DESTINATION CANOSSA

On imaginait bêtement que la politique visait à sortir la société un tant soi peu du chaos et à donner un brin de souffle pour faire rêver à un avenir meilleur. 

Bien sûr notre attente n’est pas la même selon que l’autorité est exercée par le président du parlement wallon ou par le président des Etats-Unis. Mais, toutes proportions gardées, ils ont l’un et l’autre le même rôle. 

Or, depuis quelque temps, on a l’impression qu’on attend de ceux qui sont entrés en politique non plus qu’ils agissent mais qu’ils s’excusent d’avoir agi. Au fond, on s’est mis à détester les hommes et les femmes au pouvoir quels qu’ils soient. Et on veut les entendre demander pardon à chaque étape de leur chemin. 

Est-ce un effet pervers des réseaux sociaux où l’on a l’impression d’être tous égaux, tous amis ?   

La destination des politiques désormais, c’est Canossa. En murmurant sur le chemin des soupirs de contrition, des gémissements de remords et des promesses de pénitence.    

Emmanuel Macron s’est fait le champion de cette mode en présentant ses excuses pour à peu près tout, sa gestion de la crise des gilets jaunes, celle des soignants, un discours où il avait traité des salariés d’illettrés et même pour la diffusion lors du match France-Albanie au Stade de France de l’hymne d’Andorre au lieu de l’albanais. Pardon, mille fois pardon. 

Les excuses du président Biden sont aussi nombreuses que les coups de menton de son prédécesseur. A un journaliste noir il a reconnu qu’il avait tenu des propos racistes en lui disant qu’il n’était pas noir s’il votait Trump. A une journaliste à qui il avait répondu trop sèchement, etc. Le président a l’habitude même de s’excuser de s’être excusé.   

Le truc des excuses est devenu aussi une seconde nature en Belgique. Depuis qu’on a cessé de se confesser dans les églises, on le fait à présent en public. 

Mais l’art consiste à les habiller plus ou moins habilement.   

Ainsi, Pascal Smets, obligé de démissionner après avoir invité à son congrès des grandes villes du monde le maire de Téhéran, a réussi à limiter ses excuses à l’initiative de son collaborateur de payer le logement du bourgmestre iranien, ce qui lui permettait de passer sous silence le fait que c’est lui qui avait pris l’initiative de le faire venir à Bruxelles sans en avertir personne. 

Laissant seule sur le champ de bataille la ministre Hadja Lahbib. Celle-ci a eu beau expliquer la chronologie de l’incident, les raisons pour lesquelles il n’était plus possible de faire machine arrière dans la délivrance des visas de la délégation iranienne. Rien n’y a fait. Au fond, ce compte-rendu n’intéressait pas les députés. Ce qu’ils voulaient vraiment, c’était son scalp parce que sa tête dépassait un peu trop depuis la libération d’Olivier Vandecasteele. Pardon, pardon, la corde au cou et le ticket pour Canossa à la main…  

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O TEMPORA, O MORES ! 

  L’échec de la Commission parlementaire sur le passé colonial de notre pays fait penser à celui des Diables rouges à la Coupe du Monde. Chacun pour soi. Les joueurs rechignant à jouer collectif pour se mettre seuls en valeur devant leurs fans. Et l’entraîneur s’intéressant davantage à la coupe de ses costumes qu’à celle du championnat de football. 

   Après avoir travaillé pendant de longs mois, décortiqué par le menu le système colonial, identifié ses principaux abus, ses dérives, la discrimination, le racisme endémique et l’appropriation des richesses du pays érigés en système et conclu que la Belgique affichait un passif incontestable (par rapport aux apports de la colonisation), les commissaires se sont quittés en prétendant que les conséquences de tous les pillages, massacres, humiliations ne pourront être tirées que par la prochaine génération. Demain, on présentera nos excuses, aujourd’hui, on n’a pas la tête à ça. Ou si vous êtes insistants, acceptez entretemps nos regrets.  

Voilà à quoi les parlementaires ont passé leur temps, à décortiquer de façon jésuitique les différences sémantiques entre regrets et excuses, au point de recouvrir d’un voile ou d’enfermer dans un placard si on préfère tous les constats faits depuis deux ans et demi, les détails de la documentation, les apports des experts, les échos de la mémoire pour empêcher qu’elle ne se referme comme la mâchoire d’un crocodile. 

Guy Verhofstadt, alors premier ministre, avait rétabli un peu la dignité de la Belgique en présentant ses excuses au Rwanda au nom du peuple belge en 2000. Le génocide s’était déroulé six ans plus tôt. Etrange qu’il soit plus difficile de reconnaître des exactions beaucoup plus anciennes.  

Puisque nos législateurs ont du mal à laisser échapper de leurs lèvres sèches le mot « excuse », n’auraient-ils pas pu alors faire preuve d’imagination en exprimant leur repentance, leur repentir, leur attrition, voire leur résipiscence ? 

Après avoir convoqué le ban et l’arrière-ban des experts de l’histoire du Congo, du Rwanda et du Burundi, qui ont unanimement souligné l’importe de ces excuses, notamment par rapport au racisme persistant, ils auraient pu appeler à l’aide quelques écrivains qui auraient pu les sortir de l’embarras dans lequel ils s’étaient enferrés. Evidemment, les auteurs auraient quelque raison de refuser leur assistance à des parlementaires qui ont décidé d’effacer le régime fiscal particulier des moins nantis d’entre eux et de nier leur statut pour quelques misérables deniers soi-disant utiles pour boucler le budget de l’état. 

« O tempora, o mores !
Senatus haec intellegit, consul videt ; hic tamen vivit. Vivit ?
 »

« Quelle époque, quelles mœurs !
Le sénat sait ces choses, le consul les a vues et pourtant il vit. Il vit ? » (Cicéron, Les Catilinaires). 

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LES APPRENTIS SORCIERS

Pauvre Walt Disney mort trop tôt, lui qui rêvait d’être embaumé pour renaître dans quelques siècles et retrouver l’oncle Picsou. On a eu tort de ricaner. Près de cinquante ans plus tard, chapeau ! Le papa de Mickey avait vu juste. La cryogénisation est devenue une réalité. Ne boudons pas notre plaisir. C’est en Belgique que cette technique a été mise au point pour la première fois, que les premiers morts ont été ressuscités. Charles Michel-Bart De Wever, futurs prix Nobel de physique ? Pourquoi pas ?

Le retour des morts est le seul scoop de la déclaration gouvernementale mais, pardon, quel scoop ! Si Laurette Onkelinx avait pris la peine d’écouter notre nouveau premier ministre et certains de ses ministres au lieu de pérorer, soutenue par son chœur de groupies, si Benoit Lutgen n’était pas si obsédé de réduire en miettes les libéraux, ils auraient compris que la Wallonie, qui cherche désespérément une industrie de pointe pour relancer son anémique plan Marshall, venait enfin de décrocher la timbale. La cryogénisation. La science fiction devenue réalité. Mes amis, cessez de vous moquer de Charles Michel et de le comparer à Agnan, le premier de classe à lunettes du Petit Nicolas, toujours collé aux basques de sa maîtresse d’école. Cette fois, ça suffit. Il a démontré sa maîtrise. Avec son compère, le bourgmestre d’Anvers, il a réussi l’exploit extraordinaire de rendre vie à des zombies. En faisant défiler, en primeur à la tribune de la Chambre, ses premiers cobayes, revenus vivants du monde des ténèbres. Jan Jambon, qui a pourtant dépassé la date de péremption depuis 1945 ; Theo Francken, qui a l’air d’un jeune homme tout frais, alors qu’il dit avoir appartenu à la VNV, le mouvement fasciste flamand pourtant dissout à la fin de la deuxième guerre mondiale. A nouveaux parmi nous ! Et prêts à servir la soupe vert de gris.

Cessez de chipoter, socialo-ecolo-humanistes ! D’étaler votre rancœur parce que vous avez perdu le pouvoir. Quand on est succédé par de si grands savants, on s’incline et on se tait.

L’arrivée de la cryogénisation est-elle vraiment une surprise ? On savait depuis longtemps que Bart De Wever, son co-découvreur, y travaillait activement dans son labo. En 2007, son prédécesseur à l’hôtel de ville d’Anvers, Patrick Janssens avait présenté les excuses du collège communal pour l’implication de l’administration communale dans la déportation des juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Bart De Wever avait réagi en estimant ces excuses « gratuites ». On comprend mieux ses propos, qui à l’époque, ont choqué la plupart des hommes politiques flamands, aujourd’hui ses partenaires. Ils n’avaient pas compris la subtilité de cette énigmatique déclaration. De Wever avait ses raisons. On commence à les entrevoir.

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