VIVE LA CRISE

Le spectre de la « célèbre » crise de 1929 jette une lueur glauque sur le passage à l’an (deux mille) neuf. Les photos de l’époque sont dans toutes les têtes : les files de sans emploi, la soupe populaire, les chemineaux errant, les usines fermant les unes après les autres, les maffias au pouvoir, les banques en banqueroute. Brr !
Mais, il y a une autre façon de regarder ces années-là : à travers l’apparition triomphale du film parlant.
Le Fou chantant avec Al Jolson sortait il y a tout juste quatre-vingt ans (happy birthday !) – quelques semaines après le premier essai, un peu maladroit, Le Chanteur de Jazz. Révolutionnant l’art du cinéma, le spectacle, le monde. Les images de misère, de violence sont en fait celles des premiers chefs d’œuvre parlants apparus sur les écrans. Tous les drames de cette époque, tels qu’on les connaît, tels qu’ils sont entrés dans notre mémoire, sont à la fois vrais et faux : c’est la fiction qui a écrit l’histoire, l’a fixée, l’a immortalisée. La maffia, c’était Scarface, la misère, M, le maudit de Fritz Lang (avec le terrible visage de Peter Lorre), la crise économique, Les Temps modernes de Charlot ou encore Les raisins de la colère, d’après le magnifique roman de John Steinbeck. Comment oublier les images du film de John Ford cernant les paysans sur les routes, chassés de leurs terres par les banquiers ? Henry Fonda en salopette, au volant de sa camionnette pourrie, un matelas sur le toit ?
Les images de la crise et de la misère sont ainsi, et en même temps, le symbole de la réussite économique fabuleuse du cinéma devenu parlant. C’est sur la ruine que s’est construite la gloire d’Hollywood (mais aussi celle du cinéma français des années trente). Cynisme ? Pas du tout. Car le film est resté comme le meilleur témoin, le miroir de cette époque, de ses rêves, de ses peurs.
En sera-t-il de même pour notre époque ? Alors, vive la Crise !
Etrangement, les premiers témoignages sur la société en train de vaciller sont des comédies. Le magnifique Happy-go-lucky (encore sur les écrans) où Mike Leigh dresse un portrait de femmes joliment optimistes, heureuses dans une Angleterre paupérisée et déboussolée. Ou le fameux Bienvenue chez les Ch’tis, portrait d’une région en crise mais vue sous l’angle de la gaudriole (plus ou moins drôle). Et que dire de l’explosif Burn after reading ? Dans la nouvelle tornade des frères Coen, une bande de minables essaye à tout prix de se faire un peu d’argent en vendant de faux documents secrets pour financer une opération de chirurgie esthétique. Une indication de l’état d’esprit de nos contemporains face aux bouleversements annoncés ? A quand une comédie musicale sur l’effondrement de Fortis ?