Mazâr-e Charif

chronique
Ne pas confondre Mazâr-e Charif avec Laurel et Hardy. Mazâr-e Charif est afghan, tandis que Laurel et Hardy sont universels. Un point commun tout de même : dans les deux cas, il est question de liberté. Laurel et Hardy ont donné aux spectateurs du monde entier le droit à un rire destructeur, parfois jusqu’à l’anarchie. A Mazâr-e Charif, un jeune journaliste de vingt-trois ans, dénommé Sayed Perwiz Kambakhsh, avait cru aussi que la liberté de s’exprimer aère le cerveau. Mal lui en a pris. Le tribunal l’a condamné à mort. A mort ! Pour avoir reproduit les commentaires d’un site iranien (où apparemment la liberté de penser est plus grande qu’en Afghanistan) à propos de la place de la femme dans le Coran. La femme doit être l’égal de l’homme, écrivait-il. Et puisque l’homme a droit à plusieurs femmes, pourquoi la femme ne pourrait-elle revendiquer un droit équivalent ? Blasphème ! ont tranché les juges du cru en envoyant le jeune homme en enfer. Où il rejoindra Giordano Bruno, Salman Rushdie et quelques autres imprudents à la langue trop pendue. Rôtir en bonne compagnie, est-ce vraiment une consolation ?
D’après la météo, il fait à peine zéro degré à Mazâr-e Charif. Le froid ambiant explique sans doute que les juges aient préféré siéger à huit clos (le public qui entre dans la salle d’audience, ce sont des courants d’air garantis) et sans avocat (plus vite terminé, plus vite au chaud devant un bon verre de thé). Selon le président de l’Association des journalistes indépendants d’Afghanistan (rapporté par Reporters sans frontières) Sayed Perwiz Kambakhsh a un autre défaut, un frère, lui aussi plumitif (tous piqués dans cette famille ?) qui a publié des articles critiques dénonçant les abus des seigneurs de la guerre qui mettent la région en coupe réglée.
C’est dans ce sympathique et accueillant pays que débarque un contingent supplémentaire de militaires belges. Certes, notre ministre des affaires étrangères s’est fendu d’une convocation de l’ambassadeur afghan et d’un appel à son gouvernement sur l’air de démocratie et droits de l’homme doivent être respectés (ou au moins veiller à ne pas étaler leurs violations dans la presse). A quoi, les autorités afghanes ont opposé, aussi sec, le respect de la séparation des pouvoirs. Ah ! « L’état de droit », encore un beau cadeau de l’Occident, avec les armes et les 4×4. Pavot, pas pris.
A propos, ne ratez pas le splendide documentaire belge de Dan Alexe « Cabale à Kaboul », images décalées sur les deux derniers Juifs de la capitale afghane qui vivent, en se haïssant, dans une synagogue en ruines. Un film tranchant sur ce pays de nulle part, où la « justice » se rend sous le regard indifférent des soldats de l’OTAN.

Alain Berenboom
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SOUVENEZ-VOUS DE FACHODA !

chronique
Je traînais dans un magasin (à la recherche de chaussures en soldes si vous voulez tout savoir) lorsque le bruit d’une altercation au comptoir me fit lever la tête. Depuis un moment, la jeune vendeuse et un vieil homme discutaient vivement. J’avais cru vaguement entendre qu’elle lui avait manqué de respect. Je n’y avais guère prêté attention, pas plus qu’aux propos qu’ils échangeaient, lorsque l’homme s’écria soudain, les yeux flamboyant : « Souvenez-vous de Fachoda, mademoiselle ! »
Là-dessus, il tourna les talons et, d’un air très digne, sortit en claquant la porte.
Fachoda ? La vendeuse regarda les clients dans la boutique. Qui était Fachoda ? Un parent à elle ? Son profil méditerranéen pouvait peut-être le faire croire. Mais, elle l’aurait reconnu et n’afficherait pas cette expression ahurie sur son visage trop maquillé. Un type se mit à ricaner. Une dame demanda ce qui s’était passé. La vendeuse haussa les épaules. « Un fou », dit-elle. « Il était furieux parce qu’elle refusait de lui parler en flamand », expliqua un jeune homme qui fouillait les bonnes affaires près du comptoir.
« On est à Bruxelles, non ? » fit la vendeuse, les lèvres pincées.
« Et Fachoda ? » demanda la dame. Plus personne ne s’intéressait aux chaussures.
C’est alors que l’histoire me revint. Je l’avais lue jadis. Les Français s’étaient emparés de Fachoda, un poste à la frontière du Soudan vers 1880, qu’ils avaient dû évacuer après que les Anglais aient menacé la France d’une guerre. Léopold II avait essayé de profiter de la tension entre nos grands voisins en envoyant dare-dare un corps expéditionnaire pour étendre l’empire colonial belge mais l’opération avait échoué, l’avant-garde, confiée à des anthropophages, ayant dévoré les officiers.
Tout le magasin se tourna vers moi. La vendeuse, effrayée me demanda s’il fallait prendre ces menaces au sérieux ?
– Vous n’êtes pas un officier même si ce bonhomme est, d’une certaine façon, un indigène… Rassurez-vous. Je crois qu’il pensait à l’humiliation française. A l’époque, elle avait tellement marqué les esprits qu’une méfiance durable s’est installée entre Français et Anglais, dont les pétainistes avaient encore joué plus de cinquante an plus tard. Tout le monde hocha la tête, perplexe.
Qu’au début du nouveau siècle, un homme puisse encore lâcher à une vendeuse « Souvenez-vous de Fachoda ! » était fascinant. Rassurant même à une époque qu’on dit sans mémoire où la culture de la veille disparaît dans un grand trou noir. Mais, comment ne pas en même temps s’inquiéter que le souvenir de vexations anciennes continue à tourmenter autant de bons esprits ? En espérant que personne ne s’écrie un jour : « Souvenez-vous de Bruxelles » !

Alain Berenboom
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LA ROUE TOURNE

chronique
Viendra un jour où le salon de l’auto se transformera en salon du vélo. Déjà, qu’on y célèbre la lutte contre la pollution. De mauvais esprits parlent à ce propos de cynisme, de rideau de fumée. Alors qu’un petit tour dans les travées du Heysel leur aurait permis de découvrir que les 4×4 sont désormais fournies avec des pédales et que les dernières voitures pour branchés, type blindés, importées directement de Bagdad, sont strictement réservées aux victimes de car jacking sur prescription médicale d’un psychiatre.
Pendant ce temps, de l’autre côté de la planète, les cyclistes sont progressivement chassés des rues de Pékin et de Shanghai pour ne pas perturber le trafic grandissant. Et ne pas mourir étouffés par le diesel.
Faut-il s’en plaindre ? L’industrie du cycle va disparaître des pays « émergents » où elle s’était délocalisée pour revenir chez nous. La cour des comptes vient de le souligner : dans l’état de délabrement où elles sont, qui peut encore circuler en voiture sur les routes du sud du pays ? Il n’y a plus que les aveugles et les alcooliques qui imaginent un avenir pour le réseau routier wallon. Le aveugles, les alcooliques et Michel Daerden.
Peu à peu, la campagne reprendra possession de nos régions. On ne circulera plus qu’à pied, à cheval et en vélo. Avec pour conséquence la fermeture des industries polluantes dont les produits ne pourront plus voyager. Adieu, monsieur Mittal et votre soif de CO2 ! Adieu MM. Carrefour et Delhaize et vos gigantesques parkings de béton ! Supprimons l’électricité, pour prévenir la fin du pétrole. Et de l’internet pour prévenir la fin de l’électricité. Du frigo et des hôpitaux. Et du téléphone pour cesser de se plaindre. Le chômage ? Ne vous en faites pas. On remplacera les boulots terribles, la sidérurgie, le montage de voitures, la chaîne, les grandes surfaces par des métiers disparus : maréchal ferrant, aiguiseur de couteaux, allumeurs de réverbères, crieurs publics, cantonniers.
Et ce jour-là, les nouveaux pays producteurs, la Chine, l’Inde et les autres, découvriront qu’il existe à l’ouest une région vierge, un nouveau marché à conquérir, de futurs consommateurs pour leurs produits. Vous les verrez débarquer en Wallonie et construire à nouveau routes et autoroutes, bâtir des usines flambant neuf, des équipements sportifs dernier cri, apporter bagnoles, ordinateurs et autres appareils. Un petit effort et nous aurons épargné la coûteuse « petite vignette » de M. Daerden et les travaux pharaonesques de type Country Hall de Liège. Et nous nous serons peut-être débarrassés entre temps de quelques « gestionnaires » du genre dévastateurs de la Wallonie…
Vive le vélo !

Alain berenboom
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A TABLE !

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Cette semaine, en marge de l’Open d’Australie, Bruxelles accueille un nouveau championnat de tennis de table, l’Octopus, un machin qui rassemble plein de stars mais qui ressemble à un jeu concours. Alors, prêts ? Jouez !
Première question : combien de pieds a la table ? Si l’on annonce dix-huit invités, ils sont en réalité vingt, à lire les noms des participants. Donc : chercher les intrus. Quand vous les aurez trouvés, passer à la question suivante…
Pourquoi « Octopus » ? Ce mot (venu de l’anglais, adopté par le néerlandais mais inconnu en français) désigne un poulpe à huit bras, une bête redoutable qui étouffe tous ceux qui passent à sa portée. Devinez qui va étrangler qui ? Puis continuer…
Quelle sera la forme de la table ? Ronde sans aucun doute comme la plus célèbre table de l’histoire, celle des chevaliers réunis autour du roi Arthur, sur la suggestion de Merlin.
Mais, si Leterme est Arthur, qui joue Guenièvre, son épouse (laquelle, on s’en souvient, trahit le roi en se jetant dans les bras de Lancelot) ? Et qui est l’enchanteur, détenteur de la baguette magique ?
Le nom de tous les chevaliers de la table ronde est connu, sauf un, celui qui a droit au « siège périlleux ». Cette place est réservée au mystérieux invité qui aura déposé le Graal sur la table. Quiconque s’avise d’occuper « le siège périlleux » sans en avoir la qualité est aussitôt englouti. Question : devinez qui va disparaître du groupe Octopus parce qu’il se sera imprudemment assis sur le siège périlleux en prétendant avoir apporté le vrai Graal ? Et passer à la question suivante.
La table est donc ronde, c’est entendu. Mais de quel bois est-elle faite ? Question plus redoutable qu’il n’y paraît. Leterme, tel qu’on le connaît suggérera à coup sûr le bouleau. Mais ses vertus de travailleur n’ont accouché jusqu’ici que d’une souris. Alors, on préférera qu’elle soit taillée dans un autre bois. Du sapin ? Il sent l’enterrement. Le chêne, on ne pourra s’en dépêtrer. Le noyer, mieux vaut ne pas y penser même si c’est le sort annoncé du groupe…
A moins qu’il ne se disperse auparavant en passant par la case chaise musicale. Grâce au futé Christophe de Borsu, brillant journaliste de la RTBF, on connaît les qualités de chanteur du président de l’Octopus. Tout le monde sait aussi que le groupe est trop nombreux pour accoucher de propositions sérieuses. L’élimination sur l’air de la Brabançonne permettra peut-être de resserrer les rangs. Nul doute que lorsque Yves Leterme restera seul à table, la solution à tous nos problèmes institutionnels sera enfin en vue. Sauf si, selon sa bonne habitude, le docteur Leterme étouffe Mister Yves. Mais peut-on vraiment tabler là-dessus ?

Alain Berenboom
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CONVERSATION CHEZ LES LETERME, MADAME MILQUET ABSENTE

chronique
Yves : Tu as entendu le président Sarkozy, Bart ? Avec Carla, paraît que c’est sérieux.
Bart : Ah ! Si nous parvenions à offrir à nos citoyens des projets aussi ambitieux et mobilisateurs que les siens.
Yves : Même qu’il lui a offert une bague de chez Dior. Dis Bart, j’y pense. T’offrirais pas une pareille à Joëlle Milquet ? ça arrondirait un peu les angles lorsque viendront les ides de mars, tu vois ce que je veux dire ?
Bart : A ce prix-là, sa bague est un exemplaire unique à mon avis…
Yves : Pas du tout, Bart. Il paraît que Cécilia avait reçu exactement la même auparavant. J’ai lu ça dans « Gala ».
Bart : Ah ? Et tu crois qu’en passant par Sarkozy, Dior me fera une réduction ?
Yves : Tu fais comme tu le sens, Bart. Mais tu sais qu’en politique, on ne se fait guère de cadeaux.
Bart : Enfin, Yves ! Que veux-tu qu’il me demande en échange ? Une nuit à Val Duchesse pendant la prochaine discussion sur la scission de B.H.V. ? Il est le bienvenu ! Je lui préparerai même quelques pistolets à l’américain et un Thermos de café.
Yves : Sarkozy voudra quelque chose de même valeur : la perle de la côte belge, par exemple, le rattachement de Knokke à la France.
Bart : On peut discuter, non ? Proposer Duinbergen ?
Yves : Bon. Disons que tu as la bague. Et alors ? Tu la donnes dans quelle langue ?
Bart : Pff ! Si je fais un discours, Joëlle va dire Neen !
Yves : Moi, je trouve que pour un brillant de près de 20.000 euro, elle peut faire l’effort de répondre : Dank U wel Bart ! Et même te donner une kusje face aux caméras. Tu remarqueras que devant les journalistes, elle n’hésite pas à s’exprimer dans un flamand convenable.
Bart (méfiant) : Dis-moi, Yves, pourquoi veux-tu à tout prix me pousser dans les bras de cette péronnelle ? Déjà qu’elle a failli mettre notre ménage en l’air.
Yves : Fais un effort, Bart, je t’en prie. Sans elle, c’est Guy l’Italien qui ramasse tout ce qu’on a semé. Nous, on perd tout. Adieu veau, vache, cochon, couvée.
Bart : Leterme qui cite La Fontaine et qui fait la pub de Milquet. Yves, tu as passé trop de temps avec les fransquillons ! Si tu veux absolument avoir l’air moderne et faire ménage à trois, pourquoi ne pas draguer chez nous ? La petite Caroline Gennez du S.P.A, par exemple ?
Yves : Une rouge ? Pourquoi pas Bea Ghysen, la patronne de Spirit ? Elle a l’air assez libérée…
Bart : Une ancienne Volksunie ? Non, merci. Les relations incestueuses, ça me dégoûte !
Yves (avec un soupir) : Alors, retour à la case départ : Milquet.
Bart : Bon. Mais la bague, on l’achète chez nous, à Carrefour !
Yves : Carrefour ? Mais, c’est comme Dior : le fief de Sarkozy !

Alain Berenboom
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PUZZLE

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En ce début d’année, j’ai la curieuse impression que les choses ne s’emboîtent pas.
Tenez cette histoire de terrorisme qui a gâché les derniers jours de 2007 alors qu’on venait enfin de caser Leterme dans une armoire. Il paraît que d’affreux barbus se terrent quelque part dans l’ombre en menaçant de faire sauter Bruxelles. C’est l’alerte 4 nous annonce-t-on d’un air consterné (à nous de convertir ce chiffre par l’échelle de Richter pour mesurer le tremblement de terre qui nous pend au nez). Le jour de son installation, le premier ministre joue le mystère tragique, le ministre de l’Intérieur agite sa langue de bois et le feu d’artifices est supprimé pour éviter les rassemblements. Résultat : au lieu de se masser sur le mont des Arts, la foule envahit la Grand-Place. C’est en déplaçant la population de trois cent mètres qu’on a déjoué les plans diaboliques des barbus ? Si on n’a pas eu droit aux pétards, on a reçu un joli rideau de fumée.
L’affaire de la libération de trois otages en Colombie nous donne le même sentiment d’avoir été pris pour des ballots. Les FARC annonçaient un geste humanitaire (ce mot doit avoir pour eux la même signification que pour Staline ou pour Kadhafi), le président Chavez ronronnait sur tous les écrans du monde et les média décrivaient d’avance le déroulement des opérations, faisant déjà des FARC des guérilleros plutôt que des criminels, de Chavez un nouveau Mandela – oubliant au passage le sort des centaines d’autres otages détenus par les narco-terroristes. Aussitôt, le président colombien exhibait le soi-disant l’enfant otage, prétexte pour les terroristes de ne pas libérer les victimes promises. Après ce spectacle retransmis sans le moindre sens critique par les media, comment s’étonner de son épilogue ? La pièce étant déjà jouée et le public ayant applaudi, la libération des figurants n’aurait plus rien apporté aux acteurs vedettes.
Les puzzles incompréhensibles, les pièces qui ne s’emboîtent pas, risquent de se multiplier dans les mois à venir : l’élection présidentielle américaine est toujours l’occasion de promesses absurdes, de rêves glorieux et d’avenir enchanté. La campagne électorale de N. Sarkozy nous en a donné un avant-goût que la situation économique de son pays va l’obliger à prolonger. Poutine en fera autant pour étouffer les critiques sur l’état de survie de la majorité de la population russe.
Reste heureusement la politique belge : peu de risque chez nous de vivre pareilles mystifications après le gouvernement transitoire. 2008, on nous l’a promis, ne nous offrira ni rêves ni paillettes mais l’étripage autour de BHV, le crêpage sur la fédéralisation tous azimuts, le dépeçage du pays. Et on se plaint ?

Alain Berenboom
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UNE ANNEE TROP BELLE POUR TOI

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Sarkozy, Hillary et Barak, Justine et quelques milliards de Chinois seront les héros de 2008. Mais qui seront les loosers de l’année ? C’est à eux, à ces futurs ratés de l’Histoire, que nous voulons présenter nos vœux.
Sans s’avancer beaucoup, on peut désigner le prochain président russe comme la vedette des anti-héros. Un homme dont personne ne connaîtra le nom, l’image, l’utilité et dont le programme sera prudemment pilonné avant même d’être distribué. Un destin de fantôme.
En Belgique, ce rôle sera tenu par Yves Leterme qui passera sans doute dans les manuels scolaires comme le plus mystérieux ex futur premier ministre. Tout le monde se doute qu’un nouveau grain de sable venu des plages de la Vlaamse kust grippera le mécanisme lorsque arrivera le moment promis de la passation de pouvoir. Coup de poignard de ses copains, croc-en-jambe de ses alliés, pied de nez de ses adversaires, peu importe d’où surgira le coup. Mais on voit déjà le visage pathétique du premier démo-chrétien contemplant le fauteuil inaccessible du premier fédéral. « Allons z-enfants de la patrie, le jour de gloire n’est toujours pas arrivé… »
En Grande-Bretagne, après les années Blair paillettes qui se sont terminées avec le goût du champagne éventé, on attendait l’homme qui a tant attendu. Et on n’a rien vu. Monsieur Brown, un produit blanc ? C’est la question à 1 000 £, celle que les bookmakers agitent pour faire monter les enchères. A moins qu’il ne sorte un truc de son chapeau ? L’indépendance de l’Ecosse par exemple, qui sera plus facile à proclamer que le retour de tous les Tommies d’Irak.
En Israël, on se demande avec angoisse quelle nouvelle gaffe ramènera E. Olmert à la une de l’actualité ? Entre scandales financiers, incapacité à négocier la paix et guerre ratée, il lui sera difficile de se surpasser. Certains murmurent déjà que Sharon, même dans son état, ferait mieux que son successeur.
Et l’Europe ? Eternellement enlisée dans un futur prometteur, va-t-elle enfin faire des claquettes dans son nouvel habit de lumière ? Le mini traité est sans doute un peu court mais, comme chacun sait, court c’est sexy. En attendant le super-président made in Europe dans une maison blancheke sur les bords de la Senne, les membres de l’Union continueront cahin-caha à se refiler anonymement la patate chaude tous les six mois.
Reste Charleroi. Courage, citoyens carolos ! Le reste du monde va mal. Mais Charleroi va de l’avant. Après le smog des comptes, le crachin politique et le brouillard de la pollution, que pourrait-il encore vous arriver ? Rien que du bon. C’est ce que nous vous souhaitons ainsi qu’à tous les lecteurs. Et même aux autres.

Alain Berenboom
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SALUT LES COPAINS !

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Quand un homme politique n’a rien à dire, c’est facile à deviner : il salue. Observez-le : à la sortie du palais royal, en descendant de l’avion, après une réunion, fonçant vers sa voiture, visitant les SDF, les malades, les travailleurs licenciés, il agite la main comme une star, les lèvres cousues. Dispensé, par ce geste, de s’expliquer devant micros et caméras.
Pendant la crise, c’est fou ce que les politiciens ont salué. Plus ils voyaient Yves Leterme, plus ils agitaient la main ! Les muscles des poignets des négociateurs doivent être dans un drôle d’état !
L’accouchement pénible du gouvernement Verhofstadteke et sa vie limitée annoncent de nouvelles tensions. Le moment où apparaîtra la zizanie se verra à la mise en scène des mains. Regardez bien. Si nos élus, au lieu de se précipiter vers les journalistes, passent rapidement au large en agitant fiévreusement leurs paluches, c’est le signe que ça va mal.
Drôle de signe quand on y songe. D’habitude, le salut est un geste d’ouverture vers le rêve, l’absolu, un nouvel univers : « Salut aux coureurs d’aventures ! » le beau roman de John Buchan. « Salut, les copains ! », l’émission d’Europe n°1, symbole d’un changement d’époque. Ou l’adieu à un grand destin : Salut, l’artiste ! Ou : Ave César, ceux qui vont mourir te saluent !
Rien de tel dans le salut du politicien coincé. Sommé de s’expliquer devant ceux qui les ont élus, il affiche le regard égaré et le sourire crispé de celui qui n’a même plus le courage d’agiter la langue de bois. A l’époque de l’image, il croit que le geste remplace le mot. Que l’homme civilisé n’a plus besoin de contenu. Tout est dans l’imaginaire que son geste va faire naître. S’adressant aux citoyens par dessus la tête des journalistes (ah ! la démocratie directe), il suggère de lui faire confiance, il apaise, il tient les choses en mains au sens propre du mot. La parole est inutile, déformée même par les media, source de confusion. Leurs mains le démontrent : eux, ils travaillent.
Le président Sarkozy, maître de cette technique, donne l’exemple. Peu importe ce que font ou que disent Rachida Dati ou Rama Yade; leur présence est le message. Rama Yade peut fustiger le guide de la révolution libyenne. Tant qu’elle parade à la gauche de Sarkozy et Dati à droite, leurs messages sont inaudibles, inutiles. Carla Bruni vient renforcer cette garde rapprochée et ce pouvoir de l’image. Taisez-vous Elkabbach ! disait jadis G. Marchais. On ajoutera aujourd’hui : Regardez !
Restera aux citoyens une parade, bien belge, celle de répliquer aux hommes politiques : Salut en de kost !

Alain Berenboom
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VERSION LIBYENNE

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Selon le guide la révolution libyenne, M. Kadhafi, Jésus n’a pas été supplicié sur la croix. Un sosie, affirme-t-il sans rire, avait pris sa place. On voit ainsi, et c’est rassurant, que l’influence pernicieuse des Monty Python s’étend désormais jusqu’aux confins de l’Egypte. Ayant délaissé les cadavres exquis, Kadhafi rit. Est-ce le signe que l’on peut désormais rire de tout même au Moyen Orient ? Que l’affaire des caricatures de Mahomet est définitivement ensablée et qu’on peut en remettre une couche ? Ou plutôt la confirmation que le premier libyen dit n’importe quoi ? Ce qui relativise un peu ses engagements solennels sur l’arrêt des recherches militaires de son pays en matière d’armes de destruction massive ou sa promesse de renoncer à financer les terroristes.
Une petite phrase prononcée lors du dernier sommet Europe-Afrique la semaine dernière aurait dû mettre la puce à l’oreille, lorsqu’il affirmait, péremptoire, que le terrorisme est la seule arme des pauvres contre les riches. Salaud de pauvres ! comme disait Marcel Aymé. Heureusement pour eux, les dirigeants européens souffrent depuis toujours de graves défaillances de l’ouïe. Et le nouveau président français, M. Sarkozy, a manifestement été contaminé par le mal dès son premier sommet européen. Au lieu de décommander séance tenante la visite de ce fou à Paris, il a pris ses propos pour de sympathiques plaisanteries, avec le résultat que l’on voit : les facéties du Guide ont déstabilisé son gouvernement, fâché ses parlementaires et boosté (pour quelques instants) les socialistes.
C’est peut-être un homme comme ça qu’il nous faudrait en Belgique pour dénouer la crise. Mais où ai-je la tête ? Un homme comme ça, nous l’avons ! « La RTBF et Radio mille collines, c’est kif-kif ! » « Les francophones n’apprennent pas le flamand parce qu’ils en sont incapables ! » « L’hymne national belge ? C’est la Marseillaise ! » N’est-ce pas du Kadhafi bon cru ?
Curieusement, ces formules monty-pythonesque, qui auraient tant plu dans la bouche du guide suprême de la révolution libyenne, ne valent à son auteur ni l’amitié du président français et les fastes de la république, ni la considération et le respect du président des Etats-Unis. Seulement des injures de ses collègues et des sarcasmes dans la presse. Je comprends l’amertume de M. Leterme. Quoi qu’il fasse, qu’il dise, qu’il imagine, ses propos et ses initiatives tombent toujours à plat.
Allez, Yves, du courage, manneke ! Accroche-toi. Il suffit que demain on annonce la découverte de pétrole à Poperingue ou à Steenokerzeele pour devenir le héros de la communauté internationale. A quoi tient le succès d’un humoriste …

Alain Berenboom
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SOLDATS DE PLOMB

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Jadis, les choses étaient simples : d’un côté il y avait les vilains tyrans, de l’autre les braves résistants et les irréprochables démocraties. Que c’était reposant ! Les choses se sont singulièrement brouillées depuis. Le ying et le yang n’y retrouvent plus leurs petits.
Du côté du pouvoir, s’il reste quelques dictateurs à l’ancienne, ce sont désormais des pièces de musée, modèle Kim Jong-Il, le leader bien aimé respecté de Corée du Nord. Les potentats modernes ont parfaitement digéré le mode d’emploi de la démocratie et l’avantage médiatique d’une bonne journée d’élections. L’apparence de démocratie suffit pour profiter des largesses des Américains et des Européens, recevoir un beau télégramme de félicitations du président Sarkozy et faire partie de cette si respectable « communauté internationale », le club des gens bien.
Poutine, ayant fait disparaître – plus ou moins- légalement les principaux media d’opposition (et leurs journalistes) et cassé toute opposition politique en envoyant les uns en exil et les autres en prison, a démontré la supériorité de la loi et de l’ordre sur la méthode bête et brutale du parapluie bulgare que lui enseignaient ses maîtres. Au Congo, Kabila a très bien appris comment l’enfant d’un coup d’état pouvait être élu d’un coup de baguette magique (avec les félicitations et l’argent des plus exemplaires démocraties). Au Pakistan, le pervers Musharraf a imaginé un excellent moyen pour assurer son poste : puisque la cour constitutionnelle refusait de le nommer, il suffisait de nommer une autre cour pour gagner les élections. En Iran, seul Dieu décide qui est candidat et qui va en prison, ce qui évite les mauvaises surprises. Fez blanc et blanc fez.
Les rebelles ne sont pas en reste. Elle est loin l’époque où l’on admirait les magnifiques barbudos de Cuba qui allaient balayer les affreux Américains et les courageux Vietcong qui défendaient leur pays envahi par les barbares. Mieux vaut oublier ce que sont devenus Castro et Hô Chi Minh arrivés au pouvoir. Leurs enfants sont pires. Les images et la lettre de Ingrid Betancourt ont définitivement convaincu les candides que, quel que soit le dégoût que l’on peut ressentir face à certains dirigeants colombiens, les FARC ne sont qu’une bande de criminels brutaux et inhumains. Ne valant guère mieux que leurs cousins du Sentier Lumineux au Pérou et leurs clones talibans d’Afghanistan ou d’Irak. Sans oublier certains guérilleros auto-proclamés d’Afrique.
Au moment où nos apprentis politiciens s’amusent à jouer à cache-cache dans une pièce obscure appelée Belgique, il est bon de se rappeler que la démocratie et la liberté sont plus fragiles que le verre du Val Saint-Lambert.

Alain Berenboom
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