RULE, BRITANNIA !

  Dans un de ses meilleurs sketches, Fernand Raynaud se met dans la peau d’un douanier qui n’aime pas les étrangers. Il ne cesse de harceler l’étranger qui s’est installé au village jusqu’à ce que lui et sa famille, dégoûtés, filent ailleurs. Depuis, plus moyen de trouver du pain. C’était le boulanger du village. 

Boris Johnson ne connaît sans doute pas Fernand Raynaud, dommage pour lui – il aurait pu lui piquer quelques autres gags. Et il se serait surtout montré plus attentif aux conséquences de ce Brexit lancé dans un geste emphatique de fierté et d’orgueil nationalistes (« Rule, Britannia ! ») mais parfaitement indifférent à ses conséquences pratiques. Genre l’intendance suivra…

Ces conséquences, les Britanniques commencent peu à peu à les découvrir : fermeture progressive des stations d’essence, difficultés d’approvisionnement, tensions avec l’Irlande. Faute de chauffeurs et de carburant, les camions restent au dépôt, les chauffeurs polonais ou roumains sont partis travailler sur le continent. Les boulangers suivront bientôt le mouvement…

Faute d’essence, la reine elle-même a été obligée de laisser sa Rolls au garage et de faire dépoussiérer son vieux carrosse pour aller faire ses courses. En croisant les doigts pour que les chevaux qui le tirent soient tous de sang anglais.

Si le tonitruant Boris Johnson ne connaissait pas l’humoriste français des années cinquante, il a pourtant dû lire sa compatriote Daphné du Maurier. Dans un de ses derniers romans (« Rule, Britannia », bizarrement traduit sous le titre « Mad »), la brillantissime romancière imagine que la Grande-Bretagne vient de quitter l’Union européenne (le roman date de 1971). S’ensuivent des pénuries de carburant et d’approvisionnement. Le pays exsangue fait appel au grand frère américain qui envahit brutalement l’ancienne puissance coloniale, sans plus d’égard pour sa population qu’il n’en a eu lors de quelques expéditions précédentes des boys (le roman a été écrit à la fin de la guerre du Vietnam) …  

Quand on voit le rapprochement militaire récent des Anglais et des Américains avec les Australiens, on se dit que Daphné du Maurier a décidément fait preuve d’une étonnante clairvoyance !  

Si l’Ecosse dégoûtée quitte à son tour l’empire suivi du Pays de Galles puis des Cornouailles, restera à Boris Johnson de se faire élire président de Pimlico pour éviter que ce célèbre quartier de la cité de Westminster à Londres ne proclame à son tour son indépendance, comme il l’a fait dans une excellente comédie britannique jadis (« Passeport pour Pimlico » de Henry Cornelius), à l’époque où les Anglais préféraient l’humour à la politique…

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FEMMES PERDUES DANS UN TUNNEL

  Les femmes ont été à l’honneur cette semaine, a-t-on proclamé ici et là la bouche en cul-de-poule. Est-ce si sûr ? 

Faut-il célébrer comme une grande victoire féministe, le changement de nom du tunnel Léopold II  bombardé Annie Cordy ? 

Tandis que le boulevard en surface, éclairé par le soleil et peuplé de milliers d’habitants, reste dénommé Léopold II, son sous-sol effrayant, pollué, fermé chaque fois qu’on a envie de s’y aventurer, se voit collé le nom d’une femme. Dr Freud, sors de ce tunnel ! 

Pourquoi ne pas avoir donné le nom d’Annie à un music-hall (dépoussiérant par exemple l’Ancienne Belgique), à un parc, une fontaine ? A l’heure du politiquement correct tous azimut, l’interprète de « Cigarettes, whisky et petites pépés » méritait d’être mieux à l’honneur pour tous les dérapages qu’elle a glorifiés ! 

Bon, j’avale une petite gorgée et je reviens à vous. Où en étais-je ? Ah oui, les femmes ! Une autre lady à l’honneur cette semaine, Meghan Markle. Qui dénonce l’étouffoir corseté des palais et entourages royaux britanniques. Elle n’avait pas lu la moindre bio de sa pauvre belle-mère, Lady Diana, avant de signer ? Elle a découvert le mode d’emploi une fois plongée dans le smog londonien ? Son mari, le prince Harry, se tient drôlement mieux avec son épouse que son beau-père mais cela n’a pas empêché, dit-elle, des propos racistes lorsqu’elle attendait son bébé. Dans un pays où la majorité des électeurs ont voté pour le Brexit en imaginant que l’empire allait surgir comme par magie du néant, on imagine que dans les couloirs de Buckingham, certains croient que la reine Victoria règne encore sur le monde. 

Autre femme belge en vedette, notre ambassadrice en Arabie saoudite. On se disait que c’était une sacrée provocation de notre ministre des affaires étrangères (une dame) d’avoir envoyé Dominique Mineur dans les sables du Moyen Orient. Pas du tout. Notre diplomate a célébré la journée des droits des femmes en vantant les « changements fantastiques » en la matière. Quelle mouche l’a piquée ? A Ryad, l’alcool est interdit, non ? La famille de Loujaine Al Hazlthoul (condamnée et torturée pour avoir prôné la liberté pour les femmes dans son pays) est installée chez nous. Loujaine est docteur honoris causa de l’UCL. Elle a dû apprécier les bonnes paroles de la Belgique officielle, la révérence à la politique du prince BMS. Dieu sait quels discours tiendra Madame Mineur quand elle sera nommée en Chine, à Hong Kong, en Iran ou au Yemen. 

Faudrait plutôt faire représenter la Belgique dans le monde par nos merveilleuses athlètes Nafi Thiam et Elise Vanderelst, auréolées de leurs médailles, championnes souriantes, assurées, et tellement craquantes en noir-jaune-rouge. Allez, les filles !

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RULE BRITANNIA

Grâce soit rendue au Brexit ! Les Anglais retrouvent leur jeu favori, qui consiste à rendre tout ce qui est british aussi incompréhensible et bavard qu’une enquête de Blake et Mortimer. Ah ! Ce bon temps où le penny valait 1/12e de shilling, le shilling 1/20e de livre et la couronne cinq shillings. Et on s’étonne que les parlementaires britanniques ne raisonnent pas exactement comme leurs collègues continentaux ?
Je vous parie un souverain qu’en quittant l’Europe, le Royaume Uni va abandonner la décimalisation et revenir au système monétaire d’avant 1971.
Lorsqu’on veut comprendre l’imbroglio anglais, il faut cesser de réfléchir avec l’esprit de Descartes et accepter d’entrer dans un monde régi par d’autres règles, qui nous paraissent absurdes mais pas aux Anglais, celles qui mènent Alice de l’autre côté du miroir ou Tristram Shandy, sous la plume de Sterne, dans des digressions sans cesse plus délirantes. Alors, on saisit mieux comment les parlementaires britanniques peuvent en même temps voter contre l’accord de sortie de l’Union et contre une sortie sans accord. Vous prendrez bien encore une tasse de thé ?
Avec le Brexit, tous les insulaires qui se sentent mal à l’aise dans le nouveau siècle vont pouvoir agiter la nostalgie d’un temps où la Reine régnait sur la moitié de la planète. Et imaginer revivre dans l’Angleterre de jadis, avant qu’elle ne s’allie avec les mangeurs de grenouille, pizzas, paellas et choucroute. Ah ! Ce bon temps où l’on pouvait faire travailler les enfants, les femmes ne votaient pas et l’on se chauffait au charbon. En réoccupant l’Irlande, les Anglais vont aussi régler cet insoluble problème de frontière physique entre les deux pays. Et s’épargner l’engagement de douaniers. Faudra juste quelques milliers de soldats pour mater le Sinn Fein.
Poussant cette logique jusqu’au bout, les Anglais tenteront de ranimer le Commonwealth pour compenser la perte des échanges avec le continent. Mais Pakistanais, Indiens, Nigérians ou Kenyans sont-ils prêts à consommer les produits british juste par nostalgie de l’ancien colonisateur ? Sans obtenir en échange que leurs citoyens puissent circuler dans l’ancienne métropole ?
Ne restera alors à Madame May qu’à négocier avec Walt Disney pour transformer l’île en un gigantesque parc d’attraction avec comme thème l’Angleterre rêvée des livres pour enfants. On visitera le manoir des Baskerville dans les brumes du Devonshire en compagnie de Sherlock Holmes, les campagnes avec le Peter Rabbit de Béatrix Potter, les bas-fonds de Londres avec Dickens ou l’école des magiciens de Harry Potter.
A moins que Disney ne propose d’adapter plutôt « 1984 » de George Orwell et s’emploie à déployer le contrôle de Big Brother sur tout le Royaume Uni. Ce qui ressemblera davantage au décor qui nous attend tous dans les années à venir…

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REVENANTS

Que faire de tous ces voyageurs belges perdus en Syrie et qui commencent à revenir chez nous avec armes et enfants (les femmes suivent derrière avec les bagages) puisque le président Assad a sifflé la fin de la récréation ?
Je vous résume les propositions les plus intéressantes que j’ai relevées.
Avec la perspective d’un Brexit difficile, certains suggèrent que, dès leur retour, nos compatriotes soient engagés comme douaniers. Justement, on doit en recruter en masse pour empêcher les immigrés britanniques de prendre la place des réfugiés libyens ou somaliens au parc Maximilien. Les « revenants » ont toutes les qualités pour remplir cette mission difficile. Ils savent tirer. Ne se laisseront pas attendrir par le récit des malheurs des pauvres Ecossais. Et ils n’auront pas peur des fantômes qu’ils auront emportés dans leurs bagages. Les « revenants » en ont eux-mêmes ramenés tant avec eux qu’ils savent comment les dresser.
Autre offre, venue cette fois de l’Agence spatiale européenne. Pourquoi ne pas envoyer les « revenants » dans l’espace ? Ils viennent de l’enfer ; on les renvoie au paradis.
L’ASE qui prépare depuis des années des vols habités a bien du mal à recruter des candidats. Dès que l’Agence leur promettra un passeport et un engin direction le ciel, qui peut douter que les « revenants » n’accueillent cette proposition avec ferveur ? Les 72 vierges ? Oui, elles attendent là-haut, promis, juré. Mais, l’Agence ne garantira pas qu’elles seront déjà prêtes pour accueillir les voyageurs du premier voyage. Restons sérieux.
Les transports semblent beaucoup inspirer ceux qui veulent recaser les « revenants ». S’ils ne peuvent tous embarquer dans les capsules spatiales, ils trouveront un job dans les bus. Un des dirigeants des TEC m’a glissé à l’oreille que sa société pourrait charger les meilleurs d’entre eux de remplacer les chauffeurs des TEC les jours de grève. Soit pratiquement un boulot plein temps garanti. Ceux qui ont eu l’expérience des chemins de Syrie ne seront guère surpris par l’état des routes wallonnes.
Une dernière idée imaginée à l’occasion de la Foire du Libre de Bruxelles qui s’ouvre dans quelques jours. Beaucoup de parents se dévouent pour lire des livres aux petits dans les écoles. Les « revenants » pourraient les aider. Qui mieux qu’eux pourraient leur lire avec un accent de vérité et des sanglots dans la voix des extraits de livres dont l’action se déroule au Moyen Orient ? « Tintin au Pays de l’Or noir », « Salut aux coureurs d’aventures » de John Buchan ou les récits des « Mille et une nuits ».
On peut discuter mais il faut reconnaître que ces « travaux d’intérêt général » seraient autrement plus utiles pour les « revenants » – et moins inquiétants pour nous- que de bourrer les prisons et de les laisser convertir les autres détenus aux idées radicales…

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LES LOIS DE L’AMER

Sacrée gueule de bois pour les partisans du Brexit. Il y avait donc des étrangers hostiles dans les cales du navire ? Croyaient-ils qu’il suffisait de larguer les amarres et de faire flotter la Grande-Bretagne en haute mer pour se débarrasser des rats ? C’est oublier les règles séculaires de la marine.

A ce sujet, il est bon de rappeler aux citoyens d’une nation de grande tradition maritime que l’une des règles de la mer prescrit aux capitaines de recueillir les naufragés, sans vérifier leurs papiers ni leurs cartes de séjour, sexe, compétence ou nationalité avant de les autoriser à monter à bord et sans les choisir en fonction de la couleur de leur peau mouillée.

Tous ces braves Britanniques qui ont voté non à l’Europe en espérant se racrapoter dans une Angleterre qui ressemblerait aux villages dans les romans d’Agatha Christie, se sont trompés. Comme le feront ceux qui plébisciteront Marine Le Pen en croyant aveuglément ses fables sur le retour à une France de bande dessinée d’avant-guerre, peuplée d’hommes en marcels et béret, la moustache triomphante, la baguette à la main, et de femmes, toutes blondes, vêtues de tissus Vichy (Vichy évidemment !)

Sacrés romanciers et auteurs de B.D. qui nous font rêver à des mondes imaginaires, si réussis sous leurs plumes que des lecteurs s’imaginent qu’ils sont réels. Faudrait interdire la fiction, tiens !

Plus un auteur a du talent, plus il est dangereux. Les dictateurs, qui ont en matière de culture plus de flair que les hommes politiques de nos démocraties fatiguées, ont toujours fait taire les artistes.

Il faudrait justement quelques belles plumes en Europe pour retisser un récit, comme disent maintenant les spécialistes de la communication politique. Ce vocabulaire me hérisse mais sa signification n’est pas fausse.

L’Europe s’est construite sur un malentendu, voire un mensonge. Les pères fondateurs ont fait croire que l’on pourrait concilier intégration économique et respect de la souveraineté des états membres. Alors que l’intégration suppose un abandon de pouvoirs des membres de l’Union au profit d’une autorité supranationale.

Mais, faute d’histoires qui nous unissent et nous donnent envie d’abandonner nos défroques nationales ou régionales, l’Europe patine. Hommes et femmes politiques européens comme la plupart des politiciens locaux s’imaginent que leurs promesses de maîtriser ou développer l’économie ou même de baisser le chômage suffisent à se faire élire et aimer. On comprend ainsi le succès de cette phrase apocryphe prêtée à Jean Monnet : « Si c’était à refaire, je commencerais par la culture. »

Il ne l’a jamais écrite mais, soixante ans après la signature du traité de Rome, on aurait tant aimé qu’il l’ait prononcée !

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VOTEZ EXCENTRIQUE

La campagne britannique pour le Remain est mal partie parce que ses partisans l’ont axée uniquement sur l’économie. Personne n’a jamais réussi à mobiliser les électeurs en agitant des chiffres, même s’ils paraissent effrayants. Depuis 2008, le plus ignare des citoyens a compris ce qu’il faut penser des prévisions économiques en général et de la compétence des experts en particulier.

Beaucoup d’Anglais ont la conviction que le Brexit ne portera pas atteinte à leur petite vie tranquille, à leurs manufactures et à leurs vacances sur le continent. Et qu’une fois lâchées les amarres qui les liaient à la capitale de l’Europe, ils récupéreront leur capacité à rêver autrement. Ils gardent en mémoire Waterloo, à un jet de pierres de Bruxelles, leur plus belle victoire. Malgré la sortie de l’Union, leurs hooligans continueront de librement circuler lors des prochains euros de foot où son équipe sera toujours invitée. Et ses produits, de toute façon fabriqués en Chine, porteront l’étiquette « made in Ireland » pour éviter les droits de douane, comme les textiles sortis des ateliers de Moldavie portent impunément la mention « made in Italy ».

En l’absence des Anglais, l’Union européenne sera toujours aussi extravagante. Avec une monnaie en principe commune mais qui n’a pas la même valeur à Berlin ou à Athènes et des parlementaires aussi utiles et influents que les membres du parlement iranien ou kazakh. Le Bulgare et le Hollandais ne semblent pas appartenir à la même entité, avoir le même niveau de vie, obéir aux mêmes règles, avoir les mêmes aspirations. Et les règles élémentaires de la démocratie, semblables à Londres et à Bruxelles, sont en revanche tout à fait différentes à Budapest et à Varsovie. Seuls les plombiers polonais sont devenus de vrais Européens.

Voilà ce qu’on aurait dû vendre aux adversaires du Brexit. En flattant le goût de beaucoup de Britanniques pour les excentricités. On ne l’a pas assez souligné pendant la campagne du « oui », l’Europe est à un vrai vivier pour les amateurs de créations absurdes, les fans du docteur Frankenstein (l’œuvre d’une Anglaise, bien sûr, Mary Shelley).

Si on y réfléchit calmement, ce sont les aficionados de Descartes qui devraient fuir ce micmac au plus vite, pas les amateurs des Monty Python, de Laurence Sterne et de Swift. Ce n’est pas à la Grande-Bretagne de déserter une entité politique aussi absurde mais à la France, qui se pique d’agir au nom de la raison. Quoique Malherbe écrivait déjà, prémonitoire, « laisse-moi, raison importune ».

Pour renforcer le camp du « oui », il est urgent que les dirigeants européens s’unissent pour promettre aux Anglais, s’ils acceptent de rester avec nous, encore plus de folies, plus de chaos et plus de décisions incompréhensibles.

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