VIVE LE FURLONG !

Pour retrouver la canicule, plongeons-nous un moment dans la tête de Boris Johnson. 

A quoi ressemblera dans son esprit la Grande-Bretagne après qu’elle ait fermé les volets et les mille sabords pour que rien ne vienne plus souiller les mocassins à glands des sujets de sa gracieuse majesté ? 

 A propos d’Elizabeth II, justement. Symbole essentiel de la Grande Bretagne à l’ancienne que les Brexiters veulent reconstituer. Elle restera évidemment reine de la quinzaine d’états du Commonwealth dont elle est la chef d’état (dont l’Australie et le Canada). Mais, pour marquer le retour à la Belle Epoque, elle reprendra le titre d’Impératrice des Indes. Ca ne coûte pas cher et quelques gogos d’électeurs n’y verront que du feu. Permettant de sortir du placard ce magnifique slogan de jadis : un empire sur lequel le soleil ne se couche jamais – ce qui au passage permet de supprimer l’heure d’été, c’est toujours ça d’économisé. 

On remettra aussi en vigueur les anciennes unités de mesures anglo-saxonnes, destinées à égarer définitivement les bêtes continentaux, les pieds, les pouces et le furlong (qui équivaut à dix chaînes, soit 201, 168 mètres, bonne chance !)   

 Dans l’Angleterre nouvelle à l’ancienne, plus question de GSM (technologie asiatique, bêrk). Retour des splendides cabines téléphoniques rouge sang !

 Plus de vin ni de champagne (c’est bon pour les mangeurs de grenouille) ni de prosecco (depuis que les Italiens ont chassé Salvini, pas question de faire exception pour leurs produits) : de la Guinness (heureusement rachetée aux Irlandais entre temps par une bonne compagnie de Londres) et du thé, what else ?

Tant qu’à remonter dans le temps, l’Ecosse va sans doute reprendre son indépendance. L’Irlande du Nord acheter des armes belges. Et Londres imiter Singapour. Mais c’est mal parti : les Anglais devront importer des ordis et des logiciels asiatiques (aïe). Et la gestion des portefeuilles et de l’argent noir depuis les cabines téléphoniques permettront difficilement de se mesurer à la ville-jardin.  

La bonne nouvelle c’est que de nombreuses économies sont envisagées : Scotland Yard licenciera une partie de ses troupes puisque l’île, désormais préservée des étrangers, sera une terre sûre, à l’abri des pires malandrins, sinon quelques petits voleurs à la tire qui ont trop lu Dickens. Pour le reste, les citoyens n’ont qu’à s’adresser aux détectives privés. Le royaume n’a-t-il pas donné au monde Sherlock Holmes ? On économisera sur les autres services publics comme on l’a fait avec les chemins de fer. Et on supprimera les autoroutes inutiles avec la disparition de ces affreux camions venus d’Europe de l’est.  

Boris Johnson pourra surtout sabrer dans le budget de la Santé puisque, comme le disait Oscar Wilde : « La pensée, en Angleterre, n’est pas une maladie contagieuse. »  

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LE CORNET S’EFFRITE

La dernière cabine téléphonique du pays a été évacuée de Wilrijk par le camion-balai de Proximus avec la même indifférence que la police de Bruxelles évacue les SDF molestés par d’aimables jeunes gens dans les rues de la capitale.

Si je l’avais su, je me serais précipité à Anvers, dans le district natal de Moussa Dembélé, pour passer un dernier coup de fil, je ne sais à qui mais je l’aurais fait. Evidemment, une fois dans la cabine, le combiné à la main, je me serais rendu compte que mon voyage était sérieusement compromis : faute de carte, utiliser un téléphone public était devenu aussi difficile que faire appel aux services publics. Acheter une carte de téléphone ? L’objet était devenu aussi introuvable qu’un bureau de poste, une loi sur le tax shift, une communication compréhensible sur la circulation dans le nouveau centre piétonnier de Bruxelles ou un dirigeant honnête dans les instances internationales du football.

Si notre opérateur téléphonique avait un peu de poésie ou d’imagination, il aurait laissé une cabine en fonctionnement, une seule, devant laquelle je parie que les gens se seraient pressés comme Tintin, attendant avec impatience que la grosse dame avec chien-chien qui occupe la belle cabine bordeaux des P.T.T. la libère en murmurant « Nous pouvons sortir, Mirza : il ne pleut plus » (Le Secret de la Licorne).

La cabine était un lieu intime, notre dernier refuge secret. Le seul appareil qui n’était pas sous le contrôle de la NSA, des services chinois, russes, allemands, brésiliens ou même belges (pour autant que nos « services » écoutent eux qui n’entendent guère).

On se glissait dans une cabine pour échapper aux parents, donner un rendez-vous galant, organiser une fête discrète, et surtout se raconter des histoires ultra-confidentielles mêlées à des rumeurs terribles à ne pas glisser entre toutes les oreilles. Le temps de la conversation, la cabine formait un univers clos et rassurant, un doux cocon, un retour dans le ventre maternel, la cellule fermée où le moine réussit à se mettre directement en contact avec son Dieu (sans carte prépayée ni opératrice intervenant soudain pour faire ajouter de la monnaie), le domaine où l’on était roi, où l’on avait le droit de tout dire, crier, pleurer ou se chuchoter les choses les plus inavouables, selon son bon plaisir et en toute impunité.

C’était le lieu de l’urgence, où l’on se précipitait parce qu’on ne pouvait pas attendre de parler à son correspondant, à la femme qu’on aime ou celle avec laquelle on vient de rompre et qu’on veut à tout prix rattraper. A la différence du GSM, une île à l’abri du regard, du mouvement, des autres. Le dernier bastion de la solitude a disparu…

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