SALUT LES COPAINS !

chronique
Quand un homme politique n’a rien à dire, c’est facile à deviner : il salue. Observez-le : à la sortie du palais royal, en descendant de l’avion, après une réunion, fonçant vers sa voiture, visitant les SDF, les malades, les travailleurs licenciés, il agite la main comme une star, les lèvres cousues. Dispensé, par ce geste, de s’expliquer devant micros et caméras.
Pendant la crise, c’est fou ce que les politiciens ont salué. Plus ils voyaient Yves Leterme, plus ils agitaient la main ! Les muscles des poignets des négociateurs doivent être dans un drôle d’état !
L’accouchement pénible du gouvernement Verhofstadteke et sa vie limitée annoncent de nouvelles tensions. Le moment où apparaîtra la zizanie se verra à la mise en scène des mains. Regardez bien. Si nos élus, au lieu de se précipiter vers les journalistes, passent rapidement au large en agitant fiévreusement leurs paluches, c’est le signe que ça va mal.
Drôle de signe quand on y songe. D’habitude, le salut est un geste d’ouverture vers le rêve, l’absolu, un nouvel univers : « Salut aux coureurs d’aventures ! » le beau roman de John Buchan. « Salut, les copains ! », l’émission d’Europe n°1, symbole d’un changement d’époque. Ou l’adieu à un grand destin : Salut, l’artiste ! Ou : Ave César, ceux qui vont mourir te saluent !
Rien de tel dans le salut du politicien coincé. Sommé de s’expliquer devant ceux qui les ont élus, il affiche le regard égaré et le sourire crispé de celui qui n’a même plus le courage d’agiter la langue de bois. A l’époque de l’image, il croit que le geste remplace le mot. Que l’homme civilisé n’a plus besoin de contenu. Tout est dans l’imaginaire que son geste va faire naître. S’adressant aux citoyens par dessus la tête des journalistes (ah ! la démocratie directe), il suggère de lui faire confiance, il apaise, il tient les choses en mains au sens propre du mot. La parole est inutile, déformée même par les media, source de confusion. Leurs mains le démontrent : eux, ils travaillent.
Le président Sarkozy, maître de cette technique, donne l’exemple. Peu importe ce que font ou que disent Rachida Dati ou Rama Yade; leur présence est le message. Rama Yade peut fustiger le guide de la révolution libyenne. Tant qu’elle parade à la gauche de Sarkozy et Dati à droite, leurs messages sont inaudibles, inutiles. Carla Bruni vient renforcer cette garde rapprochée et ce pouvoir de l’image. Taisez-vous Elkabbach ! disait jadis G. Marchais. On ajoutera aujourd’hui : Regardez !
Restera aux citoyens une parade, bien belge, celle de répliquer aux hommes politiques : Salut en de kost !

Alain Berenboom
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VERSION LIBYENNE

chronique
Selon le guide la révolution libyenne, M. Kadhafi, Jésus n’a pas été supplicié sur la croix. Un sosie, affirme-t-il sans rire, avait pris sa place. On voit ainsi, et c’est rassurant, que l’influence pernicieuse des Monty Python s’étend désormais jusqu’aux confins de l’Egypte. Ayant délaissé les cadavres exquis, Kadhafi rit. Est-ce le signe que l’on peut désormais rire de tout même au Moyen Orient ? Que l’affaire des caricatures de Mahomet est définitivement ensablée et qu’on peut en remettre une couche ? Ou plutôt la confirmation que le premier libyen dit n’importe quoi ? Ce qui relativise un peu ses engagements solennels sur l’arrêt des recherches militaires de son pays en matière d’armes de destruction massive ou sa promesse de renoncer à financer les terroristes.
Une petite phrase prononcée lors du dernier sommet Europe-Afrique la semaine dernière aurait dû mettre la puce à l’oreille, lorsqu’il affirmait, péremptoire, que le terrorisme est la seule arme des pauvres contre les riches. Salaud de pauvres ! comme disait Marcel Aymé. Heureusement pour eux, les dirigeants européens souffrent depuis toujours de graves défaillances de l’ouïe. Et le nouveau président français, M. Sarkozy, a manifestement été contaminé par le mal dès son premier sommet européen. Au lieu de décommander séance tenante la visite de ce fou à Paris, il a pris ses propos pour de sympathiques plaisanteries, avec le résultat que l’on voit : les facéties du Guide ont déstabilisé son gouvernement, fâché ses parlementaires et boosté (pour quelques instants) les socialistes.
C’est peut-être un homme comme ça qu’il nous faudrait en Belgique pour dénouer la crise. Mais où ai-je la tête ? Un homme comme ça, nous l’avons ! « La RTBF et Radio mille collines, c’est kif-kif ! » « Les francophones n’apprennent pas le flamand parce qu’ils en sont incapables ! » « L’hymne national belge ? C’est la Marseillaise ! » N’est-ce pas du Kadhafi bon cru ?
Curieusement, ces formules monty-pythonesque, qui auraient tant plu dans la bouche du guide suprême de la révolution libyenne, ne valent à son auteur ni l’amitié du président français et les fastes de la république, ni la considération et le respect du président des Etats-Unis. Seulement des injures de ses collègues et des sarcasmes dans la presse. Je comprends l’amertume de M. Leterme. Quoi qu’il fasse, qu’il dise, qu’il imagine, ses propos et ses initiatives tombent toujours à plat.
Allez, Yves, du courage, manneke ! Accroche-toi. Il suffit que demain on annonce la découverte de pétrole à Poperingue ou à Steenokerzeele pour devenir le héros de la communauté internationale. A quoi tient le succès d’un humoriste …

Alain Berenboom
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SOLDATS DE PLOMB

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Jadis, les choses étaient simples : d’un côté il y avait les vilains tyrans, de l’autre les braves résistants et les irréprochables démocraties. Que c’était reposant ! Les choses se sont singulièrement brouillées depuis. Le ying et le yang n’y retrouvent plus leurs petits.
Du côté du pouvoir, s’il reste quelques dictateurs à l’ancienne, ce sont désormais des pièces de musée, modèle Kim Jong-Il, le leader bien aimé respecté de Corée du Nord. Les potentats modernes ont parfaitement digéré le mode d’emploi de la démocratie et l’avantage médiatique d’une bonne journée d’élections. L’apparence de démocratie suffit pour profiter des largesses des Américains et des Européens, recevoir un beau télégramme de félicitations du président Sarkozy et faire partie de cette si respectable « communauté internationale », le club des gens bien.
Poutine, ayant fait disparaître – plus ou moins- légalement les principaux media d’opposition (et leurs journalistes) et cassé toute opposition politique en envoyant les uns en exil et les autres en prison, a démontré la supériorité de la loi et de l’ordre sur la méthode bête et brutale du parapluie bulgare que lui enseignaient ses maîtres. Au Congo, Kabila a très bien appris comment l’enfant d’un coup d’état pouvait être élu d’un coup de baguette magique (avec les félicitations et l’argent des plus exemplaires démocraties). Au Pakistan, le pervers Musharraf a imaginé un excellent moyen pour assurer son poste : puisque la cour constitutionnelle refusait de le nommer, il suffisait de nommer une autre cour pour gagner les élections. En Iran, seul Dieu décide qui est candidat et qui va en prison, ce qui évite les mauvaises surprises. Fez blanc et blanc fez.
Les rebelles ne sont pas en reste. Elle est loin l’époque où l’on admirait les magnifiques barbudos de Cuba qui allaient balayer les affreux Américains et les courageux Vietcong qui défendaient leur pays envahi par les barbares. Mieux vaut oublier ce que sont devenus Castro et Hô Chi Minh arrivés au pouvoir. Leurs enfants sont pires. Les images et la lettre de Ingrid Betancourt ont définitivement convaincu les candides que, quel que soit le dégoût que l’on peut ressentir face à certains dirigeants colombiens, les FARC ne sont qu’une bande de criminels brutaux et inhumains. Ne valant guère mieux que leurs cousins du Sentier Lumineux au Pérou et leurs clones talibans d’Afghanistan ou d’Irak. Sans oublier certains guérilleros auto-proclamés d’Afrique.
Au moment où nos apprentis politiciens s’amusent à jouer à cache-cache dans une pièce obscure appelée Belgique, il est bon de se rappeler que la démocratie et la liberté sont plus fragiles que le verre du Val Saint-Lambert.

Alain Berenboom
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Cher Saint Nicolas

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Cher Saint Nicolas,

Kom j’ai été très sage cette année, je t’adresse, en toute confiance, ma liste de kadeaux. Des petits kadeautjes car je me doute que pour toi aussi, avec la hausse du prix du fourrage et de l’essence, c’est pas Noël.
J’ai pris soin d’éviter ce qui pourrait fâcher. Depuis six mois que je me suis lancé dans l’écriture, j’ai compris que le travail d’un écrivain, ce n’est pas d’accumuler des mots mais de choisir ceux qu’il faut effacer.
D’abord, j’aimerais recevoir un kostume de vieux sage. J’ignore à quoi ressemble cet accoutrement mais je te fais confiance. Chaque fois que j’ouvre la bouche, tout le monde s’enfuit comme si j’étais le bonhomme Thermogène crachant les flammes de l’enfer. Sous le masque du sage, il paraît (c’est mon ami Bart De Wever qui me le souffle et il est toujours de bon conseil) que mes demandes les plus dingues passeront pour de gentilles suggestions. On me dit que tu as déjà fourni ce genre de panoplies à quelques amis, comme à ce stoeffer de Jean-Luc Dehaene et à ce serpent d’Herman Van Rompuy.
Je voudrais aussi une ardoise magique comme celle que tu m’avais donnée quand j’étais enfant et qu’un de mes collègues a dû me dérober. Tu sais, un de ces plaques vernies sur laquelle ce qu’on écrit s’efface clic, clac ! en un tournemain. J’en ai vraiment besoin. Regarde où m’a conduit d’avoir signé les yeux fermés un papier griffonné sur un coin de table par mon ami Bart peu avant les élections. Je n’y ai pas fait attention. Cela ressemblait à une liste de courses comme celle que me remet ma femme chaque fois qu’elle m’envoie chez Delhaize et que j’oublie dans la voiture, pressé que je suis d’échapper aux SDF qui agitent leurs petites tasses sous mon nez dès que j’ôte ma ceinture. Bart est un bon garçon. Il est prêt à oublier ce papelard. Mais ses associés sont terribles. Chaque nuit, ils viennent agiter ce ridicule contrat sous mon nez. Grâce à l’ardoise magique, Bart peut me faire signer n’importe quoi en toute tranquillité. Fini le chantage ! Hop ! Effacé ! Avec Sarkozy, j’ai vu dans quel bourbier se met un homme politique qui se met en tête de tenir ses engagements électoraux. C’est un comportement qui met en danger l’ordre public.
J’ai aussi besoin d’une nouvelle femme, grand saint. Plus moyen de s’en passer en politique. Ce sont elles qui font la loi. J’ai bien essayé d’en trouver une grâce à l’émission de V.T.M. « Boer zkt vrouw » (Paysan cherche Femme) mais la seule proposition que j’ai reçue, d’une certaine Joëlle Milquet, m’inquiète. Je n’aime pas les poupées qui font toujours non, non, non, non, toute la journée.
Ne reste que toi, grand saint, pour assurer mon salut. Allez, fais-moi une surprise ! Tu ne peux savoir kom j’en ai besoin…

Pour Yves,
Alain Berenboom
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ADIEU INGRATE PATRIE

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Cher Monsieur Chirac,

Je comprends votre amertume, vous qui avez tout donné à votre pays, vos meilleures années à l’état, vos meilleurs amis à la justice, et même Nicolas Sarkozy à la présidence (lui, si vous aviez pu le donner à la Libye, vous l’auriez fait même sans les infirmières en retour). Vous avez même donné à la France les juges qui aujourd’hui vous mordent la main (et le reste).
« Ingrate patrie, tu n’auras pas mes os ! » Cette noble parole de Scipion l’Africain, vous pourriez la faire vôtre. Dans un mouvement d’orgueil, je vous sais capable de réagir avec grandeur. De faire une fois de plus un coup qui épatera tout le monde. Qui réduira les effets d’annonces de votre successeur à des discours de fins de banquet. Eh bien oui, monsieur le Président. Osez ! Brûlez votre passeport devant l’Elysée ! Et quittez la France ! Direction : la Belgique.
Bien que nous nous marchions un peu sur les pieds ces temps-ci, une petite place vient justement de se libérer. Un certain Jean-Philippe Smet, dit Johnny, ayant renoncé à son souhait de s’installer en Belgique pour partir à Monaco a en effet décidé de rester en France pour s’établir en Suisse (vous me suivez ?) Bref, n’hésitez pas à monter dans notre pays de cocagne. Où vos malheurs paraissent incompréhensibles. Quoi ? Vous êtes poursuivi pour avoir donné du travail à des gens ? Chez nous, vous récolteriez en récompense 800.000 voix de préférence (au moins). On vous critique parce que vos employés communaux travaillaient aussi pour un parti politique ? Mais dans quel pays viviez-vous où des travailleurs qui se dévouent et prennent le temps de militer sont considérés comme des délinquants ? A Charleroi, où on manque un peu de main d’œuvre ces temps-ci, on se débrouillera pour vous trouver un job pépère qui correspond tout à fait à votre culture d’entreprise.
Avec votre expérience et vos talents, on pourrait aussi vous accueillir dans la capitale. Justement, on cherche désespérément un grand sage pour raccommoder les restes. Je vois bien un homme comme vous apaiser nos tensions. Vous qui avez tout promis à tout le monde et son contraire, vous qui avez séduit à la fois les grands patrons et une partie de la gauche avec la fracture sociale, vous parviendrez sans peine à apparaître comme le meilleur défenseur des francophones grâce à votre passé et un héros flamand si vous terminez votre discours par un très gaullien « Leve vrij Vlaanderen ! »
Jacques Chirac premier ministre de Belgique, quelle allure ! Quel symbole pour l’Europe !
On se réjouit déjà du jour où vous recevrez en grande pompe votre voisin, le président Sarkozy en visite officielle. A moins que, poussé comme vous par l’exil, il soit obligé de vous demander un permis de séjour…

Alain Berenboom
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TEMPS DE SAISON

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L’autre jour, le nouveau secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon a voulu montrer au monde qu’il servait à quelque chose. Emmenant avec lui quelques équipes de télé, des gardes du corps pour le cas où un pingouin aurait voulu lui envoyer une boule de neige sur ses lunettes et quelques centaines de serviteurs (ou comment appelle-t-on les bureaucrates ?), il a débarqué en Antarctique dans des beaux habits fourrés rouge sang tout neufs achetés pour l’occasion et il arpenté la neige d’un pas décidé, un pas de décideur. Une heure et demi plus tard (la durée habituelle d’un spectacle de cirque), il annonçait au monde stupéfait que le réchauffement de la planète faisait fondre les glaciers, aïe ! et que si d’autres que lui ne faisaient rien, il n’y aurait bientôt plus un morceau de glace à mettre dans son whisky. L’histoire ne dit pas (les journalistes sont beaucoup plus discrets qu’on ne le croit) combien a coûté à la planète ce déplacement barnumesque.
Cet événement illustre une fois de plus le génie d’Albert Einstein.
Le réchauffement de la planète est en effet une application intéressante de la théorie de la relativité. Mr Ban Ki-Moon se serait promené par exemple dans le parc de Bruxelles plutôt qu’à la base Eduardo Frei, ses conclusions eussent été fort différentes. Soit tout ce que Al Gore raconte, c’est rien que des carabistouilles, soit nous bénéficions d’un micro-climat à l’envers qui préserve la Belgique des effets dramatiques de son film. Non seulement il fait dégueulasse autour du kiosque du parc de Bruxelles mais quand on en sort, c’est soit pour tomber sur le palais royal où le thermomètre affiche moins que zéro, soit sur la rue de la loi où la météo est carrément à l’ouragan. Si Ban Ki-Moon avait croisé au hasard d’une allée Yves Leterme ou Didier Reynders, malgré son bel habit fourré, il était bon pour la pneumonie. Hélas, mes chers compatriotes, la Belgique est entrée dans une nouvelle ère glacée. Ce n’est donc pas demain la veille que la mer engloutira la Flandre et jettera ses habitants désemparés dans les bras du bourgmestre de Mons. Il faudra trouver autre chose pour calmer nos politiciens. Peut-être faire appel à nouveau à Einstein. Selon ses principes, il est théoriquement possible de remonter dans le temps. De revenir à une époque où il faisait beaucoup plus chaud dans nos parages, où l’homme de Spy et l’homme de Steenokerzeel chassaient ensemble le mammouth. Une époque où l’apparition de quelques dinosaures calmait aussitôt les ardeurs des archæoptéryx. Une époque que les deux explorateurs royaux, Messieurs Stanley De Decker et Livingstone Van Rompuy auraient intérêt à visiter.

Alain Berenboom
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B. HACHE V.

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Le vrai défaut de Yves Leterme, c’est la gestion catastrophique de son agenda. Tout le reste on peut lui pardonner, ses tentatives pathétiques pour paraître sérieux, sa dépendance à l’égard de son sinistre hypnotiseur, le sar Rabindranath De Wever, son côté élève brouillon, doubleur malheureux, j’essaye de toutes mes forces mais j’y arrive pas. Mais l’incapacité à tenir son agenda, ça, ça ne pardonne pas. Un exemple au hasard : le vote en commission de la scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hache-Vilvorde.
Alors qu’ils n’ont rien d’autre à faire et que c’est pas demain la veille qu’un nouveau gouvernement leur donnera du boulot, comment reprocher aux députés flamands de se réunir dans une salle bien chauffée, de rigoler un peu et de lever le bras pour ne pas s’endormir ? Si Yves Leterme avait eu un peu de jugeote, il aurait fait trancher la question en juillet et le tour était joué. Le tour de France, je veux dire. Tous les jours, les députés se seraient retrouvés devant leur écran télé à suivre les exploits de Tom Boonen au lieu de flemmarder et de voter n’importe quoi. Car le vrai problème des parlementaires, leur profonde frustration, c’est l’ennui. Ces braves gens s’emmerdent et ils sont jaloux de voir Leterme, son hypnotiseur et leurs copains faire bombance. Tout le monde n’a pas la chance de passer ses nuits avec madame Milquet – si M. Nothomb était encore le patron du PSC, aurait-on voté la scission ? Pas sûr !
Bref, il fallait détourner l’attention de ces braves gens, leur donner l’occasion de paraître eux aussi comme des héros devant les caméras. Leur proposer un safari sauvetage type monsieur et ex-madame Sarkozy. Et ils auraient laissé monsieur Leterme jouer. Les prétextes ne manquaient pas : un voyage au Tchad pour ramener le brave pilote belge, un aller-retour à Rangoon pour rapatrier Madame Aung San Suu Kyi, une expédition au Pôle Nord pour ramener quelques ours blancs au zoo d’Anvers afin de leur éviter les coups de soleil. N’importe quel hochet qui les sorte de leur triste anonymat. Allez ! Il est temps de sonner la fin de la récréation et de faire travailler ces messieurs-dames. Ils ne demandent que ça !

Alain Berenboom
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PS : pour comprendre le vrai déchirement d’un pays, lisez l’un des plus beaux romans de la rentrée, « Les belles choses que porte le ciel » de Dinaw Mengestu (Albin Michel), récit d’un Ethiopien échappé de la guerre civile qui a mis son pays en morceaux. Fils d’un avocat massacré par les rebelles, devenu petit épicier à Washington, il raconte avec la verve joyeusement désespérée du conteur le sort terrible d’un déraciné. Superbe façon de rappeler qu’on ne joue pas impunément avec le feu.

L’AFFAIRE ALZHEIMER

chronique
Chez les De Wever, papy n’a pas fait pas de la résistance, c’est entendu. Mais est-ce la faute de Bartje si son grand-père était un vieux dégueulasse ? Bart n’est pas plus responsable de la collaboration de son aïeul avec les nazis pendant l’occupation que Catherine Deneuve de celle de son père avec les pétainistes (quoique laisse entendre une biographie récente très équivoque.) La magnifique comédienne a montré en d’autres occasions ses engagements, et parfois dans les personnages qu’elle a voulu jouer à l’écran. Son rôle dans « le Dernier Métro » de François Truffaut sonne un peu comme une revanche sur la noirceur paternelle. Bart n’a malheureusement pas eu l’occasion de déployer ses talents devant une caméra. A entendre ses déclarations de la semaine, cela vaut mieux pour la réputation internationale du cinéma belge, à moins de lui faire tourner dans un remake de « L’Affaire Alzheimer ».
Car pour un historien de formation, c’est gênant d’oublier le passé de sa propre métropole, surtout qu’un rapport récent commandé par le Sénat (encore une bonne raison de couper les ailes du pouvoir fédéral !) au Centre d’étude de la seconde guerre mondiale, intitulé « Une Belgique docile », a rappelé à tous ceux qui ont la mémoire courte les abominations d’une grande partie de l’administration communale et de la police d’Anvers, allant (comme la police et une partie des fonctionnaires de Pétain) bien au-delà de ce que demandait l’occupant. Mention de « juif » apposé sur les cartes d’identité, distribution de l’étoile jaune, regroupement puis déportation des juifs vers Auschwitz. On excusera peut-être Bart de Wever de son ignorance : au moment de la parution de ce rapport, il yodlait avec sa famille en culotte de peau en Bavière, sa destination de vacances favorite, comme le révèle son épouse dans une interview fleur bleue. Allez, un petit effort, Bart ! Tu n’es plus très loin des terres de ce cher Haider. Essaye, l’Autriche. Tu t’y sentiras bien. Un pays qui n’a jamais évalué le rôle de son administration pendant la guerre ni jamais présenté d’excuses à personne sauf aux clients de ses banques, obligées de revoir leur système opaque depuis les directives européennes.
Bart De Wever a aussi la mémoire sélective : Anvers a été une ville occupée, s’est-il souvenu, et victime des Allemands. Façon d’oublier les victimes de la ville victime. Et d’ajouter qu’Israël et Hitler, c’était à peu près kif kif, histoire de convaincre lesdites victimes qu’elles étaient devenues des bourreaux.
Les négociations pour la formation du gouvernement reprennent lundi. Avec De Wever. Que se passerait-il si les autres participants du pow wow arboraient l’étoile jaune ?

Alain Berenboom
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DUEL à OK VILVORDE

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Vous vous demandez, monsieur Desmet pourquoi les Wallons tirent la gueule et se retranchent au fond de leurs ranchs ?
Prenez un exemple au hasard : Johnny Hallyday. C’était notre meilleur atout. Vous nous le faisiez belge, on l’installait comme attraction touristique dans le village schtroumpf de Charleroi pour chanter avec sa guitare tous les samedis soirs – on était même prêt à le prêter à Bobbejaanland une fois par mois. En échange, on vous laissait BHV et sa réserve d’Indiens. Parce que, soit dit entre parenthèse, BHV, on s’en tape. Si les citoyens de Hal et de Vilvorde ne peuvent plus voter pour des candidats bruxellois, les élus flamands de Bruxelles seront tous Vlaams Belang, tant pis, c’est votre problème. Mais il a fallu que vous chipotiez et notre Johnny, sentant l’odeur de la poudre, a pris celle d’escampette et nous a lâchés dans la plaine juste au moment où le convoi de l’orage bleu allait aborder les régions tourmentées de l’ouest, la passe du diable, la colline des pendus, avant de se retrouver pour le duel à OK Corral. Or, nos réserves sont vides, plus de munitions, plus de dynamite. Même plus de whisky. Nos hommes n’y croient plus et leurs chevaux sont épuisés. Il y a peu de temps, on était même prêt à toucher la plume avec un grand chef sage comme Hermann Cochise, qu’on sentait disposé à fumer le calumet de la paix avec du tabac de la Semois en échange d’un peu de verroterie. Mais vous l’avez écarté au profit des plus excités de vos petits guerriers, type Bart Geronimo qui nous défie de façon arrogante, danse avec ses sauvages, revêtus de leurs peintures de guerre, agitant leurs tomahawks au-dessus de nos têtes. Face à ces provocations, comprenez que, dans un sursaut d’orgueil, nous nous cabrions. Quoique, entre nous, on sait que ça ne durera pas. Et qu’on finira par laisser tomber. Car que pouvons-nous faire ? A part notre super squaw – mais ce n’est qu’une squaw et elle a peu de guerriers – nous ne comptons guère de héros dans nos rangs. Olivier Maingain fait un amusant sorcier et Didier Reynders un pisteur habile. Mais il nous faudrait un Gary Cooper, un John Wayne, un James Stewart, capable de retourner une situation, seul contre tous. Et ils sont tous à Hollywood. Votre grand chef Yves le Tourmenté a raison de se montrer patient. Le train aura beau siffler trois fois, nous, on restera en gare de Dinant…
La suite de l’histoire est écrite. Vous agrandirez votre ranch, vous augmenterez vos troupeaux, vous vous achèterez des éperons d’argent, des chaînes en or. Peut-être même que vous vous offrirez Johnny Hallyday pour vous tout seuls jusqu’à ce que la mer vous ramène jusqu’à nous. Mais, ce jour-là, prenez garde,cvous serez bien obligés de nous le rendre. D’où viens-tu, Johnny ?

Alain Berenboom
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HOMMAGE A HENRY INGBERG

Quand Henry entrait dans une salle de réunion, on se tournait tous vers lui. Si son visage était fermé, tout le monde se faisait aussitôt tout petit. Mais quand il affichait ce magnifique sourire qui le rendait encore plus craquant, nous étions quelques-uns à nous réjouir. Il allait nous distiller quelques bons mots, nous réveiller de la langue de bois ambiante par quelques répliques cinglantes et drôles dont il avait le secret.
Henry détestait la langue de bois, la lenteur bureaucratique, les chipotages politiques.
Mais il en jouait car il le mettait au service d’une grande ambition.
Je l’ai vu essayer d’imposer seul contre à peu près toute l’Europe l’exigence de contreparties culturelles pour notre production audiovisuelle, se battant contre la Commission européenne, les grands organismes de télévisions privées, jusqu’à la Cour de Justice de la Communauté européenne.
Il avait la candeur et la noblesse de Don Quichotte mais aussi la malice et le pragmatisme du Prince de Machiavel.
Il avait un dessein dans ce pays qui en manque tant. Il croyait dans l’importance de la culture, des créateurs. Mais il croyait aussi dans la nécessité pour y arriver d’une collaboration, des investissements des industries culturelles.
Cette réconciliation entre industrie et créateurs, cette ambition de joindre le rêve de l’artiste et le projet de l’entrepreneur était un message politique qu’hélas peu de politiques ont compris et relayé. Car, chez nous, les politiques ne se posent que quelques instants sur la branche fragile du ministère de la culture pour s’envoler aussi vite vers de plus gras pâturages.
Dans un pays où les hommes et les femmes politiques se cachent quand ils entrent dans une librairie mais courent devant les caméras de télévision dans les stades de football, il était le seul symbole d’une véritable politique du cinéma, du livre, du théâtre en Communauté française.
Résultat : les Diables rouges sont dans les pataflaques tandis que nos cinéastes trustent les prix dans les festivals, dont la Palme d’or, nos comédiens cartonnent en tête des hit-parades, nos auteurs sont en vedette dans les librairies, notre activité théâtrale est inversement proportionnelle au nombre des habitants.
Adieu Henry !
Adieu à une certaine idée de la culture en Communauté française.
Comme le dit Blaise Cendrars « Et le monde, comme l’horloge du quartier juif de Prague, tourne éperdument à rebours. »

Alain Berenboom