AMOUR-HAINE-PARIS

D.S.K., D.S.K., le monde francophone belge vibre une fois de plus en cadence avec les Français. Bruxelles vacille lorsque Paris tremble. Les malheurs, les maladresses ou les fautes du brillant patron du FMI, annoncé comme le futur président socialiste de la république française, remuent toutes les conversations de Bruxelles à Arlon, remplissent les journaux, alimentent les débats télévisés bien plus que notre crise politique.
Si les aventures de D.S.K. attirent tous les regards, ce n’est pas seulement par son côté sexuel. C’est surtout parce qu’elle met en cause un des politiciens les plus importants du landerneau politique français. Si le président Sarkozy se retrouvait errant dans la campagne après avoir sauté d’un train en marche (comme son prédécesseur Paul Deschanel), on en parlerait avec autant de fièvre !
On l’a souvent constaté : demandez à un Wallon qui est son ministre de la culture, il ne saura généralement pas répondre (sauf s’il vit de ses subsides). Mais interrogez-le sur la composition du gouvernement français, il vous citera la plupart de ses membres, ainsi que le nom de tous les présidents de partis français.
Entre Belges francophones et Français, c’est une vieille histoire d’amour-haine.
Wallons et Bruxellois aiment se moquer des Français, de leurs mœurs politiques, de leur cinéma fatigué et banal, de leur littérature éteinte, de leurs politiciens creux, de leur télévision débile et de leurs présidents plus ou moins fous. Mais en même temps, ils ont pour Paris les yeux de Chimène.
Et cette histoire d’amour-haine est ancienne. A la sortie du premier film d’André Delvaux, toute la critique belge s’est moquée de De man die zijn haar kort liet knippen. Ennuyeux, lent, cérébral. Le film n’a fait qu’une carrière éclair avant de disparaître des rares écrans qui le programmaient. Quelques mois plus tard, le film est miraculeusement sorti à Paris. Delvaux a été accueilli comme une révélation, un nouveau Ingmar Bergman et son film acclamé. Aussitôt les critiques belges (les mêmes qui l’avaient assassiné à sa sortie) ont encensé le film et fait de Delvaux le chevalier du nouveau cinéma belge. Et le film a fait une nouvelle carrière dans les cinémas.
Trente ans plus tard, le phénomène s’est reproduit avec les frères Dardenne. Leurs premiers films sont sortis dans l’indifférence mais La Promesse, saluée par la critique française puis Rosetta, magnifique vainqueur de la palme d’or à Cannes, ont fait des frères Dardenne des stars chez nous. Paris les a reconnus ! Ce n’est qu’à cette condition qu’ils ont pu devenir de grands cinéastes aux yeux de nos intellectuels.
Le même phénomène existe en littérature. Nos écrivains sont dédaignés s’ils sont publiés par de petits éditeurs belges. Ils ne sont célébrés que s’ils sont publiés par Gallimard, Le Seuil ou Minuit et plus encore s’ils remportent un prix littéraire à Paris.
Ce phénomène est d’autant plus étonnant que nos écrivains, nos cinéastes, nos chorégraphes ont développé une œuvre de moins en moins « parisienne ». Il n’y a pas d’équivalent français des frères Dardenne ou de Jaco Van Dormael en cinéma, ni de Pierre Mertens ou de Thomas Günzig en littérature. Ou encore de Michèle-Anne De Mey en chorégraphie. Tous ces créateurs sont beaucoup plus proches de leurs collègues flamands que de leurs équivalents français.
Et pourtant, c’est la reconnaissance de Paris que cherchent nos artistes.
Alors, un conseil aux hommes et femmes politiques français. Si en 2012, ça tourne mal pour vous, que vous n’êtes pas élus président de la république ou député dans votre département, ne vous creusez plus la tête pour trouver un nouvel emploi qui sauvera votre famille de la famine : venez en Belgique. Vous serez accueillis en héros, en stars.
Martine Aubry ? Sa mairie de Lille (à quelques kilomètres de la frontière belge), son air maussade et surtout la victoire du LOSC, son équipe de foot’, lui garantissent une élection éclatante à Liège, capitale du Standard.
François Hollande a déjà un nom qui lui assure la direction du gouvernement fédéral. D’ailleurs personne d’autre n’en veut !
Quant à DSK, qu’il vienne chez nous. Il est certain d’être accueilli en triomphateur s’il propose ses services comme ministre belge de la Justice !

Alain Berenboom
De Standaard 26 mai 2011