AU FEU, LES POMPIERS !

         Chaque mois nous apporte de nouveaux romans formidables. Au hasard de mes dernières découvertes, « La cité des nuages et des oiseaux » de Anthony Doerr, un roman-monde, superbe, poétique, drôle. Et « Oh ! William ! » d’Elizabeth Strout. On a rarement écrit si fin sur le couple. Il ne s’y passe rien et on a l’impression de dévorer un thriller !  

     Nous gardons tous également quelques coups de cœur parfois des classiques dans la bibliothèque. Un coup d’œil sur leur couverture ramène le souvenir d’émotions profondes. Parfois, on s’y replonge pour oublier la colère qui gronde autour de nous et qui risque de nous submerger. Pour moi, notamment « Abattoir 5 » de Kurt Vonnegut, « Anna Karenine » de Tolstoï, « Les Âmes mortes » de Gogol, les romans de John Buchan ou « Le comte de Monte Cristo » d’Alexandre Dumas et tant d’autres. Une chronique n’y suffirait pas.  

       Rien n’est plus personnel que l’amour d’un livre. Combien de fois ai-je prêté avec enthousiasme des romans à des amis qui me les ont rendus dépités. Ainsi, j’ai un amour profond pour l’Ancien Testament que ne partagent pas plusieurs de mes relations. Mais je n’ai jamais réussi à lire plus de cinq pages du Coran. Allez savoir pourquoi. Alors que le « pitch » est le même et que plein de personnages de l’un sont à nouveau les héros de l’autre !

   Mais, ce n’est pas parce que « Le Rouge et le Noir » m’est tombé des mains que je vais le jeter au feu. Pas plus que les livres de Houellebecq. Alors, pourquoi aller brûler un exemplaire du Coran devant l’ambassade de Turquie comme l’a fait un manifestant qui protestait contre le régime de Recep T. Erdogan ? D’abord, en quoi le président turc est-il responsable que le Coran, en tout cas dans sa version suédoise, est illisible ? Il n’en est pas l’auteur – en tout cas d’après mes informations.  

    Il y a des tas de livres que je n’aime pas. Les brûler ne me viendrait pas à l’idée. Car s’ils ne me plaisent pas, je sais qu’ils feront le délice d’autres amateurs. Vous n’aimez pas le Coran ? Donnez-le ! Et n’en dégoûtez pas les autres ! 

Brûler un livre pour dénoncer l’autoritarisme d’un régime, c’est se montrer plus intolérant et fanatique que le despote contre lequel on proteste. C’est à désespérer de la liberté d’expression que de la traiter aussi mal. C’est justifier le discours de ceux qui veulent la grignoter, la discuter pour peu à peu la supprimer. 

Dont font partie, s’il faut en croire l’enquête publiée par votre quotidien favori sur le blues des Belges, une partie de nos compatriotes qui rêvent, paraît-il, du retour d’un p’tit Léon Degrelle et de la peine de mort. 

Faudrait peut-être leur mettre un bon bouquin entre les mains et attendre le retour du printemps avant de recommencer le sondage !     

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TROIS GLOIRES NATIONALES

On n’est jamais prophète en son pays. Cette formule désignait jusqu’ici les artistes et les savants. L’écrivain ou le cinéaste belge, dit-on souvent, doit sa réputation à Paris ou Amsterdam. Le scientifique si ses travaux sont honorés en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis. Complexe ou excès de modestie, en Belgique, on ne devient une référence que paré de cette consécration étrangère. Mieux encore, si on est mort.

Grâce à quelques députés bruxellois, on découvre que le dicton vaut aussi pour les hommes politiques. Qui connaissait jusqu’ici le nom de Sevket Temiz, Koyuncu Hasan et Emin Özkara, sinon leur maman, leur épicier et Emir Kir ?

On avait sans doute tort car, d’après diverses sources, M. Temiz nie depuis plusieurs années le génocide arménien dont il avait combattu le projet de reconnaissance par le Sénat. Il est aussi l’auteur d’un Tweet qui laisse perplexe : « Le bon musulman modéré est-il la version moderne du bon nègre ? » Dans un autre, il proclame son attachement à la liberté d’expression. On suppose qu’il veut dire que nier le génocide arménien est une opinion qui mérite d’être respectée au même titre par exemple que nier l’existence des chambres à gaz comme vient encore de le faire une autre de nos glorieuses (ex) éminences, Laurent Louis devant le tribunal correctionnel de Bruxelles ?

Malgré leurs nobles combats, la malédiction belge avait empêché ces hommes d’état fantômes de sortir de l’ombre jusqu’à ce que, ô divine providence, la presse turque, autrement plus futée que la nôtre pour repérer les élites politiques belges a porté ces trois hommes au pinacle et célébré leur courage. Le fait d’armes du trio Temiz, Hasan et Özkara ? Avoir persuadé le président du parlement bruxellois d’éviter de prononcer le mot « génocide » lors de la commémoration du centième anniversaire de l’élimination des Arméniens par le gouvernement turc de l’époque et avoir réussi à empêcher le respect d’une minute de silence à cette occasion. Ce dont le joyeux trio se réjouit bruyamment en répercutant sur Facebook les messages de félicitations venus de la presse libre d’Ankara.

Une autre prouesse mérite d’être saluée : grâce à ces trois députés, c’est la deuxième fois en onze ans d’existence, que la presse (y compris étrangère) se fait l’écho de ce qui se passe dans cette assemblée. La première fois, c’était lorsqu’elle avait décidé d’agrandir son bâtiment en occupant la boutique voisine, un magasin de farce et attrapes…

Avec un petit effort, les députés régionaux bruxellois pourraient dans l’avenir enlever leurs faux nez et, grâce à leur baguette magique, sortir de leurs chapeaux quelques mesures pour améliorer la vie dans la capitale que les Bruxellois attendent vainement depuis longtemps.

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