REFONDATION

chronique
La mode est à la refondation. Le parti socialiste français s’est emparé de cette belle expression pour cacher les dégâts causés par son implosion et donner « du grain à moudre » au « peuple de gauche » qui a toujours vécu de promesses et de belles phrases. Sentant le potentiel de cette formule très médiatique, la droite sarkozienne n’a pas voulu en laisser le monopole au pauvre Hollande et à ses SDF (entendez : sociaux-démocrates fichus). Elle s’en est donc servie pour expliquer que le parti créé par Chirac a disparu pour être remplacé par un autre tout à fait différent, qui porte le même nom, adoube les mêmes députés, est dirigé par les mêmes hommes et a le même but, cirer les pompes du président.
Il faut se méfier des belles formules. La fracture sociale a failli conduire à la cassure définitive. La force tranquille a mené à la stagnation, à l’élimination de la gauche du pouvoir pour longtemps et au plus beau score électoral du Front national. Où va conduire la refondation ?
Les amoureux de littérature se souviennent que « Fondation » est le titre d’un des plus beaux cycles de science-fiction. Isaac Asimov imagine qu’un personnage nommé Harry Seldon développe une science nouvelle, la protohistoire, qui permet de calculer les errements de l’histoire future. A sa mort, Seldon prédit la chute de l’empire et l’arrivée de trente mille ans de barbarie, dominés par les marchands. Trente mille ans… Fichu présage pour les malheureux socialistes français qui ont lancé l’idée de refondation, ignorant manifestement le livre d’Asimov. La faute à Jack Lang ? Leur grrrand spécialiste culturel n’a pas eu le temps d’analyser le célèbre roman car il devait d’abord terminer la lecture du programme de S. Royal.
Seldon prévoit deux moyens pour limiter les conséquences des âges de barbarie. Une fondation destinée à préserver les acquis de la civilisation, qui s’appelle Terminus (un nom à déconseiller si le PS veut changer son sigle) Et sa propre réapparition aux grands moments de crises afin d’indiquer à ses successeurs la voie à suivre.
La réapparition de l’homme providentiel en plein milieu de la crise, voilà peut-être une idée pour sortir la gauche de la mouise. Certes, Arlette Laguillier, réapparue régulièrement tous les sept ans, n’a pas fait beaucoup d’effet. Mais observons Bernard Kouchner qui réapparaît à droite quelques jours seulement après avoir sombré à gauche.
Peut-être faut-il se montrer plus audacieux et se servir de personnalités mythiques. C’est ce que Sarkozy a parfaitement compris en faisant réapparaître miraculeusement à ses côtés Jaurès et Léon Blum. Allez, Hollande, tente enfin de nous surprendre ! Songe à Louis XIV, un royal qui a réussi.

Alain Berenboom
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MENSONGES, ETC

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Mark Twain observait qu’il y a les mensonges, les foutus mensonges et les statistiques. Une remarque qui n’a rien perdu de son actualité avec la multiplication des sondages. J’adore les sondeurs commenter leurs enquêtes. Leurs résultats sont parfaitement fiables pourvu qu’on oublie les réserves. D’abord « la marge d’erreur » : 5% en plus et en moins. Avec cette précaution, faut-il perdre son temps à interroger 850 personnes ? Il suffit d’ingurgiter trois gueuzes « Mort subite » et d’inscrire les scores sur les ronds de bière.
L’encre de leur chèque à peine sèche, les sondeurs précisent aussi que leur enquête est déjà périmée : elle n’est qu’une « photographie de l’opinion » à un moment donné (le moment qui précède la remise du chèque). Pourtant, de ces sondages aussi frais qu’un yaourt abandonné dans un frigo par un navigateur solitaire avant son départ, tout le monde va faire ses choux gras. En oubliant la fameuse marge d’erreur, la photo à un moment donné, etc.
Dernière victime connue, ce pauvre monsieur Bayrou. Drogué par les sondages, il s’y voyait déjà : deuxième tour en douceur et hop, L’Elysée ! Patatras ! Que lui reste-t-il maintenant ? Ségolène, plus gentille qu’on ne le dit, lui a offert un faux débat de deuxième tour pour prolonger ses illusions. Il paraissait si heureux ! On aurait dit Charles-Quint assistant à la répétition de ses funérailles.
Alors que la majorité de ses électeurs vont voter Ségolène qu’il avait tant critiquée et que ses députés sont allés cirer les pompes de Sarkozy, qu’il avait tant vilipendé, Bayrou reste là, tout seul, avec son ni-ni à la main, à attendre dans cinq ans le retour des sondages.
Imaginez que dimanche, Sarko soit battu, que répondra le patron de l’institut machin, en essayant de ne pas prendre la main du président de l’UMP dans la figure ? « Ah ! mon pauvre monsieur, à deux jours près, vous étiez président. » « Deux jours ? » « Je vous avais averti (regardez là en petits caractères sur nos conditions de vente) : notre enquête n’est qu’une photo , etc.. » Vous auriez dû avancer les élections ou remplacer le vote par le sondage – tout le monde vous aurait été reconnaissant.
Le sondage du Soir publié au début de la semaine a provoqué beaucoup d’émotion. Seul Guy Verhofstadt ne s’en fait pas. 17% aujourd’hui, avec une marge d’erreur de 10 %, pas de problème pour lui : il est déjà en tête ou presque. On comprend les hésitations de M. Leterme à revendiquer le poste de premier ministre. Quant aux socialistes, c’est l’heureuse surprise. Les voilà toujours le plus grand parti francophone. Même que Van Cauwenberghe a promis à di Rupo de sortir encore quelques petites choses de son placard puisque les sondés wallons ont l’air d’aimer ça.

Alain Berenboom
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RETOURNER CASAQUE

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Imaginez que, lassé du chômage et des promesses jamais tenues sur le redressement de votre région, le plan Laurel, le plan Hardy, vous quittiez votre maison, vos amis, tout ce que vous aimez pour donner un avenir à vos enfants. Direction : le Kazakhstan, ce far East qui se donne des allures de conquête de l’Ouest de jadis. C’est pas rigolo mais il y a du boulot. Vous n’avez pas grand-chose en poche : les passeurs, la nourriture ont mangé votre maigre pécule. Bien sûr vous n’avez pas de papiers, pas de visa. L’entrée au Kazakhstan par la voie légale est pratiquement impossible. Comme le dit son éternel président : « Notre pays ne peut accueillir toute la misère du monde ». Cela vous rappelle quelque chose mais en kazakh, la phrase sonne plus poétique qu’en français et en flamand. Justement le kazakh. Vous qui connaissez le français, un peu de wallon et quelques mots d’anglais grâce aux jeux vidéos de votre fils, vous vous grattez la tête. Mais vous êtes intelligent, énergique, vous voulez vous intégrer. Donc, vous parvenez à décrocher un petit boulot puis un autre. Votre femme fait les ménages des nouveaux riches. Au bout d’un an, vous vous débrouillez en kazakh. Vous avez appris à déchiffrer les caractères cyrilliques et vous comprenez même le russe, l’autre langue principale du pays. Vos enfants qui brillent à l’école se sont faits des copains avec lesquels ils fêtent Nauryz, le premier jour du mois lunaire, la grande fête chamaniste du printemps. Ils ne peuvent les accompagner lors des voyages scolaires en Russie ou en Ouzbékistan mais ils parlent mieux la langue locale que bien des Russes installés dans la région depuis l’époque stalinienne. Et voilà qu’un jour, vous recevez un ordre de quitter le territoire. Quand vous avez essayé de légaliser votre situation, vous avez découvert que le mot kafkaïen est universel. Les critères de régularisation sont obscurs. Ceux qui obtiennent un permis de séjour doivent jurer de garder le secret. Voilà sept ans que vous êtes là sur les bords de la mer Caspienne, vos à l’école, vous travaillez, décidé à terminer vos jours dans ce pays devenu le vôtre même si de temps en temps la nostalgie de votre petite ville de Wallonie vous taraude, les amis, le foot et les promenades du dimanche sur la rivière. L’office des étrangers, le ministre de l’intérieur n’en ont cure. Back to Brussels south ! Quand vous débarquez, vous avez envie de pleurer. Charleroi est devenue plus étrangère qu’Alma Ata.

Ce billet est dédié à une famille kazakh de Blankenberge installé depuis plus de sept ans en Belgique que le ministre de l’intérieur a décidé de renvoyer malgré une décision du tribunal de Bruges.

Alain Berenboom
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L’HOROSCOPE EUROPEEN CONTINUE…

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Lion :Allemagne. C’est pour mater vos envies d’être le roi des bêtes (et méchants) que l’Europe a été créée. Maintenant, on ne sait plus très bien si vous êtes lion ou si devenu vierge. Depuis que vous avez épousé votre sœur, votre enclos est à nouveau au centre de la ferme. Votre dresseur est une femme à poigne qui mène l’exploitation au doigt et à l’œil. Si elle est venue de l’autre côté du rideau de fer, elle n’a pas l’air de se laisser contaminer par le spectre de la dame de fer.

Balance : Tchéquie. A l’heure où les frères allemands décidaient de se marier, vous avez choisi de vous séparer de votre conjoint slovaque. Cela nous a fait de la peine. On vous appréciait marchant bras dessus, bras dessous. Havel est tchèque, Dubcek slovaque ; le contraire aurait paru aussi magnifique. Votre divorce nous a tous attristés. C’est pourquoi on vous a invités à entrer ensemble dans la famille. On compte maintenant sur votre sens de la folie et de la dérision pour donner un sens à notre avenir. Puisse Mercure et Venus vous inspirer !

Scorpion : Roumanie. Décidément, vous n’avez pas de chance. A l’heure où la plupart de vos voisins rejoignaient la famille, vous traîniez encore loin derrière avec vos camarades bulgares. Finalement, quand vous avez passé la porte, vous avez été accueilli avec des grognements. Trop de clichés vous collaient comme des casseroles : le long règne ubuesque de Ceausescu, une succession de dirigeants plus habiles dans la manipulation et le mensonge que dans la gouvernance, les enfants vendus, la corruption et le château de Dracula. On oublie trop souvent que vos enfants s’appellent aussi Ionesco, Enescu ou la sublime gymnaste Nadia Comanesci. Et que c’est cela le supplément d’âme que vous apportez à la famille.

Sagittaire :Finlande. Grâce à vous (et à vos copains lituaniens et hongrois), l’Europe découvre qu’une partie de la famille parle une langue mystérieuse. Vos écrivains sont excentriques (Arto Paasilinna), votre cinéma étrange et peu compréhensible. C’est peut-être parce que l’Europe a perdu le goût du mystère qu’elle est devenue si ennuyeuse. Et si demain, le finnois devenait la langue unique de l’empire ? Ca nous obligerait à nous poser des questions ; c’est très sain, ça !

Capricorne : Danemark. On dit des capricornes qu’ils ont une vision pessimiste de l’univers et particulièrement de la nature humaine, qu’ils devraient avoir un sentiment plus léger de la vie et réserver une part plus grande à la fantaisie et à la joie de vivre. On ajoute qu’ils ont la critique facile et acerbe et une grande difficulté à faire confiance aux autres. Vous retrouvez-vous dans ce portrait, amis danois ? La question n’est pas provocation de ma part : ne le dites à personne mais, comme vous, je suis capricorne !

Alain Berenboom
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HOROSCOPE EUROPEEN

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POISSON (France)

La rencontre entre Pluton et Venus se passe plutôt mal depuis que Mars vient se mêler de leurs affaires. Méfiez-vous de l’inattendu. Sous ses allures respectables de brave paysan, Mars reste le symbole de la guerre. Il pourrait causer bien du souci à votre couple si vous n’y prenez garde. Un conseil : détournez l’attention par un tour de passe-passe car la séduction de Mars peut vous être fatale.

BELIER (Grande-Bretagne)

Le départ annoncé de Mercure, le petit messager aux pieds agiles, donne des ailes à son frère, le sombre Uranus. Depuis le temps qu’il piaffait pour diriger les affaires ! Mais l’arrivée d’Uranus laisse perplexe. Le reste de la famille européenne attend de voir si Uranus s’intéressera plus que Mercure à leurs intérêts communs. Et, au fond de l’Olympe, de l’autre côté de l’océan, Jupiter ne sait plus à quel saint se vouer pour apporter ses messages, ce que faisait si bien Mercure, toujours prévenant et souriant.

TAUREAU (Pologne)

Deux planètes jumelles tournant l’une autour de l’autre dans une valse folle ne font guère avancer le système. Votre grise mine à tous les deux ne rendent pas votre domaine très accueillant. Pas plus que vos co-locataires, des néo-fascistes peu ragoûtants. D’ailleurs, beaucoup de membres de votre famille préfèrent choisir l’exil, même s’ils ne sont pas toujours accueillis par de belles paroles : le « plombier polonais » est devenu synonyme de repoussoir. Il est temps d’ouvrir les fenêtres sinon vous risquez d’étouffer ce qui reste de la famille !

GEMEAUX (Belgique)

Les deux frères qui vivent en vous semblent se donner le mot pour être désagréables l’un envers l’autre. Ils connaissent à nouveau une période de surchauffe. L’un accuse l’autre d’arrogance ; l’autre réplique que son frère vit à ses dépens. Jusqu’ici leurs querelles n’ont pas empêché le reste de la famille européenne de séjourner dans votre maison mais si votre bagarre débouche sur la rupture, c’est toute la famille qui va partir ailleurs. Prenez-y garde !

CANCER (Luxembourg)

Vous vivez des vices cachés du reste de la famille, accueillant l’argent noir de l’un, blanchissant celui de l’autre. La famille tolère vos manières depuis longtemps mais votre refuge est menacé par une aspiration au grand nettoyage. Connaissant votre habileté à jouer avec les uns et les autres, vous trouverez certainement de nouvelles formules pour reconvertir votre abri.

VIERGE ( Italie)

A côté de votre prédécesseur, vous jouez magnifiquement les vierges. Pourtant, quand on voit le nombre de fiancées que vous avez mises dans votre lit, qui vous ont aidé à arracher les clés de la maison, on se dit que la conception de la virginité a beaucoup évolué en Europe, même dans la ville du Saint-Siège.
(A suivre)

Alain Berenboom
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CHAUD DEVANT

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Vous l’avez entendu comme moi : il paraît que la planète se réchauffe. C’est à cause des échéances électorales. On n’aurait plus d’élections que la Terre tournerait tranquillement entre les quatre saisons. Mais qui souhaite un régime aussi glacé ? C’est chouette les élections : le seul moment où l’on peut rêver à quoi ressemblerait notre vie si les politiciens tenaient leurs promesses. Donc, promis, demain la Terre sera sauvée si nous votons dans le bon sens.
En France, Ségolène Royal promet de mettre en pratique le programme de Nicolas Hulot (car elle tient plus encore à TF1 qu’à la Hollande). En Belgique, le PS se documente à toute vitesse sur la question : comment faire entrer les petits oiseaux dans le plan Marshall ? Même que Dédé Flahaut, comme toujours le premier sur la balle, a mobilisé la Force aérienne pour voir le film de Al Gore, Bible désormais des hommes politiques belges. C’est vrai qu’il y a de belles images, de la musique taraboumboum comme dans les westerns et surtout qu’on comprend le texte. Ce qui change agréablement des rapports de l’ONU, des ONG ou encore des Ecolos qui, ayant déjà sacrifié quelques forêts pour imprimer leur méga-programme, ont renoncé, dans un geste éthique, à imprimer sa traduction dans une langue compréhensible. Pour ne pas être en reste, Didier Reynders profite lui aussi de la vague verte pour augmenter sournoisement les impôts : des éco-taxes, ce ne sont pas des taxes qui étranglent les contribuables mais un cadeau des citoyens à la planète.
C’est à l’heure où l’écologie devient le mainstream que les écologistes semblent avoir perdu la pêche. Etrange paradoxe. Même le magazine Elle s’y met. Entre des pages de pubs pour des sacs en crocos et des rivières de diamants (des produits naturels) et une fille nue en couverture (pour protester sans doute contre le travail des enfants qui permet à l’industrie textile « française » d’accumuler les profits), le numéro de la semaine nous présente les stars convertis à la cause écologique : Di Caprio ne jure que par la Prius de Toyota ; même qu’il a acheté 4 véhicules pour sa famille ! Quant à la somptueuse Darryl Hannah –un modèle pour le réchauffement naturel des mâles-, elle ne roule plus qu’à l’huile de friture. Bien sûr, je sens la fritte quand je descends de voiture, reconnaît-elle mais sauver la planète mérite un tel sacrifice. Puisque le plan Marshall est à la recherche d’idées nouvelles, en voilà une à notre portée : transformer toutes nos stations d’essence en fritkot. L’énergie belge pour sauver la planète, ça vaut bien tous les discours. Avec mayonnaise ou pickles ?

Alain Berenboom
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Mieux vaut être pauvre …

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Il fait bon être pauvre ces temps-ci. En voyant les somptueuses images du film de Pascale Ferran, quel mâle n’a eu une pensée envieuse pour le pauvre garde-chasse de madame Chatterley ? Un pauvre comblé par les émois de sa superbe patronne – une pauvre petite fille riche qui aime les bois, l’eau pure, et les hommes, les vrais.
A propos d’écologie et de nature, d’autres pauvres ont aussi été à l’honneur au congrès du P.S. ce week-end : les automobilistes pauvres. Annonce inattendue du président, le parti s’opposera désormais au projet de taxe frappant les véhicules polluants. Les voitures sales, a-t-il expliqué sans rire, sont le propre des pauvres. Pas question que les vilains capitalistes de l’industrie automobile se fassent des sous en vendant aux moins nantis des voitures moins polluantes avec la complicité sournoise du ministre des Finances ! Qu’on leur laisse leur tas de ferraille ! Pour un peu, M. Di Rupo aurait expliqué qu’agir ainsi est un acte culturel : les vieilles bagnoles devraient être inscrites au patrimoine de l’humanité avec toutes les grandes figures du patrimoine wallon, le carnaval de Binche, les habitations sociales de Charleroi et le sénateur Onkelinkx.
Comme Henri Simons, frais transfuge d’Ecolo, était dans la salle, le président du P.S.s’est empressé de souligner que son combat en faveur du CO2 des pauvres n’ébranlait en rien sa volonté de combattre la pollution par tous les moyens. Ainsi, le circuit de Francorchamps offrira des auto-collants gratuits vantant les mérites des énergies renouvelables aux bolides qui s’aligneront au prochain grand prix. Le texte des auto-collants risquant d’être difficile à déchiffrer vu la vitesse des véhicules, Henri Simons a annoncé qu’il offrira gratuitement aux spectateurs sa superbe collection de lunettes aux montures vertes. Ainsi, il ne sera plus dit que les pauvres n’ont que leurs yeux pour pleurer.
Vis-à-vis des Flamands, la stratégie de M. Di Rupo est hasardeuse. Avec le plan Marshall, il s’était donné l’image d’un homme politique encourageant les jeunes entrepreneurs dynamiques, les industries performantes, les winners enrichis de demain. Un programme qui avait tout pour plaire à l’élite du Nord. Mais espérer devenir premier ministre après avoir fait campagne sur le thème « laissez aux pauvres de Wallonie le droit de rester pauvres », ce sera difficile. Beaucoup plus difficile. Restera en cas d’échec à se consoler en revoyant « La Traversée de Paris » (le beau film que Claude Autant-Lara avait tiré d’une nouvelle de Marcel Aymé) pour cette scène célèbre où Jean Gabin clame : « Salauds de pauvres ! »

Alain Berenboom
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ODE A UNE CREATURE DE RÊVE QUI A 50 ANS

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Que retient-on d’un homme après sa mort ? Une image, une phrase, guère plus. Newton, une pomme. Cambronne, un mot. Henri IV, une poule. Louis XVI, une tête. Arena, une douche. Attila, un steak. Les copains de Maurice Papon ont bien retenu la leçon. Pas bête le coup de la Légion d’honneur. Tant que la presse s’interroge, on l’enterre avec ou sans son hochet ? – comme un écho à la question qui empêche le capitaine Haddock de dormir : la barbe, au-dessus ou en-dessous des draps ? – elle ne revient plus sur son passé, les innocents envoyés à la mort pendant qu’il servait Vichy et les Nazis ou durant la guerre d’Algérie. Un jour, assez vite, on se dira : Papon ? C’est pas le type décoré pour avoir débarrassé la France de quelques étrangers ? Décoré de la légion d’horreur.
Mais, j’ai tort de regretter que les souvenirs s’estompent. Les peuples qui ne parviennent pas à faire le deuil sont aveuglés par la vendetta, paralysés par la douleur de plaies jamais refermées, ivres de vengeance sanglante : en Irak, au Sri-Lanka, en Palestine, entre l’Inde et le Pakistan. A vouloir punir les injustices du passé, on ne parvient qu’à détruire le présent.
La réconciliation des anciens pays ennemis de l’Europe, n’est-ce pas la plus belle réussite du traité de Rome dont on célèbre le cinquantième anniversaire ces jours-ci ? Imaginons à quoi ressembleraient nos régions si les Français, les Polonais ou les Hollandais décidaient de se venger des exactions allemandes ? Les Français des invasions britanniques ? Les Tchèques de nos lâchetés à Munich ? Les Allemands, les Espagnols et les Italiens des crimes de Napoléon ? Les hommes de Neandertal des fanfaronnades des homo sapiens ? Les supporters du Daring de la survie de l’Union saint-gilloise ?
Les errements économiques des responsables européens, leur pusillanimité sur le plan international, l’errance des pouvoirs flottant entre trop d’institutions, le ridicule d’un parlement sans pouvoirs, la gabegie, le quotidien de la –mauvaise-gestion de l’Europe a fait oublier l’audace et la réussite du projet des pères fondateurs, fonder un ensemble politique composé de peuples antagonistes sur des valeurs de paix, de démocratie, sur l’épanouissement économique. Un beau programme, une vraie respiration dans une Histoire faite de guerres et de tourments. Alors, pourquoi l’Europe a-t-elle l’air si triste et si désespéré ? Pourquoi cet anniversaire n’intéresse personne ? Pourquoi ne crie-t-on pas sur tous les toits que l’Europe a réussi cet invraisemblable pari : vivre avec les cicatrices du passé sans ruminer la vengeance. Les cicatrices, c’est drôlement sexy, non ?

Alain Berenboom
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LE NOUVEAU POT BELGE

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Pendant longtemps, les Belges ont été à la pointe du cyclisme, de Sylvère Maes à Rik Van Looy et à Eddy Merckx. Sans oublier leurs seconds rôles princiers. Petite pensée pour Noël Foré, Joseph Bruyère ou Michel Pollentier, le coureur qui roulait en zig-zag deux fois plus vite que les autres jusqu’à ce jour maudit où il s’est égaré, un sac d’urine fraîche au fond de son maillot, lors d’un contrôle anti-dopage alors qu’il venait de décrocher le maillot jaune du tour de France.
Avec la disparition des campionissimi, le cyclisme belge a abandonné le petit artisanat type Pollentier pour se reconvertir dans la pharmacie industrielle. Faute d’aligner les meilleurs champions, la Belgique a fabriqué les meilleurs docteurs – disons les meilleurs vétérinaires. Pas un coureur ambitieux, pas un soigneur de renom qui ne fît appel au p’tit remontant bien de chez nous. Le pot belge est au vélo ce que Mac Donald est à la restauration rapide, Pizza Hut à la cuisine italienne, Charleroi au parti socialiste et Michel Daerden à la politique : difficiles à digérer mais impossibles à éviter.
Mais les supporters ne sont jamais contents. Ils veulent que les champions qui les arrachent à leur vie terne en leur offrant des exploits invraisemblables soient aussi des hommes exemplaires. Impossible ! prétendent quelques spécialistes et juristes (dont c’est le fonds de commerce). Erreur : l’imagination est sans limites quand il y a tant d’argent à la clé. Un plan Marshall du cyclisme belge est en gestation avec un nouveau projet sensationnel: le clonage. Les avancées de la science et la libéralisation des législations éthiques ont permis à des spécialistes de fabriquer le vrai champion de demain pur et sans tache, le clone.
Prenez Tom Boonen. Au départ du Tour de France, alors qu’on espérait un nouveau Merckx, on n’a même pas eu droit à un second Freddy Maertens. Face à des coureurs disons trop en forme, notre Tommeke a montré les limites de la musculation humaine et il a vite disparu, à bout de force, le moral dans les chaussettes pendant que ses collègues gambadaient comme des chattes en chaleur. Son palmarès sur le Tour aurait été autrement plus spectaculaire si au bout de quelques dizaines de kilomètres, un autre Boonen avait pris le relais, un autre encore au pied des cols et un troisième juste avant le sprint. Pas question ici de dopage qui transforme les grands sportifs en pharmacies détraquées. Dans le projet qui se prépare, c’est un champion sain qui va être reproduit sainement en plusieurs exemplaires, tous identiques. Les clones s’épuiseront jusqu’aux derniers kilomètres de la course laissant l’original monter sur scène pour les caméras de télévision.
Voilà une idée qui redonnera enfin au cyclisme belge son aura et ses lettres de noblesse.

Alain Berenboom
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HISTOIRES DE BELGIQUE

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Le Sénat a présenté en grande pompe il y a quelques jours le rapport qu’il avait commandé à un centre d’études historiques sur la responsabilité des autorités belges dans la persécution des Juifs pendant la deuxième guerre mondiale.
A part quelques négationnistes nébuleux, tout le monde a salué le travail de ces éminents historiens sur la « docilité » (selon le vocabulaire utilisé) de trop de décideurs et d’administrations, de magistrats et fonctionnaires supérieurs ainsi que des dirigeants des ordres professionnels, notamment des avocats, à l’égard des autorités d’occupation. Il est à l’honneur de l’actuel Premier ministre, Guy Verhofstadt, d’avoir reconnu la responsabilité de la Belgique lors de sa visite au mémorial Yad Vashem à Jérusalem en mars 2005 – à l’instar de Jacques Chirac qui avait reconnu la responsabilité de la France dans la rafle du Vel’D’Hiv’, ce que son prédécesseur, le très ambigu François Mitterrand, avait toujours refusé.
Les media ont mis en avant les graves défaillances de nos principaux responsables, leur collaboration parfois passive, parfois active, dans la déportation. Mais ils ont à peine évoqué l’autre Belgique. Notre pays n’a pas seulement rassemblé des résistants de la dernière heure, des collaborateurs et des responsables dociles ou lâches.
Mes parents vivaient à Bruxelles pendant la guerre. Ils ont échappé à l’arrestation, à la déportation, à la mort, grâce à l’assistance de voisins et d’amis de leurs voisins. Juste des gens révoltés par l’injustice. Ils m’ont raconté le courage des policiers de Schaerbeek qui les ont aidés, cachés, qui leur ont fabriqué de faux papiers. Du rôle d’Isabelle Blum, députée socialiste, qui les a cachés chez elle au péril de sa vie et celle de sa famille.
Leur désespoir devant l’écrasement des Alliés et le resserrement de l’étau nazi a été tempéré par des actes spectaculaires qui ont ranimé la flamme de la population, fait renaître l’espoir : la proclamation du bourgmestre de Bruxelles, Joseph Van de Meulebroeck en 1941, le raid de Selys-Longchamp sur l’immeuble de la Gestapo avenue Louise, la publication du faux « Soir », par exemple.
Ces souvenirs personnels, partiels, déformés, ont nourri mon appartenance à la Belgique bien plus profondément qu’un rapport officiel publié avec soixante ans de retard. Les « petites histoires » construisent la « grande histoire » autant que les documents et les analyses scientifiques. Et ils éclairent mieux les jeunes générations que les condamnations (on a vu les limites du procès Papon.) La vérité historique se prête mal à être figé dans des textes officiels, des jugements. Souvent, le témoignage personnel tamise l’histoire, apporte les nuances, les ombres qui l’empêchent de se momifier.

Alain Berenboom
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