09.11

chronique
Le 11 septembre 2001, j’avais rendez-vous avec l’histoire, en tout cas avec mon histoire. Le cœur battant, dans ma petite auto, j’imaginais déjà la rencontre magique vers laquelle je roulais quand, brutalement, à la sortie d’un tunnel, une horde de policiers casqués, armés, se dressa sur la route, m’obligeant à évacuer immédiatement le quartier. Salaud de terroristes !
Cet après-midi-là, le monde a basculé. Nous sommes définitivement entrés dans une ère de peur, d’insécurité, de doutes. Un siècle sans Zappy Max, l’homme que je n’ai pas vu.
Zappy Max, l’idole de ma jeunesse, revenu pour la première fois à Bruxelles depuis au moins quarante ans dédicaçait son livre de souvenirs dans une librairie située juste en face de l’ambassade des Etats-Unis lorsque les deux tours me sont tombés sur la tête…
Zappy Max était animateur sur Radio-Luxembourg à la fin des années cinquante. A l’époque, je découvrais le monde en suivant, haletant, le feuilleton dont il était le héros, « ça va bouillir ! » Offert par une marque de lessive et manifestement improvisé sur antenne par une bande de pieds nickelés, le feuilleton décrivait une planète aux mains d’horribles Allemands, d’anciens Nazis, assez facile à vaincre pour des Français débrouillards.
Si ces affreux revenaient plus fous et plus méchants à chaque épisode, c’est que les scénaristes n’avaient aucun autre ennemi à se mettre sous la dent. Heureuse époque où les méchants perdaient toujours. Un monde plein de folies et de surprises mais où la vie triomphait quoi qu’il arrive.
Les terroristes de Manhattan n’ont pas seulement tué trois mille personnes. Ils ont aussi tenté d’éteindre en nous le rêve d’un avenir enchanté. Dans l’avion, on regarde avec inquiétude les chaussures de son voisin. Dans la rue, on dévisage ceux qui ne nous ressemblent pas. La peur est là. La mort du méchant à la fin de chaque épisode ne nous libère plus.
Qui résiste à ce scénario catastrophe ? Ces temps-ci, on dirait que ce sont les colleurs d’affiches ! A grand coup de colle, ils étalent la bobine joviale des candidats aux élections communales. Aucun ne promet de débusquer Bin Laden, de libérer l’Iraq, de réconcilier Israëliens et Arabes ou de sauver le plan Marshall. Ils jurent de repasser une couche d’asphalte dans la rue, de planter quelques arbres, d’agrandir la bibliothèque. Les plus ambitieux promettent aux bambins d’atteindre le nirvana scolaire via l’immersion linguistique qui leur permettra un jour de demander un autographe à Freya Van den Bossche en version originale. Ces politiciens de village ne gèrent que les petites affaires de la cité. Mais, dans la Grèce antique, c’est ainsi qu’est née la civilisation qui a longtemps tenu tête aux barbares.

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR

BRUITS ET CHUCHOTEMENTS

chronique
Avec la rentrée, le temps du bruit est revenu. Annoncé dès le début août par le ruissellement incessant de la pluie tapant sur les corniches. Depuis septembre, ce bruit enfle, assourdissant, paralysant.
Le bruit des discours électoraux résonnant dans le vide, le grincement des sourires forcés, des ego qui se poussent (c’est le temps du tout à l’ego), les promesses, toujours les mêmes, auxquelles personne ne croit plus. Le silence sur les vraies souffrances, les laissés pour compte, les immigrés éternels boucs émissaires de tout ce qui ne va pas. A qui on conseille de fermer leur gueule. Il faut un permis pour faire du bruit.
Le bruit de la discorde artificielle : les trompettistes linguistiques sont de retour. Ils ne connaissent qu’un refrain, usé jusqu’à la corde, qu’on invite à jouer chaque fois que les urnes sont en vue. Le bruit des portes qui claquent, du pays qui craque, la dérive du continent belge, le plaisir de faire peur, de se faire peur.
Chuchotement des petits scandales qu’on avait gardés au chaud dans le tiroir pour la dernière ligne droite juste avant de voter.
Bruit incompréhensible auteur d’Alain Destexhe, un sénateur qui fait son job d’élu (bruyamment c’est vrai mais comment se faire entendre dans cette cacophonie ?) en dénonçant l’incroyable relâchement de la sécurité dans les bâtiments des services anti-terroristes (faut-il faire silence ?)
Bruit des avions qui défaillent en rase-mottes au-dessus de la capitale.
Vociférations des émissions télé construites pour en mettre plein les oreilles et les yeux afin de vendre les interminables couloirs de pub bruyantes qui scandent nos soirées et nous transforment en zombies.
Bruit de la rentrée. Cartables de plomb. Rosam, rosae, rosas. Joyeux babillage ministériel. Tout va très bien, madame Arena.
Bruissement des centaines de livres lâchés sur le marché comme des chevaux sur la piste. Bruit autour de dix romans, tout au plus, qui occulteront tous les autres.
Vrombissement des canons au Moyen Orient. Silence glacé sur les morts du Darfour, de Tchétchénie, du Sri Lanka et les autres que vous ignorez comme moi. Et que nous ne voulons pas entendre. Bruit des corps qui explosent tous les jours en Irak et que personne n’écoute plus. C’est si facile de crier « c’est la faute à Bush » comme tout le reste qui ne va pas et d’éviter de perdre du temps en interrogations.
Bruit des klaxons, des grognons, des ronchons. Des cornichons qui décident de bloquer la ville par des travaux chaque fois qu’ils doivent se faire réélire.
Sonneries, bip, couinements des ordinateurs qui parasitent la jolie voix de la voisine sur le pas de la porte. De quoi parle-t-elle la voisine ? De la pluie. Des avions. Et d’un prince à qui certains reprochent de faire trop de bruit et d’autres pas assez.

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR

ETE D’ENFER

chronique
L’été s’est mal terminé pour monsieur et madame Tombaugh. Pour bien d’autres aussi, remarquez : Ulrich, Floyd Landis, Olmert, Jospin, Leterme, bref tous les dopés à leur propre ego se sont ramassés cet été une solide gueule de bois. Mais, ces gens qui les plaindra ? Tombaugh, c’est différent.
Attention, ne confondez pas Tombaugh et Tom Boonen. Tom Boonen, c’est le coureur qui a fait naître un rayon de soleil sur notre triste cyclisme. Tombaugh, c’est l’homme qui a observé le dernier rayon de soleil de notre galaxie. Lui qui a découvert il y a 76 ans la planète ultime de notre système, le papa de Pluton.
Neuf planètes qu’on était, au moins. Or, voilà que le comité central des astronomes ou je ne sais comment se nomme le saint des saints qui gère l’univers vient de décider que Pluton, c’est fini : rayée du rang des planètes. Et son satellite ? Libéré de son maître, il peut réclamer l’indépendance et choisir désormais son propre destin.
En ces tristes moments, mes pensées vont d’abord à Patricia Tombaugh, sa veuve, qui se dit « secouée » par l’événement. Et nous, alors ? Dans ce monde changeant, toutes nos certitudes s’effondrent une à une : l’URSS disparaît, l’Angleterre n’est plus une île, le cinéma de Woody Allen ne fait plus rire, la cigarette est interdite dans les bistrots. Seule restait une vérité immuable : le soleil et ses neuf planètes tournant éternellement, dernière ronde rassurante dans ce monde en déséquilibre.
Le comité central des astronomes a-t-il réfléchi aux conséquences de sa décision ? Pluton, c’est Hadès, le dieu des enfers. L’un des trois maîtres de l’Univers, avec Zeus qui règne au ciel et Poséidon sur les mers. Supprimer l’enfer, c’est supprimer le paradis. S’il ne faut plus craindre Pluton, on ne peut plus rêver au ciel. Que reste-t-il alors pour justifier nos combats, nos espoirs, notre vie ?
Mais tout n’est pas dit. Il faut se battre. Rétablir Pluton sur son axe. Lui rendre son satellite. Remettre Tombaugh au milieu du village. J’en appelle à l’ONU, à l’OTAN, à l’Amérique, à Israël, à l’Iran. Enfin, à tous nos sauveurs. Nous ne laisserons pas ces apprentis-sorciers briser nos dernières certitudes. Pluton, aujourd’hui. Pourquoi pas la planète du Petit Prince demain ? De quel droit nous imposent-ils leurs ukases ? Cette assemblée n’est pas élue plus démocratiquement que le patron des talibans, le président du comité de la tour de l’Yser ou l’ancien dictateur iraquien. Pourquoi ne pas utiliser les mêmes méthodes à son égard ? Une coalition alliée pour les déloger. Des casques bleus. Le chapitre 7 de la Charte des Nations-Unies. Sauver nos rêves, n’est-ce pas un combat au moins aussi important que bouter dehors les fous de Dieu ?

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR

INFORMATIONS DE LA RENTREE

actualite

Alain Berenboom à la Bibliothèque des Chiroux à Liège
15 rue des croisiers à Liège
le jeudi 28 septembre à 17 h 30;
entretien et lecture spectacle d’un monologue d’Alain Berenboom
« Refus d’éditer » ou « La Souffrance du Dibouk » par François SIKIVIE, comédien.
Le texte est paru dans la Nouvelle Revue française du printemps 2005.

Alain Berenboom au Livre sur la PLACE à NANCY
les samedi 16 et dimanche 17 septembre
place Stanislas, à Nancy
stand du Livre de Belgique.

FRISSONS DE L’ETE

chronique
Pas un été sans polars. Pour se protéger du soleil, oubliez la crème, le parasol et le rhum planteur, dévastateur, essayer les frissons du polar.
Dans son récent « Dictionnaire égoïste de la littérature française » (Grasset), Charles Dantzig nous donne à goûter ses romanciers préférés d’une plume légère, souvent cocasse. On lui pardonnera quelques choix, sa préférence terriblement conventionnelle pour les « classiques ». On lui pardonnera même beaucoup d’oublis car quelques formules si bien tournées permettront à ses lecteurs qui ont de la mémoire de briller en société. En revanche, on ne lui pardonnera jamais d’avoir condamné le genre policier et considéré ses auteurs comme des tacherons. Pauvre Dantzig qui n’a manifestement pas lu Scerbanenco (10 /18), Ellery Queen (J’ai Lu), Schlinck (Folio) ou Fredric Brown, pour citer un peu au hasard quelques plumes magnifiques, simplement des écrivains, des grands, des vrais (pour ne pas rappeler les Chandler, Mac Donald ou Jim Thompson, reconnus unanimement).
Le Suédois Mankel (Le Seuil) fait partie de ce club. Sa description de la Suède d’aujourd’hui à travers les enquêtes du commissaire Wallander donne une épaisseur magique à la pluie, l’angoisse de l’homme contemporain, la peur du monde d’aujourd’hui. Son dernier roman « Le retour du professeur de danse » (avec un nouvel héros), un de ses meilleurs, a un côté très familier pour nous : c’est la gangrène de la peste brune qui est au centre de l’intrigue. Anvers-Stockholm, la route n’est pas très longue.
A la Série noire, on doit le retour d’un auteur culte des années 70, Newton Thornburg. Sa « Fin de fiesta à Santa Barbara » (Folio) avait inspiré « Cutter’s way », le film magnifique d’Ivan Passer (interprété par les géniaux Jeff Bridges et John Heard), récit de la décomposition de l’Amérique des baba cools après la fin de la guerre du Vietnam. A la même époque, Thornburg avait publié « Mort en Californie » enfin édité en français. A travers le récit douloureux d’un père parti à la recherche de son fils, mort soi-disant par accident dans la villa d’une riche, jeune et vénéneuse Californienne, le grand romancier dresse le portrait terrible d’une Californie étouffante, écrasée par sa suffisance et son pognon dans une Amérique déboussolée. Trente ans après, ce roman a gardé sa pertinence, son mordant et sa cruauté.
William Lashner (édition du Rocher) est un romancier hilarant. « Rage de dents » est peut-être le plus caustique et le plus remarquable opus de ses livres. Son héros, Victor Carl, un avocat miteux, bricoleur, maladroit, cultivé et plus fin qu’il n’y paraît, est cette fois aux prises avec le représentant le plus tordu d’une profession particulièrement inquiétante, les dentistes… De quoi faire grincer bien des dents.
Bonne lecture !

Alain Berenboom
Paru dans LE SOIR

L’ETE DES FAITS DIVERS

chronique
Comment un fait divers se transforme-t-il en fait de société, en événement politique ?
Deux terribles affaires récentes rappellent qu’en Belgique, il n’y a plus de faits divers : la mort du passager d’un autobus à Anvers à la suite des coups reçus par une bande de jeunes et l’assassinat de deux fillettes à Liège.
La mort par infarctus d’un homme qui avait osé interpeller quelques jeunes excités en leur demandant de se calmer aurait été en d’autres circonstances, en d’autres lieux, en d’autres temps, une info locale malheureuse et choquante mais elle n’aurait pas fait la une des journaux et des commentateurs politiques.
La nature de cet incident a changé radicalement dès lors que l’affaire se déroule à Anvers, ville malade, gangrenée par la haine et le désarroi (malgré semble-t-il une reprise en mains sérieuse des hommes politiques démocrates du cru). Et que les agresseurs sont des jeunes gens d’origine marocaine.
Elle fait apparaître de manière emblématique le terrible malaise qui parcourt Anvers (mais aussi ne nous y trompons pas les autres villes du pays) : la sensation d’insécurité dans une société en pleine mutation, la peur de l’étranger, particulièrement du Maghrébin. Ce malaise révèle surtout l’absence de confiance de beaucoup de citoyens dans les institutions démocratiques et les hommes appelés à les faire fonctionner : politiciens, policiers, juges.
Ces considérations avaient déjà été émises il y a dix ans à l’occasion de la découverte des méfaits de Dutroux et de ses complices : le mauvais fonctionnement des polices et de la justice, le manque d’humanité et de communication de magistrats enfermés dans une tour d’ivoire mais surtout l’inefficacité de l’institution judiciaire. Il faut reconnaître que de profonds changements sont intervenus. Police, appareil judiciaire ont été réformés, d’importants moyens affectés à la justice.
Pourquoi alors la disparition puis la découverte de l’assassinat de Stacy et de Nathalie à Liège suscitent-elles une émotion aussi profonde, qui rappelle celle provoquée par les meurtres de Julie et Melissa, de Ann et Eefje ou de Leïla Benaïssa ?
Au-delà de l’émotion face à la mort violente de deux enfants, des sévices qu’ils ont subis, il y a autre chose qui nous fait réagir. Le sentiment qu’à Liège comme à Anvers, les victimes sont, comme celles des affaires Dutroux et Derochette, le symbole d’une société qui ne s’aime plus et qui n’aime plus les êtres qui la peuplent et qui la font. Ce ne sont pas seulement les institutions judiciaires et policières qu’il faut reprendre en mains, c’est notre société, notre vie. Se regarder et s’aimer.

Alain Berenboom
www.berenboom.com

Paru dans LE SOIR

QUE VONT NOS ENFANTS DEVENIR ?

chronique
La fin des examens confrontera dans quelques jours des milliers d’étudiants à cette étape difficile de leur vie : quitter le doux cocon de l’école pour se mettre au travail. On comprend l’ardeur mise par certains à prolonger indéfiniment cette vie facile en multipliant les licences complémentaires, les voyages d’études à l’étranger ou en se lançant dans de longs voyages tropicaux.
La lecture des offres d’emploi du week-end est assez décourageante, il faut l’avouer. Seule consolation : elle offre une intéressante photographie de l’état du pays, plus révélatrice que bien des enquêtes sociologiques (et nettement plus économique).
Quel est le job le plus demandé actuellement ? Directeur d’intercommunales ? Gestionnaire d’habitations sociales ? Echevin ? Vous n’y êtes pas : même dans les régions où une étrange épidémie a décimé les responsables en place, ces postes-là, aussitôt libres, sont automatiquement occupés sans appel aux petites annonces. Non, la tête du hit parade des emplois vacants, c’est infirmière dans une maison de retraite.
Les diplômés universitaires arrivent loin derrière. Très loin. Et, inutile de proposer ses services si l’on a qu’un simple master dans son petit panier. Pour espérer être écouté, il faut au moins une collection de licences complémentaires, une brochette de langues plus ou moins exotiques (la connaissance du néerlandais et de l’anglais semble un atout aussi peu exceptionnel que jadis savoir lire et écrire). Et une expérience de plusieurs années.
Vers où se tourner alors ? Autrefois, on recrutait des cadres haut de gamme à la R.T.B.F. C’est fini : les excellents gestionnaires qui ont repris les manettes de la Casa Kafka ont décidé qu’il faut être Français pour programmer la télévision belge ou diriger la radio classique. D’abord, ils coûtent tellement plus chers et surtout ils offrent à nos gestionnaires l’impression flatteuse de pouvoir apprendre quelque chose à ces gens. Justement : instit’. Quel beau métier ! Le plus beau (et le plus vieux du monde, quoi que disent certaines). Mais tellement mal payé. Méprisé par les parents et les élèves. Et oublié par trop de brillants candidats étudiants qui visent seulement un diplôme estampillé par une université. Pourquoi ne pas intégrer ce cursus essentiel et magnifique dans les campus universitaires ?
Le fils d’une de mes amies est diplômé en sciences politiques de l’U.L.B; il a une licence complémentaire en environnement, acquise en Espagne et une autre en gestion de la V.U.B. Il a trouvé un job : il enseigne l’anglais des affaires dans une école privée à Shanghai à d’anciens cadres du parti communiste. C’est peut-être plus dépaysant que travailler comme infirmière dans une seniorie – quoique…

Alain Berenboom
Paru dans LE SOIR

UN HOMME PARFAIT A 60 %

chronique
L’auteur d’un documentaire sur Billy Wilder avait joliment intitulé son film « Portrait d’un homme parfait à 60 %». Mon admiration pour le réalisateur de « La Garçonnière » et de « Avanti » m’avait convaincu qu’être parfait à 60 % était un bel idéal pour un homme moyen comme moi. Et j’avais tenté, bon an mal an, de m’y tenir. Mais ces derniers temps, je l’avoue, mon score est en train de s’effondrer au rythme des intentions de vote pour le P.S. wallon. Je fatigue un peu. Mon taux de perfection a pris un coup dans l’aile.
Et Serge July, le patron de « Libération », est-il un homme parfait à 60 % ?
Chassé du journal qu’il avait créé par un fiston Rotschild, quel symbole ! Oui, sauf que la réalité est plus tordue : c’est July lui-même, l’ancien soixante-huitard, qui était allé chercher le grand argentier et lui avait donné les manettes.
Certains mythifient mai 68, ses pompes, ses gadgets, son « souffle de liberté ». Les romanciers et les cinéastes revisitent l’époque comme une cathédrale, la transforment en épopée moderne (alors que, étrangement, le front populaire est si peu visité). Les idoles d’alors, pourtant, se sont souvent trompées. July avait commencé comme militant maoïste, admirateur de la « révolution culturelle » comme tant d’autres donneurs de leçons de l’intelligentsia française. Fascinés aussi par Fidel Castro, cigare au bec et sourire goguenard. Or, la révo’ cul’ comme disait Simon Leys ( lucide si tôt ) a fait plus de victimes que le génocide rwandais. Et les méthodes de ce bon monsieur Castro n’avaient guère à envier à celles de ses chers collègues de droite, Papa Doc à Haïti ou certains généraux sud américains.
July, s’il s’est souvent trompé d’icones, n’a fait taire personne. Au contraire, il a créé un journal, critique, brouillon, parfois décapant, souvent approximatif et flou à l’image de ces trente dernières années. Mais qui montrait une nouvelle façon de décoder l’information, la société et surtout la culture.
Sauf Danielle Mitterrand, tout le monde sait désormais ce que cache le mythe Castro, corruption, meurtres politiques, misère. Et alors ? Ce sera mieux après ? Un homme parfait à 60 % croit que demain nous serons plus civilisés. Or, aujourd’hui, les améliorations paraissent des reculs. Même quand une dictature s’effondre, que la démocratie s’installe, c’est le chaos. Regardez les Haïtiens errer tels des zombies dans les ruines fumantes de leurs dictatures. Et les Libériens sortant de l’enfer, nus et hagards. Voyez les âmes mortes du Darfour que les télévisions effleurent quand il n’y a rien d’autre à se mettre sous la caméra, ni foot, ni tennis.
Sacré paradoxe et symbole de l’époque : July s’en va et Fidel Castro est toujours là.

Alain Berenboom
Paru dans LE SOIR

BONS MOTS

chronique
De quoi se souviendra-t-on après le Mondial et les vacances ? Les affaires de Charleroi et de Namur seront sans doute un peu oubliées. Mais pas le crime d’Anvers. Où l’on est passé du verbe au sang.
Les mots aussi peuvent tuer. Après la cavalcade sanglante d’Anvers, c’est vers le V.B. que l’on s’est tourné, en accusant le parti néo-fasciste d’avoir infecté ce qui restait de cervelle au tueur. Le V.B. n’a pas le monopole des idées immondes.
Extrait d’une conversation entre un certain Christian Desmet, conseiller communal M.R. à Forest et des amis, membres du même conseil communal. Parlant d’une échevine (de son propre parti) : « Les nazis ont peut-être exterminé six millions de juifs, mais ils en ont oublié une ». C’est ici qu’on rit, paraît-il.
L’histoire ne dit pas si les amis se sont esclaffés. Mais certains d’entre eux, manifestement choqués, n’ont pas gardé la « blague » de notre conseiller dans la poche. Les mots sont dits pour être répétés.
Le misérable, immédiatement exclu de son parti, a présenté des excuses (pas très spontanées, remarquez; il a fallu une médiation et la promesse de renoncer à une procédure pénale pour les lui arracher). Mais, soyez-en sûr, sa phrase continuera de résonner, de se promener dans les conversations. Et, qui sait, d’en inspirer d’autres, tout aussi fines.
Comment un homme, qui exerce certaines responsabilités publiques depuis de nombreuses années, en arrive-t-il à proférer de telles conneries ? A les penser ? A croire que ses amis vont se fendre la pipe quand il va les raconter ?
Le bonhomme rêvait, paraît-il, depuis longtemps d’un poste d’échevin qu’il n’a jamais réussi à décrocher faute de score électoral. Après les dernières élections, la bourgmestre lui aurait pourtant promis, juré, craché, que cette fois, il allait recevoir son petit bâton de maréchal en cours de législature. Puis, elle aurait oublié sa promesse tout en le consolant avec d’autres cadeaux (des mandats dans la société d’habitations sociales). Bref, il en aurait conçu une grande amertume.
Bon. Et alors ? Quel est le lien entre son rêve de diriger un empire (gérer l’état civil ou la propreté à Forest) et l’holocauste ? J’avoue, je ne comprends pas. Y a-t-il un docteur dans la salle ?
A propos de Dieudonné, on avait parlé de « dérapage ». La vérité est plus inquiétante : le mot infect est devenu banal. Comme si désormais les mots n’avaient plus d’importance et que la politique n’était plus que bavardage et spectacle. Le gagnant n’étant que le meilleur bateleur, celui qui rit le plus fort, qui en sort la plus énorme. Dur…

PS : à propos de mots, la Série Noire vient enfin d’éditer en français le très beau, très âpre et déchirant « Mort en Californie » de N.Thornburg.

Alain Berenboom
Paru dans LE SOIR