CANARD A L’ORAGE

Où bat le pouls de l’opinion publique ? Sur Twitter ? La pensée s’arrête à 150 caractères (souvent de mauvais caractères). Même si cela peut avoir des effets positifs : la passion frénétique de Donald Trump pour cette messagerie annonce que ses mémoires seront brèves, beaucoup plus brèves que les énormes pensums que nous ont laissés la plupart de ses glorieux prédécesseurs.

Sur les réseaux sociaux ? C’est le festival des fausses nouvelles, le rendez-vous des membres du club des complotistes et des malades souffrant du syndrome de la Tourette (un mal qui se caractérise par la production incontrôlée de grossièretés et d’obscénités).

Reste les journaux. Cela fait, paraît-il, vieux jeu de se promener, un journal sous le bras. Pour ne pas passer pour un schnoque, on le lit maintenant en cachette comme jadis les revues pornos.

Pourtant, depuis quelques mois, désolé pour les obsédés de l’écran tactile, les accrocs au web, et à Facebook, c’est le retour en force de cette bonne vieille presse écrite. Vous savez, ces grandes feuilles imprimées qui tachent un peu les doigts et dans lesquelles on emballe les épluchures de pommes de terre et jadis les restes des poissons.

Où a-t-on découvert les Panama Papers ? Dans les journaux (dont votre quotidien favori). Et les coins sombres de l’âme de François Fillon, le père La Vertu qui donnait des leçons de civisme et de morale à ses concurrents ? Dans « Le Canard Enchaîné », une gazette qui, peu ou prou, n’a guère changé depuis la première guerre mondiale !

C’est un journal qui a chamboulé la campagne électorale française. Même en se produisant dans plusieurs villes simultanément en hologrammes genre Disneyland, Mélenchon n’a rien fait pour révéler le vrai visage de Fillon. C’est un petit palmipède qui a flanqué à l’eau le héros du mouvement Sens commun. Ce sont aussi les journaux qui ont rendu compte des péripéties judiciaires de la fifille à Le Pen et du contenu de ses sombres placards.

Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les régimes de Poutine et d’Erdogan ont tout fait pour éliminer les journaux d’opposition et quelques-uns de leurs journalistes. Dans certains pays, le plomb se met dans la tête et pas seulement dans les caractères d’imprimerie. Comme le disait Pierre Nora : « Le vrai journaliste est celui vend la mèche en se brûlant les doigts. »

D’accord, les gazettes ne publient pas que des scoops qui servent la démocratie. Ils racontent aussi des histoires, font parler les stars et nous abreuvent de faits divers croustillants. Mais, avouez que vous aimez ça. Et vous avez raison. Tristan Bernard l’avait résumé en une jolie formule : “Un journal coupé en morceaux n’intéresse aucune femme, alors qu’une femme coupée en morceaux intéresse tous les journaux.”

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CYBER, TES BEAUX YEUX ME FONT MOURIR

A chaque génération sa manière de se divertir et de se fabriquer une bulle hors d’atteinte des parents, de l’école, de l’autorité. A la génération Coca-Cola, qui se jetait sur les livres, le cinoche et la télé a succédé l’époque Red Bull des jeux vidéo, du baladeur et du CD. Les ados de 2015 ne s’encombrent plus de tous ces supports physiques. Ils se sont jetés dans la cyber-attaque, le terrorisme virtuel et le dérèglement des réseaux. Bienvenue à la jeunesse du vingt et unième siècle !

On leur a gentiment préparé le terrain, reconnaissons-le, en faisant scintiller les beautés de la guerre nouvelle sur tous les écrans. Au lieu de faire affronter les tanks et les hommes, la guerre se fait désormais dans des salles aseptisées à des milliers de kilomètres du champ de bataille, qui s’appelle maintenant des cibles. Un type ou une dame en cache-poussière appuie d’un doigt nonchalant sur un bouton quelque part dans son bureau au Nouveau Mexique, en croquant son sandwich, et boum ! un village d’Irak ou un campement en Afghanistan sont rayés de la carte. Quoi d’étonnant que le pouvoir magique d’internet, que nous avons érigé en maître du monde, fascine la jeunesse ? Et que ses forces obscures les fassent rêver comme les grands monstres nous fascinaient jadis ?

Nous tremblions de peur et de plaisir devant l’écran à voir les dents de Dracula s’enfoncer dans la peau diaphane de l’héroïne. Eux roucoulent de joie à contempler les dégâts de leurs petits cyber-virus dévorant les sites institutionnels. Il y a tout de même quelque chose de rassurant dans le choix de leurs victimes. Qu’ils s’acharnent sur des journaux et des télévisions pour lâcher leurs saletés démontrent leur attachement et l’importance qu’ils accordent à la diffusion de l’information. Cela mérite d’être salué à une époque où l’on se plaint de la perte d’influence des medias.

Mais, comme tous les jeux, ceux-ci ont aussi quelques effets secondaires déplaisants. Si nos petits génies du clavier sont capables de remplacer ni vu ni connu les infos sérieuses de la page d’accueil des sites professionnels par des propos délirants, c’est sûr que la paranoïa de tous les obsédés du complot va s’accélérer. Déjà qu’un nombre croissant d’entre eux s’imaginent que l’homme n’a jamais marché sur la Lune, que les tours du WTC sont toujours à leur place et que le tsunami qui a ravagé le Japon a été provoqué par les Martiens, comment vont-ils réagir quand ils liront que Charles Michel est premier ministre de Belgique, comme nous le font croire les Anonymous ? En fait, c’est toujours Elio Di Rupo qui est bien sûr aux commandes. Il suffit de voir les mesures adoptées jour après jour par le gouvernement pour s’en assurer.

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