COMMENT J’AI APPRIS A NE PAS M’EN FAIRE…

    Le meilleur film de Stanley Kubrick, Dr Folamour était sous-titré « Comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe atomique ». Dans la dernière scène du film, l’un des pilotes d’un B-52 lancé vers la Russie chevauche, tel un cavalier de rodéo, la bombe atomique qu’il vient de lâcher sur l’URSS. Et tout s’achève dans une lueur aveuglante.  

   Comme quoi, on peut rire de tout (et jusqu’à la dernière minute).

  J’espère que le président Poutine en est conscient lui qui, d’après ses photos, semble incapable de desserrer les dents. Allez, Vlad, une petite risette… Mais il ne comprend peut-être pas les sketches de Volodymyr Zelensky, époque stand-up, qui sont diffusés en ukrainien non sous-titrés sur des réseaux sociaux désormais inaccessibles aux citoyens russes depuis que le pays s’est enfermé dans une bulle médiatique étanche. Question que les téléspectateurs et les internautes n’aillent pas rigoler avec d’autres comiques que ceux désignés par décret du Kremlin. Le « retour » de l’Ukraine dans le giron russe ne présente pas que des désavantages : le public de Zelensky (revenu à son premier métier) devrait beaucoup s’élargir. 

  Entre Russes et Américains, on n’en est pas (encore) à se balancer des bombes atomiques sur la figure mais, comme le montre le film de Kubrick, un incident en entraînant un autre, le mécanisme de déclenchement d’une guerre nucléaire peut se dérouler bêtement et de façon irréversible (ce que raconte aussi le tout dernier roman de Ken Follett « Pour rien au monde », récit d’une guerre nucléaire contre la Chine survenant à la suite d’un enchaînement involontaire). 

  On veut croire qu’un seul homme ne détient pas le pouvoir d’appuyer sur Le bouton qui déclenche l’apocalypse, ni à l’est ni à l’ouest. Sinon, une simple erreur (Vlad qui souffre cette nuit-là d’insomnie croit allumer sa lampe de chevet mais il se trompe de bouton) et la lumière s’éteint définitivement. On imagine qu’il faut le passage par une procédure gérée par trois ou quatre généraux pour actionner le mécanisme fatal. On se dit que l’un d’eux, voyant la redoutable lampe rouge s’allumer, aura la présence d’esprit d’appeler un médecin psychiatre. On veut l’espérer en tout cas. En priant pour qu’il en soit de même aussi à Washington. Car ce n’est pas seulement au Kremlin que les nerfs peuvent lâcher. 

   En cas de véritable alerte nucléaire, comment réagira l’Europe ? Charles Michel devra en délibérer avec Ursula von der Leyen s’il trouve la clé du placard où l’on range les chaises des visiteurs. Quant aux ministres du gouvernement belge, après s’être concertés avec leurs vingt-sept homologues puis les gouvernements des régions et des communautés, ils devront attendre la réunion des congrès des sept partis de la coalition pour accorder leurs violons… 

Faites la bombe, pas la guerre.

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RETOUR VERS LE FUTUR

Cette semaine, le monde du cinéma célèbre l’anniversaire de la sortie de « Retour vers le Futur » de Robert Zemeckis. D’accord, ce n’est pas « 2001, l’Odyssée de l’Espace » (un film un peu surfait) mais son mélange de rigolade, de nostalgie et de kitsch apporte à ce film, beaucoup moins prétentieux que le SF de Kubrick, une pérennité que personne n’imaginait lors de sa sortie. Et surtout, le ressort de son intrigue reste des plus excitants. Le mérite en revient à H.G. Wells et à sa « Machine à remonter le temps » (un roman indémodable, paru en 1895).

Ici, un ado, Marty Mc Fly, remonte vingt ans en arrière où il se rend compte qu’avant de repartir vers son époque, il doit réparer toutes les complications que son arrivée a provoquées pour éviter d’être effacé de l’Histoire.

En nos temps troublés, où la planète est malade de ses guerres interminables, de ses violences, de sa pollution, où la crise inscrit « no future » sur le front des nouvelles générations, la tentation est grande de se plonger vers le passé, vingt ans en arrière comme Marty, pour voir sur place comment prolonger cette « belle époque » et éviter qu’elle conduise aux dérapages de la nôtre.

1995, la « belle époque », vraiment ?

A l’est de l’Europe, l’Ukraine est tranquille. Mais la Bosnie est à feu et à sang. Il faut le massacre de Srebrenica pour que les Occidentaux sortent enfin de leur léthargie et obligent les parties à arrêter cette abominable guerre civile. Une guerre dont la folie est évoquée cette année-là par le cinéaste serbo-bosniaque E. Kusturica dans « Underground »

En France, à peine éteints les lampions fêtant l’élection à la présidence de Jacques Chirac,  une vague d’attentats islamistes (inaugurée par celui du RER Saint-Michel) entraîne la suspension des accords de Schengen. Pendant ce temps, le nouveau président décide de reprendre les essais nucléaires…

En Afrique, on ne connaît pas encore ces joyeux drilles de Boko-Haram. Mais on compte le million de morts du génocide au Rwanda qui vient de se terminer, en attendant les premières inculpations du TPR.

Au Japon, pas de tsunami cette année-là mais des attaques terroristes au gaz sarin dans le métro de Tokyo commis par la secte Aum (racontées avec émotion par Murakami dans son livre intitulé, coïncidence, « Underground »).

Je préfère vous éviter le pire de l’actualité de cette année-là : l’entrée en fonction du gouvernement Dehaene-Di Rupo, qui eut à gérer aussi mal qu’il soit possible l’affaire Dutroux (Julie et Melissa ont été enlevés en juin) et la crise de la dioxine.

Si Marty remontait en 1995 pour recoller les morceaux de l’Histoire et éviter les drames à venir, il ne saurait où donner de la tête ! « C’était mieux avant », oublions ce slogan qui fait le succès de tous ceux qui veulent effacer notre mémoire.

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AH ! QUE LA GUERRE EST JOLIE !

     Jadis à l’école, un de nos profs nous expliquait que, malgré quelques inconvénients, la guerre n’avait pas que des défauts.

Et d’énumérer les bienfaits de 14-18. Sans la première guerre mondiale, expliquait-il le doigt levé, jamais l’aviation n’aurait décollé. (Conseil à Ryan air : offrez le transport gratuit à tous les poilus : cette pub est sans risques.) La Pologne n’aurait pas été indépendante et le tsar régnerait toujours, comme l’injustice, sur la Russie.

Il ajoutait la liste des inventions nées de l’industrie militaire: fermeture éclair, émaux de couleurs pour vernis à ongles, taxis de la Marne, sans compter les avancées de la médecine : chirurgie d’amputation, transfusions de corps à corps, j’en passe et des plus appétissantes.

Mais le plus important, soulignait-il, 1918 n’a pas été la victoire des alliés mais celle des femmes. Grâce à la guerre, elles ont coupé leurs cheveux, remonté leurs jupes, regardé les hommes dans les yeux et dansé le charleston. Pour le droit de vote, il leur a fallu une guerre de plus.

Maintenant qu’il ne reste plus un seul ancien combattant pour souffler les cent bougies ou ranimer celle du soldat inconnu, pas un pour raconter le bon temps des veillées dans les tranchées, au milieu du sang, de l’odeur et de la boue, que reste-t-il de cette foutue guerre ?

Contrairement à la légende, l’histoire des hommes ne sert pas de leçon à leurs successeurs. A la guerre ont succédé les guerres. Et le siècle qui s’est ouvert à Sarajevo par deux coups de pistolet (fabriqués, paraît-il, à Herstal) s’est terminé sous la mitraille des snipers dans les mêmes rues de Sarajevo.

Reste tout de même un héritage de la der’ des der’, un seul, les oeuvres magnifiques qu’elle a inspirées et qui peuplent pour toujours notre imaginaire. Au hasard de mes souvenirs (et pardon pour tous mes oublis), des dessinateurs (Tardi), des cinéastes (« Les Sentiers de la Gloire » de Kubrick, « La Grande Illusion » de Renoir, « La Victoire en chantant » de Jean-Jacques Annaud ou le magnifique « Maudite soit la guerre ! » film belge de 1913 d’Alfred Machin, qui anticipe le conflit). Des chansons (Merci à Brassens !) ou du théâtre (« Ah Dieu ! Que la guerre est jolie ! » de Joan Littlewood). Et surtout des tas de merveilleux romans. On va relire évidemment « A l’ouest, rien de nouveau » de E.M. Remarque, « A la recherche du temps perdu » de Marcel Proust (avec ses beaux portraits des planqués) ou les « Thibault » de Roger Martin du Gard et « Johnny s’en va en guerre » de Dalton Trumbo (qu’il a lui-même adapté au cinéma). Mais, ne passez pas à côté du « Prophète au manteau vert » (qui se passe à la frontière russo-turque), signé du plus merveilleux raconteur d’histoires de l’époque, John Buchan.

Mille ans de plaisir…

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