LA FUREUR DE LIRE

La police de Bruxelles-Ixelles fait à nouveau l’actualité ces jours-ci : des policiers, appelés par un libraire qui venait de se faire cambrioler, ont terminé le travail des malfrats et emporté quelques cartons de livres, magazines et D.V.D. sous l’œil d’une caméra de surveillance. Et la presse de se déchaîner contre la maréchaussée et ses chefs qui n’ont même pas sanctionné les pandores, ou à peine. Prison pour les ripoux ! Pension pour leur patron ! Devant le scandale, les autorités ont dû sévir.
Moi, je refuse de hurler avec les loups. Alors qu’on décrit volontiers les flics de Bruxelles-Ixelles comme une bande de brutes demi-illettrées, passant leur temps à boire de la bière devant la télé, je tiens à souligner le courage des membres de cette patrouille qui, n’hésitant pas à mettre leur carrière en péril, ont tenté de redresser l’image ternie de leur zone de police.
Réfléchissez : a-t-on jamais vu de vrais bandits emporter des livres ? Avec les moyens dont ils disposent, s’ils voulaient vraiment faire un casse, ces flics auraient dévalisé Fortis (ou ce qu’il en reste après les indemnités versées aux anciens et nouveaux dirigeants) ou Carrefour (si les piquets de grève ne leur interdisait pas le passage). Mais une librairie ?
N’est-ce pas un magnifique signal donné à la jeunesse que des policiers se jettent sur des livres ? Et, justement, pendant la semaine de La Fureur de Lire.
La présence d’une caméra aurait dû mettre la puce à l’oreille à tous ceux qui ont trop vite couvert d’opprobre ces amis du livre. Imagine-t-on des flics belges assez bêtes pour se livrer à des actes illicites en se sachant filmés ? assez maladroits pour ne pas remarquer la présence d’une caméra ? Honni soit qui mal y pense !
Le bourgmestre de Bruxelles, Freddy Thielemans, dont on connaît pourtant le goût pour la culture, n’a pas voulu mettre ces hommes en congé. Une décision regrettable, corrigée entre temps. En effet, quand auraient-ils le temps de se plonger dans la littérature, dont ils venaient de s’emparer, s’ils étaient obligés de continuer leurs exténuantes missions ?
Des mauvaises langues m’opposeront qu’en fait de littérature, celle sur laquelle les pandores ont mis la main, ne se situait pas vraiment du côté du cerveau, mais beaucoup plus bas, si vous me suivez. Et alors ? Y a-t-il une bonne et une mauvaise littérature ? Flaubert, Baudelaire, Apollinaire, même Philippe Roth, ont été considérés en leur temps comme des auteurs sulfureux, pornographiques. Et certains, poursuivis devant les tribunaux. Que des auxiliaires de justice réhabilitent cette littérature montre que nous sommes entrés dans une ère nouvelle. Et je m’en réjouis.

Alain Berenboom
www.berenboom.com