HOMMAGE A HENRY INGBERG

Quand Henry entrait dans une salle de réunion, on se tournait tous vers lui. Si son visage était fermé, tout le monde se faisait aussitôt tout petit. Mais quand il affichait ce magnifique sourire qui le rendait encore plus craquant, nous étions quelques-uns à nous réjouir. Il allait nous distiller quelques bons mots, nous réveiller de la langue de bois ambiante par quelques répliques cinglantes et drôles dont il avait le secret.
Henry détestait la langue de bois, la lenteur bureaucratique, les chipotages politiques.
Mais il en jouait car il le mettait au service d’une grande ambition.
Je l’ai vu essayer d’imposer seul contre à peu près toute l’Europe l’exigence de contreparties culturelles pour notre production audiovisuelle, se battant contre la Commission européenne, les grands organismes de télévisions privées, jusqu’à la Cour de Justice de la Communauté européenne.
Il avait la candeur et la noblesse de Don Quichotte mais aussi la malice et le pragmatisme du Prince de Machiavel.
Il avait un dessein dans ce pays qui en manque tant. Il croyait dans l’importance de la culture, des créateurs. Mais il croyait aussi dans la nécessité pour y arriver d’une collaboration, des investissements des industries culturelles.
Cette réconciliation entre industrie et créateurs, cette ambition de joindre le rêve de l’artiste et le projet de l’entrepreneur était un message politique qu’hélas peu de politiques ont compris et relayé. Car, chez nous, les politiques ne se posent que quelques instants sur la branche fragile du ministère de la culture pour s’envoler aussi vite vers de plus gras pâturages.
Dans un pays où les hommes et les femmes politiques se cachent quand ils entrent dans une librairie mais courent devant les caméras de télévision dans les stades de football, il était le seul symbole d’une véritable politique du cinéma, du livre, du théâtre en Communauté française.
Résultat : les Diables rouges sont dans les pataflaques tandis que nos cinéastes trustent les prix dans les festivals, dont la Palme d’or, nos comédiens cartonnent en tête des hit-parades, nos auteurs sont en vedette dans les librairies, notre activité théâtrale est inversement proportionnelle au nombre des habitants.
Adieu Henry !
Adieu à une certaine idée de la culture en Communauté française.
Comme le dit Blaise Cendrars « Et le monde, comme l’horloge du quartier juif de Prague, tourne éperdument à rebours. »

Alain Berenboom