OCCIDENT

chronique
Que partageons-nous avec la Roumanie depuis qu’elle est comme nous l’Europe ? Le cinéma et même les palmes d’or ! Loin des clichés, le cinéma roumain rapproche Bucarest d’Ixelles. C’est là qu’on peut voir « Occident » , une superbe comédie douce-amère réalisée par Cristian Mungiu (dépêchez-vous; tout disparaît si vite aujourd’hui).
Diaboliquement machiné en trois histoires qui s’emboîtent telles des poupées russes, le film raconte l’histoire de deux jeunes Roumaines qui veulent partir à l’ouest et de leur compagnon qui préfère rester au pays. Pas de discours, pas d’explication, même pas de discussion entre les personnages à ce sujet. Juste des allez-retours, ponctués de quelques boulots minables et de tentatives ratés de mariages arrangés. Les choses se font et se défont. La mise en scène fait le reste.
Dans ce film, on retrouve l’écho de la comédie italienne des années soixante, ce mélange de rires et de larmes dans un monde de pauvres gens, de pauvres types, avec une grande différence : ce qui portait ces films, c’était l’espoir que l’avenir serait meilleur. Sordi, Gassman, Manfredi incarnaient des ratés pathétiques qui s’en sortaient toujours dans une Italie qui serait plus belle demain. Dans « Occident », les ingrédients de la comédie italienne sont rassemblés, l’espoir en moins. Et les acteurs (magnifiques) jouent en dedans, des personnages écrasés par leur destin. Cette perte de confiance dans la vie, dans les lendemains, a fait disparaître la comédie à l’ouest. Etrangement, ce désespoir fait naître la comédie à l’est !
Monicelli, Risi, Comencini ont trouvé un cousin désenchanté qui a puisé dans son désespoir les ressorts du rire, comme Kusturica, avant lui, dans ses œuvres baroques, délirantes et déglinguées. Déglingué : c’est l’adjectif idoine pour désigner le monde de l’est, tel que nous le décrit aujourd’hui son cinéma. Le monde inhumain mais organisé de l’époque communiste a disparu. N’en reste qu’un lointain écho (dans le film de Mungiu, à travers le portait d’une bande de flics minables, pires que dans les films de Mac Sennett, et une vieille poupée gonflable qui a servi à un des personnages de bouée pour passer à l’ouest). Dans des villes à l’urbanisme improbable, les personnages errent à la recherche d’argent tels ces fantômes d’humains survivant à une explosion atomique dans les films des années cinquante. A voir leur cinéma, on dirait que chaque Roumain, chaque Serbe s’écrie : « Je suis une légende ! »
A l’image des récentes campagnes électorales polonaise ou russe où le citoyen, rendu à lui-même par la chute de l’Empire, errait perdu et aveugle dans un monde incompréhensible.

Alain Berenboom
www.berenboom.com