SOUPE AU CANARD A LA RUSSE

    Dans le face-à-face entre les 100.000 soldats russes (certains parlent de 175 000) qui jouent à envahir l’Ukraine et les troupes de Kiev, il y a un étrange air de « déjà vu » qui évoque « la drôle de guerre », une image qu’on croyait désuète mais terriblement inquiétante.

    En septembre 1939, quand les Allemands envahissent la Pologne, avec la complicité de la Russie, la France et la Grande-Bretagne déclarent la guerre à l’Allemagne mais elles ne volent pas au secours de la Pologne (malgré un traité d’assistance mutuelle) qui les supplie en vain. A part une escarmouche en Sarre, les troupes françaises se terrent, comme au bon temps des tranchées, derrière la Ligne Maginot en attendant l’ennemi. Pendant des mois, les soldats, au fond de leurs abris, s’alcoolisent joyeusement en écoutant la radio, Maurice Chevalier et Charles Trenet. 

   Huit mois plus tard, l’armée d’Hitler lance son offensive et balaye les pauvres troufions français et britanniques, après avoir contourné cette bête Ligne Maginot en passant par la Belgique, ébahie et neutre. 

   L’Histoire se répète souvent deux fois, disait Karl Marx, « la première fois comme une tragédie, la seconde comme une farce ». 

   Ce qui rappelle qu’à la même époque, sortait sur les écrans « Soupe aux Canards », le film des autres Marx, les frères. Un puissant état, la Sylvanie, tente d’envahir son voisin, la petite Freedonia, dirigée par Groucho Marx. « Vous réalisez que cela veut dire la guerre ! » répète-t-il tout au long du film, pendant que ministres et ambassadeurs font semblant de négocier.  

    On ne sait pas encore quel rôle veut interpréter Poutine. On le sait idéal comme méchant de service. On ignore aussi que font depuis des semaines les dizaines de milliers de pauvres troufions dans l’hiver russo-ukrainien à trembler de froid sous la tente. A part boire de la vodka. Jeux vidéo ? Netflix ? Coupe d’Afrique de football ? Projection du « Cuirassé Potemkine » pour blinder leur moral ? Peut-être de « Soupe au canard » ? 

   On n’ose imaginer la soldatesque déferler sur l’Ukraine, comme elle l’a fait sur la Tchétchénie (où règne depuis un régime affreux), les victimes innombrables, les réfugiés (on s’y prépare en Belgique ?) 

   Poutine peut-il espérer sortir indemne de ce Kriegsspiel si le matériel militaire envoyé en hâte par les Occidentaux en Ukraine commence à faire des morts russes ? Cela finira-t-il comme la débâcle d’Afghanistan ? Ou comme le découpage de la Géorgie, où deux régions se sont détachées pour déclarer leur indépendance, poussées en sous-main par les Russes ? 

   Après une pandémie qui ressemble étrangement à celle qui a suivi la première guerre mondiale, va-t-on assister à une guerre qui singulièrement aux débuts de la seconde ? 

   Au secours, Marx, reviens, ils sont devenus fous… 

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OSEZ JOSEPHINE

   D’accord, on a connu des étés plus roses, moins maladifs, plus secs et moins politiquement affreux, mais, avec la fin de ces vacances pourries accompagné de ses nécros glaçantes, tout commence peut-être à changer. Cette fois, au lieu de se lamenter, on va danser avec la mort, grâce à l’arrivée de Joséphine Baker au Panthéon (« Entre ici, Joséphine… ! ») 

La princesse TamTam aurait peut-être préféré reposer au soleil sous un beau bananier. Elle risque de ne pas beaucoup rigoler au milieu de ce paquet de vieilles barbes. Mais elle se consolera dans les bras d’Alexandre Dumas qui lui racontera des histoires sans fin, écrites par ses « nègres », ou avec Zola, qui avait aussi la langue bien pendue et souvent ricanante. Elle aura également des choses à partager avec Félix Eboué, gouverneur du Tchad en 1940 (et premier Noir à cette fonction) qui rallia le général de Gaulle dès l’appel du 18 juin, libérant ainsi le premier territoire de la France libre. 

En revanche, pas un seul jazzman pour accompagner son blues. Même pas un musicien. Mais bon, quand elle était déchaînée, elle valait un orchestre à elle toute seule. Qui incarnait mieux qu’elle la liberté ? Car elle a tout osé, Joséphine, la liberté sexuelle, celle des mœurs, des femmes, des Noirs, des immigrés, du combat contre le fascisme. Elle a lutté contre les Allemands, défié leurs espions et défilé aux côtés de Martin Luther King. 

Dans cette époque qui a l’air d’avoir perdu ses repères, d’avoir laissé tomber les bras, voilà qu’elle nous rappelle soudain la valeur, l’importance de se battre. 

Tout ça a une autre allure que le soi-disant combat pour les femmes, mené au même moment par l’inénarrable secrétaire d’état de Bruxelles, Pascal Smets. Qui a pris la décision ô combien audacieuse de remplacer les Journées du Patrimoine par les Heritage Days (en anglais de cuisine). Lorsqu’il a découvert que le « pater » du mot était d’origine mâle, son sang révolutionnaire, politiquement correct, féministe et égalitaire n’a fait qu’un tour. 

A moins que, parlant d’héritage, on se soit trompé ? Que notre homme politique a voulu sexualiser, en utilisant le mot « héritage », les sages journées des 18 et 19 septembre prochain. En faisant référence à ce que Goncourt écrivait de Victor Hugo (autre pensionnaire du Panthéon), parlant de « ses folies pour les femmes, de l’héritage d’érotisme qu’il tient de son grand-père et de son père ». Ce qui nous ramène d’une façon un peu tordue à notre sublime artiste franco-américaine. Tel serait le lien entre Joséphine Baker et Pascal Smets ? Entre Paris et Bruxelles ? 

On peut aussi se dire que Macron célèbre la femme avec Joséphine Baker et le gouvernement bruxellois avec l’effacement du patrimoine…  On a les combats féministes qu’on peut.  

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CYBER, TES BEAUX YEUX ME FONT MOURIR

A chaque génération sa manière de se divertir et de se fabriquer une bulle hors d’atteinte des parents, de l’école, de l’autorité. A la génération Coca-Cola, qui se jetait sur les livres, le cinoche et la télé a succédé l’époque Red Bull des jeux vidéo, du baladeur et du CD. Les ados de 2015 ne s’encombrent plus de tous ces supports physiques. Ils se sont jetés dans la cyber-attaque, le terrorisme virtuel et le dérèglement des réseaux. Bienvenue à la jeunesse du vingt et unième siècle !

On leur a gentiment préparé le terrain, reconnaissons-le, en faisant scintiller les beautés de la guerre nouvelle sur tous les écrans. Au lieu de faire affronter les tanks et les hommes, la guerre se fait désormais dans des salles aseptisées à des milliers de kilomètres du champ de bataille, qui s’appelle maintenant des cibles. Un type ou une dame en cache-poussière appuie d’un doigt nonchalant sur un bouton quelque part dans son bureau au Nouveau Mexique, en croquant son sandwich, et boum ! un village d’Irak ou un campement en Afghanistan sont rayés de la carte. Quoi d’étonnant que le pouvoir magique d’internet, que nous avons érigé en maître du monde, fascine la jeunesse ? Et que ses forces obscures les fassent rêver comme les grands monstres nous fascinaient jadis ?

Nous tremblions de peur et de plaisir devant l’écran à voir les dents de Dracula s’enfoncer dans la peau diaphane de l’héroïne. Eux roucoulent de joie à contempler les dégâts de leurs petits cyber-virus dévorant les sites institutionnels. Il y a tout de même quelque chose de rassurant dans le choix de leurs victimes. Qu’ils s’acharnent sur des journaux et des télévisions pour lâcher leurs saletés démontrent leur attachement et l’importance qu’ils accordent à la diffusion de l’information. Cela mérite d’être salué à une époque où l’on se plaint de la perte d’influence des medias.

Mais, comme tous les jeux, ceux-ci ont aussi quelques effets secondaires déplaisants. Si nos petits génies du clavier sont capables de remplacer ni vu ni connu les infos sérieuses de la page d’accueil des sites professionnels par des propos délirants, c’est sûr que la paranoïa de tous les obsédés du complot va s’accélérer. Déjà qu’un nombre croissant d’entre eux s’imaginent que l’homme n’a jamais marché sur la Lune, que les tours du WTC sont toujours à leur place et que le tsunami qui a ravagé le Japon a été provoqué par les Martiens, comment vont-ils réagir quand ils liront que Charles Michel est premier ministre de Belgique, comme nous le font croire les Anonymous ? En fait, c’est toujours Elio Di Rupo qui est bien sûr aux commandes. Il suffit de voir les mesures adoptées jour après jour par le gouvernement pour s’en assurer.

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