ET C’EST AINSI QUE RUSHDIE EST GRAND

Ne cherchez pas dans les centaines de romans qui paraissent ces jours-ci. Cette année, la rentrée littéraire ne se fait pas à Paris ou à Bruxelles. Elle a eu lieu en plein mois d’août, à Chautauqua (Etat de New York). Et a failli coûter la vie à l’un de nos plus grands écrivains vivants, Salman Rushdie, conteur profond, exubérant, tolérant et plein de fantaisie. 

Dénonçant son œuvre impie, le « patron » de l’Iran islamiste avait décidé il y a trente ans de mettre à prix la tête de l’écrivain britannique d’origine indienne. Tout n’est pas absurde dans la décision du « guide suprême ». On y verra une reconnaissance inattendue mais méritée du pouvoir du livre et de la force du verbe. Après tout, l’apport historique des religions monothéistes est d’avoir proclamé chacune leur adoration du livre – en tout cas d’un livre. 

Tout au long de l’Histoire, on a beaucoup brûlé, maudit, condamné des écrits. L’inquisition, toutes les révolutions et religions, nazis comme communistes, chacun y a été de son autodafé. Mais, depuis le milieu du siècle dernier, on a eu le sentiment que, peu à peu, le livre cessait d’être l’enjeu de la haine des autorités (à l’exception évidemment des dictatures, notamment en Chine). 

Certains ont pu croire que l’audiovisuel puis l’informatique ont peu à peu éclipsé la puissance de la littérature et sa capacité de « polluer » les esprits libres.   

L’attaque contre Rushdie a montré qu’il n’en était rien. Et que l’écrivain reste un danger public. Mais il n’est pas le seul. Parfois, sous couvert de « liberté » ou d’ « égalité », de nouveaux auteurs sont à leur tour vilipendés ou censurés. Ainsi dans un district du Texas, une quarantaine d’ouvrages ont été bannis des bibliothèques scolaires à cause de leurs « contenu sexuellement explicite » dont « Le Journal d’Anne Frank » et la Bible. D’accord, c’était bien vu. 

Et que dire de la volonté de notre ministre de la Culture de conditionner les subventions notamment au respect des genres ? Et de supprimer aussitôt celles des spectacles de l’abbaye de Villers-la-Ville car elles n’ont présenté au fil des ans que des œuvres de très vieux mâles (Shakespeare, Michel de Ghelderode, Rostand, Hugo, beurk !) mis en scène par des mecs. Dans certains pays, les femmes sont interdites. Chez nous les hommes ? Comme l’écrit Nadia Geerts (dans l’hebdo « Marianne ») : « il est heureux qu’il y ait encore des gens qui se fichent éperdument du sexe, de l’origine, de l’âge, de la couleur. Tout simplement parce que la culture n’a ni sexe, ni origine, ni âge, ni couleur. Ça s’appelle l’universalisme, tout simplement. »

Les éditeurs et libraires belges feraient bien de trouver un équivalent féminin au mot « livre » sinon la ministre risque d’en interdire la vente…

Le titre de cette chronique reprend le mantra qui terminait chacun des éditoriaux de Pierre Assouline dans le magazine Lire.

HOMO ERECTUS ET MADAME

Est-ce une coïncidence ? C’est le jour où l’on célèbre la femme qu’on inaugure un refuge pour hommes battus. En plus, voilà qu’on annonce l’interdiction de la fessée. Que de mauvais coups contre les féministes !

Tant que l’homme dominait la société, il pouvait s’acquitter de son devoir. En rentrant le soir après le travail, juste avant la soupe et le journal télévisé, donner une bonne fessée à son épouse – on appelait ça un petit câlin. Il a suffi que la femme soit déclarée l’égale de l’homme pour que crac !, la fessée soit supprimée, déclarée hors la loi. Juste au moment où, après des siècles de domination, la femme, rentrant de son boulot, allait enfin pouvoir se payer une bonne tranche, déculotter son mari et hop ! petit câlin.

Est-il possible que les femmes parlementaires, qui réclament à corps et à cris la « tirette », aient accepté sans sourciller de ne plus avoir le droit d’ouvrir celle de leur copain ? Pour les distraits, la tirette est l’alternance hommes-femmes sur les listes électorales et non, hélas, quelque jeu ludique entre élus consentants. En politique d’ailleurs, on ne rit pas beaucoup. Depuis deux cents ans, les défaites se succèdent à Waterloo. L’arrivée enfin d’une femme à la tête de la commune va-t-elle rompre la malédiction ? On lui souhaite bonne chance tout en évitant de l’accueillir dans ses nouvelles fonctions en lui lançant le mot de Cambronne.

L’égalité entre les sexes est aussi mise à mal par les dernières découvertes paléontologiques.

Vous croyiez comme moi qu’en découvrant Lucy, on avait enfin exhumé le corps d’Eve, la mère de l’humanité ? Encore raté ! Cette pauvre femme n’était qu’une Australopithèque (comme disait le capitaine Haddock), une race pas assez chic pour figurer dans notre glorieux arbre généalogique. Le premier humain, désolé mesdames, reste ce bon vieil homo erectus. Erectus évidemment…

Sauf à imaginer qu’à une époque reculée, Lucy eut pu être elle-même vaginus et erectus à la fois (après tout, l’escargot est hermaphrodite ; pourquoi pas l’australopithèque ?), dans notre race dominante, rien à faire – pour le moment -, c’est le mâle une fois de plus qui emporte le morceau.

Je vous vois venir : et monsieur Thatcher ? Et monsieur Maggie De Block ? Et monsieur Angela Merkel ? Et alors, connaissez-vous leur vie privée ? Devant les caméras, d’accord, elles roulent des mécaniques. Mais, quand leurs maris poussent la porte du domicile conjugal, après le turbin, savez-vous qui fait quoi avant la soupe et le journal télévisé ? Et, des deux, qui a le plus gros salaire, monsieur ou madame ?

Il y a encore du chemin, mesdames, je le crains. Et aussi quelques livres saints (seins ?) à réécrire pour remettre Lucy et Eve à la place qu’elles méritent…

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