UN HOMME MORDANT

Personne n’a jamais réussi à répondre à cette question faussement simple : peut-on rire de tout ?
Pierre Desproges s’en est tiré par une pirouette. On peut rire de tout mais pas avec tout le monde. Encore faut-il comprendre Pierre Desproges. Ce ne semble pas le cas du très limité sénateur Front (bas) national Michel Delacroix qui a traduit à sa façon le précepte desprogien en faisant pour ses amis (seulement pour ses amis, croyait-il) l’apologie de l’extermination nazie sur l’air de « l’eau vive » du pauvre Guy Béart. Comme l’un de ses amis était un traître, l’élu du peuple s’est retrouvé tout nu –et ce n’est pas beau, pas tellement plus beau et surtout pas plus comique que les très bonnes blagues de Jean-Marie Le Penn et de Dieudonné.
L’humour juif semble décidément à la mode ces temps-ci. Voilà que le service public de télévision flamande plonge à son tour dans le vivier.
A voir l’émission « Man bijt hond » (L’homme mord le chien), on peut penser que la Flandre est désormais gouvernée par un nouveau cartel, Vlaams Belang et NV-A (tendance Bart De Wever qui avait critiqué le bourgmestre d’Anvers parce qu’il avait présenté les excuses de la Ville à propos du comportement des services administratifs et policiers pendant la guerre). Et que la VRT en est devenu son porte-parole officiel.
Réagissant aux critiques suscitées par les déclarations du ministre Anciaux, champion des à peu près populistes, qui avait comparé l’armée israélienne au tueur de Termonde, la VRT s’est ému de ce que « les Juifs » sont fâchés sur le si brave Bert et elle a fait la liste de ceux contre lesquels « les Juifs ne seraient pas encore fâchés » : les amitiés judéo-américaines, la Bourse du diamant. Et défilent les images de juifs pieux en vêtements hassidiques, de personnalités juives anversoises, mais aussi de montres Rolex et de voitures Rolls Royce. De la critique de la politique israélienne, la VRT est passée sans vergogne, à celle des Juifs dans leur ensemble avec l’utilisation de tous les clichés y compris (surtout) l’argent.
« Je me demande si cela pourrait se produire sur une autre émission publique en Europe » se demande effaré le député VLD d’Anvers Claude Marinower (administrateur de la VRT). C’est le cinquième dérapage de la VRT en trois mois sans que les milieux politiques flamands ne s’en émeuvent.
Charlot, Laurel et Hardy, Mr Bean mais aussi Sempé, Goscinny ou Hergé, Tati, Westlake, Labiche, Evelyn Waugh ou Vonnegut ont démontré que l’on peut faire rire le monde entier. Les mêmes gags, les mêmes subtilités arrachent le même sourire à Hollywood et à Bombay, à Tel Aviv, à Anvers et à Bagdad, aux enfants comme aux adultes. Faudra-t-il parler désormais de l’exception culturelle du service public flamand ?

Alain Berenboom
www.berenboom.com