HISTOIRE DE SOLITUDE

chronique
L’autre jour, j’ai été le témoin d’un spectacle navrant : un policier motocycliste obligé d’affronter seul une automobiliste garée en double file.
Gonflé comme Bibendum, avec son harnachement de cuir aussi pesant qu’une armure, des bottes trop grandes pour lui, ses micros et oreillettes qui semblaient l’étouffer, on aurait dit une mouette sur une plage de Bretagne après le naufrage d’un pétrolier, John Wayne se traînant dans le désert sous un soleil de plomb, sa selle sur l’épaule après avoir dû abandonner son cheval, di Ripo sortant d’un face-à-face avec Philippe Moureaux dans son corral de Molenbeek.
Je tournai la tête à la recherche de son compère. Rien. Horizon vide. Même pas un releveur d’horodateur ou un garde forestier, enfin, un être humain, je veux dire un homme en uniforme. Mon policier était désespérément seul, lâché par son co-équipier. Du moins je le suppose. On m’a toujours appris que le motard fédéral circule en couple. C’est à deux qu’ils verbalisent, tempêtent, ricanent et remettent virilement le citoyen dans le droit chemin. Seul, il n’existe pas. Ils ont besoin d’être en duo comme des jumeaux nés attachés, les gaufres de Siska et la crème fraîche, Michel Daerden et sa bouteille, la Flandre et la Wallonie, le bien et le mal.
Et si c’était moi qui me trompait ? Moi qui, une fois de plus, avais raté la marche de l’histoire ? Si l’on avait décidé en haut lieu de supprimer ce dernier signe de notre civilisation ? Le duo de flics aurait-il été emporté par le vent de réformes qui a déjà balayé tout le reste, au nom de la rigueur budgétaire, de la modernisation ou de quelque obscure directive européenne ? Comme pour préparer la population à l’inévitable effondrement.
L’homme – privé de son double, je ne parviens pas à l’appeler le policier – s’approcha doucement de la dame. Comme le feu passait au vert, celle-ci démarra sans un regard. Et lui resta là, son petit carnet à la main, les bras ballants, son équipement sophistiqué dérisoirement inutile.
Lorsque Quick et Flupke faisaient une bêtise, l’agent 15 empoignait son sifflet et ameutait ses collègues. Ce temps-là est fini. Encombré comme il l’était, mon pandore aurait mis une demi-heure avant d’atteindre son sifflet au fond d’une de ses poches. Et qui aurait bougé ? La sirène d’une voiture que l’on vole n’intéresse plus personne. A l’heure où la police elle-même déconseille d’appeler le numéro d’appel unique car la transmission du message à la brigade locale est trop compliquée et que les policiers s’enferment dans certains commissariats de peur de se faire agresser, qu’aurait provoqué un misérable coup de sifflet d’un pandore égaré ? Il n’y a plus d’abonné au numéro que vous avez demandé…

Alain Berenboom
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TRAMONTO DI ROMA

chronique
La réélection du Cavaliere à la tête de l’Italie réjouira tous ceux qui, comme nous, aiment goûter aux délices sans cesse renouvelés du fédéralisme de désunion à la belge. Sorti comme un diable de sa boîte de la grande coalition de S. Berlusconi, le principal vainqueur des élections italiennes est en effet Umberto Bossi, le patron de la Ligue du Nord. Bossi a dû être fabriqué par un savant fou d’origine belge qui avait en magasin les gènes de Bart De Wever pour l’arrogance, de Filip De Winter pour le programme et de Michel Daerden pour le populisme. Ce Frankensteineke a mélangé le tout qu’il a saupoudré de peperone, le légume qui rend fou.
Pour situer le personnage Bossi, alors ministre, il a proposé de canonner en mer les embarcations des immigrants et des trafiquants. Peu après, une maladie l’a plongé dans un coma dont il n’a émergé que près d’un an plus tard. Sa promenade sur les rives du Styx l’a rendu plus dément que jamais. Célèbre aussi pour son programme sécessionniste, il a imaginé détacher de l’Italie le nord et ses hommes aux « valeurs civiques » en créant une république de Padanie, se réclamant de façon fantaisiste d’une vague origine celte. Amoureux des péplums en carton-pâte fabriqués à Cinecitta, il a descendu le grand fleuve à la tête d’une procession d’illuminés en chemises vertes. Arrivé à Venise, là où le Pô se jette dans la mer, Bossi, tel un moine sur les bords du Gange, a cérémonieusement versé dans la lagune un récipient contenant de l’eau pris à la source du fleuve.
Les immigrés ne sont pas les seules têtes de Turcs de la Ligue. Son autre ennemi est Rome dont Bossi annonce « il tramonto » (le crépuscule) : « Notre première initiative, promet-il, sera le fédéralisme fiscal. Il est impensable que tout l’argent (du nord) atterrisse toujours à Rome. »
Le retour de Bossi et de sa clique au pouvoir fait naître un grand espoir pour les chômeurs wallons et pour certains hommes politiques de chez nous, que leur grand chef de parti a mis sur le bord de la route. Un boulot de consultant les attend à Milan. Fort de son succès, Bossi veut réviser sans attendre la tuyauterie institutionnelle italienne. Sur la question, nos spécialistes sont imbattables et sans concurrents dans le monde. Grâce à eux, Bossi pourra développer un projet aussi farfelu que le nôtre : communes à facilités dans le sud pour les Pépées (Purs Padaniens), règles particulières pour le survol à basse altitude des villes non padaniennes par Alitalia, transfert des ordures de Naples au Congo belge, etc.
Des Wallons en Padanie ? Juste retour de nos travailleurs pour libérer un pays qui, il y a soixante ans, nous a permis de développer le nôtre.

Alain Berenboom
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Olym-piqués

chronique
Quelle idée ont eu les Chinois de se battre pour organiser à tout prix ces foutus jeux olympiques ? A quoi bon se payer ce joujou formaté pour consommateurs occidentaux à coups de millions par la pub et la télé ? Pékin voulait prouver qu’elle valait bien Londres, Berlin ou Los Angeles ? Z’ont l’air malins maintenant.
Tant qu’ils jouaient leurs partitions, personne ne trouvait rien à reprocher aux Chinois. Mieux, ils étaient cités en exemple. Prenez la révolution culturelle. Une civilisation, des trésors historiques, des livres, des hommes et des femmes de talent, écrivains, professeurs, savants, détruits par milliers, par millions. Plus de livres, plus de musique, plus de films (sauf les « pensées » de Mao qui sont à la philosophie ce que TF1 est au septième art). Et les meilleurs intellectuels européens, nos « consciences », Sartre, Barthes, Sollers, d’applaudir, de déclarer sans rire jaune qu’il faut faire pareil, que Mao est un guide pour l’humanité – un peu isolé, un Belge, Simon Leys, dénonça vite la supercherie, le crime.
Ils peuvent faire travailleurs des enfants, payer des salaires de misère, n’accorder aucun droit syndical, ne pas prendre les précautions élémentaires sur les chantiers, exploiter des mines à côté desquelles celles de Marcinelle ou de Grâce-Berleur ressemblaient à un parc. Personne n’a songé à les boycotter, à ne pas importer leurs produits, à ne plus y envoyer nos entrepreneurs. Google, Microsoft, Yahoo caviardent tous les jours la toile, le doigt sur la couture du pantalon, et on continue de leur faire confiance et d’acheter leurs services. Et qui a pensé à critiquer les entreprises de luxe françaises et italiennes qui s’étalent derrière les marbres olympiques de leurs vitrines sur les grands boulevards de Shanghai ?
Mais les jeux olympiques, ça, c’est sacré. Peuvent pas nous les saloper.
Vraiment, ces Chinois ont fait le mauvais choix. Ils auraient pu, comme je ne sais quel émirat arabe, acheter les meilleurs footballeurs ou faire bâtir une réplique du Louvre avec ses collections les plus précieuses, on les leur aurait donnés. Ils auraient pu faire partir le tour de France de Pékin, on aurait salué l’initiative, invité le Dakar à écraser au passage leurs populations, personne n’aurait hésité. Racheter à coups de millions le festival de Cannes et transférer la croisette sur les bords du Yang-tseu-kiang, vedettes et journalistes auraient trouvé l’idée formidable et seraient venus en masse. Mais les olympiades, non. Les sportifs, c’est pur, dur, noble, c’est hors-commerce. Décidément, on ne nous fait pas marcher, on nous fait courir.

Alain Berenboom
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La vache qui rit

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Des chercheurs anglais viennent de fabriquer un homme en mélangeant des cellules humaines avec celles d’une vache. Influence du thé au lait, dont les Anglais font grande consommation ? Dévotion envers l’animal sacré du plus grand pays de l’ex-Empire ? Ou vrai progrès pour l’humanité ? Le cardinal britannique O’Brien vitupère : c’est une « attaque monstrueuse contre les droits de l’homme. » Les députés catholiques anglais préparent une motion. Des ministres menacent de démissionner. N’allons pas trop vite, messieurs-dames. Ne faut-il pas d’abord réfléchir aux aspects positifs de ce cocktail scientifique ?
Depuis l’aube des temps, des visionnaires et des illuminés nous promettent un homme nouveau, dont ils prétendaient avoir le secret, mais toutes leurs tentatives sont restées en rade. L’histoire de l’humanité a prouvé que le mélange entre un homme et une femme accouchait d’un produit imparfait. L’idée des Frankenstein anglais n’est donc pas tout à fait folle. Le brassage a toujours réussi aux civilisations, plutôt que le repli identitaire. Les Grecs déjà avaient imaginé le croisement entre l’homme et le cheval mais, comme les centaures n’étaient pas des personnages très sympathiques, selon le grand Homère, oublions les chevaux. Pour améliorer notre civilisation, il existe de meilleurs amis des hommes : moutons, chats, canaris, poissons rouges. Améliorer notre civilisation ? Oui, cette nouvelle technique de clonage pourrait régler bien des problèmes de l’humanité. La crise pétrolière, le réchauffement climatique. L’homme-oiseau pourra se passer d’avion et d’auto. L’homme-mouton à l’épaisse toison ne gémira plus devant ses factures de mazout et d’électricité. Et qui se plaindra de passer le samedi après-midi à brouter le gazon des jardins ou des squares plutôt qu’à faire la queue aux caisses de Carrefour ? Peut-être que la science trouvera même le moyen d’améliorer la vie politique et le talent de ceux qui nous gouvernent grâce aux cellules de quelques animaux soigneusement choisis ?
Faudra évidemment être attentif à ne pas laisser les savants fous choisir n’importe quel bête : évitons l’éléphant car les frais dentaires des enfants provoqueraient la faillite des systèmes de sécurité sociale, le mille pattes à cause du budget chaussures et chaussettes, le cochon pour ne pas attiser les guerres de religion, les phoques et autres bêtes à fourrures qui risquent de ramener Brigitte Bardot à l’avant de l’actualité.
La vache ? Pourquoi pas ? Vaut mieux des êtres mi-hommes mi-vaches qui regardent passer les trains que des soi-disant humains qui les font sauter. Evidemment, il y aussi des vaches folles. Mais sont-elles vraiment pires que nous ?

Alain Berenboom
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ANTI-HEROS

chronique
Au cinéma, en littérature, ce serait l’heure de gloire pour les anti-héros, clament les gazettes, l’œil sur les hit-parades. Mais que faire si vous trouvez Bienvenue chez les Chtis ! désespérément indigeste (Seigneur, ayez pitié de nous ! rendez-nous Bourvil !) et que l’Elégance du Hérisson vous tombe des mains – boum ! – malgré votre bonne volonté ? Ose-t-on aussi avouer s’être endormi à Amélie Poulain ? Trouver Odette Toulemonde tarte ? Et pleurer la mort il y a quelques jours de Richard Widmark, qui incarna si admirablement à l’écran les personnages ambigus, tordus, noirs et déchirants ? N’était-ce pas lui qui représentait le mieux à l’écran les « anti-héros » dans des films où les grands cinéastes hollywoodiens des années cinquante analysaient de façon impitoyable le mal qui rongeait l’Amérique? Qu’on cesse donc de prétendre que les anti-héros sont sortis de l’œuf à Pâques 2008 ! Et le Joseph K de Kafka, les personnages de Woody Allen ou Ignatius Reilly, le sublime garçon perdu de La Conjuration des Imbéciles de John Kennedy Toole, alors ? D’accord, ils n’ont pas grand-chose de commun avec Dany Boon ou Eric-Emmanuel Schmitt.
Reste que les anti-héros ont aujourd’hui la cote, quelles que soient leurs performances. L’exemple vient d’en haut : dans le fauteuil de Roosevelt s’agite G.W. Bush, Sarkozy dans celui de de Gaulle, Ehud Olmert à la place de Ben Gourion et les jumeaux Lech Kaczinsky ont succédé aux héros de Solidarité. Même en politique, faut faire terne comme pour faire taire le passé : le fantôme sans nom de Poutine en Russie, des marionnettes grisâtres et inquiétantes en Chine. Passons un voile pudique sur la Belgique.
De là cette impression que le monde est divisé en deux : les tristes, modestes, incompétents d’un côté et les monstres de l’autre – Ahmadinedjad, le terrifiant mais caricatural premier ministre iranien, Ben Laden, les guérilleros des FARC ou du Congo- devant lesquels les modestes qui guident la communauté internationale restent impuissants.
Jadis, au moins, il y avait les bons et les méchants, c’était plus simple et plus passionnant. John Wayne contre Richard Widmark, Don Quichotte contre les moulins, Bob Dylan contre Frank Sinatra, et même Kennedy contre Nixon (on ne savait pas encore comme le héros était pourri), c’était autrement plus exciting que Bush contre Ben Laden, ou la gueguerre entre « pragmatiques » et « idéologues » au sommet du pouvoir à Téhéran…
Tiens, pour balayer cette mélancolie, allez donc voir « Darjeeling limited », le film de Wes Anderson, délicieuse balade de trois frères américains en quête de leur mère et d’eux-mêmes à travers l’Inde : en voilà des anti-héros qui ne sacrifient ni aux lieux communs, ni au gnangnan à la mode et qui démontrent que l’art de faire confus est parfois aussi un art !

Alain Berenboom
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SI LE VENT TE FAIT PEUR

chronique
C’était la semaine du vent. Tempête dans les chaumières, frimas, dégâts et frissons. Secouée par la bourrasque, la vie politique belge allait-elle enfin bouger ? Hélas, ceux qui espéraient un programme gouvernemental qui décoiffe sont restés sur leur faim. Ecouter nos excellences, c’est entendre du vent. N’y a-t-il donc personne pour siffler la fin de la récréation ? Souffler quelques idées nouvelles à l’oreille de nos négociateurs ? Avec le temps qu’il fait, il paraît que Leterme (de Caracalla) refuse de se jeter à l’eau. Tant pis pour lui ! Que le vent le balaye et nous apporte enfin un souffle frais !
Il y a bien longtemps, Emile Degelin, cinéaste flamand avait tourné en français sur les bords de la mer du nord un film qui surfait sur la « nouvelle vague », intitulé Si le vent te fait peur. Titre prémonitoire d’une saison qui hésite entre hiver et printemps, qui nous laisse troublés et perplexes. Devons-nous avoir peur du vent du nord ? Faire craquer les digues ? Et croire que c’est du sud – de la Sarkozie- que viendra le souffle régénérateur ? Allons !
En France aussi, les élections municipales se sont collées sur la météo : le vent du boulet rouge a effleuré l’Elysée. D’après les spécialistes, ce n’était pas un tsunami. Juste une brise pour inviter le président à ne plus chercher le vent ailleurs, se mettre à l’abri et travailler.
Plus loin, le souffle des explosions soulève un ouragan barbare, ravageur, inexorable, incompréhensible. Irak, Jérusalem, Pakistan, combien de victimes faut-il encore à Eole pour qu’il serre enfin les lèvres?
On ne connaît donc plus que le vent mauvais ? En 1968, être dans le vent voulait dire être branché. Maintenant, l’expression a pris l’eau. Qui peut dire aujourd’hui dans quel sens souffle le vent et où il vous emporte ? Mieux vaut se tenir à carreau. Hillary Clinton est mal payée pour le savoir, elle qui est sur le point de se faire balayer par la tornade du changement qu’incarne si bien Barack Obama.
Pourtant, c’est aussi le vent qui sauvera peut-être la planète. Lorsqu’on s’avisera qu’une éolienne, c’est aussi beau dans un paysage de plaine que les moulins dont les ailes ont bousculé Don Quichotte.
Le vent ne nous fait pas peur. Il annonce aussi le printemps. Il apporte des senteurs inconnues, des graines venues d’ailleurs. Notre pitoyable ministre de l’Intérieur finira bien un jour par ouvrir les fenêtres et laisser l’air vif de l’Extérieur aérer nos placards moisis. En espérant qu’il emporte au passage notre sinistre police des étrangers (rebaptisée pudiquement Office) et ses centres de détention qui font notre honte.

Alain Berenboom
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E.T.

chronique
Lundi après-midi, après une longue absence, Yves Leterme est revenu à la politique. Pour son premier contact avec la vie trépidante des stars, l’ex ou le futur premier ministre (on ne sait plus trop) a dû répondre à une quarantaine de questions de ses sympathiques collègues d’une commission de la Chambre à propos de l’utilisation des feux de croisement, la réglementation relative à la conduite d’attelages ou l’immatriculation des cyclomoteurs.
Que fait un homme normal, reçu de cette façon après avoir erré sur les rives du Styx ? Il répond : dites donc, les gars, je vous sens impatient. Mais, pour les gags, attendez le premier avril. Ou : J’ai compris. La RTBF a placé une caméra cachée pour me ridiculiser comme d’habitude. Un homme normal claque la porte. Ciao ! Pour la dimension des attelages, voyez avec Mr De Crem, c’est le cheval fou de l’équipe.
Eh bien, vous avez tout faux. Leterme ne s’est pas tiré; il n’a pas éclaté de rire. Sans broncher, il a répondu de son ton monocorde habituel à chacune de ces questions grotesques. Avec un air de premier de classe dont l’école vient de sombrer mais qui continue de faire semblant qu’il est devant le tableau. Alors, je pose la question qui aurait dû nous sauter aux yeux depuis un certain temps: et si Mr Leterme n’était pas un être humain ? Et s’il était un extra-terrestre ?
Déjà son teint aurait dû mettre la puce à l’oreille. Les écrivains de science fiction des années cinquante ne décrivaient-ils pas les Martiens comme des petits hommes verts ?
Certes, ses chefs sont d’habiles bricoleurs. Son disque dur était bourré d’informations qui lui ont permis de faire illusion : BHV, régionalisation des matières fédérales régionalisables, communautarisation des matières personnalisables, nouvelles valeurs ajoutées (en abrégé NVA). Il était parfait. Presque parfait. Car un bug s’était déjà produit : dans sa programmation musicale. « Ils » ont pensé à lui apprendre à chanter « Vlaanderen boven » de Raymond van het Groenewoud, l’oeuvre complète d’Helmut Lotti et même « Les filles du bord de mer » d’Adamo. Mais pour l’enregistrement de la Brabançonne, le programmateur, un moment distrait, s’est planté. Une petite erreur pour Leterme, une calamité pour l’humanité.
Ne croyez donc pas ce que la presse vous a dit sur l’hospitalisation de Yves E.T. Pendant quinze jours, dans une aile isolée de l’hôpital de Leuven, les Martiens se sont activés à reconnecter ses circuits. Désormais, la noble Belgique, ô mè-ère chérie-ieu, est gravée dans son programme. Mais, même un habitant de la planète rouge ne peut tout prévoir. Dieu seul sait quelle autre erreur de programmation est tapie au fond de sa carte-mère.

Alain Berenboom
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OCCIDENT

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Que partageons-nous avec la Roumanie depuis qu’elle est comme nous l’Europe ? Le cinéma et même les palmes d’or ! Loin des clichés, le cinéma roumain rapproche Bucarest d’Ixelles. C’est là qu’on peut voir « Occident » , une superbe comédie douce-amère réalisée par Cristian Mungiu (dépêchez-vous; tout disparaît si vite aujourd’hui).
Diaboliquement machiné en trois histoires qui s’emboîtent telles des poupées russes, le film raconte l’histoire de deux jeunes Roumaines qui veulent partir à l’ouest et de leur compagnon qui préfère rester au pays. Pas de discours, pas d’explication, même pas de discussion entre les personnages à ce sujet. Juste des allez-retours, ponctués de quelques boulots minables et de tentatives ratés de mariages arrangés. Les choses se font et se défont. La mise en scène fait le reste.
Dans ce film, on retrouve l’écho de la comédie italienne des années soixante, ce mélange de rires et de larmes dans un monde de pauvres gens, de pauvres types, avec une grande différence : ce qui portait ces films, c’était l’espoir que l’avenir serait meilleur. Sordi, Gassman, Manfredi incarnaient des ratés pathétiques qui s’en sortaient toujours dans une Italie qui serait plus belle demain. Dans « Occident », les ingrédients de la comédie italienne sont rassemblés, l’espoir en moins. Et les acteurs (magnifiques) jouent en dedans, des personnages écrasés par leur destin. Cette perte de confiance dans la vie, dans les lendemains, a fait disparaître la comédie à l’ouest. Etrangement, ce désespoir fait naître la comédie à l’est !
Monicelli, Risi, Comencini ont trouvé un cousin désenchanté qui a puisé dans son désespoir les ressorts du rire, comme Kusturica, avant lui, dans ses œuvres baroques, délirantes et déglinguées. Déglingué : c’est l’adjectif idoine pour désigner le monde de l’est, tel que nous le décrit aujourd’hui son cinéma. Le monde inhumain mais organisé de l’époque communiste a disparu. N’en reste qu’un lointain écho (dans le film de Mungiu, à travers le portait d’une bande de flics minables, pires que dans les films de Mac Sennett, et une vieille poupée gonflable qui a servi à un des personnages de bouée pour passer à l’ouest). Dans des villes à l’urbanisme improbable, les personnages errent à la recherche d’argent tels ces fantômes d’humains survivant à une explosion atomique dans les films des années cinquante. A voir leur cinéma, on dirait que chaque Roumain, chaque Serbe s’écrie : « Je suis une légende ! »
A l’image des récentes campagnes électorales polonaise ou russe où le citoyen, rendu à lui-même par la chute de l’Empire, errait perdu et aveugle dans un monde incompréhensible.

Alain Berenboom
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LE ROUCHE ET LE NOIR

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Que reproche-t-on à Fidel Castro ? D’être rouge ?
A l’heure où le Standard voit poindre enfin la consécration suprême, le rouge est hype. Le rouge, tendance roûche en tout cas. Castro, lui, serait plutôt rouge, tendance noir.
Non seulement parce que le père Lachaise lui tend les bras mais surtout parce qu’il a assombri et enterré les rêves de toute une génération et démoli ceux de sa propre population.
Une révolution + le soleil des caraïbes + des verres de cuba libre + le Buena Vista social club, que demande le peuple ? Eh bien ! Le peuple est plus difficile que l’intelligentsia de « gôche » version Le Monde diplomatique. Bêtement, le peuple cubain demande les libertés.
Bien sûr, Fidel lui a donné l’instruction. Mais à quoi bon savoir lire si les livres qu’on aime sont interdits et les libraires sous le contrôle des flics.
Les habitants de La Havane ne peuvent même pas se consoler avec un bon cigare sur une plage enchantée : plages et cigares sont réservés aux touristes bardés d’euros et de dollars que le régime choie.
Des lieux communs tout ça ? Vu de Bruxelles, peut-être. Là-bas, ce sont ces lieux qui font la vie.
Cinquante ans de pouvoir, ça use, ça use. Et c’est increvable. Inspiré par la Corée du Nord, le révolutionnaire rusé usé a décidé de préserver les bijoux en famille. Castro et frère, Inc., un pari sur l’éternité.
Fidel est-il encore vivant ? Ses interminables discours se sont taris, ses images sont manifestement retouchées. Et les « messages » qui sortent de sa chambre d’hôpital ne sont évidemment pas signés. Moi, je soupçonne Fidel, sorti par la porte, de revenir un de ces jours par la crypte. Grâce à la cryogénie, le Leader maximo pourrait bien avoir été congelé juste avant la date de péremption pour réapparaître, frais comme un gardon, dans quelque temps, quand Raul souffrira à son tour d’une petite faiblesse. Faisant le coup du père Noël, il courra, couvert de glaçons, se jeter dans les bras de son cher ami Chavez. Le seul espoir alors est qu’ils périssent tous les deux d’une bonne pneumonie.
Et le Standard dans tout ça ? Remarquez : depuis que son principal supporter, Yves Leterme, est lui aussi hospitalisé, il gagne ! Ca fait réfléchir, non ? Le rouche, tendance orange bleue, patinait au sommet de l’état et du championnat. Hors d’Etat, Mr Yves booste son équipe favorite. Castro en fera-t-il autant ? Sa disparition offrira peut-être à son peuple la bienveillance américaine et la fin du boycott qui affame Cuba. Qu’on me comprenne bien : je ne souhaite pas à Mr Leterme le destin du Leader maximo (ni aux Belges le destin des Cubains). Les leaders minimos ont bien plus de vertu !

Alain Berenboom
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ALLEZ, LES FILLES

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On ne naît pas femme, on le devient. La célèbre phrase de Simone de Beauvoir prend une résonance particulière ces jours-ci pour deux femmes musulmanes dont les barbus ont décidé d’avoir la peau.
Ayaan Hirsi Ali, née en Somalie, devenue hollandaise (et même députée), risque sa vie en sortant des cachettes où elle est obligée de se terrer pour venir défendre à la tribune du parlement européen les femmes nées dans l’islam mais qui ont eu, comme elle, « l’audace » d’abandonner la religion.
Taslima Nasreen, écrivain du Bengladesh, obligée de fuir son pays, sous le coup d’une fatwa, risque de devoir quitter l’Inde où elle s’est réfugiée.
La religion n’a jamais été une partie de plaisir pour les femmes. Juifs, Chrétiens, n’ont pas beaucoup de leçons à donner aux Musulmans. Mais si ceux-ci détestent tant les valeurs occidentales, pourquoi copier les pires excès commis chez nous contre le « deuxième sexe » au nom du bon Dieu ? Et pourquoi diable ce vieux bonhomme les déteste-t-elles donc tant ? Au point que ces deux femmes ne trouvent même pas grâce dans leurs pays d’accueil.
Salman Rushdie, comme auparavant les écrivains qui fuyaient l’empire soviétique ou le Reich nazi, avaient été accueillis par les pays démocratiques où ils avaient dû se réfugier. Il fut même un temps où la Belgique était fière d’accueillir les artistes condamnés à l’exil – c’était longtemps avant MM. Tobback et Dewael, longtemps avant que Semira Adamu ne meure étouffée par nos gendarmes.
Aux Pays-Bas, Ayaan Hirsi Ali a mauvaise presse. Son parti l’a poussée à la démission. Elle faisait tache dans la langue de bois du monde politique. Ses voisins l’ont boutée hors du quartier. Sa présence décourageait le prix de l’immobilier. Le gouvernement a refusé de supporter le coût de sa sécurité aux Etats-Unis où elle avait dû se cacher pour fuir les menaces contre sa vie des exaltés islamistes bataves (sur un papier planté dans la poitrine de Théo Van Gogh, elle était désignée comme leur prochaine victime). Voilà à quoi ressemble la Hollande d’aujourd’hui, celle qui a fait de Pim Fortuyn une icône. En 1968, Amsterdam avait une autre allure…
La situation de Taslima Nasreen n’est pas plus brillante : obligé de fuir Calcutta pour le Rajasthan, elle en a été « exfiltrée » en pleine nuit pour Delhi mais les autorités s’obstinent à lui refuser la nationalité indienne qu’elle réclame vainement depuis des années. Elles ont même « découragé » le président Sarkozy, en visite il y a quelques semaines, de lui remettre le prix… Simone de Beauvoir qui lui avait été attribué à Paris.
On ne naît pas femme, on le devient. En la matière, les religieux de tous poils sont de rudes enseignants…

Alain Berenboom
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