PETIT MANUEL DE SAVOIR (SUR) VIVRE…

 à l’attention de ceux qui ne partent pas. 

  Cette année, on ne voyage pas. Ou alors juste dans un rayon de dix kilomètres. Tels ces habitants d’Ecaussinnes, partis (en voiture) s’installer dans le camping d’Ecaussinnes… Pour la douche, ils font l’aller-retour entre leur maison et leur lieu de vacances – ils préfèrent leur salle de bains. Ou comment profiter du meilleur de sa maison et de vacances idéales en même temps. Même Macron n’y a pas pensé. 

   Des vacances immobiles ? Une prolongation du confinement ? Pourquoi pas ? Il y a des nostalgiques du confinement qui évoquent avec regret le calme, le soleil brûlant, le ciel sans avions, les rues sans autos, le boulot sans boulot, les collègues qu’on ne doit plus côtoyer que sur écran – ce qui permet de lire impunément un polar pendant les réunions.  

   Cette année, se risquer au loin c’est masque, thermomètre, peur de l’autre et de l’air conditionné, surveillance, distance et, avec un peu de malchance, quinze jours dans une chambre d’hôtel avec interdiction de la quitter. Dans ce genre d’hôtel, autant vous prévenir, la fenêtre donne rarement sur la mer. 

   Tandis que des vacances sur le balcon, dans le jardin ou le parc des environs, avec un livre, n’est-ce pas ça la liberté ?

   Surtout que les écrivains vous emmèneront plus haut que Ryanair, plus loin que Neckermann. Et ils vous offriront plus d’oxygène que le service des soins intensifs d’Iris sud. 

  Au hasard des découvertes récentes, « Les Patriotes » de Sana Krasikov, qui vous emmène dans le sillage d’une jeune Américaine, partie dans les années trente rejoindre la nouvelle Russie en train de se construire. Toute la tragédie de l’époque stalinienne retracée d’une plume alerte, drôle, enlevée.  

  « Un garçon sur le pas de la porte » où Anne Tyler bouscule, mine de rien, le quotidien en contant les aventures drolatiques d’un tranquille habitant de Baltimore.

  Deux rééditions récentes aussi à mettre sur la pile : « Le transport de AH » de G. Steiner. L’un des seuls romans du brillant intellectuel cosmopolite (mort en février) raconte sur le ton d’une aventure le désarroi des membres d’une expédition chargée de retrouver Hitler réfugié en Amérique latine. Et « L’amour en saison sèche », le vrai « grand roman américain » signé Shelby Foote. 

Rayon polar, « La Vénus de Botticelli Creek » de Keith Mc Cafferty, excellente plongée dans les grands espaces du Montana (encore de l’oxygène !)  A compléter par deux magnifiques thrillers belges de Barbara Abel (« Et les vivants autour ») et de Paul Colize (« Toute la violence des Hommes », qui réveille de façon surprenante les fantômes du conflit serbo-croate à travers les tags de Bruxelles).

 Joyeuses non-vacances !

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POLAR AU TEMPS DU VIRUS

On imagine déjà la littérature issue de l’épidémie et du confinement. Sombres histoires de familles, groupées autour du père qui a refusé l’hospitalisation et qui s’éteint doucement devant la télévision allumée, histoire de couples dont la détresse est exacerbée par le huis-clos, ou dans un genre plus aventureux, comment rejoindre son amant ou sa maîtresse de l’autre côté de la ville en déjouant les nombreux contrôles de police. 

Et à quoi ressemblera le polar à l’heure du corona ? 

Le commissaire Tillieux est obligé de rester chez lui, alors qu’il a besoin de l’ambiance du commissariat, l’odeur des clopes et du café bouilli. La réunion quotidienne se fait par Skype. La moitié de l’équipe est incapable de se brancher. L’autre s’occupe des enfants et des commissions. De toute façon, Tillieux n’entend rien: le jeune voisin, guitariste débutant, fait ses gammes d’un côté du palier. De l’autre, un bricoleur fou s’acharne sur sa perceuse électrique. 

   « Allo, chef ? Le corps d’une femme, Parc royal.

– J’arrive. Ne touchez à rien. 

 Devant le kiosque à musique, un corps apparemment sans vie, entouré de trois flics. En respectant la distance réglementaire, on n’aperçoit pas de traces de sang ou de coups. Le commissaire fait appel à un médecin qui explique qu’il ne consulte que par téléphone. « Envoyez-moi une photo » soupire-t-il devant l’insistance de Tillieux.

– Ca va vous permettre de prendre son pouls ? 

 Le toubib raccroche. Cinq autres font de même. Prenant son courage à une main, notre héros pose l’autre sur le cou de la jeune femme. Les policiers le félicitent mais reculent de dix mètres. Un cadavre plus un flic bientôt contaminé, c’est trop pour de simples figurants.

  Dans le sac de la dame, on a trouvé son adresse. Tillieux et ses deux adjoints, venus en trois voitures, sonnent chez ses voisins. Personne n’accepte d’ouvrir. « Instructions du gouvernement ! » grondent-ils. 

   Une femme finit par répondre à Tillieux en hurlant derrière sa porte fermée. 

   « Evelyne Bonnadieu ? Morte ? Ca ne m’étonne pas. J’avais déjà averti par lettre anonyme qu’elle était de moralité douteuse. Hier, je l’ai vue embrasser un homme dans l’escalier. Sur la bouche, monsieur le commissaire. Dégoûtant ! »

   Le roman tourne au thriller. On retrouve les jours suivants cinq autres corps de plus en plus mutilés dans les parcs fermés de la capitale. Mais comment mener l’enquête au temps du corona ? Les membres de la police scientifique sont aux abonnés absents. Les flics locaux indisponibles, ils patrouillent pour empêcher les promeneurs de s’asseoir dans les parcs. Personne n’ose toucher les corps, encore moins les vêtements couverts de sang. Les dossiers des éventuels suspects sont au fond des armoires de commissariats, inaccessibles, comme le palais de justice.  

  Le virus a aussi bouleversé l’art du polar… 

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TÊTE A L’EST

Je reviens de Roumanie où la bonne nouvelle de la semaine est le divorce de Vladimir Poutine. Dans un pays, pas encore remis de l’épouvantable dictature de Ceaucescu, on n’a pas oublié le rôle funeste de sa femme Elena, qui était plus encore que son mari, la véritable descendante de la sanglante comtesse Bathory qui a inspiré le personnage de Dracula.

On se console comme on peut. Tous les motifs sont bons pour tenter de se convaincre que les bidasses du maître du Kremlin ne feront pas un détour par Bucarest lorsqu’ils commenceront à s’ennuyer en Crimée où il ne se passe décidément rien.

L’appartenance à l’Europe et à l’OTAN ne sont que de piètres réconforts pour les Roumains. Il est si facile pour les Russes, disait un interlocuteur bulgare rencontré en Transylvanie, de susciter un parti anti-européen et de se retirer aussi vite de l’Union qu’on y est entré. La classe politique est tellement corrompue et médiocre, ajoutait-il, que tout nouveau venu apparaît comme un homme providentiel dans un pays où en quelques années de démocratie, les citoyens ne savent plus très bien que faire de leur vote.

Les communiqués plus ou moins virils du conseil des ministres européen ou de l’OTAN ont été entendus comme de beaux morceaux de langue de bois, qui rappelaient ceux de l’époque soviétique, pas de quoi éloigner l’ombre de Poutine et de ses tanks…

Au contraire de la culture, célébrée avec passion. A Bucarest, les innombrables théâtres sont toujours pleins et les librairies, appétissantes et bien achalandées.

A Cluj, non loin du château de Dracula, on peut suivre à la prestigieuse université de la ville, les cours en roumain ou en hongrois ou passer d’une langue à l’autre –et cela, sans compter l’anglais et l’allemand. Un centre d’étude des « lettres belges de langue française » connaît un succès considérable. Les habitants du pays des vampires sont mordus des écrivains belges ! Et la dame qui le dirige, madame Pop, connaît assurément la musique. Elle a réussi aussi à convaincre la (très grande) bibliothèque de la ville de consacrer un demi-étage à la littérature de langue française, la même place que celle faite à la littérature américaine (déployée avec l’aide de l’ambassade US).

Le succès vient aussi de l’énergie du délégué général de la Communauté française à Bucarest qui a trouvé, et ce n’est pas habituel, une collaboration active avec l’ambassadeur de Belgique. Celui-ci, pourtant néerlandophone, a transformé pour une soirée sa sublime ambassade art nouveau en mini festival du polar bilingue français-roumain. Eblouissement des Roumains.

Ca tombe bien, le maître du polar roumain vient d’être traduit en français et ça déménage : « Cible royale » de George Arion (éd. Genèse) vaut n’importe quel polar scandinave, l’humour en plus !

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