HISTOIRE DE SOLITUDE

chronique
L’autre jour, j’ai été le témoin d’un spectacle navrant : un policier motocycliste obligé d’affronter seul une automobiliste garée en double file.
Gonflé comme Bibendum, avec son harnachement de cuir aussi pesant qu’une armure, des bottes trop grandes pour lui, ses micros et oreillettes qui semblaient l’étouffer, on aurait dit une mouette sur une plage de Bretagne après le naufrage d’un pétrolier, John Wayne se traînant dans le désert sous un soleil de plomb, sa selle sur l’épaule après avoir dû abandonner son cheval, di Ripo sortant d’un face-à-face avec Philippe Moureaux dans son corral de Molenbeek.
Je tournai la tête à la recherche de son compère. Rien. Horizon vide. Même pas un releveur d’horodateur ou un garde forestier, enfin, un être humain, je veux dire un homme en uniforme. Mon policier était désespérément seul, lâché par son co-équipier. Du moins je le suppose. On m’a toujours appris que le motard fédéral circule en couple. C’est à deux qu’ils verbalisent, tempêtent, ricanent et remettent virilement le citoyen dans le droit chemin. Seul, il n’existe pas. Ils ont besoin d’être en duo comme des jumeaux nés attachés, les gaufres de Siska et la crème fraîche, Michel Daerden et sa bouteille, la Flandre et la Wallonie, le bien et le mal.
Et si c’était moi qui me trompait ? Moi qui, une fois de plus, avais raté la marche de l’histoire ? Si l’on avait décidé en haut lieu de supprimer ce dernier signe de notre civilisation ? Le duo de flics aurait-il été emporté par le vent de réformes qui a déjà balayé tout le reste, au nom de la rigueur budgétaire, de la modernisation ou de quelque obscure directive européenne ? Comme pour préparer la population à l’inévitable effondrement.
L’homme – privé de son double, je ne parviens pas à l’appeler le policier – s’approcha doucement de la dame. Comme le feu passait au vert, celle-ci démarra sans un regard. Et lui resta là, son petit carnet à la main, les bras ballants, son équipement sophistiqué dérisoirement inutile.
Lorsque Quick et Flupke faisaient une bêtise, l’agent 15 empoignait son sifflet et ameutait ses collègues. Ce temps-là est fini. Encombré comme il l’était, mon pandore aurait mis une demi-heure avant d’atteindre son sifflet au fond d’une de ses poches. Et qui aurait bougé ? La sirène d’une voiture que l’on vole n’intéresse plus personne. A l’heure où la police elle-même déconseille d’appeler le numéro d’appel unique car la transmission du message à la brigade locale est trop compliquée et que les policiers s’enferment dans certains commissariats de peur de se faire agresser, qu’aurait provoqué un misérable coup de sifflet d’un pandore égaré ? Il n’y a plus d’abonné au numéro que vous avez demandé…

Alain Berenboom
www.berenboom.com