HISTOIRES DE BELGIQUE

chronique
Le Sénat a présenté en grande pompe il y a quelques jours le rapport qu’il avait commandé à un centre d’études historiques sur la responsabilité des autorités belges dans la persécution des Juifs pendant la deuxième guerre mondiale.
A part quelques négationnistes nébuleux, tout le monde a salué le travail de ces éminents historiens sur la « docilité » (selon le vocabulaire utilisé) de trop de décideurs et d’administrations, de magistrats et fonctionnaires supérieurs ainsi que des dirigeants des ordres professionnels, notamment des avocats, à l’égard des autorités d’occupation. Il est à l’honneur de l’actuel Premier ministre, Guy Verhofstadt, d’avoir reconnu la responsabilité de la Belgique lors de sa visite au mémorial Yad Vashem à Jérusalem en mars 2005 – à l’instar de Jacques Chirac qui avait reconnu la responsabilité de la France dans la rafle du Vel’D’Hiv’, ce que son prédécesseur, le très ambigu François Mitterrand, avait toujours refusé.
Les media ont mis en avant les graves défaillances de nos principaux responsables, leur collaboration parfois passive, parfois active, dans la déportation. Mais ils ont à peine évoqué l’autre Belgique. Notre pays n’a pas seulement rassemblé des résistants de la dernière heure, des collaborateurs et des responsables dociles ou lâches.
Mes parents vivaient à Bruxelles pendant la guerre. Ils ont échappé à l’arrestation, à la déportation, à la mort, grâce à l’assistance de voisins et d’amis de leurs voisins. Juste des gens révoltés par l’injustice. Ils m’ont raconté le courage des policiers de Schaerbeek qui les ont aidés, cachés, qui leur ont fabriqué de faux papiers. Du rôle d’Isabelle Blum, députée socialiste, qui les a cachés chez elle au péril de sa vie et celle de sa famille.
Leur désespoir devant l’écrasement des Alliés et le resserrement de l’étau nazi a été tempéré par des actes spectaculaires qui ont ranimé la flamme de la population, fait renaître l’espoir : la proclamation du bourgmestre de Bruxelles, Joseph Van de Meulebroeck en 1941, le raid de Selys-Longchamp sur l’immeuble de la Gestapo avenue Louise, la publication du faux « Soir », par exemple.
Ces souvenirs personnels, partiels, déformés, ont nourri mon appartenance à la Belgique bien plus profondément qu’un rapport officiel publié avec soixante ans de retard. Les « petites histoires » construisent la « grande histoire » autant que les documents et les analyses scientifiques. Et ils éclairent mieux les jeunes générations que les condamnations (on a vu les limites du procès Papon.) La vérité historique se prête mal à être figé dans des textes officiels, des jugements. Souvent, le témoignage personnel tamise l’histoire, apporte les nuances, les ombres qui l’empêchent de se momifier.

Alain Berenboom
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ELOGE DU MARIAGE

chronique
La série boys meet girls évolue : jadis les amoureux se rendaient en chantant à l’hôtel de ville. Puis sont apparues les premières fissures avec la disparition de temps en temps d’un des promis au moment de l’échange des consentements. Un pas de plus a été franchi dans la bonne ville de Saint-Nicolas : cette fois ce sont les deux fiancés qui se sont enfuis, refusant que leur mariage soit célébré par un échevin noir.
Pendant longtemps, le mariage a été un acte majeur et unique de la vie, aussi exceptionnel que la naissance et la mort. Un sacrement, béni par Dieu – le seul moment de notre existence où le Créateur daignait jeter un œil fatigué sur les simples mortels qu’il avait conçus un jour de distraction et de mélancolie. Avec la laïcisation du mariage – et la légalisation du divorce – le ver était dans la pomme. L’apparition de la pilule, pardon mesdames ! – a définitivement mis l’institution par terre. Le représentant de Dieu n’est plus ce brave curé de campagne qui a baptisé les enfants et les a fait sauter sur ses genoux, qui connaissait tous les secrets de famille, raccommodait les bobos et les plaies, empêchant les époux de s’étrangler –seule issue à cette époque pour échapper à la mort du couple. Et les échevins et bourgmestres ne sont plus ces notables moustachus dont on a connu les parents et qui dirigeaient d’une main paternelle la commune de père en fils. Alors, quel sens a encore le mariage ? A qui confier l’union de nos destinées ?
Voilà sans doute ce que pensaient ces fiancés de Saint-Nicolas lorsqu’ils ont cru voir surgir le père Fouettard. Ils sont du genre à gémir que les curés d’aujourd’hui sont parfois africains et les échevins noirs, beurs, juifs sinon homosexuels; pire : parfois même des femmes ! Eh oui, messieurs-dames, le mariage n’est plus une promesse à la vie et à la mort. C’est un contrat rarement aussi long qu’un bail commercial et beaucoup moins stable, sans garantie du bailleur et bourré de vices plus ou moins cachés contre lesquels aucune réclamation n’est admise. Un contrat qu’on peut impunément rompre sans préavis et trahir avant que l’encre des signatures ne soit sèche.
Et si, malgré tout, vous voulez vous marier, que l’amour vous monte à la tête, qu’il sauve tout et que l’union vous est nécessaire comme l’ivresse, comment osez-vous réagir avec une telle bêtise ? Ce n’est pas à vous de refuser le mariage, c’est le mariage qui devrait vous être refusé. Mais, bon, puisque c’est saint Valentin même à Saint Nicolas, un seul souhait : vivez heureux et faites plein de petits Belges aussi colorés, bigarrés et différents que les échevins d’aujourd’hui.

Alain berenboom
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LE RETOUR DE LA MINI-JUPE

chronique
Cinq minutes sans électricité. C’était une bonne idée de changer le thème des manifestations contre le réchauffement de la planète : trente ans de dimanches sans auto, ça n’intéressait plus personne. On n’a jamais trouvé mieux que le changement d’images dans la continuité. Regardez les militants de droite en France : pendant quarante ans, ils ont collé la bouille de Chirac; on leur offre celle de Sarkozy et ils ont l’impression que l’Histoire a basculé. L’homme a besoin de symboles autant que d’électricité, d’amour et de gaufres. Les trams de Bruxelles sont devenus gris : c’est le signe qu’il existe une politique de la mobilité, ce qui permet de faire passer l’augmentation du ticket de 25 % pour un progrès. On peint sur le sol des petits vélos de couleur blanche dans les rues à sens unique; c’est le signe que les politiciens ont choisi de se préoccuper des amoureux de la petite reine. Peu importe alors qu’en les jetant dans des artères étroites sur des parcours non protégés face à des automobilistes qui ignorent qu’un vélo peut surgir sous leur capot, on les envoie à la casse. Le symbole compte plus que l’acte. L’image davantage que le contenu. « An Inconvenient Truth », le film présenté par Al Gore, a fait, dit-on plus pour le combat écologique que des dizaines d’années de militantismes, de publications, de rapports. J’aime beaucoup le cinéma. Mais je trouve l’idée inquiétante. Guy Verhofstadt et Elio di Rupo sont devenus verts après avoir assisté à la projection : cela veut-il dire qu’ils n’ont jamais rien lu des milliers de pages alarmistes, détaillées, documentées qui sont passés sur leurs bureaux ? Faut-il désormais une star et un passage par Kinépolis pour élaborer un projet politique ? Intéressante perspective. Laurette Onkelinck s’était déjà jetée jadis sur le « Rosetta » des frères Dardenne, palme d’or à Cannes, pour lancer son plan pour l’emploi. Puisque le cinéma belge peine tant à trouver des sources de financement, pourquoi ne pas conseiller à nos cinéastes de se reconvertir dans le « cri d’alarme » pour faire recette ? Présenté par George Clooney, l’explosion de la Belgique sauce NVA aurait une autre allure que les prêches miteux de Geert Bourgeois ou de Yves Leterme. « Séparatisme, what else ? » Même les Wallons voteraient pour. Dans ce contexte, la réapparition de la mini-jupe en vedette ne relève pas du hasard. Dans les sixties, elle saluait l’arrivée du féminisme et l’explosion de la révolution sexuelle. Recyclée dans les années zéro du nouveau siècle, elle évoque plutôt l’économie d’énergie (pour lorgner les jolies jambes des dames) et la diminution de la consommation (de textile). Mais, peu importe la raison, puisque l’image est là. Qui s’en plaindra ?

Alain Berenboom
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CONSORT ET CIE

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Dans la fascinante série « La vie des pipol », j’ai appris cette semaine la séparation de monsieur et madame Henin-Hardenne de Monte-Carlo. Allez savoir pourquoi, ce genre d’histoire m’arrache des larmes. Je reconnais qu’il y avait plus important dans l’actualité et tout aussi tragique, la mort de l’abbé Pierre par exemple ou l’attentat contre un directeur d’école à Dinant, agressé par un élève d’origine serbe rendu fou après son expulsion. Mais il y a tant de mystères sur ce qui va se passer à Monaco que je ne peux m’empêcher de m’égarer du côté du Rocher. Ainsi, l’histoire ne dit pas qui va garder le tas de super autos qui encombrent le garage du petit couple ? qui le four à micro-onde ? qui l’appartement avec vue sur le casino ? L’histoire ne précise pas non plus si les juristes, fiscalistes et autres spécialistes en piste pour séparer les patrimoines relèvent eux aussi du droit principautaire. Ou si quelques sous-sous de cette famille qui n’a cessé d’agiter le drapeau belge vont retomber dans les caisses du royaume. Ce qui illustre cette vérité que les contes de fées nous ont épargnés : chez les princesses (de la raquette) aussi, les belles histoires d’amour finissent souvent chez les comptables et les notaires.
Les contes ne nous révèlent jamais ce qui se passe quand ils ne sont pas heureux et qu’ils n’ont pas beaucoup d’enfants. Que va devenir Pierre-Yves, prince qu’on-sort-sur-les-tribunes ? A quoi va-t-il occuper ses longues plages de temps ? A coacher son voisin Tom Boonen ? A moins que ce fou des bagnoles n’a que mépris pour ceux qui suent sang et eau sur les routes de Monte-Carlo ? Puisqu’il a désormais du loisir, je suggère à Pierre-Yves d’adapter l’opération Don Quichotte et d’inviter quelques célébrités sous la tente en bord de Méditerranée pour attirer l’attention sur les S.D.F. du Rocher. Avec la disparition de l’abbé Pierre, il y a une place à prendre.
A moins que son contrat de mariage lui épargne la lecture des petites annonces et la file au FOREM. Comme une autre fûtée, qu’on sort elle aussi mais backstage : Heather Mac Cartney qui a décroché après seulement quatre années de galère – c’est elle qui le dit – un ticket de sortie doré sur tranche. En prime, elle n’est plus obligée d’entendre chaque matin son idole de mari chanter sous la douche « When I am sixty four… »
Chez les stars, comme chez les simples manants, il y a des consorts plus ou moins habiles à se recaser ou à vivre avec son temps. Voyez Hillary Clinton, bel exemple d’une épouse réduite à excuser publiquement jour après jour son joyeux coquin de mari avant de se transformer à son tour en princesse et de faire de Bill un improbable prince qu’on sort (où maintenant ?)

Alain Berenboom
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Blondes ou brunes, les tartes ne comptent pas pour des prunes

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Depuis que les femmes sont au pouvoir ou sur le point de le prendre, on croyait définitivement enterrées les plaisanteries sur les blondes, les femmes au volant, t’as vu ce boudin et autres excellentes saillies jadis indispensables pour meubler une bonne soirée entre amis, les hommes savent pourquoi. Avec une femme chef des armées française, une autre à la tête du Sénat de Belgique, des femmes boxeuses, camionneuses, magistrates, rédactrices en chef, flics, karateuses et autres activités castratrices, la source hélas semblait tarie. Il fallait s’y résoudre, ranger le stock des almanachs Vermot dans le placard avec la vieille boîte de Banania devenue elle aussi politiquement incorrecte et regarder ses collègues féminines comme des mecs. Heureusement, la RTBF, enfin revenue à son rôle de service public, remet la tarte à la mode.
On pourrait croire que cette réapparition se serait faite à l’occasion de l’une de ces très sérieuses émissions sur l’histoire de la société belge, la rediffusion d’un J.T. moisi ou une émission souvenir autour d’une vedette d’hier, enfin un ces machins de jadis que notre station favorite programme de temps à autre pour nous rappeler qu’il fut un temps où les gens regardait la télévision nationale. Hé bien non ! La RTBF a choisi le combat anti-féministe dans son programme le plus trendy comme dit le président di Rupo quand il parle de culture, les spots publicitaires.
Efforcez-vous d’écouter ces petites merveilles de concision qui ramassent les meilleurs talents de chez nous. Vous redécouvrirez quelques-unes de ces bonnes femmes qu’on croyait disparues, la voix criarde, l’air hagard, bêtes à manger du foin comme le chantait Marc Aryan, un des pères fondateurs de la chanson belge francophone (à qui justement la RTBF vient de rendre un hommage mérité). Elles ne comprennent rien aux histoires de taux d’intérêt qui font saliver leurs ingénieux chéris, rien aux conditions salon, aux nouvelles chaudières à voile et à vapeur. Inutile de leur demander de choisir la meilleure bière. Même pour la poudre à laver, j’hésite à leur faire confiance. Voyez le résultat des soi-disant tests comparatifs : entre une chemise qui sort toute blanche et une autre restée grise, c’est la plus terne qui a leur préférence. Dire qu’on leur a donné le droit de vote… Je comprends que Louis Michel préfère ne plus se présenter. Et que les électrices de Schaerbeek aient choisi la plus verte.
Puisqu’il est de bon ton ces temps-ci de soutenir la RTBF injustement attaquée par une poignée d’intellectuels grognons, je propose de lancer une campagne nationale en faveur de ses spots de pub. Ils démontrent que notre service public a une fois de plus choisi le camp de l’audace et du non conformisme. Vive la redevance !

Alain Berenboom
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UN JOUR, LE PRINCE VIENDRA

chronique
La sortie de « Prestige », le nouveau film de C. Nolan, attire notre attention sur plusieurs choses : d’abord, sur le très beau livre de Christopher Priest dont il est adapté (paru chez Folio). Ensuite sur le pouvoir redoutable des magiciens. Enfin sur l’importance du mystère.
Aujourd’hui, la mode est à la transparence. Il faut toujours vivre en « projets », veiller à la « bonne gouvernance. » Répéter ces mots clichés dissimule la vraie vie. On peut déployer des trésors d’énergie, prendre la situation à bras le corps, la réalité n’est pas rationnelle. On aura beau annoncer qu’en 2007, la gestion des habitations sociales sera aussi transparente que l’eau de la piscine communale, que les impôts disparaîtront après les élections avec les rhumes et la grippe, que la marine belge coulera désormais des jours tranquilles sans prendre eau de toute part, que l’Irak ressemblera au paisible royaume de Belgique dès que les Etats-Unis y auront fait tuer quelques milliers de boys supplémentaires, que Michel Daerden ne boira plus une goutte d’alcool s’il accède à la présidence du parti socialiste et que Jacques Chirac ne se prendra pas une tamponne le jour où Sarkozy viendra sonner à la porte de l’Elysée pour chercher les clés, on aura beau réaliser ce magnifique programme et entreprendre quelques autres réformes spectaculaires, comparé à un tour de magie, tout cela paraît dérisoire. Un lapin qui jaillit d’un chapeau, des cartes qui se volatilisent des mains du prestidigitateur pour réapparaître dans l’oreille du spectateur, une femme coupée en deux qui peut désormais se donner à la fois à son mari et à son amant. Dérisoire aussi face au mystère du vol de la fauvette, 20 grammes de plumes capables de traverser chaque année le Sahara.
Je préfère les mystères aux certitudes, l’inexplicable aux explications embarrassées. La disparition brutale des dinosaures fait plus rêver que la disparition de la Belgique unitaire. Même lorsqu’il s’agit d’un méchant, sa disparition fantaisiste est autrement plus réjouissante que son élimination soigneusement programmée et son exécution publique. L’évasion de l’abominable chef des talibans d’Afghanistan, monsieur Omar, un jour sur une petite moto par une route de montagne a une autre gueule que la sinistre pendaison de l’atroce dictateur irakien. Gardons une part de mystère et d’ombre. Il ne sert à rien de jouer avec la vie privée d’un prince, d’étaler ses frasques d’homme moyen comme on sort une colombe de sa manche pour faire croire aux citoyens qu’il est mieux informé sur la gestion des affaires. publiques. Ca, c’est un truc de magicien : laisser le regard du spectateur s’attarder sur un détail sans importance pour dissimuler l’essentiel.

Alain Berenboom
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007 AVEC PICKLES OU MAYONNAISE ?

chronique
Avec quoi fait-on de la bonne littérature ? Avec la peur, le mensonge, la traîtrise et les coups tordus. Voyez avec quelle délectation quelques-uns des meilleurs romanciers anglo-saxons touillent dans la casserole du roman d’espionnage depuis John Buchan et Graham Greene jusqu’à John Le Carré et Len Deighton en passant par Eric ambler et parfois Robert Littell (à ne pas confondre avec son laborieux schtroumpf de fils). Avec la disparition de l’Union soviétique, on pouvait craindre la faillite de ces bonnes maisons établies depuis la révolution bolchevique. Or, les espions ne se sont jamais aussi bien portés. Pourtant, être collègue de 007 ne suffit pas. Certains régimes odieux, même communistes, ne nous font pas rêver, allez savoir pourquoi. Malgré leurs louables efforts, les Coréens du Nord ne font pas de bons personnages littéraires. Ni les Chinois, ce qui est plus étrange. Fu-Manchu est resté le dernier croquemitaine de l’empire du Milieu alors que ce vieil épouvantail était un brave père Noël comparé à Mao et à ses sbires. Le mélange repoussant de capitalisme sans entraves, de violence sociale et d’oppression politique des dirigeants chinois actuels n’inspire pas davantage. Peut-être que la violence y est devenue si débridée, le régime si inhumain et en même temps si impersonnel que les balises du roman sont balayées. Car le roman d’espionnage suppose un certain rituel, des normes chez les bons comme chez les méchants, une espèce de code d’honneur. Ce qui a fait le succès des James Bond et de ses collègues est un mélange paradoxal d’extrême civilisation, de respect de règles parfois jusqu’à la caricature et de conviction dans l’excellence du système qu’ils représentent. Si les espions sont attachants, c’est qu’ils sont des fonctionnaires qui aiment la fonction publique. En Irak, en Chine, dans la Russie d’aujourd’hui, plus aucun de ces fondements n’existe. Ces gens ne sont que des brutes. On ne peut en faire des personnages romanesques. Il faut donc se tourner vers des nouveaux territoires. C’est pourquoi, on saluera l’appel à candidatures que vient de publier le S.G.R. (le service de renseignement et de sécurité militaire belge). Certes, l’armée belge n’a guère de moyens. Elle ne pourra financer des opérations tordues nécessitant la haute technologie ni l’exfiltration de ses agents en danger ni même une longue hospitalisation en cas d’empoisonnement par des sushis ou des parapluies. Mais il y a en Belgique un tel amour des règles compliquées (ah ! notre constitution en perpétuel chantier ! BHV ! les communes à facilités ! ) et des coups tordus, de telles possibilités de fraudes et une si grande attirance pour le métier de fonctionnaire qu’un grand avenir littéraire s’ouvre pour les espions belges. J’en fais le pari.

Alain Berenboom
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Allez, les filles !

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2007, l’année des femmes au pouvoir ? Les media s’excitent. Les hommes tremblent. Les parieurs s’affolent. Pourtant, dans certains pays exotiques -et machistes, les femmes flirtent avec les plus hautes fonctions depuis longtemps : sans remonter à la reine de Sabbat, souvenons-nous des dames Gandhi, Bhutto ou Meir – en oubliant madame Thatcher, reine de fer d’un univers improbable genre cauchemar d’Alice au pays des Merveilles.
Les nouvelles patronnes du monde vont-elles changer la planète ? On l’espère. Elle en a besoin et vite ! Mais les mauvaises langues –mâles- feront remarquer que l’arrivée d’une femme aux affaires n’a pas toujours eu la vertu apaisante et régénératrice attendue. Après avoir élu une femme, les Indiens se sont tournés pour la première fois vers des nationalistes religieux, le Sri Lanka a plongé dans la guerre civile, le Pakistan n’a plus connu que des dictateurs militaires et a fabriqué les Talibans, les Turcs ont balayé les laïques pour faire venir un parti islamique. Sans parler du Rwanda qui a plongé dans le cauchemar après l’assassinat de l’héroïque Agathe Uwilingiyimana.
Des propos cyniques ? Ils cachent pourtant une vérité : les hommes exigent des dames qui les gouvernent des qualités qu’ils ne demandent pas aux messieurs. Outre les compétences politiques, la poigne et l’habileté, il faut aussi qu’elles soient flamboyantes, chefs-coq, mères poules et épouses exemplaires. Et même qu’elle soient sobres- un Michel Daerden femelle ne ferait jamais le carton du triste clown que le monde nous envie. En échange de quoi, les mecs sont prêts à les appeler familièrement par leur prénom. Sego est le diminutif d’un prénom, Sarko, d’un nom, subtile différence.
De Bush, nous nous contenterions qu’il retire ses troupes d’Irak. De Hillary Clinton, nous voulons aussi qu’elle transforme la Russie et la Chine en démocraties paisibles, qu’elle supprime la pauvreté aux Etats-Unis (et dans le monde, pourquoi mégoter ?), qu’elle arrête le réchauffement de la planète, qu’elle affiche le sourire de Marilyn et le tempérament de son cher Bill.
Chiche ! N’est-ce pas parce que nous nous sommes contentés de peu depuis la chute du mur de Berlin que la planète hoquète aux mains des tristes sires qui nous dirigent?
Notre vœu pour 2007 ? Que les femmes s’accrochent et qu’elles fassent définitivement mentir l’adage de feu Van den Boeynants qui disait à peu près : en politique, si les dégoûtés s’en vont, ne resteront plus que les dégoûtants. Allez, les filles !

Alain Berenboom
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A la recherche du Père Noël

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Depuis que j’ai expliqué à mon fils que le père Noël ne ressemble pas au vieux monsieur avec une barbe blanche et un habit rouge qu’on voit sur les pubs et les cartes postales, il essaye désespérément de trouver le moyen de le reconnaître. A la recherche de son portrait, il analyse les nouvelles, fixe la télé, guettant chaque indice qui puisse le mettre sur sa piste. Vous me direz que le plus simple eût été de lui avouer que le père Noël n’existe pas. C’est peut-être ce que vous pensez. Moi aussi, je le pensais jadis. Mais maintenant, j’ai des doutes. Certains événements récents ont ébranlé mon cynisme, bousculé mes confortables certitudes. L’engagement de V.W. de payer des années de salaires à leurs ouvriers en les priant de rester chez eux, de prendre des vacances mais surtout de ne plus travailler jusqu’à l’âge de la pension. La promesse du Premier ministre de supprimer totalement l’impôt des sociétés s’il reste au pouvoir. La garantie donnée par le si rose Michel Daerden que les comptes de la Wallonie sont au beau fixe depuis un siècle et qu’avec le réchauffement de la planète, ils seront demain au zénith – même que tout ça donne soif et qu’avec le plan Marshall on boira tous gratis. Voilà qui donne à réfléchir, n’est-ce pas ? Ce n’est pas tout : après des mois de bagarre, les présidents des partis francophones se réunissent soudain comme un club de vieux potes en faisant serment, croix de bois, croix de fer, de rester unis et de parler d’une seule voix face aux revendications flamandes alors que la veille encore ils se tapaient sur la figure, ça ne vous paraît pas singulier ? Jusqu’ici, ces gens-là n’étaient connus ni pour leur générosité ni pour leur candeur. On croyait qu’ils avaient la dureté, la cruauté et la peau épaisse des crocodiles. Il y a donc une explication à ces cadeaux soudains, à cette douceur imprévue. A part le père Noël, vous en voyez une, vous ? Moi, pas.
Le début de siècle a été calamiteux. Le père Noël devait être occupé ailleurs, sur une autre planète, peut-être souffrant, allez savoir. A présent, les choses changent. Dans les prochaines semaines, les promesses vont se mettre à pleuvoir. Chaque jour sera le 25 décembre. En tout cas pendant six mois. On appelle ça le temps des élections. Dressez l’oreille et laissez-vous bercer. Ce que vous avez entendu ces derniers jours n’est rien à côté des engagements que tous ces braves futurs élus vont faire miroiter. Si la démocratie ne sert qu’à ça, ce serait déjà le meilleur régime au monde. Bien sûr, les promesses électorales sont comme les billets de loterie; on n’en profite que jusqu’au jour du tirage. Peu importe, les enfants sont comme nous : la promesse de cadeaux est toujours beaucoup plus délicieuse, plus intense que les cadeaux eux-mêmes.
Bonnes fêtes !

Alain Berenboom
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J.T. SAUCE KAZAKH

chronique
Depuis quelque temps, la R.T.B.F., à la recherche d’elle-même, s’est mise à singer R.T.L. Résultat : effondrement de la qualité des émissions… et de l’audience. Il était temps de changer de référence. C’est ce qu’a parfaitement illustré le faux journal télévisé de mercredi dernier annonçant que le parlement flamand a voté la fin de la Belgique. Abandonnant le modèle luxembourgeois, le service public de télévision belge a choisi le modèle kazakh – tel qu’on le connaît désormais grâce à « Borat ». Dans ce film joyeusement iconoclaste, Sacha Baron Cohen revisite (et ravage) les Etats-Unis sous les traits de Borat, un soi-disant journaliste de la télévision kazakh.
S’inspirer d’un émule de Mel Brooks ne faisant pas assez chic pour les prétentieux apprentis patrons de notre télé, ils ont préféré invoquer Orson Welles, un classique qui rassure les intellectuels. En 1938, Orson Welles avait balancé dans son programme radiophonique une adaptation fameuse de « La Guerre des Mondes » (dont on a pu réentendre des extraits récemment dans l’excellente émission de Jacques Bauduin et Claude Delacroix tous les jours à 13 h. 30 sur la Première, de vrais talents ceux-là). Persuadés que les Martiens ont réellement débarqué aux Etats-Unis et qu’ils dévastent ses principales villes, des milliers d’Américains, pris de panique, s’étaient jetés sur les routes pour fuir l’hideux envahisseur.
Le faux JT de la RTBF présente une ressemblance avec l’émission de Welles : dans les deux cas, les étrangers font peur. Les affreux petits hommes verts chez l’un, les abominables Flamoutches chez l’autre. La RTBF ne se serait évidemment pas avisée d’annoncer, disons, la prise de pouvoir du PS wallon par Jean-Claude Van Cauwenberghe et la fuite au Congo d’Elio Di Rupo…
Mais il y a (au moins) une différence entre Orson Welles et Jean-Paul Philippot (outre le talent) : le programme du Mercury Theater était un programme dramatique régulier, animé uniquement par des comédiens alors que la RTBF n’a pas hésité à faire jouer le rôle des journalistes par de vrais journalistes sans annoncer la couleur, le faux. Quelle crédibilité auront encore ces (excellents) journalistes lorsqu’ils présenteront de vraies informations ?
En ces temps troublés, où la Belgique traverse une série de crises particulièrement graves, où l’internet se charge de propager des rumeurs sans contrôle, où l’on attend du service public au moins une information rigoureuse et éclairée, fabriquer un poisson d’avril en décembre ne relève pas seulement de l’erreur culinaire. C’est une faute (juridique, déontologique) qui illustre l’égarement de dirigeants d’une télévision qui n’a plus rien à offrir aux citoyens qui la finance.

Alain Berenboom
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