QUE VONT NOS ENFANTS DEVENIR ?

chronique
La fin des examens confrontera dans quelques jours des milliers d’étudiants à cette étape difficile de leur vie : quitter le doux cocon de l’école pour se mettre au travail. On comprend l’ardeur mise par certains à prolonger indéfiniment cette vie facile en multipliant les licences complémentaires, les voyages d’études à l’étranger ou en se lançant dans de longs voyages tropicaux.
La lecture des offres d’emploi du week-end est assez décourageante, il faut l’avouer. Seule consolation : elle offre une intéressante photographie de l’état du pays, plus révélatrice que bien des enquêtes sociologiques (et nettement plus économique).
Quel est le job le plus demandé actuellement ? Directeur d’intercommunales ? Gestionnaire d’habitations sociales ? Echevin ? Vous n’y êtes pas : même dans les régions où une étrange épidémie a décimé les responsables en place, ces postes-là, aussitôt libres, sont automatiquement occupés sans appel aux petites annonces. Non, la tête du hit parade des emplois vacants, c’est infirmière dans une maison de retraite.
Les diplômés universitaires arrivent loin derrière. Très loin. Et, inutile de proposer ses services si l’on a qu’un simple master dans son petit panier. Pour espérer être écouté, il faut au moins une collection de licences complémentaires, une brochette de langues plus ou moins exotiques (la connaissance du néerlandais et de l’anglais semble un atout aussi peu exceptionnel que jadis savoir lire et écrire). Et une expérience de plusieurs années.
Vers où se tourner alors ? Autrefois, on recrutait des cadres haut de gamme à la R.T.B.F. C’est fini : les excellents gestionnaires qui ont repris les manettes de la Casa Kafka ont décidé qu’il faut être Français pour programmer la télévision belge ou diriger la radio classique. D’abord, ils coûtent tellement plus chers et surtout ils offrent à nos gestionnaires l’impression flatteuse de pouvoir apprendre quelque chose à ces gens. Justement : instit’. Quel beau métier ! Le plus beau (et le plus vieux du monde, quoi que disent certaines). Mais tellement mal payé. Méprisé par les parents et les élèves. Et oublié par trop de brillants candidats étudiants qui visent seulement un diplôme estampillé par une université. Pourquoi ne pas intégrer ce cursus essentiel et magnifique dans les campus universitaires ?
Le fils d’une de mes amies est diplômé en sciences politiques de l’U.L.B; il a une licence complémentaire en environnement, acquise en Espagne et une autre en gestion de la V.U.B. Il a trouvé un job : il enseigne l’anglais des affaires dans une école privée à Shanghai à d’anciens cadres du parti communiste. C’est peut-être plus dépaysant que travailler comme infirmière dans une seniorie – quoique…

Alain Berenboom
Paru dans LE SOIR

UN HOMME PARFAIT A 60 %

chronique
L’auteur d’un documentaire sur Billy Wilder avait joliment intitulé son film « Portrait d’un homme parfait à 60 %». Mon admiration pour le réalisateur de « La Garçonnière » et de « Avanti » m’avait convaincu qu’être parfait à 60 % était un bel idéal pour un homme moyen comme moi. Et j’avais tenté, bon an mal an, de m’y tenir. Mais ces derniers temps, je l’avoue, mon score est en train de s’effondrer au rythme des intentions de vote pour le P.S. wallon. Je fatigue un peu. Mon taux de perfection a pris un coup dans l’aile.
Et Serge July, le patron de « Libération », est-il un homme parfait à 60 % ?
Chassé du journal qu’il avait créé par un fiston Rotschild, quel symbole ! Oui, sauf que la réalité est plus tordue : c’est July lui-même, l’ancien soixante-huitard, qui était allé chercher le grand argentier et lui avait donné les manettes.
Certains mythifient mai 68, ses pompes, ses gadgets, son « souffle de liberté ». Les romanciers et les cinéastes revisitent l’époque comme une cathédrale, la transforment en épopée moderne (alors que, étrangement, le front populaire est si peu visité). Les idoles d’alors, pourtant, se sont souvent trompées. July avait commencé comme militant maoïste, admirateur de la « révolution culturelle » comme tant d’autres donneurs de leçons de l’intelligentsia française. Fascinés aussi par Fidel Castro, cigare au bec et sourire goguenard. Or, la révo’ cul’ comme disait Simon Leys ( lucide si tôt ) a fait plus de victimes que le génocide rwandais. Et les méthodes de ce bon monsieur Castro n’avaient guère à envier à celles de ses chers collègues de droite, Papa Doc à Haïti ou certains généraux sud américains.
July, s’il s’est souvent trompé d’icones, n’a fait taire personne. Au contraire, il a créé un journal, critique, brouillon, parfois décapant, souvent approximatif et flou à l’image de ces trente dernières années. Mais qui montrait une nouvelle façon de décoder l’information, la société et surtout la culture.
Sauf Danielle Mitterrand, tout le monde sait désormais ce que cache le mythe Castro, corruption, meurtres politiques, misère. Et alors ? Ce sera mieux après ? Un homme parfait à 60 % croit que demain nous serons plus civilisés. Or, aujourd’hui, les améliorations paraissent des reculs. Même quand une dictature s’effondre, que la démocratie s’installe, c’est le chaos. Regardez les Haïtiens errer tels des zombies dans les ruines fumantes de leurs dictatures. Et les Libériens sortant de l’enfer, nus et hagards. Voyez les âmes mortes du Darfour que les télévisions effleurent quand il n’y a rien d’autre à se mettre sous la caméra, ni foot, ni tennis.
Sacré paradoxe et symbole de l’époque : July s’en va et Fidel Castro est toujours là.

Alain Berenboom
Paru dans LE SOIR

BONS MOTS

chronique
De quoi se souviendra-t-on après le Mondial et les vacances ? Les affaires de Charleroi et de Namur seront sans doute un peu oubliées. Mais pas le crime d’Anvers. Où l’on est passé du verbe au sang.
Les mots aussi peuvent tuer. Après la cavalcade sanglante d’Anvers, c’est vers le V.B. que l’on s’est tourné, en accusant le parti néo-fasciste d’avoir infecté ce qui restait de cervelle au tueur. Le V.B. n’a pas le monopole des idées immondes.
Extrait d’une conversation entre un certain Christian Desmet, conseiller communal M.R. à Forest et des amis, membres du même conseil communal. Parlant d’une échevine (de son propre parti) : « Les nazis ont peut-être exterminé six millions de juifs, mais ils en ont oublié une ». C’est ici qu’on rit, paraît-il.
L’histoire ne dit pas si les amis se sont esclaffés. Mais certains d’entre eux, manifestement choqués, n’ont pas gardé la « blague » de notre conseiller dans la poche. Les mots sont dits pour être répétés.
Le misérable, immédiatement exclu de son parti, a présenté des excuses (pas très spontanées, remarquez; il a fallu une médiation et la promesse de renoncer à une procédure pénale pour les lui arracher). Mais, soyez-en sûr, sa phrase continuera de résonner, de se promener dans les conversations. Et, qui sait, d’en inspirer d’autres, tout aussi fines.
Comment un homme, qui exerce certaines responsabilités publiques depuis de nombreuses années, en arrive-t-il à proférer de telles conneries ? A les penser ? A croire que ses amis vont se fendre la pipe quand il va les raconter ?
Le bonhomme rêvait, paraît-il, depuis longtemps d’un poste d’échevin qu’il n’a jamais réussi à décrocher faute de score électoral. Après les dernières élections, la bourgmestre lui aurait pourtant promis, juré, craché, que cette fois, il allait recevoir son petit bâton de maréchal en cours de législature. Puis, elle aurait oublié sa promesse tout en le consolant avec d’autres cadeaux (des mandats dans la société d’habitations sociales). Bref, il en aurait conçu une grande amertume.
Bon. Et alors ? Quel est le lien entre son rêve de diriger un empire (gérer l’état civil ou la propreté à Forest) et l’holocauste ? J’avoue, je ne comprends pas. Y a-t-il un docteur dans la salle ?
A propos de Dieudonné, on avait parlé de « dérapage ». La vérité est plus inquiétante : le mot infect est devenu banal. Comme si désormais les mots n’avaient plus d’importance et que la politique n’était plus que bavardage et spectacle. Le gagnant n’étant que le meilleur bateleur, celui qui rit le plus fort, qui en sort la plus énorme. Dur…

PS : à propos de mots, la Série Noire vient enfin d’éditer en français le très beau, très âpre et déchirant « Mort en Californie » de N.Thornburg.

Alain Berenboom
Paru dans LE SOIR

LE BON, LA BRUTE ET LES TRUANDS

Paru dans Libération

Samedi 27 mai : La Mort subite

A « La mort subite », non loin de la Grand-Place, on boit encore du faro, la bière amère qu’avalaient jadis les prolos bruxellois avec son odeur de fourrage de cheval. Aux murs jaunes pisseux du vieux café, des photos un peu passées, le roi Albert 1er qu’on appelait le roi chevalier (peut-être parce qu’il sentait le faro ?), Jacques Brel et Annie Cordy au temps où elle chantait « Cigarettes, whisky et petite pépées ». A l’époque, « Le déserteur » de Vian et « Le Gorille » de Brassens étaient interdits d’antenne à la radio belge. Aujourd’hui, ce serait Annie Cordy : la loi contre le tabagisme, la législation sur l’alcool et les règles contre le sexisme, trois tabous violés dans une seule chanson…
Entre colonnes, tables grasses et bancs de bois, « La Mort subite » est le meilleur endroit de Bruxelles pour refaire le monde – disons la Belgique- en avalant une tartine au fromage blanc, radis et oignons. Le monde peut attendre. De toute façon, G.W. Bush s’en occupe. Reste mon pays. Avis aux amateurs. Il donne dangereusement de la bande. Dans la salle des pas perdus de la gare centrale, à un jet de pierres d’ici, un jeune homme de 17 ans s’est fait poignarder par un ado de son âge qui voulait son MP3. 80.000 personnes ont défilé dans la rue pour protester contre la violence.
Deux semaines plus tard, une jeune femme turque a été abattue dans une rue d’Anvers pendant qu’elle lisait un roman sur un banc. Le meurtrier a continué sa route en abattant une petite fille de deux ans (« pure Blanche ») et sa nounou africaine. Le jeune assassin, qui venait de fêter ses 18 ans en s’achetant une carabine de chasse en toute légalité, n’a pas caché que son but était d’abattre le plus d’étrangers possibles. Son grand-père avait combattu avec les Nazis sur le front de l’est, sa tante est députée du parti fasciste flamand (le Vlaams Belang réunit presque un électeur anversois sur trois) On a beau dire. Les gènes, quelle chose fascisante, pardon, fascinante…
Hier, vingt mille manifestants marchaient dans les rues d’Anvers sous une pluie battante contre les brutes. Etonnant succès dans une ville où l’on ne manifeste jamais (sauf les dockers de temps en temps).

Dimanche 28 mai : Main basse sur la ville

Les débats politiques du dimanche à la télé ont remplacé la messe. Dommage : depuis que la messe est chantée en français, on la comprend. Mais pas les politiciens belges. Francophones et flamands partagent une langue commune, la langue de bois.
A l’ordre du jour, les scandales qui ébranlent Charleroi, capitale du pays noir, baptisée depuis des années Chicago-sur-Sambre à cause de son taux de criminalité. Cette fois, ce sont des politiques qui sont pris la main dans le sac – pour faire couleur locale ?
Le bourgmestre démissionne et reprend son écharpe maïorale le lendemain. Son chef de cabinet est en prison. Trois échevins sont soupçonnés de détourner l’argent des habitations sociales; un autre, celui des déchets. Plusieurs hommes d’affaires du coin sont accusés de détournement de subventions et de corruption. Remake de « Main Basse sur la ville » de F. Rosi. Tous, présumés larrons, sont liés au patron du P.S. local (la plus grosse fédération du parti), le vizir du coin, Jean-Claude Van Cauwenberghe, que ces scandales ont éloigné de la présidence de la Région wallonne tout en gardant la haute main sur la cité. Tout ce beau monde se partage les mandats des sociétés publiques de la région. On appelle ça le dévouement à la chose publique. Ce qui explique pourquoi ils s’accrochent. Le capitaine ne quitte pas le navire en pleine tempête. Les marins non plus. Ce n’est pas quand on est mouillé qu’on se jette à l’eau !
J’essaye d’écrire un roman qui se déroule au Congo belge juste après la seconde guerre mondiale. J’ai l’impression que les notables de Charleroi voient leurs citoyens comme les coloniaux traitaient les Noirs à cette époque bénie. A mon avis, tout ça ne nous rendra pas le Congo…
Le monde est petit : le vizir était mon camarade de cours à l’université. Déjà, il courait de réunions en réunions avec les quelques étudiants qui osaient se déclarer socialistes plutôt que libertaires. En 1968, s’affirmer P.S. était, aux yeux de la plupart d’entre nous, le comble du ringard. Brave Jean-Claude, lui au moins n’a pas viré sa cuti…

Lundi 29 mai : Pendant les soldes, les affaires continuent

Justement, me revoilà à l’université, où j’enseigne le droit d’auteur. Une matière « branchée » aujourd’hui, alors que peu de juristes s’y intéressaient auparavant. La culture a toujours été une activité futile en Belgique. Nous nous vantons d’avoir le plus grand nombre de poètes et de peintres du dimanche par km² (on paye des gens pour tenir les comptes ? ) mais nos hommes politiques préfèrent se déguiser en supporters de football ou en buveurs de bière même lorsqu’ils hantent – discrètement- les librairies. « Faire intellectuel », la pire image pour un politicien belge. Sauf lorsqu’un de nos créateurs décroche un prix en France. Alors, les excellences se bousculent pour être sur la photo avec Weyergans et son prix Goncourt Schuiten à Angoulême ou les frères Dardenne brandissant leurs palmes d’or.
Pendant ce temps, les affaires continuent. Cette fois, c’est le bourgmestre socialiste de Namur, capitale de la Wallonie, qui est éclaboussé. A cause de marchés publics attribués par lots entiers depuis des années à la société de sa compagne. Les yeux dans les yeux, il déclare : je ne me rendais pas compte que cela posait un problème mais maintenant que vous me le dites, je ne le ferai plus. Promis, juré, craché. Lui aussi garde précieusement sa belle écharpe maïorale.
Quelle matière pour les écrivains ! Raconter par le menu les magouilles des socialistes wallons pourrait requinquer la Série Noire …

Mardi 30 mai : méthode pour faire face aux brutes trop polies

Au petit matin, je parviens à terminer le bricolage d’une nouvelle autour de laquelle je tourne depuis trop longtemps. Je compare volontiers l’écriture et le bricolage. Même attention, même précision pour que toutes les pièces s’emboîtent, même façon de ne pas trop se prendre la tête. C’est aussi une revanche pour un type comme moi qui se retrouve aux urgences dès qu’il essaye d’empoigner un marteau.
Réunion de la Cinémathèque royale, dont je suis administrateur. Nous préparons la venue à Bruxelles de Terry Gilliam qui vient présenter à Bruxelles son nouveau film. Quelle émotion de rencontrer un de mes cinéastes préférés. Gilliam, Coen, Kusturica, Burton, Imamura. Des maîtres qui décoiffent dans un monde de brutes trop polies.
Après, nous nous retrouvons Luc Dardenne et moi dans un bistrot. De retour de Cannes, où il présidait le jury de la Caméra d’or avec son frère, Luc découvre, abasourdi, ce qui s’est passé en son absence : la marche blanche d’Anvers, la liquéfaction du PS carolo et namurois sous le feu des « affaires ». Crainte partagée d’une nouvelle poussée de l’extrême droite en Flandre mais aussi en Wallonie aux prochaines élections. Face au racisme, à la violence, à la corruption, la réaction des citoyens est pareille en Flandre et en francophonie.
Quoi que disent certains, il y a plus en commun entre Flamands et francophones qu’entre citoyens et certains de leurs représentants politiques…

Mercredi 31 mai : l’anguille du docteur Akagi

Bon, voilà que disparaît Imamura. Si les brutes croient avoir eu sa peau, ils se trompent. « L’anguille », « Le docteur Akagi », parfaites merveilles d’humour, de folie et de tendresse sont là pour l’éternité.

Jeudi 1er juin : Colette, c’est génial !

Plus de cent nationalités vivent à Bruxelles, sans vraiment se croiser. Chacun dans son coin. Même entre fonctionnaires européens, on se voit entre compatriotes. Les braves Bruxellois comme moi ne vont guère se promener de l’autre côté du canal où habitent les Marocains, ni dans le quartier turc de Saint-Josse. Flamands et francophones de Bruxelles s’ignorent. Les Flamands ont construit le siège de leurs institutions dans le quartier de la cathédrale et sur la place des Martyrs ( !) et ouvert leur magasins branchés, bistrots, galeries et théâtres autour de la rue Dansaert, près de la Bourse. Seule la littérature opère parfois des rapprochements. A Passa Porta, la maison de la littérature, dirigée ensemble par des Flamands et des francophones, on accueille les écrivains du monde entier.
Dans les librairies de seconde main qui se sont développées comme des champignons sur le grand boulevard qui mène à la gare du midi, on frôle le reste de la planète. A « Pêle-mêle », un gigantesque fourre-tout, des petits enfants de toutes les couleurs, couchés par terre, dévorent des B.D. Des filles sous le voile cherchent des romans sous le comptoir. Un vieil intellectuel maigre comme une fritte sans mayonnaise grogne parce que le rayon littérature classique a déménagé et qu’il est maintenant coincé entre les guides de voyages et les livres de guerre.
Derrière moi, une jeune fille demande à sa copine : « Alors, quel bouquin t’as choisi ?
– Colette, dit l’autre. C’est génial !
– Ah oui ? Combien de pages ?
– 110 pages.
– Waw ! Super, Colette !

Vendredi 2 juin : Et maintenant, le bon…

Le bon, c’est Tintin. C’est pas moi qui le dit. C’est le dalaï-lama en visite en Belgique. Il a décoré les dirigeants de la Fondation Hergé, Nick et Fanny Rodwell, de l’ordre d’Ottokar 1er, je dirai même plus, de l’ordre de la Lumière de la Vérité.
Hergé est mort depuis plus de vingt ans mais la Belgique vit toujours dans les aventures de Tintin. Même si on a un peu perdu le secret de la ligne claire, mille sabords !

FÊTE DE L’ESPRIT SAIN

chronique
Pentecôte, fête de l’esprit sain. Justement, c’est le thème de notre feuilleton médiéval.
Résumé des chapitres précédents. Au pays noir, comme ses barons ont commis quelques vilenies pendant que son grand vizir regardait ailleurs, le roi Autiste 1er a décidé d’abdiquer. Son bon peuple l’ayant supplié de rester, Autiste, un brave au fond, a repris sa couronne et s’est rassis sur le trône vingt-quatre heures plus tard. Son collègue, son modèle, le roi Baudouin, n’avait-il pas montré l’exemple quelques années auparavant ?
Devant le désordre causé par les méchants barons, l’Empereur a un peu grogné mais, comme il est indulgent, que le grand vizir a roulé des yeux plein de colère et grincé des dents et qu’Autiste a beaucoup pleuré, l’Empereur a passé l’éponge. Et voilà. Tout est bien qui finit bien. Et qui se termine comme toutes les histoires se termine par un grand festin. Du pain et des jeux.
Le jeu proposé par les troubadours s’appelle Le Geste fort. Pour être franc, certains courtisans ont été un peu déçus. Ils auraient préféré « La Galette des rois » ou « Comment gagner des millions ? » mais comme F 1 n’existe pas encore, ils se sont inclinés.
En général, Autiste 1er n’aime pas beaucoup les ménestrels. Il ne comprend jamais très bien leurs bouffonneries, pasquinades et autres turlupinades. Mais, comme chacun sait que Le Geste Fort est le jeu préféré de l’Empereur, il s’incline de bonne grâce. Surtout que le grand vizir a promis de tout lui expliquer un jour. Pas contrariant, notre bon roi.
Le gagnant est un ami du grand vizir, un petit courtisan qui a eu l’idée amusante de disparaître en plein milieu du banquet. Bravo, ça, c’est vraiment un vrai geste fort ! Va-t-il réapparaître un jour ? se demandent les autres participants avec un sourire dans le coin. Peu importe, sa fille est restée dans la salle du trône à banqueter avec les autres membres de la cour et leurs ambitieux bambins et à dévorer les viandes juteuses offertes généreusement par la populace du royaume. On ne doute pas qu’elle remplira un tupperware pour son papa.
Pendant ce temps, dans le fief voisin, une autre aventure se prépare. Le roi Ahuri 1er est en butte aux attaques de quelques croquants. Pas contents que le roi offre à sa mie tous les jours de coûteux jeux de construction. C’est qu’elle s’ennuie, la pauvre, dans son château endormi entre Meuse et Sambre. Et c’est un plaisir bien innocent qu’Ahuri partage avec sa dame. Devant les grognements, comme il déteste discuter et qu’il aime ses gens, il décide, lui aussi, de faire un geste fort : désormais, il regardera ailleurs quand sa mie ouvrira sa boîte de Lego.
Et l’Empereur ? Croyez-vous qu’il a le temps de s’occuper de ces enfantillages ?

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR

Le goût amer

decouverte
Le goût amer de l’Amérique est en librairie. En voici la couverture et un extrait sur le site: Chapitre 1

Le goût amer de l'Amérique

Georges a vingt ans. Il livre le pain et ramasse les petites annonces en Vespa mais il est amoureux de la plus belle fille du monde (ou à peu près), Louisa. Une drôle de fille qui se dérobe et cache une double vie. Georges s’occupe aussi de son grand-père, Léo Malgudi, fou du Hollywood des années cinquante (et du genièvre). N’oublions pas son meilleur ami, Ahmed, ennemi farouche de l’Amérique de monsieur Bush.
Bref, il est un peu perdu Georges au milieu de toutes ces histoires qui se télescopent. Pourquoi se met-il à écrire une biographie d’une star américaine oubliée, James Stewart ? Jimmy Stewart, acteur fétiche de Hitchcock et de Capra, et dont la vie, telle que Georges l’imagine à travers ses films, croise étrangement la sienne…

C’est un roman décalé et drôle qui réussit à approcher la légèreté des comédies de Capra ou de Lubitsch sans verser dans la mélancolie d’un âge d’or révolu. Georges, Louisa, Ahmed et les autres sont des jeunes d’aujourd’hui, abonnés aux petits boulots mais qui s’amusent et jonglent avec la vraie vie. Loin des clichés de Coca-Cola, de Bagdad-city ou de Michaël Moore, l’Amérique de Georges est un quartier de Bruxelles transformé par la passion et le cinéma.

Découvrez le Chapitre 1 sur le site d’Alain Berenboom : Chapitre 1 en ligne sur www.berenboom.com

AUTOPSIE D’UN MEURTRE

chronique
Charleroi… Pour les journalistes, le coffre aux trésors. Pour les lecteurs et les téléspectateurs, un feuilleton digne de Gaston Leroux. Chaque jour, de nouveaux scandales, inculpations, détournements, escroqueries, association de malfaiteurs. On se frotte les yeux. Une ville gangrenée, assassinée par ses propres notables ? Quelle mouche les a piqués, tous ces gens « bien » ? Pourquoi échevins, patrons de sociétés, d’associations, de puissants services publics se sont-ils mis à jouer avec le fric des jolies sportives, la gestion des immondices, les factures des fournisseurs d’habitations sociales ? Ne cherchez plus. La cause du mystère, c’est la vidéo par G.S.M. – le dernier phénomène à la mode.
Depuis quelques mois, les policiers expliquent que, dans beaucoup de villes européennes, les agressions n’ont plus pour motif le vol, le pognon ou la vengeance. Mais simplement le plaisir pervers d’être filmé en pleine transgression. Lorsqu’un émeutier incendie une bagnole, qu’un petit con renverse une vieille dame, qu’une bande d’élèves agresse un prof en pleine classe, ils attendent que leur copain soit prêt à enregistrer la scène avant d’agir. Ensuite, ces images sont fixées sur des blogs à la gloire de ces héros et transmises via le net. Grâce au G.S.M., tout le monde a désormais une chance de devenir vedette de l’écran, comme sur TF1.
Songez maintenant au destin d’un homme politique carolo. Que signifient les honneurs pour lui ? Devenir échevin de Charleroi, président d’une association d’habitations sociales, d’une intercommunale ? Tout au plus d’un club sportif local ou de la piscine municipale. Un destin, ça ? Alors qu’en regardant la télé, en surfant sur le web, il constate, amer, qu’un petit émeutier des banlieues qui roule des mécaniques est un héros en quelques heures. Son image, ses exploits diffusés sur toute la planète, objet de colloques, de publicité.
Aussi, lassés d’être oubliés des dieux de la communication et de la renommée, ces braves gens se sont réunis et ils ont décidé de changer de méthode : puisque leur gestion impeccable, leur dévouement à la chose publique, leur abnégation au service des citoyens restaient à jamais occultés par les caméras, ils allaient forcer les télés à braquer les objectifs sur leur ville chérie. Et, comme la sagesse ne suffisait pas, ils allaient jouer l’extravagance, la folie.
Reconnaissons-le : ils ont réussi au-delà de toute attente. Une chose les dérange encore : être traités de dinosaures, de socialistes à l’ancienne, d’acteurs d’un système révolu. Alors que leurs méthodes prouvent au contraire combien ils sont modernes, dans l’air du temps. Ce sont eux les rénovateurs. Ne nous y trompons pas.

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR

ESTOMPEMENT DE LA NORME (LE RETOUR)

chronique
Ils ont bien du mérite ces étudiants qui se présentent sagement devant moi. Jusqu’ici, pas un ne m’a agressé quand je lui ai annoncé que, hélas, comme il s’en rend compte lui-même…, aucun ne m’a giflé au moment où je lui ai posé la question que justement il n’avait pas révisé parce que… J’ajoute que je n’ai pas reçu (à ce jour) une seule enveloppe ni dû repousser une seule proposition tentante mais malhonnête. Rien, désespérément rien ! Mais, bon Dieu ! Dans quel monde, ils vivent ces jeunes gens ? Ils ne lisent donc pas les journaux ? Ils n’écoutent pas la radio ? Les matchs de football les plus prestigieux sont truqués même en Italie, terre bénie du ballon rond. Pour gagner des courses, les rois du vélo vont jusqu’à droguer leurs chiens. Quelques maîtres des services publics wallons, habitations sociales, hôpitaux, services d’élimination des déchets ou autres sociétés de développement régional ou intercommunales en tout genre s’en mettent plein les poches (d’accord, parmi eux, certains sont encore présumés innocents, autant que des dirigeants d’entreprises de certaines cités balnéaires).
A Anvers, un type tue ceux qui n’ont pas la même couleur que lui, à Bruxelles, ceux qui ont des plus beaux MP3 que lui. Des ministres italiens et français sont dans le collimateur de la justice, des prestigieux chefs d’entreprises, des dirigeants sportifs de haut niveau. Des ministres hollandais et français tiennent des propos répugnants sur les étrangers sans susciter beaucoup d’émotion. Quant à nous, préparons-nous à faire fortune grâce aux élections communales. En pariant en Chine (il y a maintenant une ligne directe avec Shanghai) sur la victoire de tel parti à Jehay-Bodegnée et de tel autre à Chaumont-Gistoux, nous pourrons devenir millionnaires !
Dire qu’on repousse la candidature à l’Union européenne des Roumains et des Bulgares parce qu’ils n’en feraient pas assez pour éradiquer la corruption. Mais il faudrait au contraire les accueillir au plus vite. Entrez, messieurs-dames, bienvenue dans le club !
Et ne parlons même pas de cet entêtant parfum de pétrole ni de l’odeur euphorisante des autres matières premières qui embrument les relations internationales, guident l’amitié-entre- les-peuples et jettent un voile pudique sur les régimes les plus pourris.
A l’époque de l’affaire Dutroux, ceux qui pensent pour nous utilisaient un vocabulaire nouveau, un peu sibyllin : l’estompement de la norme. Et certains de ricaner. Aujourd’hui, l’estompement est devenu la norme. Tout cela sonne un peu désespérant ? Rassurez-vous, il nous reste le mondial de football. Le retour des vraies valeurs…

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR

LE COURRIER DE G.W. B. JUNIOR

chronique
– Pardon de vous déranger, Junior.
– Condoleeza ! (soupir) Pourquoi faut-il qu’on m’interrompt chaque fois que j’essaye d’étudier le dernier épisode des Simpsons ? Après, on s’étonne que je ne comprends jamais la chute.
– C’est important, G.W. Une lettre de Mahmoud Ahmadinedjad.
– Ces otages irakiens… Toujours à gémir sur leur sort ! Faites un chèque ou tirez-leur dessus. Enfin, agissez comme d ‘habitude. Ces types sont agaçants. Qui leur a demandé d’aller se promener en Irak ?
– Mr Ahmadinedjad est le président iranien…
– Oups ! Donnez-moi ça. Mais… le timbre est déchiré ! Vous auriez pu faire attention, Condo ! Vous savez comme c’est difficile de trouver des timbres iraniens.
– Ce sont les démineurs, Junior. Ils ont dû s’assurer que la lettre n’était pas piégée.
– Sacrés barbares ! Des gens qui ne respectent ni la culture ni les collectionneurs de timbres sont des parasites pour la démocratie !
– Je peux vous citer ?
– Ne vous moquez pas de moi, Condo. Si, si, je le vois à votre joli sourire en coin. Bon, eh bien ! Que raconte mon cher collègue ? Laissez-moi lire sa prose.
– Je vous préviens. Il y a près de vingt pages…
– Ce barbu se prend pour Dan Brown ? Ah ! J’y pense. Al Jazzira a dû, je suppose, déjà résumé cette lettre avant même qu’elle n’ait été écrite. Il suffit de me passer leur dépêche.
– Nos analystes sont au travail, G.W.
– Alors, il y a peu de chance que je connaisse le contenu de cette missive avant la fin de mon mandat.
– D’une première lecture, j’ai cru comprendre que monsieur Ahmadinedjad brosse un tableau de la situation du monde d’aujourd’hui, résume la pensée de l’iman Khomeiny et vous invite à partager avec lui l’espoir suscité par le retour annoncé de l’iman caché.
– Répétez-moi ça lentement, voulez-vous ?
– En revanche, son texte ne contient aucune proposition sur les questions qui nous intéressent. Ni sur la bombe ni sur le soutien aux mouvements terroristes. D’après moi, il s’est amusé à coller quelques morceaux de ses discours. Et vous a adressé son best off.
– Quelle bonne idée ! Nous devrions nous en inspirer. Tenez, pour le remercier de sa bafouille, je vais lui adresser le recueil complet des discours que j’ai prononcés lors des visites du premier ministre belge. Ne trouvez-vous pas, Condo, que Monsieur Machin Nedjad le prendra pour un geste symbolique en faveur de la paix entre nos deux peuples ?
– Je me demande ce qu’en pensera Mr Verhofstadt ?
– Qui ?
– Le premier ministre belge.
– Oh ? Ces chefs d’états européens… Toujours à gémir sur leur sort ! Faites-lui un chèque ou tirez-lui dessus. Enfin, agissez comme d’habitude! Ces types sont agaçants! Qui leur a demandé de nous rendre visite ?

Alain Berenboom