AMOUR-HAINE-PARIS

D.S.K., D.S.K., le monde francophone belge vibre une fois de plus en cadence avec les Français. Bruxelles vacille lorsque Paris tremble. Les malheurs, les maladresses ou les fautes du brillant patron du FMI, annoncé comme le futur président socialiste de la république française, remuent toutes les conversations de Bruxelles à Arlon, remplissent les journaux, alimentent les débats télévisés bien plus que notre crise politique.
Si les aventures de D.S.K. attirent tous les regards, ce n’est pas seulement par son côté sexuel. C’est surtout parce qu’elle met en cause un des politiciens les plus importants du landerneau politique français. Si le président Sarkozy se retrouvait errant dans la campagne après avoir sauté d’un train en marche (comme son prédécesseur Paul Deschanel), on en parlerait avec autant de fièvre !
On l’a souvent constaté : demandez à un Wallon qui est son ministre de la culture, il ne saura généralement pas répondre (sauf s’il vit de ses subsides). Mais interrogez-le sur la composition du gouvernement français, il vous citera la plupart de ses membres, ainsi que le nom de tous les présidents de partis français.
Entre Belges francophones et Français, c’est une vieille histoire d’amour-haine.
Wallons et Bruxellois aiment se moquer des Français, de leurs mœurs politiques, de leur cinéma fatigué et banal, de leur littérature éteinte, de leurs politiciens creux, de leur télévision débile et de leurs présidents plus ou moins fous. Mais en même temps, ils ont pour Paris les yeux de Chimène.
Et cette histoire d’amour-haine est ancienne. A la sortie du premier film d’André Delvaux, toute la critique belge s’est moquée de De man die zijn haar kort liet knippen. Ennuyeux, lent, cérébral. Le film n’a fait qu’une carrière éclair avant de disparaître des rares écrans qui le programmaient. Quelques mois plus tard, le film est miraculeusement sorti à Paris. Delvaux a été accueilli comme une révélation, un nouveau Ingmar Bergman et son film acclamé. Aussitôt les critiques belges (les mêmes qui l’avaient assassiné à sa sortie) ont encensé le film et fait de Delvaux le chevalier du nouveau cinéma belge. Et le film a fait une nouvelle carrière dans les cinémas.
Trente ans plus tard, le phénomène s’est reproduit avec les frères Dardenne. Leurs premiers films sont sortis dans l’indifférence mais La Promesse, saluée par la critique française puis Rosetta, magnifique vainqueur de la palme d’or à Cannes, ont fait des frères Dardenne des stars chez nous. Paris les a reconnus ! Ce n’est qu’à cette condition qu’ils ont pu devenir de grands cinéastes aux yeux de nos intellectuels.
Le même phénomène existe en littérature. Nos écrivains sont dédaignés s’ils sont publiés par de petits éditeurs belges. Ils ne sont célébrés que s’ils sont publiés par Gallimard, Le Seuil ou Minuit et plus encore s’ils remportent un prix littéraire à Paris.
Ce phénomène est d’autant plus étonnant que nos écrivains, nos cinéastes, nos chorégraphes ont développé une œuvre de moins en moins « parisienne ». Il n’y a pas d’équivalent français des frères Dardenne ou de Jaco Van Dormael en cinéma, ni de Pierre Mertens ou de Thomas Günzig en littérature. Ou encore de Michèle-Anne De Mey en chorégraphie. Tous ces créateurs sont beaucoup plus proches de leurs collègues flamands que de leurs équivalents français.
Et pourtant, c’est la reconnaissance de Paris que cherchent nos artistes.
Alors, un conseil aux hommes et femmes politiques français. Si en 2012, ça tourne mal pour vous, que vous n’êtes pas élus président de la république ou député dans votre département, ne vous creusez plus la tête pour trouver un nouvel emploi qui sauvera votre famille de la famine : venez en Belgique. Vous serez accueillis en héros, en stars.
Martine Aubry ? Sa mairie de Lille (à quelques kilomètres de la frontière belge), son air maussade et surtout la victoire du LOSC, son équipe de foot’, lui garantissent une élection éclatante à Liège, capitale du Standard.
François Hollande a déjà un nom qui lui assure la direction du gouvernement fédéral. D’ailleurs personne d’autre n’en veut !
Quant à DSK, qu’il vienne chez nous. Il est certain d’être accueilli en triomphateur s’il propose ses services comme ministre belge de la Justice !

Alain Berenboom
De Standaard 26 mai 2011

LA BELGIQUE CONTRE DSK

Qui peut dire à l’heure actuelle si D.S.K. est un agresseur violent, un type au comportement aberrant, un cinglé ou la victime d’une machination? Une seule chose est sûre : depuis la chute des tours du W.T.C. à Manhattan, celle de D.S.K. à quelques pas de là est l’info du siècle.
On ne parle que de « ça », on ne regarde que « ça ».
Oubliées l’élimination réussie de Oussama Ben Laden, celle imminente paraît-il de Mouammar Kadhafi. Effacés le tremblement de terre et le tsunami au Japon, l’effondrement de la centrale nucléaire de Fukushima et l’irradiation de ses travailleurs plus ou moins forcés. Enterrés aussi les abominables massacres quotidiens des peuples syriens et yéménites par leurs dirigeants, sous le regard gêné de la communauté internationale.
D’une certaine façon, on respire. Ces dernières semaines, l’histoire s’était accélérée. Où que l’on tournât les yeux, la planète n’était plus qu’explosions, désastres naturels, révolutions, massacres, bouleversements politiques. Des événements nouveaux, qu’on ne parvenait pas à expliquer, à gérer, à juger, des révolutions inattendues dont on ne savait si elles apportaient un peu d’espoir à leurs populations ou si elles les enfonçaient un peu plus dans l’ombre, des guerres bizarres menées en notre nom mais guère contrôlées par nos représentants démocratiques et dont on n’était pas certain de comprendre les enjeux ni de déchiffrer les protagonistes.
Ouf ! Grâce à D.S.K., le rideau est tiré sur toutes ces énigmes, tous ces défis. Avec cette bonne vieille histoire de cul entre soubrette et vieux monsieur riche, on retrouve ses marques et ses certitudes. Ah ! Cette « chair » tradition française du côté de Feydeau. Au théâtre ce soir ! C’est tellement rassurant !
Tous les dirigeants politiques du monde se sont sentis soulagés. Merci D.S.K. ! Cette affaire leur apporte un répit bien mérité que la sortie d’une nouvelle saison de « Lost » n’avait pas réussi à leur offrir.
Tous ? Non. Avec un courage et une imagination qui ont fait la réputation de notre classe politique, les héros qui peuplent nos parlements ont refusé le diktat des medias. Seuls face au reste du monde, ils ont contre-attaqué et réussi à faire plus fort que les scénaristes qui pilotent D.S.K., plus original que ses conseils en communication et plus créatif même que ses avocats.
La même semaine, ils nous ont annoncé, tenez-vous bien, un – presque – premier ministre wallon et la prise en considération par à peu près tous les députés flamands de la proposition de loi déposée par l’extrême droite sur l’amnistie des collaborateurs belges des nazis.
Là, ils ont frappé fort. Il paraît qu’au fond de sa cellule, D.S.K. a murmuré : « Chapeau ! »
Et reconnu sa défaite.

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PANEM ET CIRCENSES

Lorsque j’étais enfant, j’ai eu le cœur brisé par la mort de mon héros, Stan Ockers, qui s’était fracassé le crâne sur la piste du vélodrome d’Anvers.
Ado, je m’étais emballé pour notre tout frais champion du monde, Jean-Pierre Monseré, fin et racé, jusqu’à ce qu’il soit fauché au début d’une brillante carrière par un automobiliste.
Ensuite j’avais perdu un peu de mon enthousiasme candide à cause de ma nouvelle idole, Michel Pollentier. Un coureur fou qui zigzaguait de façon si extravagante sur la route qu’il faisait deux fois plus de kilomètres que ses concurrents. Je le croyais capable de rééditer les exploits de Merckx et de Van Impe mais il fut surpris tenant caché un flacon d’urine dans son slip lors d’un contrôle anti-dopage alors qu’il venait de s’emparer du maillot jaune au tour de France. D’autres champions, pris comme lui, avaient fini par éroder un peu ma passion pour la petite reine. Et les piètres résultats des Belges au tour de France, s’ils me rassuraient sur leur déontologie, ne contribuaient guère à faire renaître mon intérêt. Jusqu’à l’année dernière qui vit le réveil des Belges, et un magnifique printemps tricolore lors des classiques en ligne. Mais la mort de Weylandt vient soudain rappeler la cruauté d’un sport dont les champions paraissent si sereins et si faciles lorsqu’ils lèvent les bras en passant victorieusement la ligne.
On croyait le rêve à portée de pédales. C’était oublier les leçons de la tragédie grecque : il ne faut jamais tenter d’égaler les dieux. Icare fracassé en plein vol parce qu’il tentait de monter trop haut. Ces footballeurs blessés, opérés sans cesse, ces tenniswomen démantibulées, ces champions vieillis avant l’âge, qui ont une tête de retraité quand leurs copains d’école démarrent dans la vie.
Qu’est-ce que Weylandt a goûté des plaisirs de la vie ? Tué en pleine jeunesse, on imagine qu’il n’a jamais connu que les invraisemblables sacrifices qu’on exige maintenant des champions de haut vol. Une discipline de soldats en guerre. Et pourquoi ? Pour espérer entendre une fois, une fois seulement, son nom crié au passage d’une classique ou d’une étape d’un grand tour où il aurait miraculeusement jailli du peloton pour caracoler en tête et arracher le baiser de la miss de service.
Tant de jeunes pensent aujourd’hui que gagner est facile. Il suffit de jouer au Lotto. N’est-ce pas ce que promettent la pub et les animateurs télé ?
Boonen, Van Summeren, Gilbert, comme Weylandt ne croient pas au Lotto. Peut-être ne regardent-ils pas assez la télé ? Ils donnent du spectacle, font battre les cœurs, vibrer des foules. C’est peu dans l’histoire du monde ? A y réfléchir calmement, tellement plus que tous les prometteurs de beaux jours à qui nous avons fait tant confiance.
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ARTHUR, OU T’AS MIS LE CORPS ?

La vraie question que pose la liquidation d’Oussama Ben Laden est celle-ci : Bon Dieu ! Où est le corps ?
Inutile de dire que personne n’accorde foi à la version officielle. Le cadavre à la flotte pour empêcher ses groupies de se prosterner sur sa tombe. Allons ! Alors que des experts réussissent à remonter du fond de l’Atlantique les boîtes noires de l’Airbus A330 du vol Rio-Paris, on se doute que les membres du club Ben Laden n’auront de cesse de plonger toutes palmes dehors dans la mer d’Oman à la recherche de leur idole, facile à repérer grâce aux ondes de haine qu’il continue d’émettre.
Alors, où est le corps ?
La vérité est peut-être que les soldats d’élite l’ont tout simplement égaré dans le feu de l’action.
« Où c’est que tu as mis Oussama, Art ?
– M’enfin ! C’est toi qui devais t’en charger !
– Moi ? Je n’ai fait qu’obéir aux ordres du président. Il me dit de tirer, je tire. Il me dit de me tirer, je me tire !
– Alors, on a dû l’oublier sur la table ! 
– Fuck ! Le film ne sortira jamais ! On aurait l’air trop ridicule ! Et ma petite amie qui pensait que j’allais devenir une star ! Encore raté ! »
Ce ne sont évidemment pas les Pakistanais, déjà soupçonnés d’avoir caché le terroriste n°1, qui vont vendre la mèche. Dès que les Américains ont évacué les lieux en laissant leurs saletés derrière eux, ils ont nettoyé la villa à toute vitesse pour abriter un autre ami en fuite. Kadhafi, Bachar el-Assad ou encore Ali Abdullah Saleh. Les candidats locataires ne manquent pas dans le monde arabe en ce beau printemps.
Selon une autre hypothèse, la mort de Ben Laden est un leurre, comme l’était son existence. Il n’a pas non plus marché sur la Lune, ni dirigé des avions sur le World Trade Center et le Pentagone. Ses vidéos ont été fabriqués (pas très chers vu les décors miteux et la caméra hésitante) par un producteur fauché. Ben Laden est une farce, une création de la propagande américaine pour salir l’image des bons musulmans dans le monde. Un indice : a-t-on jamais vu quelqu’un qui s’efforce d’être pris au sérieux se promener avec une barbe pareille sinon dans les films des Monty Python ?
Reste une dernière hypothèse qui circule dans « les milieux généralement bien informés » : Ben Laden n’a pas été abattu. Emballé dans son drap de lit, il a été emporté aux Etats-Unis et enfermé dans une base secrète au fond d’une cellule avec Staline et Hitler.
On ressortira le trio le jour où un quatrième larron prétendra à son tour devenir le maître du monde. Avec le réchauffement de la planète et le réveil des volcans, on peut s’attendre malheureusement à une accélération des cervelles en fusion dans les mois qui viennent.

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L’ILE AU TRESOR

Ce samedi, journée du livre et du droit d’auteur. On peut discuter de l’idée d’inscrire le livre et le droit d’auteur dans cette surréaliste série de « journées commémoratives mondiales » entre la journée de la femme (à ne pas confondre avec le jour de la femme à journée), celle des choux-fleurs et des lépreux en attendant la journée du torticolis (qui célèbre le Chagrin des Belges.)
Mais ne boudons pas une fête du livre. Surtout qu’avec l’apparition des tablettes numériques, certains évoquent le spectre de la fin du livre « papier ». Inutile d’aller à la Recherche du Temps perdu. L’évolution technologique n’est pas une Assurance sur la mort.
La télévision a chamboulé l’industrie cinématographique mais elle ne l’a pas tué, ni le DVD, tous grands consommateurs de films, à condition que ceux-ci aient d’abord fait carrière dans des salles de cinéma.
Il en sera sans doute de même pour le livre, dont la diffusion numérique sera simplement un autre mode d’exploitation. Zazie dans le métro continuera de lire Belle du Seigneur.
En revanche, l’exploitation numérique des films a montré l’extrême fragilité du cinéma à l’égard des pirates. Les innombrables sites de téléchargement (dont le sous-titrage en russe ou en coréen ne décourage pas les internautes), d’échange ou de streaming, sans aucune rémunération des auteurs et des producteurs, sont en train de tuer la production et de transformer auteurs et comédiens en Âmes mortes.
Avoir lié la « fête de la librairie » à la journée mondiale du droit d’auteur prend alors tout son sens : ce qui menace le livre demain c’est le piratage, pas de nouvelles formes d’exploitation. Au contraire celles-ci lui apportent de nouveaux lecteurs et même pour certains créateurs d’autres façons d’écrire et de dialoguer avec leurs lecteurs.
En revanche, le pillage sans frein fait peser de graves menaces sur l’édition et particulièrement sur les petits éditeurs, qui fondent comme Peau de chagrin, alors que beaucoup sont seuls à prendre le risque de ne pas ronronner avec les tendances stars. Et sur les libraires, qui font ce métier magique de nous donner quelques bouffées d’imaginaire et le secret du Rêve, entre deux Mac Donald et trois Carrefour-Delhaize.
Le droit d’auteur est aujourd’hui en danger moins par manque d’outils juridiques pour combattre la contrefaçon que par l’absence d’effort dans l’éducation des jeunes. On n’apprend pas dans les écoles à naviguer sur le Net et, tel Achille dans l’Odyssée, à se méfier des sirènes, ni à faire aimer les auteurs comme on n’apprend toujours pas aux étudiants l’amour du cinéma ou de la littérature mondiale. Tant qu’à commencer leur Education sentimentale, on se plongera ce samedi dans Nabokov, né un 23 avril et dans Shakespeare et Cervantès dont on célèbre la mort ce jour-là.

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SAKURA OHANAMI

Promenez-vous ces jours-ci dans les rues de Boitsfort et levez les yeux ; les cerisiers en fleurs illuminent le ciel d’un rose improbable. Poétiques et légers, si loin des convulsions dans lesquelles nous sommes plongés depuis quelques mois. C’est beau mais éphémère comme un feu d’artifices.
Je ne sais pourquoi les cerisiers du Japon me font penser à un autre temps, plus innocent, moins violent, le temps de l’enfance idéale, si admirablement imaginé par Jaco Van Dormael dans Toto le Héros et Mister Nobody, en partie tournés justement dans la cité du Logis à Boitsfort.
Au Japon, l’éclosion des cerisiers est un moment important de l’année que les Japonais célébreront à la fin du mois. Pendant ces quelques jours de fête qu’on appelle la golden week, ils iront en famille, entre amis, se faire photographier dans les parcs, manger et boire du saké sous les cerisiers, les sakura. Cette tradition, Sakura ohanami signifie « la contemplation des fleurs de cerisiers ».
Par une étrange coïncidence, le premier jour de la golden week célèbre la naissance de l’empereur Hirohito (ou Showa), qui a entraîné son peuple dans la seconde guerre mondiale et n’a rendu les armes qu’après que les villes de Hiroshima et Nagasaki aient été écrasées sous les premières bombes atomiques américaines.
Le troisième jour de fête est appelé le « jour de la nature » ou « le jour vert ».
Comment ne pas faire le lien cette année entre ces jours de fête et les événements de Fukushima ? Soixante six ans après la première utilisation d’armes atomiques, une catastrophe nucléaire ravage sans doute définitivement un pays, le dernier qui aurait dû faire confiance à l’atome et tenter de domestiquer son souffle incompréhensible et terrifiant.
Et qui peut joyeusement, innocemment, célébrer la nature après ce qu’elle vient d’infliger à l’archipel, un tremblement de terre suivi d’un tsunami ?
Etrangement, l’enfer est venu en même temps de la nature et de la civilisation humaine.
Comme pour nous rappeler l’extraordinaire fragilité de notre existence et du doux mais fugace moment de plaisir d’une balade sous les cerisiers en fleurs.
Un coup de vent, quelques heures de pluies violentes suffisent les parures roses des branches. On pourra s’extasier du tapis coloré qui couvre le sol et dissimule ses défauts tel un rideau de paillettes. Mais au bout de quelques heures déjà, il aura disparu dans les égouts. Le béton réapparaîtra. Et dans toute la région ravagée par la catastrophe, le macadam déchiqueté, les bâtiments en ruines, les montagnes de boue et de déchets, les cadavres.
Et à quoi ressembleront les centrales de Fukushima sous un manteau de pétales de fleurs de cerisiers ? Au visage d’un clown triste qui n’a pas pris le temps de se démaquiller.

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ECHAFAUDAGES

Comme beaucoup de Bruxellois, je n’ai pas le souvenir d’avoir jamais contemplé le palais de justice sans échafaudages. Pourquoi ne pas les avoir démontés ? J’avais d’abord cru qu’un entrepreneur habile avait négocié un contrat assurant à ses enfants, à ses petits-enfants et à leurs descendants une concession de nettoyage à perpétuité. Eh bien, je me trompais ! Les mœurs de certaines municipalités wallonnes n’ont apparemment pas encore contaminé les autorités qui gèrent le temple de Thémis. Même si l’annonce par M. Demotte d’une rocambolesque et dérisoire Fédération Wallonie-Bruxelles fait craindre le pire pour l’avenir. Heureusement, les étiquettes ont une grande qualité : elles se décollent rapidement.
Les échafaudages du palais c’est le contraire : ils sont restés si longtemps accrochés à la façade qu’il est désormais impossible de les décoller de la pierre dans laquelle ils se sont encastrés tels des animaux préhistoriques prisonniers de leurs gangues.
Jadis, c’est le palais qui soutenait les échafaudages. Maintenant, c’est le contraire. Sans ses échafaudages, le bâtiment tomberait en poussière, paraît-il, aussi sûrement qu’une centrale atomique après le passage d’une catastrophe ou la forêt congolaise après le passage du prince Laurent.
Quel symbole, tout de même. On pensait ce temple démesuré construit pour l’éternité, comme les pyramides, Manneken Pis ou le Colisée. Or, il n’est qu’un château de sable, prêt à s’écrouler sous le choc d’une marée un peu forte. Symbole de la justice que certains politiciens s’efforcent de démantibuler en partageant ses restes entre Flandre et Wallonie. Comme si les coups reçus depuis dix ans ne suffisaient pas à la fragiliser.
Symbole aussi de la Belgique. Un coup de pattes, un peu trop de pression. Et, patatras ! il n’en restera rien.
On se consolera en pensant que nos voisins français n’ont pas encore songé à s’occuper de nos malheurs. Et que leur président ne s’est pas rendu compte que la population civile de notre pays est menacée par la lutte que mènent clans du nord contre clans du sud. Ouf !
Si le président Sarkozy s’avise que le gagnant des élections de l’année dernière, Bart De Wever, ne parvient pas à poser ses fesses victorieuses sur le trône et qu’il décide de lui ouvrir la porte du 16 rue de la loi à coup de canon comme il vient de le faire à Abidjan pour le président Ouatara, à quoi ressemblera Bruxelles ? A la ville ravagée par les armées de Louis XIV jadis !
A tout prendre, je préfère que nos institutions ne tiennent plus ou moins debout qu’avec un peu de Scotch et que nous ne recevions de la Côte d’Ivoire que des cargaisons de chocolat…

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EDITION SPECIALE

La semaine dernière, Le Soir a eu la bonne idée de publier une editie Vlaanderen. Dans la foulée, quelques jours plus tard, la Rossiyskaya Gazeta s’insérait à son tour dans votre quotidien favori avec une salade russe composée d’articles du journal moscovite.
On attend avec curiosité le prochain supplément. Une sélection d’articles de la principale gazette de Tripoli ? Un peu d’aide à la presse belge, Kadhafi nous doit bien ça vu l’ardoise de notre armée en Libye alors que le budget fédéral explose sous le poids des salaires imprévus des conciliateurs, médiateurs et autres informateurs que l’on paye depuis près d’un an, sans compter les frais de bouche de leurs interlocuteurs et les gaufres du plus gourmand d’entre eux.
La comparaison entre les deux suppléments, le flamand et le russe, ne manque pas d’intérêt et inspirera utilement les futurs rédacteurs tripolitains.
Dans son édition néerlandaise, Le Soir a largement réutilisé des articles publiés antérieurement en français, certains il y a trois ans, voire quatre. L’art de réutiliser les restes ? Pas du tout ; leur troublante actualité fait frémir : blocage politique, fermeté de l’alliance C.D.&V.- N-VA, BHV, ces articles auraient pu être écrits la veille. Effrayante constatation que le zoo politique belge s’est figé une fois pour toute il y a des années et que personne n’a réussi depuis à ouvrir la cage pour faire respirer un autre air aux animaux qui y sont enfermés.
La Russie d’Aujourd’hui au contraire a fait du passé table rase et abandonné l’Internationale. Ainsi, s’agissant de Tchernobyl, elle en parle comme de la disparition des dinosaures. Un type de centrale d’un autre âge enterré depuis si longtemps que tout le monde l’a oublié. Et d’annoncer fièrement un vaste projet de construction de nouvelles centrales nucléaires super sûres. La catastrophe japonaise ? Cela se passe ailleurs, à l’étranger, sur une autre planète. Jamais, une radiation nippone n’osera franchir la frontière russe.
Bref, à la différence du Soir Vlaanderen, La Russie d’Aujourd’hui n’annonce que de bonnes nouvelles : la milice moscovite a bien changé depuis l’ère soviétique. Si elle est toujours prête à arrêter de vieilles dames, elle n’intervient que si les mamouchkas ne portent pas de canne. Les flics sont devenus drôlement fragiles dans la patrie de Staline. En revanche, pas un mot dans ce numéro du BHV russe, la Tchétchénie. Ni des tensions entre l’état central et les républiques.
Seule note discordante, la Gazeta n’hésite pas à évoquer le différend entre le président Medvedev et son premier ministre, Vladimir Poutine, à propos de la Libye.
Faut-il y voir un coup de chapeau à la Belgique qui a eu la bonne idée, lors de la régionalisation, de cumuler les deux fonctions en nommant un seul ministre-président ?

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TRIPOLI POUR ÊTRE HONNETE

Sur le papier, les interventions décidées par l’ONU au Rwanda ou en ex-Yougoslavie étaient nécessaires, indispensables. Tout comme celle en Libye. Pourquoi alors ce manque d’enthousiasme, ces doutes ?
Je suis d’une génération qui n’a jamais adulé le rôle des militaires en-dehors de nos frontières. Faites l’amour ici plutôt que la guerre là-bas. La guerre des autres est une solution ultime, du désespoir. Alors, pourquoi mettre si peu d’enthousiasme et de moyens à sauver les peuples qui meurent de faim, abandonner les pays qu’on a tirés des griffes de leur bourreau ? On se demande aussi pourquoi certains peuples tyrannisés sont plus chouchoutés par nos excellences que d’autres. On s’étonne enfin des fluctuations de notre compteur Geiger vis-à-vis du premier Libyen. Tantôt célébré comme le représentant d’un arabisme laïc et moderne, tantôt honni pour ses exactions (dans nos pays), à nouveau copain dès qu’il se dit l’ennemi d’Al Qaida et qu’il bazarde une partie de son stock d’armes dégoûtantes, puis re-traité d’assassin et de chef terroriste.
Est-il tout à fait honnête son propre représentant auprès de la Ligue arabe qui s’avise soudain que son boss est de loin pire que Saddam Hussein ? « Je pense que Saddam Hussein avait un peu de bon sens, alors que cet homme n’a ni bon sens, ni sagesse », déclare M. al-Honi (qui mal y pense).
Autre raison d’être perplexe : les fruits amers des précédentes opérations de l’ONU.
Le génocide rwandais, les massacres de Srebrenica sont autant l’œuvre des tueurs que la responsabilité de la communauté internationale. Ce sont des soldats occidentaux censés protéger les Rwandais des génocidaires qui ont fait défaut. Ils ont donné à la population l’illusion de veiller sur elle avant de se défiler au pire moment. Ce sont des soldats hollandais qui ont regardé, les bras croisés, les brutes serbes massacrer les habitants de Srebrenica, qui eux aussi avaient fait confiance et étaient sortis de leur réduit, aveuglés par les engagements de l’ONU.
Qu’allons-nous promettre aux Libyens ? Qu’avons-nous prévu ? Rien sans doute. Dans leur for intérieur, les intervenants croisent les doigts pour que les citoyens libyens et l’armée renversent elles-mêmes le dictateur et nettoient les lieux. Mais si le scénario ne se déroule pas selon ce plan, que se passera-t-il ? Les précédentes aventures de la communauté internationale ne présagent rien de bon…

PS : à propos du Rwanda, je vous conseille la lecture d’un livre merveilleux, « Tu leur diras que tu es hutue » de Pauline Kayitare (éditions Versaille). Plus qu’un témoignage d’une rescapée du génocide, un vrai récit mêlant mort et vie, un portrait pénétrant d’une famille rwandaise avec le regard vif, frais, incroyablement optimiste d’une vraie conteuse.

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LE YIN ET LE YANG

Les premiers temps, les événements qui se déroulent au Japon ont paru effacer en horreur tous les autres drames qui ont déjà rythmé le début du siècle, l’effondrement des tours du W.T.C., le tsunami asiatique, le tremblement de terre d’Haïti. Un séisme gigantesque suivi d’un tsunami dévastateur puis d’une catastrophe nucléaire qui pourrait contaminer une partie de la planète, qui dit mieux ? A part une guerre nucléaire, même à Hollywood, on ne voit pas comment battre ce record. Mais peu à peu, alors que montait l’apocalypse, j’ai essayé de trouver les côtés positifs de ces événements. On dit qu’il y a toujours deux faces à chaque épisode de la vie – le yin et le yang. Le yang ici, c’est d’abord, le flux de connaissances que la catastrophe nucléaire japonaise nous a permis d’ingurgiter.
En quelques jours, des spécialistes de tous poils sont parvenus à m’apprendre sur le tas des notions que mes profs d’athénée n’ont jamais effleurées pendant des années (pour ne pas me faire peur ?) et mon vocabulaire s’est enrichi d’une centaine de mots nouveaux. Je sais tout de la différence entre fusion et fission. Je ne sais pas si ça me sauvera la vie à la prochaine catastrophe mais au moins, je ne passerai pas pour un péquenot dans les dîners en ville.
Il faut aussi éviter de dire aux Japonais qu’ils risquent d’être « irradiés » alors qu’ils seront « contaminés ». Dans l’un et l’autre cas, on meurt. Mais pas de la même façon, ce qui a l’air de faire beaucoup saliver les scientifiques.
J’ai aussi appris que l’on ne compte plus, comme je le faisais bêtement, en Curie. Fini, le Curie ! On évalue la teneur en éléments radioactifs (si on a le temps) en Becquerel, unité qu’il ne faut pas confondre avec le Becherel, lequel nous apprend à décliner convenablement en français. Remarquez, après une solide dose de Becquerel, on est aussi assuré de décliner définitivement…
Autre super yang du jour : l’énergie nucléaire est une énergie propre, répètent les spécialistes. A voir ses effets, il faut comprendre par là que les morts radioactifs ne laissent pas de traces désagréables pour les survivants. Ni sur la vie et les intérêts de ceux qui ont misé sur le tout nucléaire.
Aucune installation industrielle n’est plus sûre, ni plus surveillée qu’une centrale nucléaire, nous a-t-on encore asséné. Ah bon ? Qu’on m’explique alors pourquoi tous ces petits génies n’ont pas eu conscience en construisant leurs Lego sur des failles sismiques qu’une petite secousse risquait de faire s’écrouler leur château de sable.
« Il y a deux choses d’infini au monde, disait Einstein : l’univers et la bêtise humaine. » Il ajoutait aussitôt : « Mais pour l’univers, je n’en suis pas très sûr ».

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