Langenhove, alors que la N-VA n’est composée que de braves gens comme Théo Francken (qui, lorsqu’il dérape, s’empresse de s’excuser) ou Liesbeth Homans (pour qui le racisme est « un concept relatif »). 

La N-VA a souvent accusé le Belang d’être un parti « révolutionnaire », décidé à scinder unilatéralement le pays. Mais voilà qu’à son dernier congrès, en juin dernier, le VB a présenté un plan pour une indépendance progressive qui passerait par une négociation avec les Wallons. Seule façon, soi-dit en passant de ne pas se retrouver à la porte de l’Union européenne et des autres organisations internationales dont la république de Flandre aurait absolument besoin si elle larguait les amarres. De son côté, Bart De Wever avait, quelques mois plus tôt, affirmé que « l’occasion de réformer dans le légalisme est passé ». 

Pardon, mais on s’y perd avec cette rafale de déclarations contradictoires. Quand l’un des deux compères de la droite flamande veut rompre brutalement, l’autre préfère le faire avec des fleurs et quand l’autre se montre prêt à discuter, le premier se moque des lois. 

Pendant que les deux frères jumeaux mais ennemis tentent d’arracher le leadership de leur communauté, le citoyen flamand continue de se déclarer majoritairement contre l’explosion du pays, selon les sondages. 

On comprend qu’aucun des deux compères n’a choisi de poser la question par référendum.   

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C’EST PAR OU LA SORTIE ? 

Deux déclarations m’ont frappé la semaine dernière. Celles des premiers ministres belge et français. Pour Alexandre De Croo, il faut faire « une pause » dans l’élaboration de nouvelles réglementations environnementales. Pour Elisabeth Borne, le Rassemblement national est « l’héritier de Pétain ». Quoi de commun entre ces deux interventions ?

De Croo croit apaiser les citoyens inquiets de l’arrivée de nouvelles réglementations nécessaires pour combattre la disparition des espèces en disant : « Dormez en paix pendant que je m’occupe tout seul de sauver les abeilles sans qu’elles ne vous piquent ». Tandis que la première ministre française prend le taureau par les cornes en dénonçant les discours réducteurs et mensongers de son opposition d’extrême droite. Dans un cas, on délivre un message simpliste, on fait semblant que l’on peut faire une pause en matière d’environnement, arrêter le temps et fermer les yeux. Dans l’autre, on se bat précisément contre les discours de l’extrême droite qui ramassent les votes des citoyens inquiets de la complexité des défis à réaliser et qui tremblent devant la perspective de réformes. 

Certes, on peut discuter de l’efficacité d’assimiler Marine Le Pen à Pétain. Il n’y a pas que la moustache qui sépare le maréchal sénile de la femme à poigne. Les différences entre les deux ne sont pas seulement physiques. Quatre-vingts ans les séparent. Un siècle, un autre monde, d’autres défis. Il y a quelques années, des opposants au Vlaams Belang avaient affiché pendant la campagne électorale des photos de Hitler rappelant le régime nazi sans que cela ait eu beaucoup d’effet sur les électeurs de la métropole. Qui n’ont pas voulu comprendre la parenté entre le parti flamand et le modèle national-socialiste. 

Peut-être Madame Borne a-t-elle commis la même maladresse mais elle assume et combat. Et elle a bien du mérite dans une époque et une Europe plongées dans la peur du futur, la perplexité et le repli.

En attendant les élections européennes, dont les résultats paraissent déjà menaçants, les élections récentes en Turquie et en Espagne (qui ont vu le succès d’un parti issu du franquisme), après les votes en Italie (qui ont porté au pouvoir des descendants néo-mussoliniens) ou en Scandinavie (où les gouvernements ne se maintiennent qu’avec l’appui de formations d’extrême droite), tout cela fait froid dans le dos, ce qui ne suffit pas à lutter contre le réchauffement climatique…

A force de se jeter en pleine conscience dans les bras d’ennemis de la démocratie pendant que la planète bleue commence à tourner à l’orange, on risque de réaliser cette réflexion d’Oscar Wilde : la démocratie, c’est l’oppression du peuple par le peuple pour le peuple. 

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HISTOIRES TRISTES ET BELLES A LA FOIS

C’est une expérience étrange, une plongée dans le temps. J’étais le 8 mai dernier dans une petite pièce du Fort de Breendonk, un réduit sinistre de béton épais, bouffé par l’humidité et le temps, sans lumière naturelle, devant un micro et une caméra à lire une liste de noms inconnus, leur date de naissance et la date à laquelle ils ont été mis à mort. Car ces inconnus sont des héros, dont on a oublié le nom, les exploits, les personnalités. Et qu’une association de jeunes Flamands a décidé de ressusciter. 

Pendant trois jours, plusieurs dizaines de personnes se sont succédé comme moi, jour et nuit pour rappeler le nom de 8.500 héros (15.000 résistants belges ont été assassinés), un marathon de lecture (intitulé « Dit zijn de Namen ») de ces victimes des nazis, membres des différents mouvements de résistance (services de renseignement, front de l’indépendance, etc). Des hommes et quelques femmes, venant de toutes les régions du pays, parfois des jeunes de 17 ou 18 ans, parfois des sexagénaires. 

Ce marathon a été relayé et complété par des soirées autour de la résistance aux nazis dans les principales villes de Flandre ainsi qu’au KVS à Bruxelles. Ce sont des jeunes Flamands qui ont décidé ainsi de prendre le souvenir du 8 mai en mains alors que le gouvernement fédéral a abandonné la célébration de la reddition allemande. Façon pour eux de protester contre l’oubli, l’effacement des mémoires. De réveiller le souvenir des ravages provoqués par les nazis et leurs collaborateurs flamands et wallons. Façon au passage de casser l’image caricaturale d’une Belgique coupée en deux pendant la guerre entre braves Wallons résistants et vilains Flamands au service de l’occupant. 

Il y avait des collabos dans tout le pays. Mais aussi des résistants partout. Des gens ordinaires, anonymes qui le seraient restés dans une vie normale et qui sont devenus des héros, sans le vouloir, sans s’en rendre compte, face à la violence, l’injustice, l’horreur de l’occupant allemand. Des quidams pris dans une histoire qui les dépassait et dont ils ont pourtant renversé le cours. 

Cet électro-choc, depuis le Fort de Breendonk, nous rappelle que les élections sont dans un an et que le Vlaams Belang risque d’émerger comme le premier parti de la région sinon du pays. 

« Au secours, la mémoire revient ! » devraient se dire ses cyniques dirigeants devant pareille initiative ! Car tel est aussi le résultat de l’effacement. « Il est si facile de perdre la mémoire de soi-même » écrivait Ibsen. 

Rappeler le 8 mai ne suffira pas à avoir la peau des fachos qui peu à peu tissent leur toile autour de nous ici et chez nos plus proches voisins. Mais une piqure de rappel est souvent utile pour combattre les épidémies…  

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FAITES CONFIANCE A PHILEAS FOGG

Je vous fiche mon billet que Georges Louis Bouchez ne renoncera jamais aux jeux de hasard tant qu’il n’aura pas gagné son pari : devenir premier ministre d’une Belgique réunifiée, président de l’Europe, secrétaire général de l’ONU ou, à défaut, à tout le moins que son équipe de foot, les Francs Borains, aient battu l’Union St Gilloise une fois dans sa carrière. 

   Donc dans longtemps… Quelle mouche a piqué un autre libéral, Vincent Van Quickenborne, de décider un matin qu’il allait supprimer la publicité pour les jeux de hasard d’un trait de plume ? Et dans la foulée, que les sites étrangers de jeux en ligne sur internet auraient l’obligeance de ne pas franchir la frontière belge. Croyait-il ainsi décourager Poutine ? Ou les électeurs flamands d’extrême droite de voter pour le Vlaams Belang ? Non ? Alors, on se perd en conjecture sur ses motivations. 

  En tout cas, l’idée est ridicule. Arrêtons de voter des lois qui empêchent les gens de jeter leur argent par la fenêtre s’ils en ont envie en échange d’un bref moment de rêve. Le rêve de devenir scandaleusement riche ou roi de l’Ukraine ou premier ministre français à la tête d’une coalition de bric et de broc ou président du CD&V. Vous préférez, monsieur le Ministre, laisser les Belges sombrer dans la mélancolie parce que rien ne les fera plus vibrer. Car ce n’est pas la perspective d’une poussée libérale, démocrate-chrétienne ou socialiste qui va les enthousiasmer. Même pas celle de voir les communistes obligés de diriger le prochain gouvernement après une inattendue victoire électorale. Quick n’a donc pas saisi qu’il est interdit d’interdire aux gens de rêver ?  

   Certains prétendent que le pari n’est qu’un jeu. Grave erreur. C’est un art de vivre, l’expression de la foi dans l’avenir, d’un lendemain qui chante. En ces temps où l’on broie du noir et où on tremble devant la panoplie d’apocalypses qu’on nous annonce, autoriser, que dis-je, encourager les jeux et paris est une nécessité sociale et politique, un traitement psycho-thérapeutique, seul à même de sauver notre société malade et traumatisé. 

Miser sur un cheval, acheter un billet de loterie, deviner le chiffre absurde qui sortira de la machine ou l’alignement d’une série de jetons qui feront de vous un héros, c’est aussi romantique qu’être persuadé que demain, en traversant la rue, on tombera enfin sur l’homme ou la femme de sa vie. 

   Autrement dit, c’est drôlement sérieux un pari. Jules Verne l’a parfaitement noté dans « Le Tour du Monde en quatre-vingts jours » : « Un Anglais ne plaisante jamais quand il s’agit d’une chose aussi importante qu’un pari » fait remarquer Phileas Fogg. Qu’il a gagné, remarquez-le au passage, de quelques secondes. 

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ET AVEC CA, EMBALLAGE CADEAU ?

  Dans le monde politique flamand, certains ne comprennent pas que les dirigeants wallons fassent la fine bouche devant la proposition de leur ministre-président d’accorder un prêt à la Wallonie pour tamponner les ravages des inondations.

Un prêt, quelques liasses de billets, qui traînaient sous le matelas et qu’il faudra rembourser plus tard ? La proposition du gouvernement flamand est un peu misérable alors que des citoyens flamands ont montré l’exemple d’une vraie solidarité en donnant leur temps, leurs camions, leur énergie à aider immédiatement les sinistrés dans la détresse.   

Vraiment, il aurait pu faire beaucoup mieux, M. Jambon. Plus généreux, plus fort. Donner plutôt que prêter. Donner quoi ?

La Tour de l’Yser, par exemple. Qui pourrait être démontée pierre par pierre et rebâtie à la place du signal de Botrange, façon de hausser le sommet de la Belgique à 750 m au lieu des bêtes 700 mètres actuels. La tour est moche, c’est entendu, mais en cas d’inondation, quel remarquable abri pour ceux qui auront la bonne idée de s’y réfugier. De plus, ce déménagement entraînera un afflux de nouveaux touristes flamands dans les Fagnes. Tout en débarrassant Dixmude de cet encombrant tas de briques sinistres qui seront remplacées avantageusement par de rutilantes villas quatre façades.

Dans la foulée, la Flandre pourrait aussi refiler à la Wallonie quelques fans du pèlerinage de l’Yser, Tom Van Grieken, le capo du Vlaams Belang, et son compère Dries Van Langenhoven, le duce du mouvement Schild en Vrienden. Ça ne coûtera pas grand-chose à la Flandre, inondée sous le nombre de politicards d’extrême droite, alors que la Wallonie ne parvient pas à en faire pousser un seul – même Zemmour a renoncé à immigrer chez nous. 

Si le sacrifice est trop lourd, la Wallonie se contentera de quelques jolies cabines de plage à installer près des retenues d’eau de nos barrages et que pourront occuper les guetteurs que le gouvernement wallon va recruter pour prévenir les prochaines catastrophes (c’est la meilleure suggestion à retenir des commissions d’enquête sur les inondations).  

La Flandre pourrait aussi proposer à la Wallonie d’accueillir quelques-uns de ses nombreux et brillants artistes, Bart Moeyaert (aïe ! il vit déjà dans le Hainaut), Jan Fabre (heu, c’est un peu touchy), Peter Aspe (flûte ! cet excellent auteur policier vient de nous quitter), Tom Lanoye (on ne le fera pas quitter l’Afrique du sud), Anne Teresa De Kersmaeker (difficile, elle est citoyenne du monde, comme le magnifique poète et romancier Stefan Hertmans.) 

Reste à proposer que le port d’Ostende soit rattaché à la Wallonie, l’autoroute E 40 servant de corridor, mais le précédent de la ville libre de Dantzig entre les deux guerres ne rend pas le projet très excitant…

Et si la Wallonie et la Flandre formaient un état appelé la Belgique, ce ne serait pas une bonne idée ?

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PASSEZ MUSCADE !

Au vu des résultats électoraux de ces derniers mois, on a envie de réagir comme Bertolt Brecht jadis : « Ne serait-il pas plus simple de dissoudre le peuple et d’en élire un autre? »

Quand en Allemagne et surtout en Autriche, l’extrême droite fait des scores qui font rêver nos hommes politiques (après son succès dans les pays scandinaves et les Pays-Bas), quand la Hongrie et la Pologne, débarrassés des communistes, se jettent dans les bras d’autres partis fanatiques et sectaires, on est un peu embêté de donner matin, midi et soir des leçons de démocratie aux dictateurs du monde entier. Ou plutôt, on a l’impression de leur vendre les outils qui leur permettent de consolider leur pouvoir absolu tout en affichant le résultat des urnes la tête haute.

Il ne faut même plus piper les dés du système électoral, comme en Iran ou en Russie, pour que les « gens » – comme dit Mélenchon – se précipitent comme un seul homme vers le pire.

Avec les scores qu’avait engrangés le Vlaams Belang, on ne peut même pas vanter le paradis belge et le donner en exemple. D’autant qu’il vaut mieux ne pas mettre en vitrine notre politique d’ « accueil » des réfugiés …

Le cordon sanitaire qu’on avait opportunément opposé à l’extrême droite flamande à la fin du siècle dernier paraît obsolète et impossible à appliquer en Europe. S’il fallait couper les liens avec les états-membres dans lesquels grouille la droite extrême, l’Union européenne risque de se réduire à peau de chagrin.

Ce chagrin, cet énorme chagrin, qu’on ressent à l’assassinat de la journaliste Daphné Caruana Galizia, piégée par une bombe posée dans sa voiture. C’est un autre méfait de la démocratie, ça : puisqu’on ne peut se servir de la loi pour faire taire les opposants, on les supprime…

La république de Malte, il est vrai a toujours eu un important courant d’échanges avec la Russie, où l’élimination des opposants est la maladie congénitale de leur démocratie formelle.

En apprenant la mort de la journaliste, le premier ministre de Malte, Joseph Muscat, a eu ces mots : « Aujourd’hui est une journée noire pour notre démocratie et notre liberté d’expression ». Cela n’a évidemment rien à voir mais autant signaler que M. Muscat et sa famille sont dans le hit-parade des Panama Papers comme le révélaient les articles d’investigations publiés par Madame Galizia. Voilà donc une disparition opportune pour « des gens » qui tiennent le haut du pavé dans l’ancienne capitale de l’Ordre de Saint-Jean. Passez muscade…

Parions que l’intrigue de ce terrible meurtre sera aussi difficile à démêler que celle du « Faucon de Malte » de Dashiell Hammett…

C’est l’autre face sombre de la démocratie, la diminution des budgets des services publics. Or, comment assurer la réalité des libertés constitutionnelles si les institutions judiciaires sont peu à peu mises en pièces ?

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THEO RAME MAIS NE SE REND PAS

C’est le milieu de la nuit. Une silhouette furtive se faufile dans les rues silencieuses de Bastogne. Soudain, elle se fige, surprise par la lumière violente d’un bar dont la porte vient de s’ouvrir. Un bref écho de musique. Christine and the Queen. L’homme fait la grimace. The Queen, il n’aime pas. The King non plus. Il regrette les chants patriotiques flamands. On n’en trouve pas en Wallonie ou si difficilement. Avant que la porte ne se referme, on a pu distinguer son visage, blême, les yeux rouges. Un lapin surpris par les phares d’une auto. Son cœur bat la chamade (il déteste ce mot, tellement français, le titre d’un roman de Françoise Sagan que son prof l’a obligé à lire. Il les hait, son prof, cette Sagan, les livres en général et le roi, la reine, la Belgique, trop cosmopolite comme cette musique de pays qui n’apportent aucune plus-value à la Flandre). La porte se referme et il reprend sa route. Il se retrouve devant une petite mare. L’eau est noire comme l’enfer, aussi tentante que les bras de cette jolie Tyrolienne à la culotte de peau dont il admirait la blancheur l’été dernier. La chair blonde, l’eau noire. Il est perturbé. Mais il résiste à son appel. La maison qu’il cherche n’est plus très loin.

Ah ! La voilà ! Il sonne. Une dame enveloppée dans un peignoir, mal réveillée, entrouvre la porte. « C’est pour Benoît » dit-il. Elle le laisse entrer, le conduit dans le salon. Le président des humanistes le rejoint en pyjama.

« Théo ? s’écrie Lutgen. On te croyait en fuite.

  • J’ai entendu ça, ricane Théo Francken. On a même raconté que j’ai filé en Syrie. Moi, chez les Islamistes ?

  • Que fais-tu ici ?

L’ancien secrétaire d’état déchu baisse la tête.

  • J’ai été chassé de mon parti parce que je n’étais pas assez dur avec les migrants et du gouvernement parce que j’étais trop dur… Faut savoir ! …

  • Pas les migrants, les réfugiés, corrige Lutgen.

  • Le réfugié c’est moi ! Bart m’a coupé la tête, Charles Michel a eu ma peau. Et Laurette veut… je ne te dis pas ce qu’elle veut… Le Vlaams Belang m’invective parce ma politique menace la pureté de la race flamande. Moi, qui suis membre de l’Amicale des anciens Kollaborateurs. Après un soupir, il ajoute à mi-voix : eux aussi m’ont exclu. Et Bob Maes m’a renvoyé mon cadeau d’anniversaire. (Il ne peut retenir ses larmes) Ma vie est un chaos. Être obligé de fuir mon vaderland tant aimé. Le monde est devenu fou.

  • Comment as-tu réussi à arriver à Bastogne ?

  • Un passeur m’a fait cracher une fortune pour m’emmener jusqu’en Wallonie et un autre pour me conduire jusqu’à l’entrée de ta ville. Peux-tu peux me loger en attendant ma régularisation ?

  • Logé ? Il faut t’offrir l’hôtel, peut-être ?

  • Non, non. Une petite tente plutôt. Paraît que c’est le comble du confort.

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